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HISTOIRE

PHYSIQUE, NATURELLE ET POLITIQUE

DE

MADAGASCAR

PARIS

LIBRAIRIE HACHETTE ET C“

BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79 a

HISTOIRE PHYSIQUE, NATURELLE ET POLITIQUE

MADAGASCAR

PUBLIÉE

PAR A. ET G. GRANDIDIER

VOLUME IV ETHNOGRAPHIE DE MADAGASCAR

PAR

ALFRED GRANDIDIER

MEMBRE DE L'INSTITUT

ET

GUILLAUME GRANDIDIER

TOME DEUXIÈME LES HABITANTS DE MADAGASCAR

LEUR ASPECT PHYSIQUE LEURS CARACTÈRES INTELLECTUELS ET MORAU X LA VIE SOCIALE À MADAGASCAR : LA FAMILLE MALGACHE

c AITHSEO fu

MAR 0 4 1987

'DRAH 2

PARIS

IMPRIMÉ PAR AUTORISATION DE M. LE GARDE DES SCEAUX

À L'IMPRIMERIE NATIONALE

MDCCGCXIV

ETHNOGRAPHIE

DE MADAGASCAR.

LIVRE TROISIÈME.

CHAPITRE PREMIER. ASPECT ET CARACTÈRES. CONSTITUTION PHYSIQUE.

La population de Madagascar est composée d'éléments très divers : des faits que nous avons exposés dans les deux premiers livres, 1l résulte que les habitants de cette île sont tous ou presque tous des métis, d'une part, d'Indo-Mélanésiens et, d'autre part, d'Arabes, de Persans, d'Indiens, de Javanais et quelquefois même de Chinois, de Nèores africains ou

[ ? 5

° ! N/ : 1 14° \ ts ® / d'Européens. Néanmoins, à travers ce métissage tres complexe, 1ls pré- sentent les caractères fondamentaux de leur race originelle, et, si les peuplades se différencient les unes des autres par divers caractères, Île type n’en est pas moins assez uniforme. Il faut toutefois faire exception } [

pour les chefs ainsi que pour leurs familles qui, étant pour la plupart d'origine sémitique, mongolique ou caucasique, sont d’une race diffé- rente de leurs sujets qui, eux, sont des nègres orientaux (1)

(0) La race malgache indo-mélanésienne, qui est plus proche des races jaune et blanche que ne le sont les nègres africains, prend mieux que ceux-ci leur empreinte et la conserve plus longtemps. En effet, pendant plusieurs généralions, sans apport

de sang nouveau, les enfants de leurs métis et de Malgaches restent fortement marqués du sang caucasique, sémitique ou mongolique, qui apparail aussi bien dans les traits du visage que dans la che- velure.

Nora : Les planches qui accompagnent ce volume ainsi que celui de lANrHroPoLoGIE, et sont reproduits les principaux types des indigènes de Madagascar | Betsimisarakà, Sihanakä, Bezanozanô, Antambahoakä, Antimoronä, Antisakä, Antanosÿ, Antandroy, Mahafalÿ, Barä, Sakalavä, Antalaoträ, Betsileo, Merinä], sont composées de nos photo- graphies personnelles et de celles qui nous ont été aimablement communiquées par le Service pe L'Érar-Masor et par MM. Le GÉNÉRAL GaLuient, Goissaun, G. Juurex, Marra, Nana et Péxor; nous les remercions de cetle précieuse contribution.

ETHNOGRAPHIE, 1

IMPNIMENIE NATIONALE.

2 MADAGASCAR.

On trouve en effet dans toute l'île, au milieu d'individus à type né- groide qui sont de beaucoup les plus nombreux, des individus à type caucasique ou mongoloïde; dans chaque agglomération, pour ainsi dire, il ya des gens dont le teint varie du jaune ou du brun clair au brun foncé, dont les cheveux, toujours longs, sont tantôt droits, tantôt ondulés et frisés, tantôt fortement crépés, et dont la figure est quelquefois ovale avec le nez droit et de petites lèvres, le plus souvent ronde et plate avec le nez plus ou moins écrasé, de larges narines et des lèvres plus moins épaisses.

Lorsque des Indo-Mélanésiens à peu près purs étaient les seuls habi- tants de Madagascar, 1ls se subdivisaient en une multitude de petits clans ou plutôt de familles mdépendantes les unes des autres, obéissant cha- cune à son chef naturel, au chef de famille, et vivant isolées sur le petit territoire elle s'était établie. Ce sont les immigrants de race sémitique, mongolique ou caucasique, soit venus volontairement dans cette île, soit 1etés sur ses côles par les courants ou par les tempêtes, qui, plus civilisés et plus intelligents, se sont imposés à eux; groupant un certain nombre de ces familles, ils ont formé de petites nations, composées par Ccon- séquent de nègres orientaux, ayant pour chefs des descendants de ces immigrants étrangers, et qui comprennent, en suivant la côte orientale du Nord au Sud, puis les côtes méridionale et occidentale du Sud au Nord, et enfin pénétrant dans le centre!) : les Antankaranä; les Betsimisarakà et les Betanimenä; les Antambahoakä; les Antimo- ronä; les Antifasinä; les Antisakä; les Antanosÿ; les Antan- droy; les Mahafalÿ; 10° les Sakalavä (qui se subdivisent en Anti- fiherenanä, Antimenä et Vazimbä de l'Ouest, Antimarahä, Antimilan]à , Antambongë et Vazimbä du Nord-Ouest, Anüboinä); 11° les Tsimihetÿ ; 12° les Sihanakà; 13° les Bezanozand ; 14° les Merinä; 15° les Betsileo: 16° les Antanalä, et 17° les Barä. La trace des anciennes familles ou anciens clans se retrouve dans les subdivisions à l'infini que pré- sente aujourd'hui chacun de ces groupements, les habitants de la

Q) Voir, dans le tome précédent, la carte ethnographique p. 196 bis.

ETHNOGRAPHIE. 3

plupart des villages ou des groupes de hameaux ayant un nom parti- culier, d'ordinaire formé du nom de l'ancêtre de la famille, du chef, précédé du mot Zafy {litt. : descendants de. Mal

s s'appliquer qu'à la famille, mais il englobe en réalité les esclaves, les

ce nom ne devrait

adoptés et tout individu venu vivre avec elle.

Nous allons passer successivement en revue les caractères physiques des Malgaches d'origine indo-mélanésienne plus ou moins pure, mais franchement négroïdes, qu'on trouve en grand nombre dans toute l'île,

, d'Indiens®), de

, de Chinois ou de Japonais! enfin d'Européen © )

et ceux des Malgaches métissés d’Arabes ou de Persans Javanais

D'une manière générale, on peut dire que les peuplades agricoles, c’est- à-dire les Malgaches de l'Est et du Centre, ont une physionomie douce et calme, plutôt craintive, et que les peuplades pastorales, celles de l'Ouest et du Sud, ont un air fier, hardi, sauvage. Tous semblent intelli- gents; leur physionomie est souvent agréable, plus fine et plus douce chez les femmes que chez les hommes, et dans les classes nobles que dans le peuple; ils ont le regard assuré et franc, quoiqu'il ny ait pas trop à se fier à cette apparence qui est trompeuse; leur voix est agréable, souvent très douce et même harmonieuse chez les femmes : celles-ci , lorsqu'elles sont jeunes, ont une figure gaie et avenante et une allure gracieuse qui ont toujours séduit les étrangers.

Les peuplades pastorales ont une constitution plus forte, sont plus

1 Comme beaucoup des habitants des côtes Sud-Est (Antambahoakä, Zafin- dRaminia, Antimoronä |Zafidkazimambs, Anakarä, Tsimetô], Onjatsÿ, etc.), Nord (Onjatsÿ) et Nord-Ouest (Antalaoträ) et certains Antanalä (tels que les Zafirambô d'Ivohitrosä qui sont d’origine arabe).

2) Comme les hautes classes des Antisakä (dont les chefs sont des Zarabehavanä) , des Barä (dont les chefs sont des 2 Zafy Manelÿ), des Sakalavä, Mahafalÿ et Antandroy (dont les chefs sont des Maroserananà, auxquels il faut joindre un certain nombre de fa- milles venues avec eux du Sud-Est au com-

mencement du xvn° siècle, les Songord, les Antamby, etc.).

(3) Andrianä ou nobles d'Imerinä et leurs nombreux bâtards.

} Antandroy et Mahafalÿ en partie.

6) Malatä de la côte orientale (descen- dants des pirates anglais et français venus à Madagascar de 1688 à 1726), peut-être les Tsimihetÿ, certaines familles des chefs Sihanakä et les Zafimbazahä de l'Imerinà. et les nombreux métis qui se trouvent dans les ports fréquentés depuis l'année 1500 par les navires portugais, anglais, français et hollandais, ainsi que par les traitants créoles.

mn MADAGASCAR.

vigoureuses, mais plus nonchalantes et plus paresseuses que les peu- plades agricoles, surtout que celles du centre et principalement que les Merinä au type jaune, qui ont un aspect plus débile, mais qui suppléent à la force par l'adresse.

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I. ASPECT PHYSIQUE DES MALGACHES D'ORIGINE INDO-MÉLANÉSIENNE .

Les Malgaches d'origine indo-mélanésienne, qui forment, comme nous venons de le dire, la masse de la population, sont en général d'une belle stature, d’une taille plus grande chez les peuplades des côtes et des régions orientale et occidentale P), qui ont la physionomie franchement négroïde et dont la taille moyenne est d'environ 1 m.67 + 10, que dans l’Imerinä

(1) Voir le volume de l'AnrnRoPoLOGIE. [l'y a lieu de remarquer que, s'il est sou- vent difhcile de débrouiller le chaos lant de races diverses, qui se superposent, offrent une grande variété de types et de nuances, la diversité des coiilures que por- tent les Malgaches des diverses tribus com- plique encore le problème, car des individus en somme très semblables n'ont pas le même air à cause de leur mode de coiffure différent. Ajoutons que le chaos serait en- core plus grand dans un pays les mœurs sont si libres, s'il n'y avait pas ou plutôt s'il n'y avait pas eu pendant très longtemps des lois sévères et strictement observées qui interdisaient tout mariage exogamatique, toute union en dehors du clan).

2 Y compris les Vazimbä, qui sont d'un noir rougeàlre plus ou moins foncé et ont les cheveux crépés, le visage plat, les lèvres un peu grosses, le nez légèrement élargi en bas, le front droit et élevé, le corps poilu.

Is avaient autrefois, comme certains in- sulaires de l'Océanie, comme notamment les habitants des îles Wallis, Horn , etc. , «la coutume de comprimer le front et l'occiput chez les enfants nouveau-nés afin de donner à leur tête une forme pyramidale» (Drury, Coll. des Ouvr. anc. Madagascar, publiée par A. et G. Grandidier, t. [V, p. 362) M.

«Avant la conquête du Menabé par An-

-driandahifotsŸ, au xvn° siècle, ces Vazimbä,

tout comme leurs frères de l'Imerinà, igno- raient l'usage du fer et n'élevaient pas de bœufs; descendants de nègres orientaux qui avaient émigré, volontairement ou non, d’iles de l'Extrême-Orient le minerai de fer et par conséquent la fabrication de ce métal élaient inconnus, aussi bien que l'élevage du bétail, ils avaient pour toute industrie la pêche et la fabrication des pirogues» (A. Grannidier, Notes sur les Vazimba, Mém. Soc. philomathique à l'occasion du centenaire de sa fondation , 1888, p. 157-198).

( «Si la file d’un Roandrianä (ou noble, descendant d’Arabe) se joue avec un nègre (ou libre, de race indo-mélanésienne pure ou métissée d'Indien), elle se fait avorter étant grosse, ou, étant accouchée, elle fait mourir son enfant s’il est noir et à cheveux frisés» (Fzacourr, Hist. de Madagascar, 1661, p. 93).

() Cet usage de comprimer le cräne des nouveau-nés se retrouve encore dans le Nord-Ouest. —S.V. Thomp- son, que le gouverneur de Maurice Farquhar envoya en 1814 à Tamatave, rapporte que Radamä a ramené à Tananarive du Boinä, son père Andrianampoinimerinä l'avait envoyé faire une expédition, «en même temps qu'un âne, certains petits hommes étranges dont la tête élait très aplatie et auxquels on a rendu la liberté» Ms. Bibliothèque Froberville). Voir plus loin la note 1, page 8.

ETHNOGRAPHIE. 6]

ou le centre de l'ile, dont les habitants, à facies plus ou moins malais , ne mesurent en moyenne que de 1 m. 6o à 1 m. 65 (1), et que dans

Q) Malgré le métissage intense qui s'esl établi entre les Vazimbä de l’Imerinà et les immigrants javanais venus au milieu du xvi siècle, on retrouve chez beaucoup de Merinà de la caste hovä, c'est-à-dire des- cendants des anciens chefs Vazimbà, les caractères des Malgaches d'origine indo- mélanésienne plus ou moins évidents : taille plus grande, cheveux crêpés, etc. Dans cer- tains villages éloignés des grands centres, les unions en dehors du clan familial ont été peu fréquentes, et dans quelques tri- bus comme les Zanakantiträ, si nombreux dans le district d'Ambodiranÿ , qui ont jus- qu'à présent pratiqué l'endogamie, ces ca- raclères sont manifestes.

Un fait certain, c'est qu'Andriamanelÿ, l'ancêtre et le fondateur de la dynastie qui, après avoir régné sur de petits can- tons, a étendu peu à peu son pouvoir sur la plus grande partie de Madagascar, était fils d'un immigrant javanais et d'une Va- zimbà; sa mère était en effet la princesse vazimbä Rangità (), qui possédait le pelit domaine de Merimanjakä (près de Tana- narive) et dont le corps, déposé dans une pirogue( suivant la coutume des Vazimbä qui élaient des pêcheurs, fut enseveli, comme l'avaient été ceux de ses ancêtres li), au fond du petit lac situé au pied de la ville (®).

L'usage du nom de Vazimbä est tombé

&) Comme les Vazimbä du Ménabé dans l'Ouest, les Vazimbä de l'Imerinä ne savaient pas travailler le fer, et les immigrants javanais ou leurs descendants, qui étaient d’habiles forgerons et savaient fabriquer des lances et des haches, eurent vite fait d'imposer leur autorité à des ennemis mal armés el peu industrieux. Voici le portrait qu'en font quelques vieillards merinä et bezanozand d’après la tradition : «Avant la venue des Andrianä (ou immigrants javanais), le centre de l'ile était habité par des Vazimbä (dont les Hovä actuels sont

des descendants plus ou moins métissés de Javanais)

, gens de petite taille et ayant la tête «en forme de cœur

+de bœuf» (triangulaire) [probablement parce qu'ils avaient l'habitude, comme leurs frères de POuest et comme certaines peuplades océaniennes, de comprimer lors de la naissance le crâne des jeunes enfants], la peau noire et les cheveux crêpés; ils ne connaissaient ni l'usage du fer, ni le tissage des fibres végétales, et ils se vétaient (comme certaines peuplades des iles océaniennes, notamment les habitants des iles Wallis, Horn, Fiji, etc., La Géographie, sept. 1911, p. 149-150) avec l'écorce de l'arbre hafoträ (une espèce de Dom- beya), dont les bandes étaient réunies au moyen d’épines ligneuses; ils avaient pour armes des katsomant, simples pieux aiguisés par le bout, et des langilangÿ, sortes de massues de bois ou de casse-tête; ils jetaient aussi des pierres à la main.» Andriamanelo transporta sa résidence de Merimanjakä à Alasorä, qui est un peu plus au Nord, et attaqua le chef Vazimbä d’Analamangä (aujourd’hui Tananarive), puis ceux des villes de l'Est, «dont il se fit craindre grâce aux lances en fer qu'il fabriqua».

() Ce nom indique que cette princesse avait les ch Malgaches prétendent que Rangitä était fille de Rafohy,

eveux crépés, comme les nègres orientaux. Certains

d’autres qu'elle était sa mère, et d’autres qu'elles

étaient les deux sœurs (Savarox ainé, Notes sur Farihin-dRanyita, Bull. de l'Acad. malgache, 1Q12, p. 373-

377)

‘) Les descendants de Rangitä ont conservé cette coutume ancestrale : Andriamasinavalonä et ses successeurs

ont tous eu pour cercueil une lakam-bolä, pirogue d’?

argent.

() A l'exception, dit-on, de Rafohÿ qui a son tombeau à Pangle N.-E. du Kianja Andrianä à Imerimanjakä.

‘) L'endroit fut immergée la pirogue contenant le corps (ou tout au moins une partie du corps) de Rangitä était sacré, et seuls les membres de la famille royale pouvaient y aller; les andriant, ou les diverses classes nobles, et les hovä ou les roturiers n'étaient pas admis à s’en approcher, les premiers, plus près qu'à une vingtaine de mètres, et les autres à des distances de,plus en plus grandes; quant aux esclaves, ils ne devaient pas dépasser les bords du lac. «Ceux qui enfreindront ces défenses, disait-on, seront engloutis dans le lac»; beaucoup de Merinä le croient encore (Savaron aîné, loc. cit., p. 373). C'est dans ce petit lac [Farihin-dRangitä (lac on marais de Rangilä) comme on l'appelle], sacré par suite de cette sépulture, que l'on venait chaque année, au moment de la fête du fandroanä (du bain), puiser l'eau dans laquelle se baignait le souverain merinä; c'est aussi un de ceux l’on prenait le rano masinä ou eau sainte pour la circoncision des

princes.

6 MADAGASCAR.

l'Extrême-Sud, les Antandroy et les Mahafalÿ, à facies souvent mongo- loïde, ont à peu près cette même taille. Les femmes, comme toujours, sont d’une taille un peu inférieure à celle des hommes (".

Leur développement physique est plus précoce que chez les Européens : à 20 ans, ils sont tout à fait adultes, leur charpente osseuse étant com- plètement formée et les muscles ayant toute leur puissance; à cet âge, ils sont mariés et pères de famille, mais, en revanche, la déchéance orga- nique et la sénilité arrivent plus rapidement que chez nous.

Leur peau est fine et douce, veloutée, plus mate et moins luisante à la fin du xvu* siècle,

en désuétude aujourd'hui connue sous le nom d'Ante-

lorsque les chefs Vazimbä ont, soit en quit- tant le pays, soit, comme la plupart d'entre eux, en faisant leur soumission aux nou- veaux venus qui, du reste, comme nous

hirokä, à laquelle appartenait le premier ministre Rainilaiarivonÿ (P.

0) Taille des Betsimisarakä, de 1 m. 55 à 1 m. 7 (moyenne de quinze hommes,

venons de le dire, leur étaient apparentés, 1 m. 65); des Antankaranä, de 1 m. 67 laissé le champ libre aux métis javanais à 4 im. 715 (moyenne de quatre hommes,

qui ont, dès l’origine, sévèrement proscrit 1 m. 69); des Betsileo, de 1 m. 68 à dans leurs familles l’exogamie. La tradition 1 m. 71 (moyenne de six hommes,

denne comme les derniers chefs Vazimbà, ayant régné en Îmerinà Rapelô, qui, après

1 m. 69); des Barä, 1 m. 66 (moyenne de deux hommes); des Sakalavä, de 1 m. 555

avoir été vaineu par les descendants des im- à 1 m. 76 (moyenne de six hommes, migrants javanais, se rélugia dans lImamô, 1 m. 66); des Antanosÿ, de 1 m. 645 à et Rasoalao, qui alla chez les Sakalavä à 1 m. 71 (moyenne de trois hommes, Manerinerina(®); mais tous ne s’enfuirent 1 m. 68); des Merinä, de 1 m. 61 à pas, et on cite entre autres la famille du 1 m. 74 (moyenne, 1 m. 675); des Antan-

grand chef Vazimbä d’Analamangä (Tana- narive), Andriampirokanä, famille encore

droy, Mahafalÿ, de 1 m. 61 à 1 m. 63 (moyenne, 1 m. 62),

© Il en est qui prétendent que Rasoalao était non pas un prince, mais une princesse, la femme de Rapet6.

(®) Andrianjakä, le petit-fils d’Andriamanelo, pour mieux s'attacher ses nouveaux sujets, aussi bien du reste que les anciens, rendit les plus grands honneurs aux mânes des chefs Vazimbä, non seulement à ceux de ses arrière-grand'mères Rafohy et Rangitä, mais aussi à ceux d’Andriampirokanä, qui est enterré à Tana- narive, et de ses deux fils, Andriambodilovä et Ratsimandafkä, dont les tombeaux sont, l’un à Ambohima- narinä, et l'autre à Ambohitriniarivo.

(9 I est généralement admis que la taille dépend, dans une certaine mesure, de l’âge de la mère, qui met d'ordinaire au monde des enfants d'autant plus développés et d'autant plus grands qu’elle est plus âgée; or on trouve par tout Madagascar des mères très jeunes sans qu’on puisse constater un abaissement de la taille provenant de la précocité des unions, abaïssement qu'il serait facile de reconnaître puisqu'il serait progressif si l'âge de la mère avait une influence prépondérante. Il est toutefois probable que la longueur des nouveau- nés est proportionnelle à l’âge des mères, l'organisme maternel ne pouvant, à un äâge sa croissance n'est pas encore terminée, fournir autant de substance à l’enfant que lorsque son développement est complet; la maladie ou la faiblesse congénitale chez une mère adulte produisent le même effet, mais l'enfant qui nait moins grand et moins développé se rattrape dans la suite. En réalité, l'influence de l’âge est faible et est contrebalancée par les autres facteurs, tels que la race, qui est le plus important, l'hérédité, la taille du père, l'alimentation, le climat et la nature du pays, les soins, les mœurs, etc.

ETHNOGRAPHIE. 7

que celle des nègres d'Afrique, le plus souvent d'une couleur noire rou- geatre ou plutôt d'un brun foncé, généralement plus claire chez les femmes et chez les enfants, du reste trop variable pour qu'on la donne comme caractéristique : il n'y a pas, en réalité, de division bien marquée entre les races claires et les races foncées, qui passent de l’une à l’autre par une infinité de nuances; d'ordinaire, les habitants des pays bas sont plus foncés que ceux des hauts plateaux. La paume des mains et la plante des pieds sont, comme chez tous les nègres, de couleur plus claire et les cicatrices sont blanchâtres, ainsi du reste que les marques de lèpre; dans le centre de l'ile, la peau est souvent ternie par des affections cutanées).

Is sont bien constitués et bien faits, ont une ossature robuste et sont fortement muselés®); comme ils sont presque nus depuis leur plus tendre enfance, leurs membres se développent librement, et l’on voit rarement des mdividus difformes(®). Ils sont d’une corpulence ordinaire; leur corps est généralement svelte, rarement gros, mais vigoureux; en maintes cir- constances, ils montrent qu'ils sont susceptibles d’une dépense énorme de force et de fatigue : tous les voyageurs qui sont montés de Tamatave à Tananarive avant qu'il y eût un chemin de fer, ont admiré la vigueur et la solidité des porteurs bezanozan et autres dans les affreux chemins de la forêt; mais, quoiqu'ils aient une endurance extraordinaire, ils ne veulent pas d’un travail régulier et continu; ils travaillent par boutades. puis restent des journées entières sans rien faire.

Ils ont le cou plutôt grand, les épaules robustes et puissantes!) la

(1) Voa kavahô, tachetée, disent-ils. Il y a à Madagascar quelques albinos | bobc |; les Malgaches les ont en aversion.

®) «Les sauvages (les habitants de la baie de Saint-Augustin) sont nègres, les plus beaux que j'aie jamais vus, grands, bien formés, bien nourris» (Général

Beauuieu, 1650, Coll. Ouvr. anc. Madagascar d'A. et G. Grandidier, t. IL, p. 337).

5) Leurs corps ne sont pas en eflet dé- formés par des besognes continues et pé- mibles, par les rudes travaux des champs ou des usines répétés sans trêve ni repos.

(0 Voir Rev. Madag., oct. 1908, p- 192.

Dans son article sur l'effort physique chez les Malgaches, M. Brot répète, ce qu'ont dit quelques voya- geurs, que les enfants bezanozan6 naissent avec des bourrelets ou plutôt des coussinets charnus sur les épaules, tels que ceux qui, à la suite d’une longue pratique, se développent sur les épaules des porteurs de filanjant (de palanquin) et de paquets à l'endroit pèse le bambou au bout duquel est attaché le lourd fardeau, et que, par conséquent, «cet appendice est devenu, après un certain nombre de générations, un

organe naturel». Cette assertion est erronée.

8 MADAGASCAR.

poitrine large et bien développée, les bras longs avec les muscles peu sail- lants et les extrémités fines, les mains relativement petites, grasses, plutôt larges que longues, effilées cependant, froides au toucher; leurs doigts sont beaucoup plus souples que les nôtres et se recourbent naturellement en arrière. L'articulation du coude, chez les femmes, est également fort souple.

Leurs jambes sont longues et ont le mollet peu marqué; les extrémités sont fines; les pieds sont forts, larges, avec le talon bién développé, et s'étalent au niveau des orteils qui sont longs et bien séparés, comme il convient chez des gens qui marchent nu-pieds; la peau de la plante des pieds prend une grande épaisseur, ayant quelquefois un demi-centimètre; la voûte plantaire est très effacée, ainsi que le cou-de-pied, qui est rare- ment cambré.

Ils ont la tête assez grosse, ronde M), approchant de la brachycéphalie, avec un angle facial assez droit Ÿ et un cerveau volumineux ; leur visage est aplati et leurs traits, assez réguliers, sont en général loin d'être dé- plaisants, quoique ne répondant pas à nos idées d'esthétique ; leur front,

0) Certaines peuplades ont la tèle un peu pyramidale, ce qu'ils produisent arti- ficiellement : «Les têtes des Vazimbä de l'Ouest (comme nous l'avons déjà dit plus haut, p. 4, notule b) ont une forme très bi- zarre (en pain de sucre); locciput et le front sont très aplatis, ce qui n’est pas na-

turel, mais la conséquence de leur coutume de comprimer la tête de leurs enfants dès

tête bossuée (de gagd, bosse). Ils con- fectionnent un petit bonnet dont le fond est formé par une lame, bien plane et polie, de fomby (du pétiole du palmier rafia), qui est découpée dans la moelle tendre et peu fibreuse de la base; on le capitonne avec un petit matelas de fibres de pamba fromager (Eriodendron anfrac- tuosum) qui déborde la têle des deux côtés,

leur naissance» (Drury, Coll. Ouvr. anc. Madagascar, publiée par A. et G. Grandi- dier, t. IV, p. 362). Dans le Nord-Ouest, encore aujourd'hui, on modèle la tête des enfants suivant une certaine esthétique qui n'est point la nôtre : il faut, pour qu'au gré des parents ils soient beaux, que Île derrière de la tête soit plat et bien \er- tical; notre tête arrondie et bosselée par derrière parait monstrueuse aux Saka- lavä qui, à cause de cette difformilé (!), nous nomment Magagolohä, les gens à

formant deux oreillettes destinées à l’'immo- biliser. Le bonnet est fixé par deux brides qui se croisent sur le front. L'enfant le porte pendant trois semaines, temps suf- fisant pour que les os de son crâne soient assez consistants pour garder la forme con- sacrée qu'on à voulu leur donner (Bull. Acad. malgache, 1908, p. 165-166).

@ L'angle facial des Malgaches est presque aussi droit que celui des Euro- péens (Aug. Bicrann, Voy. aux Colonies orientales en 1817-1820).

ETHNOGRAPHIE. 9

large et droit, est généralement assez haut: toutefois, chez les Betsileo et chez les Sihanakà, il est plutôt bas. Le nez est toujours assez proémi- nent; il n'est pas aplati en haut, à la racine, ce sont les ailes qui, s’élar- oissant à la base, forment un nez gros, mais non épaté ou écrasé comme celui des nègres d'Afrique . Les orbites sont fortes et les yeux, qui sont bruns ®) et ont la sclérotique ou cornée un peu brunâtre, sont d'ordinaire à fleur de tête, assez grands, écartés l'un de l'autre et plus moins lépe- rement relevés, bridés 6); ils sont généralement vifs, brillants, intelligents, quelquefois farouches et durs chez les peuplades pastorales W, doux et souvent mélancoliques chez les femmes ; comme tous les gens qui vivent continuellement en plein air, ils ont une vue excellente ); leurs cils sont longs et retroussés, et les sourcils, bien marqués sans être épais, sont peu courbés. Les oreilles sont petites avec le lobe très court. Les pom- mettes des joues sont presque toujours un peu saillantes. La bouche est large: elle n'est pas lippue: les lèvres sont assez fortes et assez épaisses, légèrement retroussées, mais non pas aussi grosses que celles des nègres de Guinée, et elles ne forment pas, comme chez ceux-Cl, un bourrelet. Les mâchoires sont puissantes avec de grandes dents blanches, bien rangées, peu ou pas prognathes : en règle générale, les Malgaches, surtout les femmes, ont des dents excellentes; ils en prennent grand soin, se rincant la bouche d'ordinaire après chaque repas et les nettoyant fréquemment avec de la poudre de charbon ou des cendres de bois ou d'herbes prises au foyer de la maison (; c'est un malheur pour une

Q) Les sauvages [les habitants de Ja baie de Saint-Augustin | ne sont nullement camus ni lippus (Général pe Brauueu, 1690, Collection des Ouvr. anc. Madagascar, tu pH 297)

(2) De la couleur 1 ou de la couleur 2 du tableau de Broca.

(3) La caroncule lacrymale est parfois à demi bridée par l'implantation de la pau- pière supérieure.

4) Les Antandroy, les Mahafalÿ, les Barä et nombre de Sakalavä ont générale- ment un port allier, mais ils n’ont pas le

ETHNOGRAPHIE.

regard franc, et toute leur personne reflète un air de sauvagerie.

(5) Depuis que beaucoup de Malgaches vont à l’école, il semble que les vues courtes deviennent plus nombreuses.

(6) «Les sauvages [les habitants de la baie de Saint-Augustin] sont fort curieux [soigneux] de leurs dents, lesquelles sont très blanches, égales et petites; ils ont un petit morceau de bois duquel ils se Îles frottent à chaque moment» (Général pe Brauureu, 1620, Coll. Ouvr. anc. Madag., t. IL, p. 337).

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IMPRIMEIRIE NATIONALE

10 MADAGASCAR.

femme de perdre dans sa jeunesse quelqu'une de ses incisives"). Le men- ton est saillant, proéminent.

Leurs cheveux sont noirs et épais, non pas courts et laineux comme ceux des vrais nègres africains ), mais longs de om. 25 à om.30 et plus, épais et «sub-crépus» ou plutôt crêpés"), formant une masse globuleuse quasi imextricable, disposés à la manière d’une toison et non par petites touffes «en grains de poivre » ; ils sont drus et plutôt raides, un peu comme le erin dont ils ont l'éclat, le luisant, et non comme la laine. Is sont plantés droits et ne s'enroulent pas en spirales, comme ceux des Africains, mais se «tire-bouchonnent». Les métis prennent de suite et conservent longtemps les cheveux lisses ou à peine frisés, les cheveux de la plupart des indigènes n'étant en somme que plus ou moins ondés.

Leur barbe est irrégulière, le plus généralement clairsemée, peu fournie ; elle est noire et frisée, longue quelquefois de 3 à 5 centi- mètres ®): du reste, la plupart s'épilent avec des pinces à extrémités

larges, faites exprès (?.

®) Les Sihanakà font exception ; beau- coup, en effet, ont de mauvaises dents, ce qui est à l'usage superslitieux qu'ils ont de ne jamais se rincer la bouche ni jamais se laver les dents tant que leurs parents sont vivants. Certaines peuplades, qui, du reste, ont de fort bonnes dents, ont la co- quetterie (?) de les noireir en mächant fré- quemment des feuilles de laingo maimbo | Siphomeris linguu Bojer |, laissant quelque- fois blanches, comme les fashionables An- tandroy, les deux incisives médianes (Cap. Vacuer, Rev. Madag., 1°" sem. 1904, p.120).

® «Les Malgaches, hommes et femmes, laissent croître leurs cheveux dans toute leur longueur et les partagent en une foule de petites tresses qui tombent avec élégance autour de la tête: les esclaves africains sont privés de cel ornement, la nature re- belle et laineuse de leurs cheveux ne leur permettant pas de suivre la mode mal- gache» (V. Noëc, Recherches sur les Sakalava ,

184h, p. 79).

6) «Les sauvages [les habitants de la baie de Saint-Auguslin] sont fort curieux [soigneux | de leur chevelure, qui est longue et frisée, relevée en haut et tressée au sommet de la tête en divers cordons» (Gé- néral pe Breauuieu, 1690, Coll. Ouvr. anc. Madag., 1. W, p. 337).

() Les Malgaches font une différence entre leurs cheveux «erêpés» et les cheveux æcrépus» des Mozambiques; ils appellent akoho Mozambikä une certaine espèce de poules dont les plumes frisées ressemblent aux cheveux «grains de poivre» de ces Mo- zambiques.

6) Porcex, Voy. à Madag., p.234.

(5) Chez les Betsileo qui, comme beau- coup d’autres Malgaches, répugnent à por- ter la barbe, aucun jeune homme ne peut en arracher les poils avant d'en avoir de- mandé l'autorisation à son père et de lui avoir payé un droit d'un sékajÿ (o fr. 65) ou plus (Rév. J. H. Hase, Antan. Annual, 1899, p. 327).

ETHNOGRAPHIE. 11

Quelques femmes ont de la barbe’.

Leur système pileux n'est généralement pas très développé, il l’est plus toutefois que chez les Nègres africains, et il n’est pas rare de voir des Malgaches ayant la poitrine et surtout les jambes, qu'ils n'épilent pas, très poilues @),

L'odeur des Malgaches n’est pas aussi forte n1 aussi âcre et désagréable que celle des Cafres .

Les femmes sont généralement bien faites : lorsqu'elles sont Jeunes, lorsque leurs seins sont fermes et droits, elles ont un buste admirable, une cambrure de reins superbe, et leur chair, brunie par le soleil des tropiques, semble une chair de bronze; elles sont oracieuses et ont un port calme et digne ; leur physionomie est avenante. [l y a cependant des peuplades, comme les Tanala Manambia, «les femmes sont massives, épaisses et horribles » .

II. ASPECT PHYSIQUE DES MALGACHES MÉTIS D'INDO-MÉLANÉSIENS

ET D'ARABES, DE PERSANS, D'INDIENS D'EUROPÉENS.

Les chefs de toutes les peuplades de Madagascar, à l'exception des chefs actuels Merinä et de leurs familles toujours très nombreuses, ont incontestablement dans les veines du sang sémitique ou caucasique et se distinguent ou tout au moins se disünguaient autrefois de leurs vassaux et de leurs esclaves par leur aspect physique : les chefs Antankaranä, Betsimisarakä (en partie), Antambahoakà, Antimoronä (Anakarä, Anti- tsimeto, Onjatsÿ) et Antanosÿ (ZafindRaminia), les Antalaoträ du Nord- Ouest, les Onjatsÿ de l'Ankaranä sont des descendants d'immigrants

@) L'un de nous a vu à Maintirand une Sakalavä qui avait de la barbe dont les poils mesuraient de 2 à 3 centimètres.

2) Les Vazimbä de l'Ouest ont le corps très poilu, comme beaucoup de Betsimisa- rakä, etc.

G) «Les nègres [les indigènes] de la baie de Saint-Auguslin ne sentent pas la

mauvaise odeur qu'ont ceux de Guinée» (Général pe Braurrieu, 1620, Coll. Ouvr. anc. Madag. 1. W, p. 337). Les Malgaches ont du reste la prétention, qui n’est pas fondée, de n’avoir pas d’odeur, et ils nous accusent de «sentir le cadavre».

(0 Cap. Vaoner, Revue de Madagascar, sem. 1903, p. 417.

12 MADAGASCAR.

arabes ou persans ; les chefs Antifasinä, Antisakä, Antimanambondrs, Antanalä 0), Vorimé ©), Zafindriambelonä, Barä, Antandroy, Mahafalÿ, Sakalavä, Sihanakä et Antiboinä sont d'origine indienne, et les chefs Betsimisarakä du Nord ou Zanamalatä (, ainsi que les Tsimihetÿ®? et les Zafimbazahä d'Imerinä, et peut-être les Sahavé du Nord-Est0), des- cendent de forbans ou de naufragés européens.

Ils sont d'une belle stature, souvent même d’une assez grande taille.

() L'un de nous a vu chez les Antanalä plus de gens à teint clair et à cheveux droits et soyeux que dans les autres peuplades. «Les femmes du clan antanalä des Zali- manirÿ sont presque jolies; beaucoup de leurs villages comptent des individus ab- solument blancs» (Guide de l'Immigrant, 1898).

@ Les Vorimo sont d'un rouge assez clair; peu sont noirs.

(8) «Une partie (des Sihanakä) est rou- geâtre et a les cheveux longs» (François Martin, 1667). Les vieux chefs que lun de nous l'occasion de voir avaient les cheveux presque droits ou bouclés.

(1) «Le roi d’Angoada (de Fénerive) avait les cheveux lisses comme les nôtres, le vi- sage et le corps basanés, et était barbu » (Gaucne, Voyage en 1640, Coll. Ouvr. anc. Madag., 1. NI, p. 67). On sait que le fonda- teur de la nation Betsimsarakà , Ratsimilahô ou Ramaromanompô, était fils d’un pirate anglais, Tom, et d’une princesse malgache.

(5) Les Tsimihelÿ, qui sont très diffé- rents de leurs voisins les Betsimisarakà , ont les traits réguliers et leur peau, légère- ment cuivrée ou bronzée, laisse voir les veines bleues; leur physionomie intelligente el ouverte se rapproche de celle des Euro- péens. + Les femmes sont très jolies, géné- ralement petites, avec d'agréables minois éveillés, rappelant par quelques traits nos Provencçales; leurs formes sont distinguées,

a eu

elles ont les extrémités petites et les atta- ches délicates; la chevelure, presque lisse, est longue, opulente et très belle, et est tressée en un grand nombre de petites naltes qui pendent tout autour de la tête; il est malheureusement fächeux de les voir dans le cadre de saleté dans lequel elles vivent et qui est l'apanage distinctif de leur race» (Journal officiel de Madapcar, 17 mars 1898; Guide de l’'Immigrant, 1898, et D" Vivre, Revue des Troupes coloniales, 1903).

(6) Zalimbazahä, litt. : descendants de « Vazahä », d'étrangers venus d’outre mer. «Les Zafimbazahà ont le Lvpe européen et le teint cuivré» (R. P. de la Vaissière). «Les Zafimbazahä ont le teint beaucoup plus blanc que les autres Merinä, les yeux fendus en amande, les lèvres peu épaisses, les cheveux abondants, lisses et soyeux; en un mot, leurs traits se rapprochent de ceux des Européens» (Journal offic. de Madagascar, 13 mai 1897).

(7) Les Sahavé habitent la bande de forêt qui est au nord du Maningorÿ. Leurs cheveux sont lisses et extrêmement longs, descendant jusqu’au jarret; ils sont tressés en toutes pelites naltes (Humblot).

(5) Les Antambahoakà ont de 1 m. 60 à 1 m.70.LesTsimihetÿsont+une race grande et athlétique» (Ransome). Les Antalaoträ seuls sont de nature grêle et de taille plutôt petite, 1 m. 5o (Pozuen, Voyage à Mada- gascar, p. 299).

ETHNOGRAPHIE. 15

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La couleur de leur peau, qui varie du rouge cuivré ( ou du jaune oli- vâtre © au brun plus ou moins foncé et même au noir, est souvent

claire; la peau s’afline en raison de l'éclaircissement de la couleur.

Ils ont d'ordinaire un assez beau type, étant bien constitués et d’as- pect vigoureux, quoique leur charpente osseuse soit plutôt grêle et que leurs membres soient plutôt délicats avec des attaches fines, surtout chez

Q) Le R. P. Luiz Mariano dit : « Les chefs de l’Anosÿ ou Roandrianä sont de la cou- leur des Arabes. des Indiens et des Java- nais; il est étonnant que, sans avoir com- merce avec les Maures du dehors, ils se soient si bien conservés jusqu'à présent» (Relation du voyage de découverte fait en 1613 dans l'ile de Saint-Laurent, Coll. des Ouvr. anc. Madagascar publiée par A. et G. Grandidier, t. Il, p. bo). H est certain que les Antanosÿ de couleur très claire que le P. Mariano a trouvés dans le Sud-Est étaient les descendants des cent et quel- ques Portugais qui ont naufragé sur cette côte en 1527 et de femmes du pays, et aussi des Hollandais qui y ont reläché à diverses reprises : en effet, Bontekoe, qui a demeuré vingt-cinq jours dans la baie de Sainte-Luce en 1625, y a vu des pelits en- fants qui étaient presque blancs et avaient des cheveux blonds (Coll. Ouvr. anc. Mada- gascar publiée par A. et G. Grandidier, t. II, p. 372-373). Du reste, au com- mencement du xvu° siècle, il y avait déjà de la variété dans les teints des Roandrianä, puisque le P. Mariano dit: «Tandis que Tsiambanÿ et ses fils, ainsi que nombre de gens de son escorte, étaient clairs presque comme des Européens, avec les cheveux lisses et longs, le roi de Ranofotsÿ, Roan- driamananä, un autre Roandrianä, était bien noir». Cauche dit en 1638 (p.10) que Ramakä, roi de la baie de Sainte-Luce,

a le teint un peu enfumé, mais plus blanc que ne le sont les Castillans». + Les Ro- andrianä (de l'Anosÿ), les Anakandrianä et les Onjatsÿ ont la peau rouge, les Zalikazi- mambÿ de l’Imoronä, quoique venus à Mada- gascar postérieurement aux Roandrianä Za- findRaminia, sont plus basanés qu'eux... Mais, parmi les Zafibrahim [les Zafy BorahŸ ou habitants de l'ile de Sainte-Marie |, il y a des hommes, des femmes et des enfants bien plus blancs qu'à Anosÿ (Fzacourr, Hist. de Madagascar, 1661, p. 17 et p. 308). D'après l'abbé Nacquart (1650, p. 5o) et Carpeau du Saussay (1663, p. 250), les «blancs» (*) se distinguent des «noirs» par leur teint et leur chevelure; d’après Sou- chu de Rennefort (1668), «ceux qui sont appelés les «blancs » le sont de moitié moins que les plus noirs bohémiens qui sont en France». Si, en 1768, Modave dit que «les Roandrianä n’ont qu'une légère diffé- rence de couleur avec leurs sujets», Lislet Geoffroy, d'autre part, marque que «le roi de Sainte-Luce, Andriandavä, avait le teint olivâtre, ainsi que quelques-uns de ses compagnons ». Aujourd'hui, les AntanosŸÿ ont nou seulement du sang arabe et du sang portugais mêlés au sang primordial indo- mélanésien, mais, depuis le milieu du xvi siècle, du sang français et, plus ré- cemment, du sang malais ou merinä.

(2 La couleur des Antalaoträ est claire, d'ordinaire olivâtre.

&) Celle dénomination de «blancs» et de «noirs» qu'emploient Flacourt et de nombreux écrivains du xvn siècle ne doit pas être prise à la lettre. Il y avait, dans le sud-est de Madagascar, des individus d’un teint beaucoup plus clair que d’autres, mais toujours basanés; du reste, les Arabes ne sont pas «blancs». «Blanc» signifiait «maitre», «seigneur», et Noir», «vassal» ou esclave».

4h MADAGASCAR.

les femmes, qui, jeunes, sont souvent de belles et vivantes statues de bronze. Les têtes sont bien proportionnées et agréables; le visage est plutôt allongé ou ovale, presque orthognathe, avec des traits réguliers et souvent assez fins; le front est droit et haut; les yeux sont noirs, vifs et droits; le nez est peu aplati, souvent presque droit, avec des narines assez minces; les pommettes ne sont pour ainsi dire pas saillantes; la bouche est petite et les lèvres sont bien proportionnées, peu ou pas pro- éminentes; les dents sont petites et belles, sauf lorsqu'ils les gâtent par l'usage immodéré du laineÿ, plante qui les noireit et les déchausse; le menton est plutôt pointu. Leurs cheveux sont noirs, longs et lisses ou ondulés, bouclés, mais non pas crêpés, fins et soyeux et non pas raides comme des crins!. Ils ont peu de barbe? et le corps est poilu.

III. ASPECT PHYSIQUE DES MALGACHES D’ORIGINE JAVANAISE ET DES MÉTIS D'INDO-MÉLANÉSIENS ET D'IMMIGRANTS DE RACE JAUNE.

[ ny a pas de Malgaches, parmi ceux qui ont du sang sémite ou cau- casique, qui n'aient un substratum indo-mélanésien, généralement trés

0) «ParmilesZafibrahim [les Zafy BorahŸ] ou habitants de l’île de Sainte-Marie, il y a des hommes, des femmes et des enfants avec les cheveux aussi droits qu'à Anosÿ» (Fra- cour. Hist. de Madagascar, 1661, p. 308).— Parmi les Roandrianä que l’un de nous a vus, il a remarqué que le grand roi anta- nosÿ, RazomanerŸ, avait des cheveux très .ondulés, s’emmélant les uns aux autres, que RabefanerŸÿ et Ramakalazä les avaient fins, longs, soyeux, et qu’au contraire Raï- nilozà les avait courts et crêpés, ce qui tient à la plus ou moins grande pureté de sang. Les Antimoronä ont la figure encadrée par une chevelure très fournie, «dont le port, par un jeu d'équilibre du système pileux, amène chez la plupart une alopécie précoce qui donne au front un développement exa- géré» (Journal off. Madag., 23 juin 1898).

Ce sont, chez les Sakalavä, les Marose- rananä ou princes et les grandes families venues dans l'Ouest avec eux au xvir' siècle, ou après eux, les Songorÿ , les Antamby, etc. qui présentent le plus souvent les che- veux lisses ou ondulés et le type indien. Naharovä, la reine du Ménabé indépen- dant, que l'un de nous a vue en 1869 et qui avait alors une cinquantaine d'années, avait les cheveux souples et lisses, les lèvres assez fines , le nez peu aplati. les yeux expres- sifs à cornée brunâtre ; elle était de taille moyenne, grasse, et sa peau était rougeätre.

@ Il est remarquable que les métis d'Eu- ropéens et de femmes sakalavä sont presque tous dénués de barbe et ont au plus une courte moustache. En 1891, il y en avait un à Tuléar, un seul, mélis américain, qui avait une belle barbe.

ETHNOGRAPHIE. 15

accusé. Parmi ceux qui ont du sang jaune, au contraire, 1l y en a un nombre assez considérable qui semblent être de race pure; chez les Me- rinà surtout, beaucoup d’andrianü ou nobles (qui sont les descendants des immigrants javanais ayant imposé leur autorité dans l'Imerinä) ont l'aspect de vrais Malais : transportés à Java, ils ne se différencieraient aucunement, physiquement parlant, des habitants de cette ile. Sont-ils de race absolument pure, descendants de père et de mère malais jetés par les courants ou par les tempêtes sur les côtes de Madagascar? Sont-ils au contraire les descendants de Malais qui ont épousé des femmes indo-méla- nésiennes et dont les filles, dès la première génération, se sont mariées avec leurs pareils et ont jusqu’à nos jours respecté la loi qui leur inter- disait toute mésalliance avec les indigènes? Cette seconde hypothèse est certainement la vraie. Quoi qu'il en soit, les andrianä d'Imerinä sont des Malais dont beaucoup ont dépouillé complètement les traits de leurs mères primitives, qui étaient des Vazimbä ".

À côté de ces andrianü de race pure, il y a une foule de Merinä qui pré- sentent un mélange des caractères des Malais et des Nègres orientaux : et il n'en pouvait être autrement, car, si les lois défendaient aux femmes andrianä ou nobles, sous les peines les plus sévères, d'avoir des relations avec des hommes étrangers à leur caste, les andrianä hommes avaient toute latitude pour en entretenir avec les femmes hovä ou libres (des- cendantes des anciens maitres du pays) et avec les femmes esclaves : si bien que, chez un peuple les mœurs sont fort libres, il y a eu une

7 fois sur dix andrianä de race pure, à cheveux bien lisses (soit 70 p. 100, à peu

(0 M. le D' Fontoynont, qui a eu l'occa- sion d'examiner un certain nombre de nou-

veau-nés merinä, à conslaté que les an- drianä (ou nobles de race javanaise assez pure) et les hovä (ou libres métissés de nègre indo-mélanésien et de javanais) pré- sentent pour la plupart à la naissance une tache mongolique très nette, rarement plu- sieurs, tache qui est, comme l’on sait, soit arrondie, soit triangulaire ou losangique , et dont la place d'élection est la région sacro- lombaire ou sacro-coccygienne ; cette tache disparait après l’âge de 5 ans. Il l'a trouvée

près le même pourcentage qu'au Japon), 26 fois sur quarante-trois hovä à cheveux plats (soit Go p. 100), 17 fois sur trente métis de hovä et de nègres (indo-mélané- siens) à cheveux lisses (soit 56 p. 100), 29 fois sur cinquante-cinq hovavao an- ciens esclaves de race très mélissée (soit ho p. 100; ces observations, si peu nom- breuses qu'elles soient, sont intéressantes (Bulletin de la Société de l'Internat, Paris, nov. 1910).

16 MADAGASCAR.

masse de liaisons plus ou moins temporaires d’où est sorti un nombre considérable de métis ressemblant souvent beaucoup aux andrianü, car, dans le croisement malayo-mélanésien, le type malais semble prépondé- rant(, tandis que d'ordinaire, dans le croisement de l’Arabe ou de PEu- ropéen et du Mélanésien, les descendants tiennent fortement de la race noire. Il y a cependant encore quelques clans, tels que les Manisoträ du Vakinisisaonÿ et les Manendÿ de lAnativolô (près d’Anjozorobé), qui ont conservé assez purs les caractères de leurs ancêtres indo-mélanésiens, les Vazimbä : ils sont plus noirs, plus grands, plus rudes d'aspect que les autres Merinä, tout en ayant une physionomie franche et ouverte.

La région méridionale de Madagascar est habitée par trois peuplades, les Antandroy, les Tsienimbalalä et les Mahafalÿ, dont les chefs semblent être d’origine indienne comme ceux des Sakalavä, mais qui comptent parmi elles un grand nombre d'individus dont l'aspect physique semble témoigner que ce sont des métis d'immigrants également de race Jaune, probablement de Chinois ou peut-être de Japonais. Quoi qu'il en soit, leur physionomie frappe les voyageurs.

Voici les principaux caractères physiques de ces Malgaches plus ou moins pourvus de sang jaune : ils sont plus petits que les autres habi- tants de Madagascar ; leur taille, qui varie de 1 m.55 à 1 m.65 ,est au-des- sous de la moyenne: il en est de même des Mahafalÿ et des Antandroÿ : ces derniers sont cependant quelquelois assez grands.

La couleur des andrianä d'Imerinä et de leurs métis varie d’un jaune

0) La petite princesse Ravoantay, sœur de Ratahirÿ, que l'un de nous a bien connue à Tananarive et qui appartient à la plus haute noblesse et est, par ses père et mère, descendante directe des deux branches royales, est toute semblable à une Cochin- chinoise de haut rang : visage mignon, petit nez, petite bouche, teint jaune cuivré, che- veux droits. Voici la description que donne le docteur Hamy d'un de ces andrianà, Ra- manirakà, l'un des ambassadeurs envoyés en France en 1884 par la reine Ranava- lonà III : «cheveux noirs et lisses, teint d’un

jaune bistré clair, tête globuleuse taillée à

pic en arrière ; face plutôt un peu large ; nez court avec les narines dilatées; œil en amande, légèrement étiré en dehors; mä- choire supérieure quelque peu proclive ; dents ineisives assez grosses, implantées un peu obliquement. C'est un vrai Malais que l'on aurait de la peine à distinguer au milieu des insulaires de Madoura, auxquels M. A. Grandidier compare plus spécialement les Andrianä d'Imerinä» (Revue scientifique, 21 sept. 1895) : voir sa photographie à la fin de ce volume, planche I.

ETHNOGRAPHIE. 17

basané ou même d'un blanc olivâtre au rouge cuivré et au brun de terre de Sienne brülée, ou même au brun chocolat; il n'est pas rare de trouver, dans une même famille et entre enfants d’une même mère, des différences très marquées sous ce rapport : les traits les caractérisent, d’ailleurs, plus que la couleur. Les femmes des hautes classes ont d'ordinaire le teint clair; 1l y en a qui ne l'ont pas plus foncé que certaines femmes du midi de l'Europe. Dans le centre de File, ce n’est que vers 12 ou 13 ans que les enfants prennent le teint de leurs parents après avoir vécu au grand air et travaillé au soleil. Des deux peuplades du Sud qui ont aussi du sang mongolique, certains Mahafalÿ ont, comme beaucoup de Merinä, un teint assez clair, jaunâtre ; les Antandroy sont plus foncés.

Ils sont bien constitués ®?, quoique plus grêles et moins musclés, moins vigoureux que les autres Maloaches; leurs formes sont élégantes, mais non athlétiques, et leur corpulence est médiocre. [ls ont des membres plutôt grêles, des attaches fines et des muscles peu proéminents.

Leur tête est petite, plutôt allongée, avec la figure plate et ovale: les traits sont réguliers et délicats, agréables; le front, qui est haut | son- dainä | et plat, est large et dénote une intelligence vive; les yeux, dont les arcades sourcilières débordent le front, sont de grandeur moyenne, bruns, brillants, fendus en amande et bridés, malins, quelquefois un peu plus écartés que chez nous, avec des sourcils soyeux et bien marqués; le nez est souvent droit et court, presque aquilin, ferme et cartilagi- neux, Jamais charnu, en tout cas peu épaté; les oreilles sont petites et les pommettes sont sallantes; la bouche est grande et les lèvres sont minces, rarement épaisses, l'inférieure avançant légèrement; les dents sont belles, celles de la mâchoire supérieure tendant à se projeter en

U) Un des gouverneurs merinä de la côte Nord-Est, que l’un de nous a vu en 1870, avait la peau de la couleur AA du tableau de Broca. Le teint rouge euivré est le plus général chez les andriand.

2) Dans les régions du Centre, Île climat est plus rude que sur les côtes et la vie est plus difficile, du reste les soins intelligents et lhygiène manquaient

ETHNOGRAPHIE.

jusque lout récemment, il s'opérait tout naturellement une sélection : Lous ceux qui étuent débiles et mal constitués disparais- saient. La race s’est beaucoup détériorée dans le siècle dernier, par suite des mala- dies qui l'ont envahie : syphilis, scrofule, gale, ete.. el de l'abus des liqueurs, du vice de l'ivrognerie qui s'est malheureusement beaucoup répandu dans toute l'ile.

3

IMPNIMERIE NATIONALE.

18 MADAGASCAR.

avant et celles de la mâchoire inférieure, qui sont moins proclives, ne les rejoignant pas; le menton est étroit et assez pointu, souvent proéminent.

Leurs cheveux sont droits et longs, fins, luisants, assez souples, lisses [isotrü, comme ils disent], quelquefois légèrement bouclés ou frisés". Leur barbe est peu fournie, assez souple ©; ils ont du reste, ou plutôt ils avaient, comme beaucoup d’autres Malgaches, l'habitude de s’épiler les poils de la figure au fur et à mesure qu'ils poussaient. Leur corps est peu poilu, contrairement à celui des hovä et autres Merinä.

Dans les hautes classes, les femmes ont un beau corps, avec la taille bien prise, les mains petites, allongées, les pieds également petits et bien cambrés, la peau fine et douce. Le Rév. Pearse dit avec raison Ÿ que beau- coup de femmes merinä ont une certaine beauté, quelques-unes même sont vraiment jolies, et, quoiqu'on ait coutume de dire : Tarehy tsy mahaleo fanahy [Un bon caractère vaut mieux qu'une belle figure |, ou bien encore : Ny hatsaram-panahy no ravaky ny vehivavy [Un bon carac- tère est le plus bel ornement d’une femme], la beauté n’est pas moins trés appréciée, el le mari d’une jolie femme en est fier : avec leurs che- veux et leurs sourcils d’un beau noir, leurs yeux d’un brun foncé et luisants, leurs traits réguliers et délicats, leurs lèvres roses qui laissent voir de belles dents blanches auxquelles elles donnent les plus grands soins, 1l y en a.d’attrayantes qui mériteraient d'être comparées à beaucoup d'Européennes. Mais elles n'ont pas une constitution très forte; trans- plantées sur les côtes, dont le climat n’est pas sain, elles s’anémient promptement et deviennent stériles.

Quant aux Antandroy, aux Tsienimbalalä et aux Mahafalÿ, qui ont le type mongolique, ils ont aussi la figure plate, mais plus ronde que les andriant d'Imerinä , avec les pommettes bien saillantes; leurs cheveux sont

0) L'un de nous a vu à Tananarive un est en réalité un Indo-Mélanésien plus hovä qui avait la peau d’un rouge clair et ou moins métissé : ce sont des poils assez les cheveux blond cendré. longs, mais isolés, épars. Les hovd ne por-

® L'andrianä à type malais bien carac- tent généralement que la moustache. térisé a moins de barbe que le how, qui 5) Antananarivo Annual, 1899, p. 266.

ETHNOGRAPHIE. 19

lisses, gros et raides comme ceux des Chinois, ainsi que les poils clair- semés de leur barbe 1); leurs lèvres sont un peu fortes, leur nez est un peu épaté et leur teint est jaune.

CHAPITRE IL CARACTÈRES INTELLECTUELS ET MORAUX DES MALGACHES.

$S 1. OPINIONS DES DIVERS AUTEURS ET DES VOYAGEURS.

La vie des Malgaches, comme du reste celle de tous les peuples même les plus sauvages, est dominée, dirigée par les idées, par les principes que leur ont transmis leurs ancêtres et qui ont été peu à peu engendrés par les nécessités de l'existence que leur imposait le milieu dans lequel ils vivaient, par les habitudes et les goûts qui s'ensuivaient naturellement, par les passions communes à tous les hommes, mais plus ou moins développées suivant les circonstances ambiantes, par la terreur et la hantise de 'in- connu dans lequel se meut tout le genre humain, et aussi par la race à laquelle ils appartenaient et qui, par atavisme et par une éducation même inconsciente, a condensé un ensemble de notions et d’usages dont héritent dans une certaine mesure ses membres.

À Madagascar, des races d'origine et de civilisation différentes se sont superposées et croisées plus peut-être qu'en aucun autre pays, et les habitants ont, suivant les régions, tant à cause du sol que du climat, des modes d'existence différents, il y a de grandes différences de caractère et d'intelligence, malgré une réelle homogénéité dans les mœurs et les croyances de tous les Malgaches : en effet, il n’est pas étonnant que ces différences se manifestent non seulement entre les peuplades agricoles et sédentaires et les peuplades pastorales ou mari- times, mais aussi entre celles de ces peuplades qui ont pour chefs, les unes des descendants de Malais, les autres des descendants de Sémites.

(1) Beaucoup de Tsienimbalalä ont les cheveux droits et raides comme les Chinois. 3.

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d'Indiens ou d'Européens; il v a lieu également de tenir compte de l'in- fluence, souvent néfaste au moins dans les débuts, qu'ont exercée les marins et les colons européens qui, depuis le xvr siècle, ont relâché ou se sont établis en certains points de l'ile, influence que nous étudierons en détail plus loin.

Le caractère et les mœurs des Malgaches ont été l'objet d’appréciations fort diverses de la part des nombreux voyageurs et auteurs qui ont éerit sur Madagascar : les uns les tiennent pour des gens doux, hospitaliers, sociables, d’un bon naturel; d’autres les ont dépeints comme des êtres bruts, grossiers. Les Malgaches «sont traitres et perfides>, dit l'amiral portugais Tristan da Gunha en 1506; ce sont «les plus grands voleurs et les gens les plus cruels de toute la Cafrerie», de «vraies brutes», disent l'historien Diogo do Gouto en 1557 et Porcacchi en 1572, ete.(; «ils sont doux, sociables, dispos, gens d'esprit et bien avisés, honnêtes, sufli- samment intelligents, hospitaliers et menant une vie patriarcale », disent l'amiral portugais Diego Lopez de Sequeira en 1508, Duarte de Barbosa en 1516, Linschot en 1583, Pyrard de Laval en 1602, l'amiral hollan- dais Verhuff en 1612, ete. . Enfin il en est qui les ont tour à tour loués et dénigrés, tels que Jean Gomes d'Abreu en 1507, Nuno da Cunha en 1528, Purchas en 1613; ce dernier, par exemple, dit que, «lors de la découverte de Madagascar, les Malgaches se sont montrés traitres et inhospitaliers, répondant par des attaques à main armée aux bontés (!) des Portugais (bontés, disons-le, qui se mamifestaient par des massacres inutiles et barbares et par des pillages)+, et plus loin, qu'ils «sont actifs, honnêtes, polis et intelligents »

Ces appréciations, si différentes, ont été énoncées à la légère, sans une étude sérieuse, chacun ayant jugé les Malgaches suivant le hasard des circonstances et d’après ses idées personnelles, d'après la morale courante des pays civilisés; or ce n'est pas en passant que des Européens, fiers comme ils le sont de leur supériorité sur les autres peuples de la terre et

(0) Voir à l'Appendice, 1, la série des Malgaches, qu'il nous a paru intéressant

principales opinions émises par les divers de reproduire intégralement. auteurs au sujet du caractère moral des @) Voir à l’Appendice, 1.

ETHNOGRAPHIE. 21 aveuglés par maints préjugés, peuvent juger sainement des êtres appar- tenant à une autre race, dont l’âme et le cœur sont constitués autrement que les leurs et dont le plus souvent, du reste, ils ne savent pas la langue. L'état d'âme des Malgaches, comme celui de tous les peuples plus ou moins primitifs, dépend de leur état social, de la constitution de leur société, telle que la leur a faite le passé, telle que la leur ont léguée leurs ancêtres, et par conséquent de la conception qu'ils se font de la vie 1c1-bas et de l'au-delà.

L'abbé Rochon, imbu des déclamations et des sophismes de Jean-Jacques Rousseau et autres idéologues de son temps, n’admet pas à priori que les Malgaches puissent être corrompus et méchants. «À lire Flacourt, dits}, vous croiriez que le Malgache est le plus pervers, le plus fourbe et le plus flatteur de tous les hommes. Il ne craint pas d’aflirmer que, chez ces insulares, la vengeance et la trahison passent pour des vertus, la compassion et la reconnaissance pour des faiblesses; mais ces absurdes déclamations ne peuvent en imposer qu'a ceux qui n'ont pas étudié avec Jean-Jacques Rousseau l’homme dans son état primitif; en eflet, celui qui suit sans contrainte les mouvements de la nature peut-il être cor- rompu et pervers?. . . Quoi que puissent dire les voyageurs, les mauvaises mœurs ne se trouvent que dans l'état de civilisation. . . L'homme naturel, dit Robbe, est un enfant méchant! Rejetons une idée aussi fâcheuse, et voyons dans nos semblables des êtres bons et compatissants(®. >

L'assertion de Rochon qu'à l'état de nature les hommes sont tous bons et compatissants est fort hasardée, nous dirons même extraordinaire de la part d’un voyageur qui, comme lui, a vu de près les Malgaches et d’autres peuples sauvages. Mais, d'autre part, la perversité, la fourberie, la trai- trise, etc., dont Flacourt les accuse, non sans raison du reste, étaient-ils bien, dans l’état social ils se trouvaient, des vices ou des crimes qu’on leur devait reprocher comme s'ils avaient eu le même état social que les Européens et sans tenir compte des circonstances très atténuantes dans lesquelles ils les commettaient? car l'Histoire nous enseigne que les

(1) Rocnox, Voyage à Madagascar (1568), édition de 1801, p-. 39-41.

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notions du droit, du devoir, des obligations sociales, de la conduite morale, ont varié et varient dans le temps et dans les divers pays.

Certes la fourberie, la trahison, le mensonge, l’'égoisme ne peuvent en aucun cas être considérés comme des vertus; mais les Maloaches aux- quels nous les reprochons ne sont-ils pas en droit de répondre que, étant les plus faibles et, en réalité, en cas de légitime défense, il leur fallait, pour conserver leur indépendance et leurs biens, user de tous les moyens qu'ils avaient à leur portée, el que les actes que nous qualifions de erimi- nels, parce que nous nous en trouvons lésés et que nous les jugeons d’après nos idées et à notre point de vue, ne sont en réalité que la conséquence de la lutte pour la vie que tout être vivant est en droit d'engager à chaque instant pour sauvegarder son existence et celle des siens.

En envahissant leur pays et en y agissant en maitres, en y recrutant des esclaves, en maltraitant les indigènes, étions-nous dans notre droit? Le principe universel de la «lutte pour la vie» explique ces actes, et, st la civilisation chrétienne a apporté de bienfaisantes et utiles atténuations à son application, si une certaine solidarité qui existe aujourd'hui entre tous les hommes civilisés a perfectionné leur concept de la morale, ce principe n’en subsiste pas moins et s'impose encore tous les Jours avec sa dureté et sa violence primitives, sinon entre les particuliers, au moins entre les peuples même les plus civilisés.

Ce n'est pas, il est vrai, seulement dans leurs relations avec les étran- sers qu'ils font preuve des vices dont nous venons de parler, mais entre voisins. Dans la société malgache, de même que dans toute société pri- mitive un fort organisme social ne développe pas l'individualisme, comme c'est le cas dans les sociétés très civilisées et par conséquent très vieilles, les familles et leur extension, les clans, en forment la base, à l'exception des quelques peuplades qui, depuis un siècle, comme les Merinä par exemple, se sont constitués en États puissants; dans cette organisation patriarcale, les actes et les croyances étaient collectifs, et un individu isolé ou rejeté de sa famille, de son clan, ne pouvait se suflire à lui-même ni se défendre contre les voisins; c'était un être perdu, comme un membre détaché du corps est sans force et sans valeur; les termes

ETHNOGRAPHIE. 23 dont nous nous servons encore aujourd'hui en parlant des familles rap- pellent cet ancien état de choses : nous disons en effet le «chef» (ou la tête) et les «membres» d'une famille, ce qui marque bien les relations qui existaient autrefois entre un père et ses enfants et petits-enfants, s'entr'aidant les uns les autres, constituant un corps dont toutes les par- ties étaient solidaires les unes des autres et dont l’union faisait la force; mais, depuis les progrès de la civilisation, dans nos pays tout indi- vidu peut, sous l'égide des lois, «mener sa vie», les liens familiaux se sont relâchés; les questions d'intérêt, de succession, sont sinon les seules, au moins avec les idées religieuses les principales qui les resserrent en- core un peu : car, si le chef de famille exerce une protection morale, la protection, la sécurité matérielles sont assurées à tous ses membres indi- viduellement par le Gouvernement, tandis que, dans les sociétés primi- tives comme l'étaient plus ou moins récemment les diverses peuplades de Madagascar, les membres d’une famille, d’un clan, devaient et doivent encore, en bien des cas, pour assurer leur vie, leur liberté, leur bien- être, tout relatif du reste, s'appuyer les uns sur les autres, penser et agir en plein accord les uns avec les autres.

$ 2. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.

À Madagascar, comme partout du reste, les mœurs et par consé- quent le caractère de ses habitants ont eu leur origine dans le cours naturel de la vie telle que les circonstances extérieures la leur ont faite, dans leurs besoins matériels et dans la pleine jouissance de leurs sens. La morale ou la pudeur ne leur imposent aucune retenue, et ils s'aban- donnent à la Joie de vivre selon leurs instincts; ce sont ces instincts qui forment la base de leur société, à laquelle, au début du moins, l'esprit a eu peu de part, et qui n’ont d’autres entraves que, d’un côté, les pres- criptions des ancêtres qu'ils respectent religieusement, ayant les yeux fixés sur le passé et rendant aux morts un culte quasi divin, ,et, de l’autre, les ordonnances des devins ou sorciers auxquelles ils accordent une foi aveugle.

L'évolution intellectuelle et sociale des diverses peuplades maloaches

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s'est produite d'une façon différente suivant les conditions du milieu elles se sont trouvées, notamment du sol et du climat, et suivant l’ori- gine des immigrants qui ont abordé les parties les plus accessibles de l'ile et dont l'influence à varié suivant leur nationalité et leur valeur sociale et intellectuelle. On ne peut done pas parler d'un caractère à proprement dire national chez le peuple malgache, chaque peuplade ayant sa psychologie propre comme elle a sa physionomie, son aspect physique particulier; toutefois, maloré la différence d'évolution intellec- tuelle et les nombreux métissages, comme le fond de la population tout entière est d’origine indo-mélanésienne, 1l y a en réalité une grande uni- formité, une homogénéité remarquable dans les mœurs et les croyances, comme dans la langue de tous les habitants de l'ile, chez lesquels se per- pétuent avec constance certaines dispositions morales et intellectuelles ancestrales, qui sont les sources de leurs institutions et les mobiles prin- cipaux de leur conduite.

Le caractère des Malgaches est très complexe et d'autant plus difficile à comprendre et à définir, que leur mentalité et leur objectif social sont très différents des nôtres. Nous allons essayer d'en donner une idée.

De l’état social primiuf des peuples malgaches 1l ressort que, lorsqu'on détaille leurs caractères moraux ou psychiques, 1l ne faut pas juger comme vicieux ou criminels certains de leurs actes parce que ces mêmes actes sont, avec raison, réputés tels dans notre organisation sociale : les défauts et les vices des Malgaches dérivent d'un ordre de choses auquel ils sont soumis de temps immémorial, tandis que , dans nos nations eivi- lisées, ils sont le produit d'instincts individuels pervers. Leur religion, en effet, comme nous le verrons, n'apportait aucun secours à leur morale, car la notion du devoir, du bien et du mal, telle que la conçoit la conscience des peuples chrétiens, n'entre pas dans le concept des Malogaches, qui considèrent l'existence comme asservie aux forces de la nature et au Destin, et qui ne pensent puère qu'aux maux physiques et aux biens matériels : non pas cependant qu'ils n'aient quelque idée des biens et des maux spirituels, mais, dans leur pensée, ceux qui agissent

bien, ny olo soa fanahÿ, comme ceux qui agissent mal, ny olo ratsy fanah,

ETHNOGRAPHIE. 25

ne méritent ni éloge ni blâme, puisque Dieu les a ainsi faits et qu'ils n'y peuvent rien : ils ne croient pas en effet au libre arbitre, qui, pour eux comme pour les anciens, ne peut s'accorder avec le Destin ou la suc- cession des causes qui amènent inéluctablement certains effets.

À Madagascar, ainsi que le dit Ellis), l'exercice des vertus domestiques, sociales et civiles dépend non pas d'obligations morales vis-à-vis de Dieu, mais des coutumes des ancêtres et des usages établis de tout temps; aussi l'échelle comparative des vertus et des vices, telle que la tracent les Mal- gaches, diffère-t-elle beaucoup de la nôtre : à leurs yeux, le mensonge, la fraude sont de pures bagatelles comparativement à l’action sacrilège de fouler aux pieds une tombe de Vazimbä, de manger du pore dans un vil- lage c'est fadÿ, c'est-à-dire interdit, de courir aprés un chat sauvage ou un hibou, de préparer des sortilèges, ete. En réalité, ils ont deux morales : l’une bonne, qui règle les rapports des membres d’un même clan entre eux; l'autre, toute différente, dont ils usent à l’évard des membres des autres clans lorsqu'ils ne leur sont pas liés par des pactes particuliers : n’en est-il pas de même, du reste, dans nos pays, la morale des individus et celle des États différent de la même manière.

Ainsi, par exemple, tous les Malgaches sont, ou du moins, avant qu'une certaine civilisation eût dans ces derniers temps modifié leur ancien état social, étaient accusés d'être voleurs; et en effet, lorsque l’occasion s'en présentait, ils ne manquaient jamais de voler leurs voisins un étran- ser de passage, comme du reste le faisaient les Grecs aux siècles épiques

A) Cf. History of Madagascar, 1838, t. I d'un peuple étranger auquel, toutes les fois y 8 ? > P 8 5 : À

p- 99/4. qu'on le pouvait, on enlevait femmes, en-

(2) En Grèce. aux temps antiques, le vol fants et bélail; on ne s’en cachait pas, on

, q , , ,

accompli ou non à main armée, n’était pas s'en vantait au contraire; mais cette. cou- infamant : il était même méritoire lorsqu'il tume n'impliquait pas le droit au vol à l'in- se faisait aux dépens d’un clan ennemi ou térieur du groupe social W).

() «L'Odyssée (UT, 106) et l’Iiade (IX. 667-668) nous montrent Achille courant les aventures en quête de butin, occupation réputée fort honorable en ces temps-là» (Gzorz, Solidarité de la famille en Grèce, 1904, p- 199). Au vi siècle avant J.-C., Solon a réglementé par une loi les Sociétés qui avaient pour but le pillage en commun, et, au siècle, Thucydide (1, 5) dit que c'était une pratique normale dans l'ancienne Grèce de former sous le commandement de chefs puissants des bandes à l'effet de surprendre les villes ou- vertes et de tirer leur subsistance du pillage. «Ce métier, écrit-il, loin d’être honteux, était honorable. Certains peuples continentaux (les Locriens-Ozoles les Étoliens, les Acarnaniens et presque tous leurs voisins, Magnètes Ænianes, et les Lyciens), encore aujourd'hui, se font gloire de leur habileté dans ce genre de travail.»

ETHNOGRAPIIE. l

IMPIRIMENRIE NATIONALE.

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et maints autres peuples civilisés, notamment, jusqu'au xvrr siècle, les clans écossais (). Mais, pour eux, ces voisins étaient en réalité des enne- mis, et ils n'avaient aucun lien d'amitié avec l'étranger de passage; quant à leurs parents, quant aux membres de leur clan, quant à leurs amis, jamais ils ne les volaient : «Tout ce qui n’est pas à nous et aux nôtres est bon à prendre lorsqu'on le peut sans danger», pensaient-ils, suivant le principe qui, de tout temps, régit les actes des sauvages et qui a répi toute la vie sociale antique. N'est-ce pas, du reste, ce même principe qui dirige et qui dirigera certainement longtemps encore la politique inter- nationale et coloniale de nos pays, pour lesquels, tout civilisés qu'ils se flattent d'être, en réalité la force prime le droit, comme en témoignent maints événements qui se passent encore de nos jours, quelles que soient les explications qu'on donne pour les masquer ou les excuser? Or les membres de clans voisins qui se font la guerre, qui se pillent et se volent, n’agissent pas autrement que les gouvernements des pays civi- lisés; chaque clan en effet forme une petite nation, un petit État indé- pendant, qui, étant en lutte continuelle avec les clans voisins, se sert dans ces luttes de tous les moyens qu'il a à sa portée; mais, de même que le vol entre particuliers est chez nous une action criminelle, il est également interdit chez les Malgaches entre les membres du clan.

Il en est de même de l’égoisme qu'on leur reproche, car légoisme varie suivant l'état social dans lequel vit un individu : lorsqu'il y a, entre les hommes d'un même pays, la solidarité qu'engendre la civilisation, l’'époisme, très explicable dans certains cas et même nécessaire à l'homme

(M Les clans écossais ont conservé leurs Cromwell, ils ne faisaient la guerre que occupations pastorales et leurs habitudes dans le but de piller, et, la bataille finie, de pillage pendant des siècles, malgré les ils retournaient chez eux avec le butin qu'ils progrès sociaux faits autour d'eux par leurs avaient fait; ils n’avaient pas, en se battant, voisins. Jusqu'à leur complète soumission à d'autre objet (*).

®) Ce fut d’ailleurs la cause de la perte du comte de Montrose, abandonné en pleine guerre par les clans qui, au début, l'avaient soutenu dans sa lutte contre les troupes de Cromwell, mais qui désertèrent aussitôt qu'ils eurent du butin. Jusqu'à l'acte de 1748, grâce auquel furent abolis le servage des vassaux et les juri- dictions héréditaires et se développa un esprit national, l'Écosse resta en un état continuel de querelles et de meurtres; ce n'est qu'en perdant leurs armes que les Écossais perdirent l'habitude de s’en servir à tout bout de champ et que disparut en même lemps leur esprit d'indépendance (William F. Skene, The Highlanders of Scotland, 1837, 1. I, p. 140 et 147).

ETHNOGRAPHIE. 27)

sauvage qui vit par petits groupes isolés, devient un vice et même un crime contre la Société qui fournit à ses membres une certaine somme de confort et de sécurité, et à laquelle, en échange de ces services fort appré- ciables, on doit payer sa quote-part : tandis que la famille ou le clan sauvage, qui est obligé de pourvoir lui-même à sa sécurité et de sub- venir à tous ses besoins, ne peut pas non seulement être tenu d’être cha- ritable et dévoué envers ses semblables qui ne font rien pour lui, mais est obligé, pour sa défense, de se tenir continuellement sur ses gardes.

Ajoutons que, comme nous le verrons plus loin, au contact des Arabes et des Européens, beaucoup de vices ont germé en eux ou, tout au moins, se sont développés. Le roi Ravovô a dit à Drury, au commencement du xvint siècle, que les Sakalavä s'étaient pervertis depuis plusieurs années, depuis qu'ils s'étaient enrichis en trafiquant avec les Anglais, que main- tenant ils buvaient beaucoup de rhum et se volaient réciproquement leurs femmes). Une condamnation n'est du reste nullement une tare aux yeux des Malgaches, qui n'avaient pas un regard ni une parole de mépris ou d'ironie pour les malheureux forçats qui s'en allaient à travers les rues de Tananarive ou dans certaines villes des pays soumis aux Merinä, trainant leurs fers sans en être humihiés; leur famille ne les abandonnait pas, car ces sanctions Judiciaires ne blessaient nullement leur amour-propre et n'avaient rien d'infamant à leurs yeux : ceux qui ont été pris commettant un crime ou un délit sont, aux yeux de tous, des victimes du sort, dignes de commisération, tandis que ceux qui, ayant commis les mêmes actes, ne se sont pas laissé prendre, méritent l'estime.

$ 3. CARACTÈRES INTELLECTUELS ET MORAUX DES MALGACHES

EN GÉNÉRAL : LEURS QUALITÉS, LEURS DÉFAUTS.

Les Malgaches ont des qualités natives, qu'il serait injuste de ne pas reconnaitre : 1ls sont généralement bons, sociables quoique méfiants, polis, hospitaliers; ceux de l'Est et ceux du Centre sont timides et soumis à leurs chefs, manao am-po lsy mivoaka [gardant au fond de leur cœur

0) Drurys Journal, 1729, p. 372.

Le

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(par prudence et par crainte) les sujets de tristesse ou de colère qu'on leur donne, les injustices qu'on leur fait |; ceux de l'Ouest et ceux du Sud sont au contraire fiers et mdépendants, mais tous sont d’un naturel doux, et ils étaient, avant les modifications profondes qu'amène depuis quelques années notre présence dans l'ile, gais et insouciants : c’étaient de «bons enfants», se contentant de ce qu'ils avaient, ne s’affligeant pas lorsqu'ils n'obtenaient pas ce qu'ils convoitaient, trouvant en somme la vie bonne et facile et supportant les malheurs avec une grande force d'âme ou plutôt avec une résignation touchant à l'insensibilité; car ils sont fata- listes, ils sont persuadés que leur sort est réglé à l'avance et qu'ils ne peuvent pas changer leur destinée, qui est fixée pour toujours au mo- ment de leur naissance); aussi, dans toutes les circonstances de la vie, sauf lorsqu'ils sont influencés par des idées superstitieuses, agissentls avec nonchalance, avec une sorte d'inconscience, quoique la plupart ne soient pas au fond aussi indifférents ni aussi dociles aux influences extérieures qu'ils en ont l'air : par une prudence très compréhensible dans leur état social, ils portent sur leur visage un masque impénétrable, et, s'ils cèdent momentanément sous la pression des événements, dès que les circonstances le leur permettent, ils retournent à leurs habitudes et à leurs idées passées.

M) Ny olona 1sy ary mitovy samy aminy tonon andro nahavelomana, lit. : « Tous les hommes ne sont pas coulés dans le même moule et ils ne sont pas en tout point sem- blables, il y a les différences qu'a apportées l'horoscope spécial de chacun à sa nais- sance», et Tsy mahazo miady vintana , namiady tonon’andro, na tomany tannandro ny sasany, litt: «Il n’est pas possible de combattre sa destinée, l'horoscope de sa naissance; il est donc par conséquent inutile de se lamenter parce qu'il y a des gens plus favorisés que soi-même ». Akoho an-joro n'akoho , lit. : «Les poules doivent rester dans le coin des poules, au coin S.-E. de la maison» , c'est-à- dire chacun a sa place que le destin lui a assignée: ce n’est pas l'intelligence des uns

qui les a mis dans les meilleures places, ni la bêtise des autres qui les a mis dans les places inférieures, c'estle destin, car Tahaku ny vanim-pary ny olona 5 ny ambony ambony, ny ambany ambany,litt. : «Les hommes sont échelonnés comme les nœuds d’une canne à sucre, les uns en haut, les autres en bas»; chacun doit donc se soumettre avec rési- gnation à sa deslinée, quelle qu'elle soit, et remercier le Ciel qui la lui a donnée : Akoho minonon-drano, ny lehibe miandra ny lanitra, ny kely miandra ny lanitra, Witt. : «Grands et petits doivent lever la tête vers le ciel, comme les poules et les poussins lorsqu'ils boivent de l’eau» (R. P. Cazcer, Bull. de l’Acad. malr., Tananarive, 1903,

p- 2706).

ETHNOGRAPHIE. 29

Ils sont intelligents et ne manquent pas d'une certaine finesse; ils s'expriment avec facilité et grâce, souvent même avec éloquence, mais ils n'ont pas l'âme religieuse, sauf les Merinä, qui, convertis au christia- nisme, ont assez souvent fait preuve d'un esprit de sacrifice remarquable et, tout intéressés qu'ils sont, de libéralité. [ls sont très tolérants, ne sont pas jaloux! et ne se mettent Jamais en colère : aux yeux des sauvages, du reste, la colère est un petit accès de folie momentané.

Ils ont au suprême degré l'amour de la famille ou plutôt du clan. Un des traits saillants de leur caractère est le respect, voire le culte qu'ils ont pour leurs ancêtres et pour les coutumes qu'ils leur ont léguées, et qui ont à leurs yeux un caractère religieux : rien d’après leurs idées ne devait se faire autrement que n'avaient fait leurs pères. Ce respect des traditions était tel que certaines peuplades ne pratiquaient pas cer- taines industries, indispensables cependant, parce que leurs ancêtres ne les connaissaient pas; les Betsimisarakä, par exemple, ne ne sont pas encore mis au travail du fer, quoique dès longtemps les Merinä et les Tanalä leur en donnent l'exemple et qu'ils aient besoin d'outils de ce métal.

Comme conséquence, d’une part, de leur ignorance, cause d’une cré- dulité extrême les prédisposant à ajouter foi aux récits les plus étranges et à nourrir des craintes chimériques au sujet de certains êtres et de certains objets, et, d'autre part, de leur organisation sociale résultant de la constitution toute primitive de la famille malgache et du genre de souvernement despotique établi par les immigrants des diverses races venues d'outre-mer, se sont malheureusement développées en eux des idées, des croyances et des habitudes qui ont engendré de nombreux défauts et vices. La dissimulation, l'hypocrisie, la fourberie, la perfidie, la mauvaise foi, le mensonge, le vol, étaient des vices communs à tous les Malgaches, vices qui probablement n’existaient pas autrefois à un aussi haut degré lorsque le pays était divisé en une infinité de petits clans, mais qu'ont engendrés ou développés les immigrants de races diverses

(1) Les Antambahoakä el les familles antimoronä d'origine arabe font exception.

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dont les chefs insolents et hautains leur ont imposé leur autorité et les ont accoutumés à la servitude et à la bassesse : il y en a d'aimables et de prévenants, mais aucun n'est meilleur n1 plus franc que les autres. Quoi- que bavards et cancaniers, ils sont peu démonstratifs; par contre, ils sont familiers, curieux, importuns et quémandeurs avec les étrangers, car ils sont très intéressés et ont toujours à la bouche le mot omeo [| donne |, quand ils leur parlent, et les mots {sy misÿ [il n'y en a pas], quand on leur demande quelque chose : en réalité, ils ne font le plus souvent un cadeau que quand ils savent devoir y trouver quelque avantage.

Ils sont voluptueux, et la chasteté n'a à leurs yeux aucune valeur; aussi la liberté des mœurs est-elle entiere.

Ils sont intempérants et ivrognes, ayant de tout temps demandé aux Européens, comme dit Joseph de Maistre , «de la poudre pour tuer leurs voisins ct de l’eau-de-vie pour se tuer eux-mêmes», et le respect de soi-même, la dignité personnelle, tels que nous les comprenons, leur sont inconnus.

Les habitants des côtes sont généralement propres, sinon dans leurs demeures, au moins sur eux; la saleté de la plupart de ceux de Fin- térieur est proverbiale. Tous sont indifférents aux commodités de la vie.

D'ordinaire 1ls ne prennent plaisir à aucun exercice violent; les seules exceptions sont : le Jia ou course que font au clair de la lune, sur le sable de la plage des bords des rivières, les jeunes gens et les jeunes filles sakalavä; le balahazd ou lutte à bras-le-corps que pratiquent les Merinä, et la course aux taureaux, qu'affectionnent les Merinä et les Betsileo. [ls ne vont pas à la chasse pour le plaisir et ils ne se promènent pas; comme dit Flacourt, «ils trouvent bien fous les Européens de se lasser sans sujet », et lorsqu'un Français se promène seul, ils pensent «qu'il est bien fâché ou qu'il a de mauvais desseins ».

Il faut toutefois dire que les Malgaches qui sont agriculteurs et par conséquent sédentaires, c’est-à-dire ceux qui habitent la côte orientale et la plus grande partie du centre de l'ile, les Merinä exceptés, sont d’un naturel plus doux, plus craintif, sont plus pacifiques, plus dociles, plus patients, plus disciplinés, plus polis que ceux qui habitent le Nord,

ETHNOGRAPHIE. 51

l'Ouest et le Sud, lesquels sont des pasteurs, par conséquent dans une certaine mesure nomades, et qui sont plus grossiers, plus arrogants, plus querelleurs, plus indépendants et plus indolents, plus paresseux encore que les précédents, mais qui sont guerriers, ou plutôt batailleurs, pillards et jaloux de leur liberté.

Les Merinà, chez lesquels le sang Jaune prédomine, se distinguent des autres peuplades par leur intelligence plus vive, par leur ambition et leur désir de s'instruire, par leur âpreté au gain qui les porte au travail, et par leur esprit d'économie, par leur activité et leur habileté industrielle. Ils ont une vanité et un amour-propre excessifs et sont moins indifférents aux commodités de la vie.

Nous allons maintenant examiner en détail leurs vertus et leurs vices, qui du reste se mélangent dans les individus d’une facon bizarre : leurs actes ne sont pas toujours en effet d'accord avec leurs principes et leurs aphorismes, dont nous citerons quelques-uns plus loin; n’en a-t-1l pas toujours été de même en tout temps et partout? Mais ce qui est plus sur- prenant, c'est que, agissant sous l'impulsion d'idées qui nous échappent, le même individu gardera précieusement un dépôt qu'on lui aura confié, et cependant n'hésitera pas à voler quelque objet dans la maison de cette même personne ().

L Ivrezucence, mémoire. Les Maloaches ont une intelligence beaucoup plus vive et plus éveillée que la plupart des Nègres de la côte d'Afrique ?. À l'Île de France, dit un mémoire de 1783, «les esclaves malgaches apprennent en peu de temps la langue française et tous nos

% Mayeur, Deuxième voyage à Ancove en 1799, Manuscrits du British Museum, Fonds Farquhar, et Copie Bibl. Grandidier,

en 1613-1614 (Coll. Ouvr. anc. Madagas- car, par À. et G. Grandidier, t. Il, p. 13).

—— «L'esclave malgache est intelligent, ha-

p. 8, note 33.

2 «Quoique, sous le rapport de la force, les Malgaches soient inférieurs aux Cafres, ils leur sont très supérieurs au point de vue de l'intelligence, de la capacité et du bon caractère», a écrit un des premiers Eu- ropéens qui aient fait un voyage de décou- verle à Madagascar, le R. P. Luis Mariano,

bile aux arts mécaniques, mais on ne peut compter sur sa fidélité et il est toujours prêt à jouer des tours à son maitre pour se venger. Sa paresse est calculée, car il sent bien qu'il n’est esclave que par le droit du plus fort... Au contraire, le Cafre tra- vaille bien, obéit bien, s'attache à la glèbe, ne réfléchit guère, concentrant ses pensées

32 MADAGASCAR.

métiers, tandis que les Cafres sont beaucoup plus longtemps à s’instruire, trois ans au lieu de six mois». À les voir dominés par les superstitions, on serait tenté de croire leur esprit lourd et obtus; en réalité, c’est parce qu'ils sont intelligents qu'ils sont éminemment superstitieux; chez des gens ignorants comme le sont, à des degrés divers, les sauvages et les barbares, la superstition est la fille naturelle de l'intelligence : en voyant se passer tous les jours devant eux des phénomènes remarquables, ils ne se contentent pas de les subir inconsciemment et de laisser leurs effets se produire sous leurs yeux sans s'en inquiéter; leur esprit éveillé veut en connaitre les causes, et, comme leur ignorance ne leur permet pas de les trouver, ils calment et satisfont leur curiosité intelligente par des explications plus ou moins extravagantes, d’où sortent des croyances superstilieuses que nous jugeons absurdes, inacceptables; la connais- sance que nous avons des phénomènes de la nature et de la vie nous permet de voir combien les causes qu'ils leur attribuent sont sans fon- dement, quoiqu’elles contentent leur esprit de primitifs.

Cest surtout chez les enfants que l’on peut le mieux constater la vivacité de l'intelligence, qui s’obscurcit avec l’âge par suite du manque d'éducation, l'enfant n'ayant, au moins autrefois, d'autre maitre que l'exemple des siens, regardant ce qui se passe autour de lui et imitant ses parents, et aussi par suite de l'existence de paresse et de débauche que mènent les adultes. Le P. Luis Mariano dit que le petit prince antanosÿ Andriantsosä, le fils du roi Tsiambanÿ, qui a recu des leçons de lecture et d'écriture au Séminaire de Santa à Goa en 1614, «avait une si grande vivacité d'intelligence, qu'en moins de deux heures il a appris

sur ses besoins physiques; il engraisse et ne rêve à la liberté que sous l'excès des mauvais traitements » (Auguste Bicran, Lettres des les de France et de Bourbon à M. de Montalivet de 1817 à 1820, Arch. Min. Colones); von Jedina, venant de la côte d'Afrique, a été frappé, comme le Père Mariano et comme beaucoup d’autres, du développement plus grand de l'intelligence

des Malgaches ( Voyage de la frérate lxHel- goland», 1877). Les Nègres d'Afrique sont plus persévérants et, s'ils sont moins intel- ligents, les missionnaires norvégiens ont eu avec ceux qui ont été transportés comme esclaves sur la côte occidentale de Mada- gascar plus de succès au point de vue de l'assiduité qu'avec les Sakalavä.

0) Man. des Arch. du Ministère des Colomes.

ETHNOGRAPHIE. 33

à distinguer toutes les lettres de l'alphabet»(). Et ne montre-t-elle pas une intelligence fine et éveillée, la charmante réponse faite à Tuléar en 1845, au R. P. Dénieau, par une petite fille sakalavä qui lui demandait un zaka kelÿ, une petite chose, un petit cadeau : les Pères auxquels, suivant l'usage du pays, les chefs avaient offert leurs filles en mariage avaient repoussé leurs offres, disant que, envoyés de Dieu, ils étaient les pères de tous les hommes, que tous les hommes et toutes les femmes étaient leurs enfants et qu’un père ne prend pas sa femme parmi ses enfants; or le P. Dénieau, excédé des demandes que grands et petits ne cessaent de lui adresser et qui avaient déjà fortement entamé sa pacotille d'objets de troc, reprocha à cette petite fille de mendier : {sy soa mangalakä, lui dit-1l, c’est mal de mendier. Quoi! répondit-elle, est-ce done mal qu'un enfant demande quelque chose à son père °)?: Tous les missionnaires s'accordent à reconnaître que les enfants mal- gaches sont attentifs aux leçons et apprennent facilement. Grands et petits, du reste, ont une mémoire remarquable, souvent même extraordi- naire, mais, si les écoliers apprennent facilement par cœur leurs lecons, ils ne s'inquiètent guère le plus souvent de leur signification, se contentant de la lettre sans chercher à en pénétrer l'esprit.

Il n'est pas toutefois douteux que la vivacité de l'esprit est plus grande chez certaines peuplades que chez d’autres. Ainsi les Merinä, que les conditions de milieu forcent à secouer la paresse si naturelle chez les peuples non civilisés des pays chauds, ont dès longtemps fait preuve de qualités rares, disons même exceptionnelles : en 1777, le premier Euro-

0) Coll. Ouvr. anc. Madagascar, t. A, parents ne s’occupant Jamais de ce qu'ils p- 73 ©; +malheureusement, si les enfants font» (loc. cit., p. 260, note).

ont de l'intelligence et de remarquables @) R. P. pe La Vaissière, Hist. de Mada- dispositions, 1ls sont très mal élevés, leurs gascar, t. 1, p. 84.

Arrivé à Goa le 16 mai 1614, et mis peu après au séminaire de Santa-Fé, le jeune prince antanosÿ ssavait déjà lire et écrire en portugais très convenablement cinq mois après [le 16 octobre]; il servait la messe avec autant de ponctualité et de grâce que s’il était dans le giron de l'Église catholique, et il avait un si bon caractère et de si bonnes dispositions, il apprenait si vite, qu'il n’était jamais besoin de lui dire ni de lui défendre deux fois la même chose. Il savait très bien se confesser, et le faisait avec piété». «Les enfants betsimisarakä sont vifs et intelligents, susceptibles d'éducation» (Baron ne Macxau, Mémoire manu- scrit sur la côte Est de Madagascar, 19 déc. 1818, Arch. Col. du Min. des Colonies); et le Rév. G. Jukes dit «qu'ils sont dociles et faciles à instruire». Les jeunes Barä auxquels les missionnaires anglais ont pu donner des lecons ont fait des progrès rapides : par exemple, les trois jeunes gens d’Ivohibé qui ont suivi Îles cours de l’École Centrale de Fianarantsoa (Rév. G. A. Shaw).

ETIINOGRAPHIE. 5

IMPRIMENIE NATIONALE.

BY MADAGASCAR.

péen qui a visité l’Imerimä, Mayeur, «a été étonné des lumières et de l'industrie des Hovä (Merinä), remarquables entre toutes les autres peu- plades de File par leur grande intelligence et leur aptitude au travail», et que «leur naturel doux et pacifique porte vers les arts utiles » M. Dans un mémoire de 1783, il est dit que «ce sont les esclaves Embol- lammes | Amboalambô (Merinä) | qui, aux îles de Bourbon et de France, sont toujours les premiers à demander à être instruits pour recevoir le bap- tême ». Ils se sont en effet montrés très désireux d'apprendre, avides des nouveautés que leur ont apportées les Arabes et les Européens, et leur esprit toujours en éveil a un grand pouvoir d’assimilation; dès 1808, un traitant écrivait : «Les Hovä [ Merinä | brûlent d'envie de s'instruire et ils pourraient facilement se perfectionner dans les arts»; et, en effet, dés qu'ils ont été en rapport avec les Européens, ils ont cherché à s’assi- miler leur civilisation, curieux de leur industrie ‘et désireux de les égaler. Cette aspiration à un état social meilleur les différencie, au point de vue intellectuel, des autres peuplades qui, étant en rapport avec les Euro- péens depuis des siècles, ne se sont préoccupées que de se procurer les marchandises que ceux-e1 leur apportaient sans chercher d’où venaient leur supériorité, leur civilisation. Ils se sont d’abord attachés aux choses extérieures, visibles, comme en religion ils s’attachent à la lettre, aux pratiques, et non à l'esprit, aux principes de morale; mais, quand ils ont eu bien constaté que le vêtement européen ne leur donnait ni la science, m lindustrie qu'ils ambitionnaient, ils jugérent et ils ne se trompaient pas dans leurs détluctions que c'était la religion qui avait fait la civilisation et la grandeur de l'Europe, et le Premier Ministre pro- clama qu'ils «avaient élé jusque-là sans religion, comme les bœufs, et qu'il leur en fallait une, comme en Europe, le christianisme ». C’est grâce à l'intelligence supérieure dont ils sont doués qu'est due la prompte transformation que l'on constate et que l'on admire chez eux.

(M Maveur, Voyage au pays d'Ancove en Hovä, foyer de civilisation déjà allumé, 1777, Département des manuscrits du British jaillira sans effort et s'étendra rapidement Museum , et copie in Bibl. Grandidier, p. 54; la lumière, aurore de la gloire et du bon- el, en 1785, il ajoulait : «Du pays des heur des générations malgaches à venir.»

ETHNOGRAPHIE. 59

Les Merinä ont en effet de grandes ressources d'intelligence, de earac- tère, d'esprit d’organisalion, et leurs facultés d'imitation sont très dévelop- pées; dans les hautes classes, 1ls ont souvent un esprit mûr, un caractère posé, un Jugement réfléchi. Lenrs tendances morales étant naturellement tournées vers le positivisme, ils cherchent la réalité et l'utilité et sont réfractaires à la conception de tout idéal, tel du moins que nous le com- prenons, car ils en ont un, mais différent du nôtre et qui nous échappe dans une certaine mesure. Les idées concrètes ne leur sont pas familières, oénéralisation : aussi les

5 termes généraux ou abstraits manquent-ils en malgache. Mais leur apti-

et ils n’ont aucun pouvoir d’abstraction ni de

tude au calcul, comme le montrent ceux qu'ils font dans leurs transac- tions, et leur habileté à calculer vite et avec précision les subdivisions multiples et compliquées de leur monnaie, leur finesse dans le commerce, leur système de gouvernement et beaucoup de leurs usages, témoignent d’une force d'esprit considérable et de fortes facultés intellectuelles.

Aucun autre Malgache n’a certes l'esprit aussi ouvert et aussi Curieux de toutes choses que les Merinä; toutefois, tous les habitants des hauts plateaux semblent avoir été dès longtemps supérieurs aux habitants des côtes sous ce rapport; François Martin raconte en 1667 ce fait : « Ayant dit au chef d’un petit village betsimisarakä, près de Fénerive, que ceux d’Amboet [d’Ambohiträ, des montagnes de l’Antsihanakä] étaient plus habiles et plus intelligents que ceux de la côte ”, cet homme lui répondit qu'il le savait et qu'il s'en fallait de peu que ces sens-là n'eussent autant d'esprit que les Européens » ©.

Les Betsileo ont l'esprit plus lent, mais, quoique les Merinä, aflinés par leur contact prolongé avec les Européens et très fiers de leur pseudo-science, aiment à s’en moquer, disant d'eux : Adala toa Betsileo ! adala tokoa! miarahaba soavaly ! [Quels sots que ces Betsileo qui saluent

() Et cependant le même François Mar- leur attribuer une réelle intelligence» et tin reconnait que, «parmi les Belsimisa- disent +qu'ils sont faciles à instruire.» rakä, il y en a qui raisonnent bien et qui 2) Mémoire sur l'établissement des colo- seraient capables des sciences et des arts nies françaises aux Indes orientales, 1667 s'ils y étaient instruils», el lous les mis- (Paris, Archives nationales, ms. 1169, et

sionnaires de la côte orientale s'accordent Copie Bibl. Grandidier, p. 251).

36 MADAGASCAR.

les chevaux comme si c'étaient de grands personnages! ]", ils ne sont guère moins intelligents qu'eux ©; cette naïveté n’est nullement une preuve d'inintelligence, pas plus que celle attribuée par Carpeau du Saussay aux Antanosÿ, qui, dit-il, «ayant demandé aux Français comment ils faisaient pour avoir des barres de fer grosses comme le bras, plan- térent en terre des aiguilles et des épingles la pointe en haut, sur las- surance qu'ils leur donnèrent qu'elles pousseraient et grossiraient avec le temps» : de sorte, dit ce voyageur, que «les indigènes donnaient huit œufs pour une épingle et quatre à cinq poules pour une aiguille; mais ils ne tardèrent pas à voir qu'on s'était moqué d'eux». Il n'est pas éton- nant que des gens ignorants et d’un naturel timide, tout intelligents qu'ils soient, ajoutent foi à la parole de gens qu'ils sentent très supérieurs à eux, ou s'ébahissent devant quelque chose d'inconnu Ÿ.

En réalité, les Betsileo, comme les Antanosÿ, sont intelligents, adroits, mais ils ont la conception lente : ils répugnent à tout effort cérébral et ont une grande défiance d'eux-mêmes; quand ils arrivent à secouer cette paresse, cette inertie intellectuelles, ils s'instruisent aussi bien que

0) Is ajoutaient même que, «voyant un lement; ils priment souvent les élèves

cavalier mettre pied à terre et ne compre- nant pas que ce monsire se démontat, les Betsileo s'enfuyaient épeurés, jetant des cris épouvantables » (*).

) Les élèves betsileo, en effet, sont at-

merinà.

6) Rien n’étonne les Malgaches du Sud de la part des Européens, dit le capitaine Vacher, car ils croient que nous savons tout el pouvons lout, excepté de ressusciter les

tentifs aux leçons et apprennent très faci- morts ().

( Nombreux, du reste, sont les coq-à-l’äne et les ineplies qu'ils leur prêtent. En voici un que rapporte le Rév. Haïle : un certain Ikotofetsÿ, malin cemme tous les Merinä, voyant venir à lui un Betsileo qui con- duisait un troupeau de bœufs, s’assit le dos appuyé à une grande stèle et, quand celui-ci fut près de lui, il le pria de prendre un instant sa place pendant qu'il irait se désaltérer au cours d’eau voisin afin que la pierre qu'il élail chargé de maintenir droite ne tombät pas. Le pauvre Betsileo eut le grand déplaisir de le voir s’en aller avec son troupeau sans oser l'en empêcher, car le facélieux et peu serupuleux Hovä lui criait à tue-têle : «Surtout, ne bouge pas, car la stèle n'étant plus calée tombera et t’écrasera», de sorte que le pauvre idiot n’osa bouger et laissa Ikotofetsÿ partir avec ses bœufs. On raconte aussi que plusieurs Betsileo, poursuivis pour dettes, s’élaient cachés dans une grotte; l'un d'eux étant venu à sortir fut reconnu et ap- préhendé, mais, au lieu d’aller tranquillement en prison, il «appela ses camarades, qu’on ne savait pas là, leur disant : « Venez, nous sommes pris» (Ant. Annual, 1900, p. oh).

@) Ils prêtent aux fils du télégraphe la faculté de voir, d'entendre tout ce qui se passe, tout ce qui se dit aux environs, et d'en rendre comple à n'importe quelle distance, aussi bien à Fort-Dauphin qu'à Fiana- rantsoa ct à Tananarive; aussi non seulement n’osent-ils pas y toucher, mais ils ont grand soin de ne rien faire ou de ne rien dire de blämable à côté du fil regardé par eux comme un espion dangereux. Plusieurs gites d'étape non gardés ont été sauvés de la destruction parce que, croyaient les indigènes, le fil qui les traversait n'aurait pas manqué d’en avertir l'officier chargé de garder le secteur, et, quand ils passaient auprès, ils criaient à haute voix les louanges des Français, persuadés que les chefs le sauraient.

ETHNOGRAPHITE. < 37 les Merinä et sont aussi industrieux; la preuve qu'ils sont aptes à recevoir l'instruction, c’est que la statistique accusait dans leur province plus de 1,200 écoles qui étaient assidûment fréquentées. Il est à remarquer que, si les hommes ont de la défiance d'eux-mêmes et sont humbles, les femmes betsileo n'acceptent pas volontiers la suprématie masculine, intellectuelle et même physique, et le font voir à l'occasion.

Au point de vue moral, les Betsileo sont supérieurs aux Merinä; les missionnaires ont constaté qu'ils subissent facilement leur influence, tant morale que spirituelle.

Les tribus pastorales, toutes sauvages qu’elles sont, ne le cèdent puère en intelligence naturelle aux peuplades agricoles; mais cette intelligence s'abätardit sous l'influence de l'anarchie dans laquelle elles vivent, de leurs habitudes ancestrales, auxquelles elles sont fermement attachées, et de leurs superstitions : persuadés, jusque tout récemment du moins, qu'ils avaient tout ce qu'il fallait pour être heureux, les Sakalavä, les Barà, les Mahafalÿ et les Antandroy, repoussant non seulement toute idée de perfectionnement intellectuel, mais même tout progrès de bien-être matériel, continuaient la vie bestiale et monotone de leurs ancêtres; nos raisonnements les plus logiques les laissent incrédules, tandis que les divagations de leurs ombiasÿ ou devins, prêtres, sont tenues par eux comme évidentes et véridiques.

On ne peut cependant dénier des qualités réelles aux chefs sakalavä, qui ont su constituer un Etat assez puissant, tel qu’une race sauvage n’en a pas souvent fondé; les désordres intérieurs, les luttes intestines et l’in- vasion merinä en ont amené le déclin, mais ils n’ont pas été sans puissance, car ils ont soumis à leur autorité plus du tiers de Pile, tandis que le reste était encore divisé en une infinité de clans et de petites peuplades.

Ce sont aussi de bons observateurs ), mais cette intelligence très réelle

(D On peut même dire de fins et de minutieux observateurs ().

Le D? Sigismond Vallace, qui a visité en 1844 la côte occidentale de Madagascar, raconte «qu'un chef de Tuléar, venu à bord au moment du repas, fut invité à s’asseoir à table; on élait curieux de voir comment il se servirait de la fourchelte et du couteau : le rusé sauvage commença par observer les convives, puis, prenanl la fourchette et le couteau, il s’en servit avec une dextérilé remarquable»; tous n’ont pas cependant celte dextérité, car, l’année suivante, le R. P. Dénieau dit que le chef de Tuléar et sa suite se servirent avec

38 MADAGASCAR.

n'a pas produit les résultats qu'on eût été en droit d'en augurer, à cause de l'ignorance dans laquelle ont croupi, à l'exception des Merinä, les di- verses peuplades malgaches.

IT. Iuagivariox, SENSiBiLiTÉ MORALE. Les Malgaches n'ont guère d'imagination (" et leur sensibilité morale est peu développée; aussi s’émo- tionnent-ils diflicilement et sont-ls peu démonstratifs : leurs impressions ne se démêlent pas sur leur visage, ils cachent leurs sentiments au fond de leur cœur et, quoiqu'ils aiment à se venger, jamais ils ne se pressent, attendant prudemment l'occasion propice, faisant bonne mine à leur ennemi jusqu'au moment ils peuvent sans risque mettre leur projet à exécution. Les premiers missionnaires anglais ont été surpris de l'ab- sence, au moins apparente, chez les martyrs chrétiens de sentiments de haine contre leurs persécuteurs : il est vrai que, encore fatalistes au fond du cœur, ils regardaient ces persécutions comme voulues par Dieu et or- données par le souverain, contre lesquels ils se sentaient impuissants.

En réalité, ils sont incapables d'éprouver des impressions profondes ©) et ils ne connaissent ni la tristesse, n1 le deuil prolongés; une seule exception peut être invoquée en leur faveur : la nostalgie de leur pays natal, dont souvent ont été atteints les esclaves malgaches transportés au loin sans espoir de jamais le revoir. L'émotion, l’enthousiasme, ces mouvements de lâme et du cœur qui ont suscité tant de belles actions, semblent leur être inconnus : ils n’en manifestaient jamais, et, en fait, ils n'en éprouvaient pas ou tout au moins ils en ressentaient peu, même

() «Peu de races ont moins d'imagina- cide qui montrent que certains Malgaches tion que les Malgaches » (D° Moss). sont susceplibles d'éprouver des sentiments ® IT y a eu cependant divers cas de sui- profonds ().

quelque embarras du couteau, de la cuiller et surtout de la fourchette au diner auquel il les convia (DE 14 Vassière, Hist. de Madagascar, L. TV, p. 71). Mais, à la première messe que célébra à Tuléar ce missionnaire , la princesse sakalavä, qui y assista, œimita les poses que prirent successivement les pères, se mettant à genoux et joignant les mains comme eux et faisant signe à sen peuple d’en faire autant, el, à l'élévation, elle inclina la tête et la cacha dans ses mains avec à-propos, ayant tout le temps de la messe une tenue parfaite, qu'on n’eût pas attendue d'une sauvage y assistant pour la première fois» (Jbid., t. I, p. 75).

Le Rév. A. Walen dit que, chez les Sakalavä, il y a eu des sœurs qui ont eu recours au suicide pour ne pas survivre à un frère bien-aimé ( Antan. Ann., 1884, p.55) et des veuves qui se sont tuées par chagrin de la mort de leur mari (loc. cit., p. 54). L’Antandroy s’'empoisonne pour sa femme et pour ses bœufs en avalant du lombirè (Asclépiadée). En décembre 1910, un jeune et riche Antandroy tenta plusieurs fois de s’empoisonner parce que la berabokä, une épizootie, lui avait enlevé les quatre cinquièmes de ses bœufs (Cap. E. Deroonr, L’Androy, Bull. économ. de Madag., 1913, p. 222).

ETHNOGRAPHIE. 39

devant les plus extraordinaires phénomènes, devant les faits les plus remarquables, devant les merveilleux et utiles objets de toutes sortes créés par l'industrie et l'art des peuples civilisés et dont ils n'étaient pas cependant sans apprécier la valeur pratique. C'est un spectacle étrange de voir des gens qui, comme les Antandroy et les Mahafalÿ par exemple, ne connaissaient que les déserts arides ils étaient nés, que les misé- rables huttes, ils vivaient avec quelques nattes grossières et quelques calebasses ou marmites de terre pour tout mobilier, et que leurs pirogues creusées dans un trone d'arbre, venir pour la première fois à bord d’un orand navire; ils regardent avec un calme et une insoucrance réellement extraordinaires, sans manifester et certainement sans éprouver d'étonne- ment, ce navire et ses agrès ainsi que les multiples et utiles objets dont les Européens se servent dans leur vie quotidienne, non toutefois qu'ils n'ambitionnent de se les approprier per fas et nefas. Gette inertie intel- lectuelle est du reste très compréhensible : 1ignorants des dificultés que présente la fabrication de ces objets et habitués à accepter comme inévi- tables tous les faits qui se passent sous leurs yeux sans en rechercher les causes, qu'ils seraient du reste bien incapables de découvrir, 11 n'y avait pas pour eux sujet de s'en étonner et de les admirer, pas plus qu'ils ne s'étonnaient et n’admiraient les phénomènes naturels au milieu desquels ils vivaient.

En réalité, occupés avant tout et presque exclusivement de leur vie matérielle, en lutte continuelle avec la nature qui leur fait une existence assez précaire, accoutumés dans une plus ou moins grande mesure aux privations et aux souffrances, les Malgaches ne ressentent guère les vraies douleurs sentimentales ou morales; ils ignorent les déchirements du cœur, ou, en tout cas, ils acceptent les rigueurs du sort avec la résignation de gens qui dépendent de leur vintanü ® et qui ne peuvent rien contre le

0) Les Merinä, depuis qu'ils ont des rela- chent pas leur admiration, qu'ils manifes- tions avecles Européens et qu'ilsontcherché tent le plus souvent en ouvrant de grands à se façonner à notre image, font une re- yeux et la bouche, devant laqueile ils met-

marquable exception à cette règle : devant tent la main. les merveilles de la civilisalion, ils ne ca- E) C'est-à-dire de leur horoscope.

40 MADAGASCAR.

sort, anjarany | hit. : ce qui est leur lot ici-bas], et ils ne se révoltent pas contre ce qu'ils jugent inéluctable.

HT. née pu pevomm. L'idée du devoir est, chez les Malgaches, très différente de celle qu'on en a chez nous : conserver intact l'héritage des croyances et des cérémonies, des formalités, léguées par leurs ancêtres, suivre pieusement leurs opinions et leurs coutumes, est leur premier de- voir. Malheur, encore récemment chez les peuplades de l'Ouest et du Sud, à ceux qui osaient accepter les idées et les habitudes de vie des étrangers"! D'autre part, la responsabilité morale n'existe guère à leurs yeux, les qualités ou les défauts, aussi bien que les maladies et les infirmités phy- siques, du reste, dépendant du destin, du sort, de la fatalité, c'est-à-dire du jour et de l'heure de la naissance, ou de la transgression d'ordinaire in- consciente et involontaire de fadÿ, de tabous, c'est-à-dire d'interdits géné- raux, locaux ou personnels, soit par la mère pendant sa grossesse, soit par l'intéressé. À entendre le proverbe suivant que citent souvent les Merinä : Ny ala fo mandroaka ny nenina | tt. : Quand on a fait tous ses efforts, on n'a pas de regrets à avoir (c’est-à-dire : Fais ce que dois, advienne que pourra)|, ou ce conseil donné sur son lit de mort par Andrianampoinimerinä à son fils Radamä [°° : Dama 6 ! he amie ny hery tsy mahaleo ny fanahy, e !, [htt. : Rappelle-toi, Dama , que la force ne doit pas opprimer l'esprit (primer le droit)]®, on croirait qu'au moins les Merinä ont une notion assez nette de la différence du bien et du mal: mais, en réalité, ce n’est pas par le simple amour du bien qu'ils remplissent ce qu'ils croient être leur devoir, mais par crainte. Comment, du reste, pourraient-ils distinguer le bien du mal, puisqu'ils ne croient pas au libre arbitre, puisque leur moralité dépend non pas d’un choix librement fait entre une action bonne et une action mauvaise, mais de causes indépendantes de leur volonté ?

0 Le grand respect ou plutôt le culle vrai, à celte noble pensée un correctif: pour les llin-drazanä [pour les lois, les Ja ny soa anie ao anaty ny ralsy [lit : prescriptions des ancêtres] se perd de jour quoique le bien se trouve quelquefois dans en Jour au contact des Européens et par le mal], dans le but d'excuser les massacres suite de la diffusion de l'instruction et de qu'il avait faits pour établir son autorité la religion chrétienne. dans le centre de Madagascar (Ms. hova de

® Andrianampoinimerinä ajoute, il est la Bibl. Grandidier, p. 10, S6).

ETHNOGRAPHIE. !1

nombreux sont les actes, bien innocents en apparence, qui, d’après eux, contaminent les individus qui les accomplissent, leur donnant des maux moraux, défauts ou vices, comme les microbes pathogènes engendrent des maladies physiques sans que le malade qu'ils souillent puisse s’en préserver et même s’en douter au début.

Ainsi les Merinä ne mettent pas en doute, ou du moins ne mettaient pas en doute Jusque tout récemment, que «pousser des cris de Joie en voyant du lait qui est sur le feu monter et s'épandre en dehors de la marmite prédispose une femme au libertinage » |manakora ronono man- droatra raha vehivavy musinta-dava |, que le «mari ou la femme qui se regardent en riant dans un miroir commettront forcément l’adultère » [mhomehy mizaha fitaratra alain’olom-bady|, que +perd tout courage et devient lâche celui qui aura pris son repas dans une marmite a bouilli de l'écorce de l'arbre natÿ (écorce d'où l'on retire une teinture rouge)» [mihinana aminny vilany manatoana, mataho-basy aman-defona (fait craindre les fusils et les sagayes)], que «manger du sokinü, du hé- risson, rend les andrianä (les nobles) stupides» | homan-tsokina manadala andriana |, etc.

IV. Écoïsur, PATRIOTISME. Les Malgaches, comme tous les primitifs, sont foncièrement époiïstes, et 1l ne peut en être autrement"; l'époisme est en effet une forme de la «lutte pour la vie» à laquelle tout être dans une société primitive est condamné par la force même des choses, non pas un époisme individuel comme nous le comprenons, car dans ces sociétés l'individu n’a pas la place privilépiée qu'il occupe dans les nôtres, mais un égoisme familial, un égoïsme de clan ; c'est en effet la famille, le clan, c'est-à-dire, suivant l'expression de Joseph de Maistre, «l'association sur un même sol des vivants avec les morts et avec ceux qui naitront», et non l'individu pris isolément, qu'il importe de protéger, de sauve-

9) Si les Malgaches sont égoïstes, ils lion appropriée, susceptibles d'abnégation

n'en sont pas moins hospitaliers et n'ad- mettent pas qu'on garde pour soi seul sa maison, son manger et sa boisson. Il y en a méme, comme les Merinä et les Betsileo, qui sont, lorsqu'ils ont reçu une éduca-

ETHNOGRAPHIE.

et de dévouement. Il y a, du reste, dès long- temps une sentence merinä qui blâme l’é- goïsme : Tsy mety raha manao ny tiako no ahy [Il n'est pas bien de dire : je prends ce que jaime le mieux |.

6

INPRIMEIIE NATIONALE,

42 MADAGASCAR.

garder : cet égoisme est une forme rudimentaire du patriotisme. Et, en effet, les Malgaches sont de bons patriotes ; tous ont un amour profond, il faut même dire un culte pour leur village natal, pour les lieux sont enterrés leurs ancêtres : lorsqu'ils sont en voyage, lorsqu'une dure néces- sité les arrache au berceau de leur famille, ils y pensent toujours : Akan- galahy an kova : ny tenako be no any, fa ny sanko aly aminao hiany | Je suis absent de corps, mais présent d'esprit; j'ai beau être au loin, ma pensée et mon cœur sont toujours avec les miens], ne cessent de répéter les Merinä envoyés en mission hors de leur pays.

On ne peut qu'admirer et louer cet amour du pays natal et de leur famille ou plutôt de leur clan, qu'ont tous les Malgaches; certes on ne trouve point chez eux de ces actes de dévouement, de ces traits d'héroïsme dont est pleine l'histoire des peuples européens, ils ne sont nullement épris d'idéal aux dépens de la réalité, et il n'entre pas dans leur concept qu'il est beau de se dévouer pour autrui et qu'il est bon de chercher la satisfaction de ses actes en soi-même, ce qui implique une mentalité

religieuse qui n’a pas été Jusqu'à ce Jour la leur : mais leur résignation

0) Depuis qu'Andrianampoinimerinä a les Betsileo d'Ifandananä, lorsqu'ils furent

constitué au centre de Madagascar un État puissant, ce sentiment de patriolisme s’est développé : Raha üty tany ity mba ahafahana iray dia! Matesa ny ho faty! vereza ny ho very ! disaient depuis lors les Merinä | Que celui qui osera prendre, füt-ce un pied carré de notre pays, meure, qu'il soit damné! |.

® Ellis raconte que le chef de Vangain- dranë, Rabedokä, et les principaux nobles antisakä, ayant été vaincus par Radamä [”, ont préféré, avec un admirable enthou-

siasme, mourir que se soumeltre (Hist. of 2

Madagascar, 1838, t. Il, p. 367). On peut

encore citer la ronde infernale qu'ont dansée

assiégés, vers 1812, par les troupes de Radamä ["() (RR. PP. Asrnaz et DE La Vussière, Vingt ans à Madagascar, p. 103). François Martin dit que, «accompagnant en 1664 avec trente Français une armée de h,000 Betsimisarakä de Fénerive (pour aller piller l'Antsihanakä), il a été étonné de l'au- dace, du courage, du patriotisme des Siha- nakä, qui mirent le feu à leurs villages pour que l'ennemi ne püt s'en emparer et pour l'affamer, et qui réussirent à le repousser» (Mémoire sur l'établissement des Colonies françaises aux Indes Orientales, 1667, Ms. des Arch. nationales, et Copie in Bibl. Gran- didier, p. 239 et suiv.).

Le blocus rigoureux du rocher sur lequel était bâti Ifandananä y ayant amené promptement la famine, ses habitants se virent obligés de choisir entre les tortures de la faim et la soumission à Radamä; ils préférèrent se donner la mort, et, s’approchant par groupes nombreux des bords du précipice qui entourait leur ville, 1ls se bandèrent les yeux et commencèrent, sous les yeux des assiégeants, avec accompagnement de chants et de cris effroyables, une ronde qui se termina par une chute en masse dans labime.

ETHNOGRAPHIE. 43

à la destinée est remarquable; ils acceptent avec sérénité les coups du sort (), se résionent sans grande peine morale à ce à quoi ils se sentent incapables de résister : ne plus être les maîtres, peu leur importe, mais ils ont la nostaloie de leur «home », et rester dans leur pays, dans les lieux sont ensevelis leurs ancêtres, ils veulent par-dessus tout être ense- velis eux-mêmes, est leur suprême désir : « toutes les pensées des esclaves malgaches vendus aux colons des îles de France et de Bourbon sont concentrées sur le moyen de retourner dans leur pays”; «ce n'est pas, dit le D'Foullioy en 1818, tant l'esclavage lui-même que d'être ex- patriés qui leur est dur et pénible; ils se laissent aller au désespoir et au découragement, et en tombent souvent gravement malades». Le désir de regagner Madagascar les poussait aux tentatives les plus auda- cieuses, aux actes les plus désespérés : ils s’enfuyaient dans la forêt et les montagnes, et, quand ils trouvaient un canot ou quelque barque sur la eôte, ils s'en emparaient et partaient en mer, faisant preuve d’une rare audace ainsi que d'adresse et d’agilité ; d’autres fois, 1ls con- struisaient une pirogue avec le tronc d'un grand arbre et, avec elle,

%) Même les plus terribles. Lorsqu'ils sont pris et condamnés, ils meurent digne- ment, sans larmes ni récriminalions; lors- qu'ils sont réduits en esclavage, lorsqu'ils sont mis aux fers, jamais il ne sort de leur bouche un mot de reproche, un mot de désapprobation contre la sentence qui a été rendue contre eux (*).

@) Grant, History of Mauritius, lettre IX,

gascar, t. V, p. 229.— Les Cafres n’ont pas le même amour de leur pays et de la liberté que les Malgaches et n'ont pas la même propension à déserter (Amiral Kewpewrecr, 178, Coll. des Ouvr. anc. Madagascar, t. V, p- 316).

(1 Essai physico-médical sur l'île de Ma- dagascar, par le D’ L. Fouzuioy, chirurgien- major du «Golo», Manuscrit des Archives

1749, p. 297, et Coll. des Ouvr. anc. Mada- coloniales, Corresp. Madagascar, carton XI.

() L'un de nous, en passant par Fianarantsoa, y a vu deux nobles Merinä, jadis très riches et alors simples soldats, Andriamarosatä et Andriamandrosé, qui lui ont dit : «On nous a mis ce fusil entre les mains et on ne nous a laissé qu'un seul esclave pour nous servir! La Reine et le Premier Ministre l'ont voulu ainsi! tout est donc bien! que la Reine ait une vie longue et heureuse!», se soumettant sans murmurer à la volonté de leur souverain comme les croyants se soumettent à la volonté de Dieu. Car les Malgaches n'attribuent pas au hasard les événements heureux ou maïheureux qui leur arrivent : tout événe- ment, fout acte est la conséquence de leur vintanü, ou destin, qui est réglé par l'heure, le jour, le mois de leur naissance ; cetle influence du destin sur toute leur vie est considérée par eux comme la chose la plus certaine du monde, aussi acceptent-ils avec une résignation passive aussi bien les joies que les douleurs, par suite de l'impossibilité ils se trouvent de lutler contre cet inexorable destin dont les arrêts sont irrévo- cables. « Anjaranay!» , c'est notre lot (d’être corvéables à merci)! disent les Betsimisarakä , qui supportent sans se plaindre et sans se révolter les mauvais traitements, les exactions, les corvées excessives auxquelles les soumettent les officiers merinä.

6.

un MADAGASCAR.

tentaient au hasard, sans boussole, sans carte, la traversée des cent lieues qui les séparaient de Madagascar ; beaucoup périssaient en cours de route, mais quelques-uns finissaient par atteindre leur île bien-aimée ©. L'historien de la Colonie du Cap de Bonne-Espérance, Me Theal, dit qu'un quart et même un lers des esclaves malgaches emmenés au Cap (qui se savaient enlevés pour toujours à leur pays natal) mouraient pen- dant la traversée, et un tiers, sinon la moitié de ceux mis à terre, péris- saient de désespoir (et aussi en partie, disons-le, par suite du change- ment de vie, de traitement et de climat)» ©).

Rien de plus touchant que l'amour des Merinä pour leur pays : quand ils sont envoyés en mission au loin, ils doivent peut-être rester toute leur vie, ou bien quand ils partent pour un long, voyage, ils emportent souvent avec eux une pincée de la terre sur laquelle s'élève leur case ou un fragment de pierre détaché de leur tombeau de famille, qu'ils aiment à contempler en souvenir de leur village. Peu leur importe et comment ils vivent, mais mourir au pays natal est un de leurs plus chers désirs : l’un de nous a été accompagné de la côte Nord-Ouest à Tananarive par une pauvre vieille femme plus que septuagénaire, usée par le travail et la maladie, qui a affronté sans ressources ce long et très pénible voyage de plusieurs centaines de kilomètres pour mourir auprès de la tombe des siens, craignant que ceux-ci, pauvres et misérables, ne pussent venir chercher si loin sa dépouille mortelle pour linhumer avec eux.

(1) Losqu'ils ne pouvaient {ous prendre 1 Omby mülela-bato, fa manina ny tany place dans le canot, on a prétendu qu'ils na- onenana [litt. : Les bœufs aiment mieux se geaient à tour de rôle pendant le voyage (*). contenter de lécher les pierres de leur pays,

®) Grant, History of Mauritius, lettre IX, quand même il n'y a plus d'herbe, que de p.297, et Coll. Ouvr.anc. Madag.,t.V,p.229. le quitter], c’est-à-dire : l'amour du pays

8) Le Commerce d'Esclaves en 1765 natal est tel qu'on supporte tout, malheurs, (Me Turaz, History of South Africa, p. 150, tristesses et injustices, plutôt que de l’aban- et Coll. Ouvr. anc. Madag.,t.N, p. 310-311). donner.

Quoique en venant de Madagascar aux iles de France ou de Bourbon il soit nécessaire, afin de rallier le vent», de faire un grand détour, 1ls se rendaient compte d’instinct que leur pays n’étail pas aussi loin que la longueur du voyage semblait l'indiquer, et, étendant la main dans la direction de leur île, ils s’écriaient dans leur jargon : «ça blanc là, li beaucoup malin, li courir beaucoup dans la mer là-haut (en montrant le Nord), mais Madagascar li (en se tournant vers l'Ouest)»; et en effet, à cause des vents dominants et des courants, les navires à voiles courent d’abord des bordées vers le Nord pour ne pas dévaler trop dans le Sud, d'où ils ne pourraient plus ensuite facilement remonter.

ETHNOGRAPHIE. 45

En 1887, Rajoelson, petit-fils du Premier Ministre Rainilaiarivonÿ, est venu à Paris et a répondu fièrement à un journaliste qui lui demandait s'il aimait Paris et ne se sentait pas un peu Français : « Français, non! Mon pays est, il est vrai, sous la protection de la France, mais nous sommes maloré tout Malgaches, et tels nous resterons si Dieu le permet. » Ce sentiment, très louable, a existé à des degrés divers chez toutes les peuplades de Madagascar.

V. Auour LA ramizze. Le sentiment ou l'amour de la famille, base de leur patriotisme, est très développé chez les Malgaches, qui ont non seulement de l’aflection pour leurs enfants et un grand res- pect pour l'aîné ou le chef, le «prêtre» de la famille, mais surtout de la vénération, on peut presque dire de l'adoration pour leurs ancêtres, comme nous l’exposerons aux chapitres de la Constitution de la famille et de la Religion. Ce n’est pas qu'il y ait, entre parents et enfants maloaches, de ces élans de tendresse, de ces eflusions de cœur, de ces démonstrations extérieures d'amour dont nous sommes coutumiers: les relations entre membres d’une même famille sont douces, affectueuses même, mais en réalité froides : toutefois, si l’un d'eux a été réduit à l'esclavage à la suite d’une guerre ou pour une faute, ses parents font les plus grands sacrifices pour le racheter (; lorsqu'un des membres de la famille est malade, ils n'hésitent pas à faire de longs trajets pour aller le visiter; au retour d’une expédition lointaine, les parents des soldats viennént à leur rencontre, souvent fort loin, et, en les retrouvant, ils échangent des saluts cordiaux, les embrassent (en les flairant), leur massent les pieds, ete., et, si on leur apprend la mort de l'un d'eux, ils dénouent leurs cheveux en poussant des gémissements et des lamentations.

Leur amour pour leurs enfants ne les empêche pas cependant, ou plutôt ne les empéchait pas Jusqu'encore tout récemment, de payer tribut aux croyances superstitieuses de leur elan en se débarrassant de ceux nés à certains jours réputés néfastes.

() Les Zanakantiträ, clan d'Ambodiranë, sont réputés pour leur union; ils se sou- tiennent les uns les autres envers et contre tous.

A6 MADAGASCAR.

En réalité, les cordes sentimentales vibrent autrement en eux qu'en nous.

VI. MoraziTÉ, HONNËTETÉ, FRANCHISE, MÉFIANCE. Les facultés mentales l'emportent de beaucoup chez les Malgaches sur les qualités morales, car, ainsi qu'on l'a dit, «il est difieile à l'égoïste d'être moral»; aussi les Malgaches qui, comme tous les primitifs, sont égoistes, ne songent-ils guère aux biens moraux et les ont-ils en piètre estime; dans leurs souhaits, dans leurs prières, 1l n'est question que de biens matériels et physiques, de richesse, de puissance, de protection contre les dangers et les maladies et aussi contre les esprits malins.

Les membres d'une famille, d'un clan, sont généralement bons et honnêtes entre eux!, ainsi momentanément qu'avec leurs hôtes®); mais il n'en est pas de même dans les relations entre Malgaches de familles, de clans différents, entre lesquels n'existent aucun lien, nulle solidarité : il ne leur importe plus d’être bons et honnêtes, de suivre les purs principes de la morale W); la rouerie remplace la moralité familiale et le mensonge est à leurs yeux une arme utile et salutaire : dès le plus jeune âge, les

0) La confiance qui régnait parmi eux était telle, qu'ils laissaient leurs maisons ouvertes, se contentant de mettre un mor- ceau de bambou ou tout autre signe devant la porte lorsqu'ils s'absentaient, ce qui suffisait à empêcher qui que ce füt d'y entrer. Si cependant quelqu'un d’entre eux, le plus généralement quelque esclave, cédant à la tentation, commettait un lar- cin, on ne cherchait point tout d'abord à démasquer le coupable, et la coutume était de donner à tous connaissance du fait et à inviter les habitants de la maison, ainsi que les voisins. à apporter chacun une petite botte d'herbe de forme et de grandeur déterminées, grâce à quoi le coupable, sachant son larcin découvert, pouvait res- lituer l'objet volé sans avoir à se faire con- naître et à subir une fâächeuse humiliation. À tout péché miséricorde, pensaient-ils!

® En voici un remarquable exemple:

«Le baron de Clugny, commandant de la corvetle l'Ambulante, qui venait souvent à Foulpointe au milieu du xvin° siècle, Y ayant été victime d’un vol important et s'étant plaint au chef, celui-ci lui promit de lui faire restituer les objets volés et de lui livrer le voleur. Or le voleur était un de ses proches parents. Fidèle à sa pro- messe, le chef le remit entre les mains du baron de Clugny, qui, touché de cet acte de probité, renvoya le coupable sans le punir; à son retour à terre, son parent le fit sagayer» (De Varcwx, Mémoires pour servir à l'Histoire de Madagascar, 1768, Manuscrit de la Bibl. du Mus. d'Hist. naturelle de Paris et Copie Bibl. Grandidier, p. 79-81).

(5) Aussi at-il été recommandé aux offi- ciers et aux entrepreneurs de ne pas réunir sur un même chantier des individus de clans opposés (Journal of. Madagascar, 16 août 1898).

ETHNOGRAPHIE. 47

enfants apprennent à tromper et à mentir en voyant ce qui se passe autour d'eux, et, lorsqu'ils ont l'âge d'homme, ils mettent toute leur intelligence à imiter leurs ainés.

Depuis que, sous l'autorité de chefs ambitieux et entreprenants, il s'est formé des groupements de plusieurs familles, de plusieurs clans, les rapports entre les gens d'un même groupement, d'un même État, quoique de familles, de clans différents, se sont améliorés, se sont adoucis ; toute- fois, s'ils se montraient honnêtes les uns vis-à-vis des autres, c’est-à-dire, sils s’'abstenaient de faire ce qui pouvait nuire à leurs concitoyens, ce n'était pas, comme dans leurs rapports entre parents, poussés par le sen- üment du bien et du mal, par leur conscience, mais dans la crainte d’une punition : bien que sachant par exemple qu'il ne faut pas voler, s'ils pen- saient, à l'aide de ruses et de mensonges, pouvoir cacher un larein, un méfait, ils n'hésitaient pas, ne s'inquiétant nullement du tort qu'ils fai- saent à autrui; car, dès quil ne s'agissait pas de membres de leur famille, ils n'avaient, du moment que l'impunité leur était assurée iei- bas, aucun remords), aucune crainte d’un châtiment à venir dans l’autre monde. Mais si un voleur habile était l'objet de l'admiration de ses proches, aucune peine n'était assez forte pour celui qui se laissait prendre ; 1l était le plus souvent mis à mort, à moins qu'il ne pût payer une forte amende : quels que fussent les moyens employés, on ne blâmait que linsuccès, et encore quand il s'agissait de petites gens, car, dit un proverbe merinä, Fanafodin ny osa, ny marina no atao [Il n'y a pas de meilleure panacée pour les petites gens que de suivre le droit chemin |.

Dans leurs rapports avec les Européens, les Malgaches se sont toujours montrés méfants:; la méfiance était en effet un sentiment fort naturel chez des gens simples, ignorants et superstitieux, que des individus dif- férents d'eux d'aspect, de mœurs et de civilisation ne pouvaient qu'étonner

1) C'est-à-dire aucun blâme à craindre de la part de leurs ancêtres (‘).

I] parait cependant que le remords n'était pas inconnu à tous les Merinä, si l’on en croit le dicton sui- vant: Mitohy kapila manenina [Enler des calebasses fait naître des regrets, des remords]; il est vrai que ces remords n'étaient pas le fruit spontané d’une conscience plus délicate que celle des autres Malgaches, ni le résultat de la faute, mais tout simplement d’un acte plus ou moins volontaire, n'ayant aucun rapport avec la faute, objet du remords.

48 MADAGASCAR.

et effrayer; mais même les plus sauvages, dès qu'ils connaissaient et avaient pu juger les nouveaux venus, si l'impression était bonne, pre- naient confiance et venaient à eux comme à leur ray aman-drenÿ, à «leur père et à leur mère».

VIL. Bonré, pouceur, cuariré, pévouemenT. Nous avons dit que les Malgaches étaient généralement bons et doux : 1ls aiment en effet à se rendre mutuellement service et ils prennent part aux joies comme aux tristesses les uns des autres, car, selon un de leurs proverbes : Akanga be tsy vaky nw'amboa | Les chiens n'arrivent pas à disperser une bande de pintades (c'est-à-dire, l'union fait la force) |; les veuves, les infirmes pauvres ou dépourvus de famille sont sous la protection de la collectivité"); les passants peuvent à leur gré, pour rassasier leur faim, cueillir les fruits des champs, déterrer du manioc, ete., et, «si l'on donne quelque chose à un enfant, il en fait part aussitôt à tous ceux qui sont avec lui»®. Les maitres traitent leurs esclaves avec douceur : Andevo tompoi-manompo | Le maitre doit traiter son esclave comme lui-même |, dit un proverbe merinä, et il est certain que les esclaves ont toujours eu à Madagascar une vie douce et facile.

Quand Andrianampoinimerinä eut réuni sous son autorité un grand nombre de clans, de petits fiefs, et constitué le royaume d'Imerinä, il chercha à développer entre tous les habitants de son royaume cet esprit de solidarité qui régnait de temps immémorial entre les membres de chaque clan; 1l fit de nombreuses proclamations, de nombreux ka- barÿ, pour recommander à ses sujets de vivre en bonne intelligence, en bon accord les uns avec les autres, et il précha la charité envers

0) «De grâce, pitié pour les pauvres!» (Recommandations d'Andrianampoinime- rinä à son premier conseiller Hagamaintÿ à la fin du xvrn siècle, P. Cazzer, Tantaran'ny Andriana). Chez les Merinà, il était de règle qu'une sépulture décente fût assurée aux malheureux aux frais de la communauté.

@) Abbé Bourpaise, 1654, Mém. Conprép.

de la Mission, t. IX, p. 200.

% Si ce proverbe conseille d’user de bons procédés envers ses esclaves et s'il y en à d’autres analogues qui recommandent de ne pas être dur à leur égard, il en est qui mettent les maîtres en garde contre une faiblesse excessive qui les rendrait in- solents, car Andevo tsy mba namana | Les es- claves ne sont pas des camarades (il ne faut pas se fier à eux) |.

ETHNOGRAPHIE. re)

« Entr'aidez-vous les uns les autres... Lorsque vous aurez fait tuer des bœufs en remerciement de l’aide que

les pauvres et les déshérités 0) :

vos voisins et vos amis vous auront donnée pour construire votre maison ou pour édifier votre tombeau de famille, il y aura parmi eux des femmes et des enfants, des veuves et des orphelins; n'oubliez personne et que les morceaux soient égaux pour tous : quand chacun a fait ce qu'il a pu, il ne faut pas qu'il y en ait qui s’arrogent des parts plus grandes sous le prétexte qu'ils sont plus forts » ©.

Les premiers missionnaires anglais venus à Tananarive au commen- cement du xx° siècle ont reconnu que, même avant l'introduction du christianisme, les Merinä + donnaient aux malades des soins affectueux et s’efforçaient de soulager leurs maux»); tandis que les uns s'em- pressaient d'aller consulter l'ombiasÿ, le devin-médecin, d’autres s'oc- cupaient de les soigner et de leur procurer de la nourriture. Îls sont très dévoués entre parents, et nous avons connu un frère qui n'a pas hésité à retarder son mariage jusqu'à ce qu'il eût économisé franc par franc de quoi racheter sa sœur réduite en esclavage”. IT faut dire toutefois que les Merinä comme tous les Malgaches, dans leurs actes charitables, sont mus par l'amour de la famille, par la solidarité familiale, plutôt que par pure humanité : la preuve en est qu'ils ne témoignent pas de compassion à leurs subordonnés : quand, pendant les manœuvres ou les exercices, on signalait aux officiers qu'un de leurs sol- dats était malade, ils ne voulaient rien écouter, prétendant que c'était une frime, et si le soldat mourait peu après : Anjarany ! [C'était sa destinée! |, disaient-ils sans plus s’en occuper; on cite même un pauvre épileptique ayant succombé sous les coups qu'on lui donna pour le faire lever: Marary tokoa! [H était vraiment malade! }, conclut-on froidement.

0) Fady ny mandatsa vorona azo sy ny manao fitoerana ifandatsana | On ne doit pas insulter l'oiseau qui est en cage et l’on doit éviter de se mépriser réciproquement], et Tsy mety ny manao : tsindrio, fa resy [On ne doit pas dire : frappez, car il est à bas, il est vaincu |.

ETUNOGRADPIIE.

@) Juurex, Les Institutions politiques et so- ciales de Madagascar, t. 1, 1908, p. 329 et 330-391.

(3) Ecus, History of Madagascar, 1838, t. [, chap. var et 1x.

() Ellis cite plusieurs faits analogues dans son History of Madagascar (1835).

7

IMPRIMENIE NATIONALE.

50 MADAGASCAR.

Tous les Malgaches viennent en aide aux familles de leur voisinage ve- nant de perdre un de leurs membres; il est vrai que les cérémonies funé- raires sont accompagnées d'agapes copieuses qui les payent de leurs peines.

Les peuplades de l'Est et du Gentre sont toutefois plus douces, meil- leures que celles de l'Ouest et surtout que celles du Sud; et les Merinä, qui sont, il est vrai, les plus civilisés de tous les Malgaches, prisent fort les qualités morales : Ambarivalry an'tany mena ka mavomavo hiany, fa tiany ny landy | L'ambrevate qui pousse dans une terre argileuse n’est pas beau, les vers à soie n'en aiment pas moins les feuilles (on a beau ne pas payer de mine, on est aimé el apprécié quand on a de bonnes qualités)], dit un de leurs proverbes; d’autres, non moins suggestifs, que nous avons déjà cités, proclament qu'un bon caractère vaut mieux qu'un beau visage : Tarehy tsy mahaleo fanahy et Ny hatsaram-panahy no ravaky ny vehivavy [Un caractère aimable est la plus belle parure d’une femme |.

Si les femmes malgaches sont en général douces et travailleuses, ce sont les femmes merinä et surtout les femmes betsimisarakä qui sont les plus affables, les plus attachantes : + La prande douceur et l’affabilité des femmes betsimisarakä, écrit en 1761 Le Gentil"), les font rechercher des Européens, et l'attachement qu'elles ont pour eux est singulier et si fort, qu'il est à l'épreuve de tout»®); Modave dit «qu'elles sont capables de tendresse et qu'elles entrent sans partage dans les intérêts de leurs époux»); d'après Rochon!", «leur caractère vif, enjoué, éval, plaît sin- gulérement aux Européens»; Mayeur reconnait «qu’elles méritent l’es- üme, prenant un grand soin des affaires et des intérêts de leurs maris blancs, les soignant avec dévouement dans leurs maladies, tenant leur maison avec ordre, et leur étant en réalité attachées, fidèles, affection- nées». En effet, elles savent aimer», suivant l'expression de La Marti-

0) Voyage dans les mers de l'Inde (1760- surprendre ainsi que ses compagnons pen- 1771), t. Il, p. 559. dant la nuit pour les tuer et les piller, ac- ®) On raconte qu’en 1695 une femme courut en toute hâte de fort loin pour le betsimisarakä, vivant avec un de ces pirates prévenir et le sauver. qui avaient comme base d'opérations la 5) Archives coloniales, 1767. côte Nord-Est de Madagascar, apprenant (0 Voyage à Madagascar, au Maroc et aux qu'un parti de Malgaches devait venir le Indes (1768), t. I, p. 37.

ETHNOGRAPHIE. 51

nière (1), et elles sont propres, coquettes, adroites; elles tiennent bien

leur ménage et sont relativement fidèles aux blancs avec lesquels elles vivent; elles leur sont dévouées et défendent leurs intérêts avec intel- ligence : aussi les traitants établis à Madagascar préfèrent-ils la femme betsimisarakà à toute autre.

Les femmes merinä sont aussi d'un commerce fort agréable, et leur patience, leur douceur, leur amabilité sont dignes d'éloges; les infirmières sont sous ces divers rapports supérieures à celles de nos pays, et les ser- vantes que les Européens ont prises pour soigner leurs enfants se sont pour la plupart montrées fidèles, soigneuses, tendres et affectionnées (). Du reste si, comme l’on dit, les proverbes, les dictons sont l'image spon- tanée de l'âme d’un peuple, en établissent la psychologie, 1 est certain que l'idée de charité, d'indulgence et de bienveillance pour leur prochain est innée dans l'esprit des Malgaches; ils n'admettaient pas qu'on se mo- quât des infirmités ou que l'on rit des accidents d'autrui : Mihomehy 1sy tonga volana, tsy tonga volana ny zanany | Celle qui se moquera d’une femme qui aura avorté, avortera |; Mihomehy sima, na zaza ralsy, na moana, na mondry, na marenina, na adala, no folsy maso, na zaza-sampona, etc., mahasima ny zaza, manahaka aniny ny zaza, mahamoana ny zaza, maha- mondry ny zaza, maharenina ny zaza, mahadala ny zaza, fotsy maso ny zanany, sampona ny zanany, ete. [Si vous vous moquez d'un enfant qui a un bec-de-lièvre ou qui est difforme, qui est muet, qui a les doigts ron- sés par la lèpre, qui est sourd, ou fou, ou aveugle, ou monstrueux, ete., vous aurez un enfant ayant ces mêmes défauts, ces mêmes maladies | Tsy miteny boka hoe : mahantra, fa mavoun-tena, mahaboka [Ne dites pas à un lépreux, sous peine de devenir lépreux vous-même : homme vil et méprisable, mais plaignez un pauvre malheureux qui est digne de com- passion |; Mandrora raha malata olona voan'ny anakandroana, ifindrany

) Grand Dictionnaire géographique, histo- fonctions et sont capables d’en assumer les rique, elc., 1741, p. 12. responsabilités. »

2) Medical Mission Report, 1890 : +Beau- (Rev. J. Pranse, Women in Madagas- coup plus patientes et plus douces que les car, Antananarivo Annual, 1899, p. 266. -nurses» anglaises, les infirmières merinà (4) H. J. Srannixé, Les Fady Malgaches,

remplissent fort bien les devoirs de leurs Bull. Acad. Malg., 1904, p. 125 et 127.

7:

52 MADAGASCAR.

[Ne crachez pas (de dégoût) en voyant quelqu'un rongé d’ulcères, ou vous prendrez son horrible maladie]; Mhomehy lavo, mahapotraka tlay mihomehy koa [Ne riez pas en voyant quelqu'un tomber, ou vous tom- berez vous-même |, etc.

Toutefois, malgré leur bonté native, les Malgaches devenaient cruels lorsqu'ils étaient mus par des superstitions issues de la peur ou par l'in- térêt; on leur a souvent reproché non seulement d'assister insensibles aux supplices des gens condamnés par le tanghin, mais d'y prêter les mains avec plaisir", d'où l’on a conclu à un manque total de sensibilité; il y a lieu d'observer que ces suppliciés étaient à leurs yeux des sorciers, des êtres maudits qui n'ont plus droit même à la pitié de leurs parents. Ils étaient également cruels envers les voleurs de bœufs qu'ils prenaient en flagrant délit®, et, dans leurs guerres, ils ne faisaient de quartier à personne, pas même aux femmes et aux enfants qu'ils massacraient sans pitié ou réduisaient à l'esclavage.

La reconnaissance n'est pas un sentiment commun à Madagascar ; la plupart des Malgaches n'en témoignent pas et, du reste, n’en ont pas pour les dons gracieux qu'on leur fait, ni pour les services qu'on leur rend, si grands qu'ils soient, ce qui est naturel, puisque c'était écrit dans le livre du Destin! Ils n'ont pas d’ailleurs une compréhension nette du vrai dés- intéressement, de la générosité, de la loyauté : leurs actes sont presque

0) Laissant les enfants s'amuser à jeter des pierres aux cadavres des suppliciés (*). ® Certains rois d'origine arabe ou in- dienne, notamment chez les Antanosÿ et chez les Sakalavä, se sont montrés cruels

du xix° siècle, ZomanerŸ, le grand roi des Antanosÿ émigrés, ef Vinanÿ, le roi des Sakalavä du Ménabé, ont ouvert le ventre de femmes enceintes par curiosité scienti- fique (!), pour se rendre compte de la posi-

dans le seul but de s'amuser : au milieu tion du fœtus. -

Frappaz raconte que les sujets d’un roi antanosÿ ont mis à mort un ombiasÿ ou sorcier-médecin qui n'avait pas su le guérir, l’accusant de l'avoir tué par ses sortilèges, et ont écrasé contre un rocher la Lête de ses deux enfants encore à la mamelle (Archives nationales, 1818). Lorsque l’un de nous se trouvait en rade de Manambondrô, sur la côte Sud-Est, un ombiasÿ renommé, auquel le chef avait donné l’ordre de calmer la tempête qui empêchait le capitaine du navire d'envoyer des embarcations à terre pour y faire le commerce, et qui malgré tous ses sortilèges ne réussit pas naturellement à calmer les vents ni la mer, fut lapidé comme coupable d'entretenir volontairement le mauvais temps : hommes, femmes et enfants le poursuivirent, le traquant comme une bête fauve à travers les halliers qui couvrent cette côte; c'était un spectacle dramatique et attristant de voir cette meute d'êtres humains courant en hurlant après ce malheureux sorcier tout ensan- glanté, auquel ils ne cessaient de jeter des pierres et, à la fin, criant un sauvage hallali, lorsque, réduit aux abois, il finit par succomber.

ETHNOGRAPHIE. 53

toujours régis par des pensées de lucre. Cependant, chez les peuplades agricoles de l'Est et du Centre, ce sentiment n’est pas tout à fait inconnu; ainsi De Valony raconte qu'étant à Sainte-Marie il achetait des es- claves pour le Gouvernement de l'île Bourbon, il reçut un message d’un chef de la + Grande Terre», du chef d’Anarivô, l’avertissant qu’on venait de voler deux enfants d'un de ses parents et le suppliant, si on les lui amenait, de les acheter et de l'en prévenir; en effet, on les amena à De Valony qui les paya 15 piastres chacun et le fit savoir au chef; celui-ci accourut aussitôt avec le père des enfants, qui se jeta avec eux à ses genoux , le remerciant de les avoir sauvés et lui offrant en échange quatre esclaves; De Valony ne voulut pas accepter plus que les 30 piastres qu'il avait déboursées: il reçut en outre, en témoignage de reconnaissance, une pirogue pleine de volailles, de riz et de fruits ®. Le Rév. J. H. Haïle a constaté que, si certains Betsileo ne se montraient pas reconnaissants des soins médicaux que leur donnaient les missionnaires, il y en avait au contraire qui les appréciaient fort et leur en témoignaient de la grati- tude®. Quant aux Merinä, ils ont divers aphorismes, diverses sentences recommandant la reconnaissance : Ariano ny vilanin-hena vaky, fa namela [Ne jetez pas la marmite dans laquelle vous aviez coutume de cuire votre viande quand elle est cassée, car elle vous a été utile |; Aza mutsipa-doha- laka-nitana [Ne repoussez pas du pied la pirogue grâce à laquelle vous avez pu traverser la rivière |; Akoho minon-drano, ny be azo iandranandra- nana, ny kely azo tandranandranana | Qu'une poule boive peu ou beau- coup d’eau, elle lève toujours la tête vers le ciel (que vous receviez peu ou beaucoup, vous devez toujours être reconnaissant)|, etc.; mais 1l faut avouer que, s'ils ont de si belles sentences, ils ne les mettent ouère en pratique.

VIT. Torérance. Les Malgaches sont tolérants : le chef d’Anta- fiambé dans lAnkaranä, Derimanÿ, répondait aux missionnaires qui cherchaient à le convertir : « Vous me dites que Je suis dans l'erreur,

® Mémoire pour servir à l'Histoire de Muséum et Copie Bibl. Grandidier, p. 80-81. Madagascar, 1768, Manuscrits de la Bibl. du ® Antananarivo Annual, 1900, p. 4oë.

5! MADAGASCAR.

c'est possible, et peut-être mes enfants apprendront-ils des choses que j'ignore : mais moi, Je suis trop vieux pour changer d'idées, et ce que J'ai appris me suflit. »

IX. Socumirré, poitesse. Les Malgaches sont éminemment so- ciables ) : ils vivent, ou tout au moins ils ont l'air de vivre en bonne intel- ligence les uns avec les autres, car on entend peu de discussions et l’on ne voit guère de rixes. [ls aiment à se réunir en assemblées, en kabarÿ, pour traiter des affaires de la communauté ou simplement pour causer de choses et d’autres, car ils sont bavards ® et parlent avec volubilité et animation: quand ils sont plusieurs, ils ne savent pas garder le silence, 1ls ne cessent de rire, de plaisanter, et cependant leurs conversations sont rien moins que plaisantes et spirituelles : ils ne parlent d'ordinaire que d'argent ou de sujets indécents et même obscènes, répétant indéfiniment la même phrase. Il y a cependant parmi eux beaucoup d'individus au cerveau fertile et à la langue déliée, qui sont fort diserts et s'expriment avec facilité et élégance.

Ils sont avenants et polis: leur politesse est même, chez les Merinä surtout, d'une extrême obséquiosité : le Rév. J. Mullens raconte le fait sui- vant : allant de Tananarive à Majunga, il hésita à Mevatananä entre la route de terre et la route par eau, et demanda à ce sujet conseil au gou- verneur de ce poste. Le souverneur commença par se consulter avec les officiers sous ses ordres; après une discussion qui fut fort longue, 1l lui ünt le langage suivant : +Si vous descendez le fleuve en pirogue, ce sera très bien, mais si vous aimez mieux aller par terre, ce sera également très bien; c'est ce que vous préférerez que nous préférerons, c'est ce qui vous plaira et vous agréera qui nous plaira et nous agréera. »

X. Ivnozence, paresse. Les Malgaches sont indolents, on peut même Q) Les Betsimisarakä sont les plus so- d'un indigène, Antananar. Annual, 1898, ciables des Malgaches : « Quand un Betsi- p.215). misarakà fait une plantation quelconque, ) Les femmes ne sont pas moins ba-

elle appartient, d'après les usages, non pas vardes que les hommes, comme le montre à lui seul, mais à tous les membres de l'expression kabarim-behivavÿ [palabre de fem- son clan, et, s'il venait à empêcher ceux-ci mes] qui signifie +une discussion sans fin»; d'y toucher, on le considérerait comme un on dit aussi, d’ailleurs dans le même sens: méchant homme et on le honnirait» (Récit kabarin-tsahonà | palabre de grenouilles |.

ETHNOGRAPHIE. 55

dire paresseux, et cette indolence, cette paresse sont aussi bien physiques qu'intellectuelles ; ils ne cherchent en effet qu'à satisfaire leurs besoins immédiats avec le moins d'efforts possible. Une de leurs occupations favo- rites est, comme ils disent dans leur langue, de nupetralkä (d'être assis, d'être tranquilles), c'est-à-dire de muser, de rester pendant des heures accroupis ou étendus devant leur porte ou en un lieu quelconque, lais- sant passer le temps sans penser à rien, ou, s'ils sont plusieurs, causant de choses et d’autres, de futilités et de bagatelles : c’est, dit le lieutenant Martonne, «leur occupation préférée, leur occupation nationale >",

Font exception les Merinä, les Antimoronà et les Antifasinä. Comme nous le verrons plus loin, ce n’est qu'au prix d'un labeur dur et pénible que les Merinä sont arrivés à obtenir du maigre sol qui recouvre les coteaux de leur pays ou des vallons marécageux qui les séparent la nour- riture nécessaire à leur existence, et ils n'hésitent pas à faire tous les métiers, économisant âprement les plus petits gains qu'ils s'occupent sans cesse d'accroître : car, disent-ils, Tanora-miadam-pihary, ka maka Eutay Jotsy volo [Le jeune homme, fût-il même dans l’aisance, qui s'abandonne à l'oisiveté sera réduit, lorsque ses cheveux seront blancs, à aller ra- masser lui-même du bois pour cuire son repas]. Les Antimoronä et les Antifasinà qui habitent la eôte Sud-Est ont aussi l'amour du travail: les femmes se refusent à épouser les jeunes gens adonnés à l’oisiveté et aux plaisirs : d’après un vieux dicton, en effet, +les hommes qui reviennent des champs les mains et les pieds couverts de boue sont pour les jeunes filles les meilleurs maris à choisir, car ils n'épargneront pas leurs peines pour procurer à leur famille le bien-être nécessaire » ?). Les Antanosÿ sont aussi assez travailleurs.

Ce n’est pas que les autres Malgaches ne secouent quelquelois cette paresse qu'on peut qualifier de nationale, mais il leur répugne de se livrer à un travail suivi, régulier. Il n'y a pas de métier plus dur, plus pénible que ne l'était celui de porteur de paquets et surtout des por- teurs de filanjant [de palanquin], qui s’en allaient lourdement chargés,

9) Betzileo central, Revue de Madagascar, 2 G. Juuren, /nstitutions politiques et so- 1°" sem. 1906, p. 115. ciales de Madagascar, t. 1, p. 47.

56 MADAGASCAR.

par monts et par vaux, sur des sentiers glaiseux et glissants, pleins de fondrières : et cependant beaucoup d’indigènes de l'Est s'y adonnaient, paraissant heureux de vivre, ne cessant de rire et de jaser au milieu de leur dur travail, mais, après cet effort considérable, se livrant à un long et doux «farniente ».

XI. Hosprrariré. On a de tout temps vanté l'hospitalité des Mal- gaches : il y a un dicton Wihinana tsy mizara, mahakapakapa lela [Ne pas partager son manger avec autrui fait gercer la langue] qui marque bien l'idée du devoir qu'ils se croient tenus de remplir vis-à-vis des étrangers ; même les quelques peuplades, comme les Antandroy et les Mahafalÿ par exemple, qui sont trop défiantes maody mahinä comme ils disent pour laisser jamais entrer un inconnu dans leurs maisons, ne laissent pas que d'offrir à leur porte des aliments aux passants.

Lorsqu'un voyageur s’arrêtait dans un village, 1l était d'usage que le chef et les principaux habitants quittassent leurs cases pour les lui céder, à lui et à sa suite; ils lui prenaient affectueusement les mains, éten- daient en son honneur leurs plus belles nattes, lui faisaient un cadeau de vivres en signe de bienvenue et mettaient à sa disposition les plus jolies femmes de l'endroit : ne pas profiter de cette offre hospitalière entre toutes était une souveraine inconvenance; quand Fhôte est «frère de sang» du voyageur, il lui cède, s'il le désire, l'une de ses femmes, même, dit Mayeur, sa femme s'il n'en a qu'une. Dans certains villages cependant, surtout de l'intérieur, on trouve quelquefois porte close à cause de la peur que leurs habitants ont des étrangers, non sans raison, car, chez les Betsileo par exemple, 1l est arrivé que des Merinä sans foi, qui avaient été reçus d’une facon amicale dans leurs maisons, leur ont volé leurs enfants pour les vendre comme esclaves : et ces crimes ont répandu la terreur dans les localités éloignées des grands centres, l'on se sert des noms de Vazahà [Européens | et de Hovä | Merinä | pour faire peur aux enfants méchants.

Beaucoup d'étrangers se sont loués, au début du moins, de la bonho- mie des Malgaches, qui est plus apparente que réelle et à laquelle il ny a pas trop à se fier, de leur politesse, de leur affabilité; on a toute- fois de nombreux pillages, des meurtres, des vexations de toutes sortes à

ETHNOGRAPHIE. 97

leur reprocher, qui peuvent être, il est vrai, attribués en partie à lin- fluence fâcheuse qu'ont eue sur leur caractère et sur leur moral leurs rela- tions avec les Arabes et les Européens, et aussi à des idées superstitieuses.

Sur la côte occidentale, notamment dans la baie de Saint-Augustin, depuis le xvn° siècle tant de navires européens ont fait relâche, les Saka- lavä, vezô comme masikorë, c’est-à-dire des côtes comme de l'intérieur, ont fréquemment infligé aux traitants et aux marins de mauvais traitements, les pillant, les rançonnant, quelquefois même les tuant. Mayeur, venu en 1789 chez les Bezanozand, peuplade cependant douce et hospitalière entre toutes, pour y acheter des esclaves, y fut en grand danger d’être pillé à cause de la masse de marchandises qu'il avait avec lui; ceux-ci tinrent en sa présence et devant ses nombreux porteurs un kabarÿ, grand palabre, plusieurs orateurs demandèrent qu'on le tuât pour s'emparer de ses marchandises; après une discussion très longue, la ma- Jorité des assistants décida qu'on se contenterait d'exiger de lui un fort cadeau : celui qui avait, le premier, proposé de le mettre à mort l'em- mena dans sa maison il le traita fort bien, et ils furent par la suite en si bons termes que Mayeur fit avec lui le serment du sang.

Au siècle dernier, les missionnaires qui tentèrent d'évangéliser les Sakalavä, aussi bien que les traitants créoles et européens venus pour commercer dans l’ouest et dans le sud de Madagascar, ont subi toutes sortes de vexations. En 1845, les RR. PP. Cotaim, Dénieau, Monnet et Neyraguet, vinrent à Saint-Augustin pour y fonder une mission; ils y furent accueillis à bras ouverts par les indigènes, qui ne cessaient de

9) Entre autres : en 1529, deux mate- lots dieppois venus avec les frères Parmen- tier sur la côte du Mailakä; en 1587, plu- sieurs matelots portugais à Boinä; en 1595, un pilote hollandais à Saint-Augustin; en 1608, le capitaine anglais Richard Rowles et cinq marins; en 1646, cinq colons anglais à Saint-Auguslin; en 1650, onze matelots et colons anglais; en 1662, deux malelots hollandais dans le Nord-Est; en 1668, un docteur hollandais et huit marins dans le

ETHNOGRAPIIIE.

Nord; en 1672, le traitant hollandais John Nieuholf et cinq matelots dans la baie d’Am- pasindavä; en 1680, l'équipage d’un bri- gantin anglais dans la baie de Lovobé; en 1723, cent quatre pirates anglais dont le navire s'était mis à la côte dans le Nord (Bucquor, Coll. Ouvr. ane. Madag. , t. T, p. 59 et 81,158, 190, 423; t. IT, p. 185. 270, 299,940, 363-366,617;t.V,p.129),elc.

2) Voyage à Ancove en 1785, Ms. du Bri- sh Museum et Copie Bibl. Grandidier, p. 19.

8

OIPRIMENIE NATIONALE.

58 MADAGASCAR.

leur manifester la grande joie que leur causait, disaientls, leur venue parmi eux, les appelant leurs «parents», leurs «père et mère»; mais après avoir conçu les plus grandes espérances au sujet du succès de leur apostolat, ils ne tardèrent pas à se rendre compte du peu de foi qu'ils de- vaient avoir dans les paroles et les promesses de ces gens qui les harcelaient de demandes de cadeaux ; lorsque les Pères, ayant déjà fortement entamé leur petite pacotille, refusaient de leur en donner parce que, disaientils, ils n'auraient plus rien pour acheter des vivres et qu'alors ils mourraient de faim : «Mourir de faim, s'écriaient-ils! mais ne sommes-nous pas là, n’avons-nous pas du maïs, des bœufs, du miel? et tant que nous en au- rons, soyez assurés que vous en aurez.» Néanmoins, dès que les cadeaux cessèrent, les kabarÿ, les palabres, se firent fréquents; on les accusa d’avoir de méchantes intentions, et aux flatteries, aux caresses des pre- miers jours succédèrent des tracasseries de toutes sortes, des insultes, jusqu’à ce qu'enfin, le 28 septembre, 103 jours «après avoir débarqué, le cœur plein de joie et d'espérance», les Pères se virent entourés par une troupe de six cents Sakalavä hurlant et brandissant leurs armes, qui les sommèrent de quitter le pays, les traitant de malfaiteurs, de traitres et d'empoisonneurs; force leur fut de partir et, avant de quitter le sol mal- sache, ils les virent se jeter sur la case ils logeaient et la détruire"),

Plus récemment, en 187/, un missionnaire norvésien, le Rév. L. Rostvipg, ne put demeurer à Tuléar d'où les indigènes le chassérent à coups de fusil, et il dut aller se réfugier à Morondavä, chez les Salakavä dépendants des Merinä ; ce n’est que quatre ans plus tard qu'il put v revenir. Dans ces deux cas, les Pères comme le Rév. L. Rostvig ont été chassés en réalité comme mpamosavÿ, comme sorciers : des gens qui ne font pas le commerce, qui refusent de prendre femme, qui passent leur temps à lire et à mar- motter des prières, dont les vêtements, la tenue, la vie diffèrent étrange- ment de celle des traitants et des marins qui ont coutume de fréquenter ces pays, ne pouvaient être aux yeux des Malgaches que des sorciers.

En 1887, le missionnaire norvégien Nielsen Lund fut plusieurs fois

0) R. P. pe La Vaissière, Mist. de Madagascar, t. 1, 1884, p. 88-89.

ETHNOGRAPHIE. 59

menacé de mort dans le sud de Pile : un soir, il se vit attaqué par une bande de Sakalavä qui hurlaient : + Nous allons vous tuer! Oui, nous vous tuerons!» mais à ce moment, une étoile filante ayant tracé dans le ciel une ligne de feu, M. Nielsen Lund la montrant du doigt leur dit : « Cest Dieu, le maitre du ciel et de la terre, qui envoie cette étoile», et les Sakalavä s’arrêtant soudain et mettant, suivant leur coutume, leur main devant leur bouche en signe d'étonnement, s’écriérent : «Il parle à Dieu!» et, devenus calmes et paisibles, 1ls rompirent une canne à sucre avec lui en témoignage d'amitié : en réalité, ils voulaient tout simplement le piller.

Mais ce n’est pas seulement avec les missionnaires que les Sakalavä et les Malgaches ont agi de la sorte. L'un de nous, dans une de ses explora- tions en pays mahafalÿ, fut un jour entouré par une foule d'indigènes qui, hurlant, brandissant leurs sagayes et leurs fusils, le menacérent de le tuer, et finalement se contentérent de le dévaliser; quant aux traitants établis sur les côtes Ouest et Sud, ils ont été fréquemment pillés et quelques-uns même tués : longue est la liste des méfaits que les Sakalavä, les Mahafalÿ et les Antandroy ont commis à leur égard dans le Nord-Ouest, au Ménabé, à Tuléar et à Nosy Vé, à la baie des Masikorÿ, ete. : soit la mise à sac de leurs établissements, soit le pillage de leurs navires; sans remonter à ceux de la Marie-Caroline à Balÿ en 1858, et de la Grenowlle à Soa-Ranô en 1860, encore en 1896, le 14 mars, les principaux chefs antandroy, suivis de deux cents hommes armés de fusils et de sagayes, ont pillé les comptoirs de MM. J. Bonnemaison et Hermann, Fulgence et Rosiers ainé, et d’un Anglais, M. Thompson, dont les agents durent s'en- fuir dans la brousse; à leur retour, ils trouvèrent leurs maisons et leurs magasins brûlés, leurs marchandises emportées (1.

() Dans les régions les indigènes sont sements de traite, mais, sous un prétexte depuis plus longtemps en relations avec les quelconque, ils condamnaient les traitants Européens, ils n’incendiaient pas les établis- à payer une amende).

® MM. Fullet, Rosiers ct César Pépin, que fréquentait l’un de nous lors de son séjour à Tuléar en 1868, durent donner aux chefs une certaine quantité de marchandises parce qu’ils l'avaient aidé dans ses opérations topographiques et dans ses recherches d'histoire naturelle. En janvier 1889, 275 Mahafalÿ vinrent à Nosy-Vé, ilot le résident de France, M. Campan, et les traitants de la côte Sud-Ouest s'étaient récemment installés pour fuir les exactions des Sakalavä de la baie de Saint-Augustin, et, ayant soi-disant l’ordre de les chasser de leur pays, ils tinrent un grand palabre, un grand habarÿ, qui se termina par une course échevelée de

, 8.

60 MADAGASCAR.

XIL. VaniTé, RESPECT HUMAIN, DIGNITÉ PERSONNELLE, AMOUR-PROPRE. Les Malgaches sont foncièrement vaniteux, ils ont un amour-propre puéril, souvent ridicule), mais ils n’ont pas ce sentiment de la dignité person- nelle, ce respect humain, ce point d'honneur qui ont façonné nos sociétés civilisées ; ils mendient sans honte, avec importunité : avant la conquête par la France de Madagascar, les chefs et les rois eux-mêmes des peu- plades indépendantes harcelaient de leurs demandes les traitants éta- blis dans leur pays, aussi bien que les étrangers de passage), se faisant donner du vin, du rhum, des étoffes, des piastres, ete., contractant avec eux des dettes dans l'intention formelle de ne pas les payer, empruntant des objets qu'ils ne rendaient pas, etc. Aucune requête, si humiliante qu'elle füt, ne les rebutait; il est dans leur nature de toujours demander, et, s'ils donnent quelquefois, c'est dans la conviction qu’on le leur rendra au décuple; pour gagner un modeste vola kelÿ, quelques sous, 1ls sont capables de tout faire, et les Européens qui ont parcouru Madagascar ont

(0) Modave raconte, en 1768, que plu- sieurs Roandrianä ou seigneurs antanosŸ de la province de Fort-Dauphin furent frois- sés et très mécontents parce qu'il refusa de tirer le canon en leur honneur et de faire ranger la troupe sous les armes lorsqu'ils venaient lui faire visite au fort.

@ Mendier et importuner les Européens par leurs demandes incessantes élait, dans leur pensée, un droit, du moment qu'ils leur laissaient la liberté de demeurer dans

leur pays et d'y commercer. Si ceux-ci ne condescendaient pas à leurs demandes, ne salisfaisaient pas à tous leurs désirs, ils prononçaient des discours longs et empha- tiques ils les traitaient d'hommes sans foi et sans honneur, d'hommes dénués de tout bon sentiment, les menaçant de les chasser et quelquefois de les tuer, car, «puisqu'ils leur refusent les petites choses qu'ils demandent, c'est qu'ils sont les enne- mis de leur roi et les leurs» (*).

ces Mahafalÿ poussant des cris sauvages et brandissant contre les Européens leurs fusils et leurs sagayes; il ne partirent que lorsque les six établissements de l’endroit eurent chacun payé «cent marchandises», c'est-à- dire une quantité de marchandises de diverses sortes en usage dans le commerce de troc de ces parages, valant environ au prix d’achat une centaine de francs; et, en partant, ils criérent qu'ils ne tarderaient pas à revenir pour couper le coup à Campan et porter sa tête à leur roi Lahitafikä; ils revinrent en eflet quelques heures après, mais non plus en ennemis, en amis au contraire, déclarant que tout était pour le mieux, qu'ils ne les chassaient plus, car, disaient-ils, +vous êtes de braves gens qui faites du bien à notre pays».

(Ce n’est pas, d’ailleurs, avec les seuls Européens que les chefs quémandaient sans vergogne et avec importu- nité; ils agissaient de même avec leurs sujets, qui n'avaient qu'à s’incliner et à satisfaire leur fantaisie : l’un de nous étant arrivé au village de Saloavaralrä, dans le pays des Antanosy émigrés, avec une troupe nombreuse de serviteurs et de porteurs que commandait un certain Karavatô, Rabefanery, le seigneur du lieu, voyant entre les mains dudit Karavato, qui était un de ses sujets, une hache toute neuve que celui-ci avait achetée à Tuléar de ses deniers, s’en empara aussitôt et, l'ayant examinée en connaisseur et appréciée, il la mit de côté pour lui, puis il lui ôta de dessus les épaules son lamba en cotonnade bleue et se l’appropria sans plus de phrases ni de cérémonies ; la femme de Rabefanerÿ, la princesse Ramomä, de son côté, lui enleva de dessus la tête la petite calolte de jonc qui lui servait de couvre-chef et, l'ayant tournée et retournée en tous sens et la trouvant de son goût, elle s’en para et s’en fut ainsi chez elle.

ETHNOGRAPHIE. 61

été journellement témoins de ce manque de dignité : 1l est juste de dire que, dans ces pays encore barbares, le travail intellectuel est pour ainsi dire nul, tous les travaux manuels ne sont pas regardés comme vils et méprisables; quelques-uns étaient plus particulièrement réservés aux esclaves, mais les plus hauts personnages faisaient, chez les Merinä par exemple, les fonctions de domestiques à l'égard de leurs supérieurs, les «généraux servant les «maréchaux» et ceux-ci apportant les plats sur la table du Premier Ministre, enlevant les assiettes vides des convives, leur versant à boire, sans que personne s’en montrât choqué et y trouvät à redire!” et dans tout Magadascar ne répugnaient pas à des besognes qui nous semblent d’un ordre tout à fait inférieur ©.

Il faut toutefois reconnaitre que si les Merinä sont, comme tous les autres Malgaches, vaniteux, ce sentiment, qui n’est chez ceux-ci que puéril et souvent ridicule, s'élève chez les premiers jusqu'à un Juste orgueil, tout exagéré qu'il est, de leur supériorité sur les autres peuplades de l'île : Tanindrana angaha hanao no miadaladala tahaky 10 ? [Es-tu donc hors de l’Imerinä pour faire de semblables bétises?|, disent-ils à un des leurs qui agit mal; ils sont en effet fiers de leur pays, qu'ils considèrent comme le plus beau du monde, et d'eux-mêmes qui se croient d’une race supérieure; aussi ont-ils l'amour-propre, que n'ont pas les autres Malgaches, de se faire bien juger par les Européens, dont ils observent les faits et gestes pour les imiter autant qu'il est possible.

0) Du reste, ces haut gradés étaient ®) Telles que raccommodages et ravau- même quelquefois, eux aussi, fustigés publi- dages de vieux objets divers, de méchantes quement, tout comme les simples soldats. hardes, ete. (1).

Un manamboninahiträ, ofMicier hovä, apporta à lun de nous, qui était à Manjä dans lPOuest, une vieille carcasse de parapluie qu'il venait le prier de raccommoder, n’ayant pu y réussir lui-même : et, croyant agir très honnêtement, il lui proposa pour ce travail un voamenü (0 fr. 20), à lui qui était cependant quali- fié du titre de marosaly [de maréchal] et considéré comme ayant roa amby ny folo voninahiträ [c'est-à-dire 12 honneurs]. Le Rév. Pickersgill raconte qu'un officier d'Ankavandrä est venu lui demander son aide pour raccommoder un des souliers fort vieux qu'il portait aux pieds, et dont le talon s'était détaché. Entrant dans le village barä de Mandatanÿ, le Rév. Richardson vit un homme en train d’équarrir un tronc d’arbre : «Eh bien ! mon garçon, j'ai justement besoin de vous ! arranyez les piquets de ma tente». «Avec plaisir !», répondit le charpentier malgache; et, en très peu de temps, il les arrangea fort bien : c'était Sandratrà, le roi du pays. C’est aussi le petit roi antanosÿ de Saloavaraträ, RabefanerYŸ, qui tailla dans la peau d’un bœuf les sandales dont l'un de nous avait besoin : il était Je plus habile «cordonnier» du pays. Que de fois n’avons-nous pas eu, les uns et les autres, comme porteurs de paquets des personnages importants qui ne dédaignaient pas de gagner de cette manière quelque menue monnaie !

62 MADAGASCAR.

Certainement ils ont une outrecuidance assez sotte, et l’on comprend que le baron Milius ait écrit au Ministre de la Marine : « Radamä et Jean René sont insolents à mon égard et font preuve d'une dignité puérile ; ce chef de Noirs, dans une lettre écrite entièrement de sa main, élève des prétentions étonnantes, parlant de ses lois et demandant à connaitre les nôtres.» Avec leurs accoutrements de carnaval et leur attitude guidée, leur gravité risible, les officiers merinä, qui se croyaient les plus impor- tants personnages du monde, étaient à nos yeux fort ridicules: mais il n’en était pas de même aux yeux de leurs subordonnés êt des autres peuplades. Quand Radiloferä, le fils du Premier Ministre, revint de France à Mada- gascar en octobre 1875 et qu'il écrivait à l’un de nous peu de jours après arrivée à Tananarive : «La foule est venue me voir! Il y avait plus de monde que quand la Reine sort, et tous étaient enthousiasmés de moi! J'ai

fait devant la Reine un discours en français (qu'il parlait fort mal, soit dit entre parenthèses), que j'ai ensuite traduit en malgache, car personne dans l'assistance ne comprenait le français (heureusement pour lui, peut- on dire!)», sa vanité prétait certainement à rire et, toute risible qu'est cette vanité qui nous paraît si sotte, elle n'en a pas moins excité chez les Merinä l'envie d'imiter les Européens, de se hausser à leur niveau, le désir de s'élever par l'instruction et par l'industrie au-dessus des autres Mal- gaches : Radamä 1, à qui l’on avait dit que les Malgaches étaient, avec les Nèpres d'Afrique, les seuls êtres au monde qui ne sussent ni lire ni écrire, fut tres ému de cette déclaration et décida qu'il fallait que son peuple fût instruit, car «je préférerais, dit-1l, ne pas être roi qu'être le roi de barbares ».

Les Merinä ont des sentences pour se moquer des présompteux : Mandoka tena foana tsy mbola hila ny olona, aoka ny olona no hilaza, aza manabo tena foana [De quoi se vante-t-l? personne ne le sait; qu'il attende donc que les autres le louent, car il ne faut pas se glorifier soi- mème |, et Ny anarana no tsy rekitra, ny ao an-trano no manivaiva [On n'est pas toujours digne du nom qu'on porte, les serviteurs sont pour

0) Arch. Minist. Col. : Madagascar, Correspondance générale, carton XV, dossier 1 (1827).

ETHNOGRAPHIE. 63

en témoigner |; et pour rappeler les grands et les orgueilleux à la modestie ou les prémunir contre les dangers des hautes positions : Lay miringirmpy no potraka, izay mroty manta no leony | Celui qui monte trop haut, tombe; celui qui mange des fruits trop verts devient malade (lorgueilleux est humilié, celui qui veut acquérir trop vite s'expose à ne rien avoir)], et Lay avo alan-drivotra | Ge qui est élevé est exposé aux coups de vent et est souvent renversé |.

XL. Parrexce, exrèremenr. Les Malgaches sont patients et entêtés, mais leur entêtement provient bien plutôt d’un caleul et de leur mauvaise foi que de stupidité et de bêtise, car ils cherchent à fatiguer leur inter- locuteur, à déplacer la question, à gagner du temps, espérant avoir finale- ment gain de cause : et ce procédé, tout grossier qu'il est, leur a souvent réussi, surtout en politique.

Lorsqu'ils en veulent à quelqu'un, ils attendent patiemment l’occasion de se venger, sans céder à la passion du moment. |

XIV. HipocrisiE, MENSONGE, FOURBERIE, TRAÎTRISE. La sujétion tyran- nique à laquelle la plupart des Malgaches étaient soumis, le respect de la force, qui est pour les faibles une des formes de la «lutte pour fa vie»), les à induits à mal : un de leurs principaux vices, vice qui est l'objet de leur admiration et qu'ils s'évertuent à inculquer à leurs enfants, est en effet l'hypocrisie avec son cortège de mensonges, de ruses, de fourbe- ries, de perfidies, de trahisons ; «ils ne font jamais la guerre à leurs voi- sins qu'après avoir endormi leurs soupçons par des caresses perfides »°?,

0) Comme l'exprimaient avec une fran- se lasser le refrain suivant : « Obéissons-leur, chise brutale les Barä qui, accompagnant puisqu'ils sont les plus forts» (). $ nos officiers en reconnaissance dans leur @) Arch. Minist. Col. : Madagascar, Cor- pays après notre conquête, chantaient sans respondance générale (1818) ().

* Les Merinä ont des dictons qui dépeignent bien la triste situation des pauvres gens à l'égard des puissants et des riches : Ny omby mahia tsy mba lelafin'ny namany [Les bœufs maigres ne sont pas léchés par leurs compagnons], et Ny malahelo tsy mba havan’ny manana [Les pauvres ne sont pas les parents des riches ].

®) Lorsque M. Campan, neveu de feu Laborde et agent du Gouvernement français, dont les justes reven- dications au sujet de la succession de son oncle avaient été la cause de la guerre faite aux Merinä en 1883, revint à Tananarive en 1891, ses nombreux amis se tinrent ouvertement à l'écart de peur de se compromettre vis-à-vis des autorités, quoique le Premier Ministre l’'eût bien accueilli; dans la rue, ïls le croisaient sans le saluer, sans même Île regarder, mais ils lui faisaient savoir en secret qu'ils seraient heureux de le rencontrer chez des tiers, et il y en eut méme qui lui proposèrent de le saluer «en clignant de l'œil».

64 MADAGASCAR.

ne suivant pas le conseil que leur donne la vieille sentence : Misa roa hoatry ny manavy : mamdina, vorona; mipetraka, totozy [Ne soyez pas comme les chauves-souris qui se font passer pour des animaux différents suivant les occasions : oiseaux quand elles volent, souris quand elles se posent]. À les entendre pourtant, ils sont les meilleures gens du monde; mais leurs actes sont bien différents de leurs paroles ; le manque de sin- cérité est en effet un des traits principaux du caractère des Malgaches !", dont il est extrêmement difhcile de connaitre l’opimion®; ils n'aiment pas à donner le moüf de leurs actes, et l'on ne,sait jamais la vraie raison qui dirige leur conduite.

Lorsqu'ils ont une demande à formuler, ils commencent par parler de choses et d’autres, et il est impossible, souvent pendant longtemps, de savoir 1ls veulent en venir; ce n’est qu'après de longs discours sans suite qu'ils arrivent comme par hasard au vrai sujet de leur visite.

Ils font volontiers des promesses, mais ne les tiennent pas. Pour en

0) Ce manque de sincérité tient beau- coup à la méfiance qu'ils ont tant à l'égard de leur chefs qu'à l'égard des étrangers !*) : dans leur ancien état social, 1ls avaient besoin d’être prudents, circonspects : Ali- nina aoka aloha ny teny vao manao, fa tsy hita izay atao raha tsy alinina, rehefa zavatra tsy maihina, tsy taitaizina, alinina izany |Les

il faut les bien «ruminer», car comment savoir ce qu'il est bon de faire si lon ny pense pas nuit et jour, si l'on n'y réfléchit pas pendant plusieurs nuits] (R. P. Cazcer, Bull. de l'Acad. malgache, 1903, p. 122). 2) Ts ont l'air de consentir à tout ce qu'on leur demande, de vouloir suivre les avis qu'on leur donne (), et ils n’en ont nul-

affaires ne doivent pas se faire à la hâte, lement l'intention (°).

(*) Rajoelson, petit-fils du Premier Ministre, qui était en réalité notre ennemi acharné et nous haïssait comme son père, disait à un journaliste au lendemain de l'établissement du protectorat francais en 1885 : «Nous sommes reconnaissants envers la France de la puissante protection qu’elle nous accorde, et nous lui prou- verons notre gratitude par une fidélité à toute épreuve. Nous aimons beaucoup la France, qu'on ne peut aimer que passionnément.» Les événements l'ont bien prouvé! L'évangéliste malgache Radavidrä, qui ne cessait de manifester depuis de nombreuses années une grande malveillance au R. P. Brégère, à qui il se plaisait à jouer maints mauvais tours, se trouvant avec lui à un diner de gala chez le Gouverneur de Fianarantsoa, n'a pas hésité à porter un toast à «son ami son très cher ami» le P. Brégère, et a demandé la permission de æmandihÿ», de danser de joie, à l’occasion de l’heureuse chance qui les réunissait : il n’y a pas à Mada- gascar un résident, un voyageur, qui n'ait souvent entendu de semblables compliments, aussi peu sincères.

®) Andrianampoinimerinä, qui connaissait bien son peuple, ayant demandé aux soldats qui venaient de terminer une expédition longue et diflicile ce qu'ils aimaiïent le mieux et ce qu'ils désiraient [Zza no tiwnareo ?], et ceux-ci lui ayant répondu que rien n’était plus cher et plus doux à leur cœur que lui-même [Hianao no mamy nay sy tianay], leur dit qu'ils mentaient et que leur plus ardent désir était de retourner chacun chez soi | Mandaingia hianareo, hoy izy, fa ny hody no mamy nareo | (R. P. Cazzer).

( Akoho tsy maneno anio, disent-ils : c’est un coq qui ne chante pas aujourd'hui (mais qui chantera demain), comme le coq de combat qui, battu, se tait le jour de sa défaite, mais entonne de nouveau son chant le lendemain; de même, le Malgache cède parce qu'il ne peut pas ou n'ose pas résister, mais il ne se rend pas.

ETHNOGRAPHIE. 65

imposer à autrui, ils sont habiles à inventer toutes sortes de prétextes, ils excellent à prendre les airs les plus doucereux et prodiguent les flat- teries les plus basses et les plus grossières!); il ne s’agit pas en effet, pour eux, d'être honnêtes dans leurs relations avec les gens auxquels ils ne sont pas apparentés, qui n'appartiennent pas à leur clan, mais d’être rusés : “A eux, la rouerie remplace la morale, et le mensonge est une institution ©): de tout temps, de clan à clan, «ils se sont entre- trahis, se tenant constamment sur leurs gardes, se faisant continuelle- ment la guerre»

En réalité, ce sont pour la plupart des maîtres fourbes qui se plaisent à abuser de la confiance d'autrui et savent prendre un air aimable et bon enfant pour cacher leurs desseins.

Un père considérait comme d’un heureux présage pour l'avenir de son fils et le bonheur de sa famille que celui-ci mentit et trompât avec habi- leté, car, aux yeux des Maloaches, savoir bien mentir est une qualité plus utile aux intérêts et aux plaisirs de chacun que la sincérité et la fran- chise : au début, dans l'Imerinä, on a fait à la religion chrétienne le re- proche de blâmer les mensonges, même ceux pour tromper ses ennemis, car les Merinä avaient l’ordre de cacher aux étrangers la vérité sur les affaires du pays.

Il n’est done pas étonnant qu'on ne püût pas compter sur une fidélité qu'ils ne gardaient que si elle n’était pas en opposition avec leurs intérêts; ce n'est d'ailleurs pas seulement avec les Malgaches d’autres clans et avec les Vazahü ou les étrangers qu'ils manquaient sans scrupule à leur

| Au lendemain de notre conquête, les choses d'Europe, pour le progrès, était nombreux ont élé les Merinä qui ont cé- très suspecte. lébré les bienfaits « providentiels» de notre 2) Aussi ont-ils de nombreux mots pour occupation, la gloire de la civilisation fran- exprimer les diverses sortes de tromperies!*). çaise, les grandes qualités des Vazahä, sans 6%) FLacourr, Hist. de Madagascar, 1661,

en penser un mot, et dontladmirationpour p. 397 et 99.

«Duplicité», +fourberie», «fraude», esupercherie», «imposture», se disent angolÿ ou fanangoliant, kohkoly, fitakä et famitahant, fanambakanü, sombehü ou sombia, solia, sandokà, soloky, sodikä, vohonÿ ou fanomezambohonÿ, antohim-batà, fangopangokä, gorobakä, solohoto, komakay , jery roa ou saina roa | qui a deux consciences |, roy lela | qui a Be langues], Jametsenà, fihatsar umbelatsih, Janavan-tsainà, etc. Mampiad- resaka, mamba miandry | «AMumer» la conversation, puis veiller à l'instar du crocodile (se taire et écouter ce qui se dit, laissant les autres se compromettre sans se compromettre soi-même) |.

ETHNOGRAPHIE, 9

IMPRIMERIE NATIONALE,

66 MADAGASCAR.

parole : leur fidélité n'était pas plus inébranlable envers leurs chefs, qu'ils ne se faisaient pas faute d'abandonner dès que le combat semblait mal tourner pour eux.

La calomnie était toutefois honnie entre les membres d’un même clan ©.

XV. Cupmmité, INTÉRÊT, aAvaricE. La cupidité et l'intérêt sont le mobile principal des pensées, des paroles et des actions des Malgaches °), qui sont très attachés aux biens matériels quoiqu'ils aient peu de besoins”; ils préfèrent souvent se passer des choses qui leur font cependant envie que de travailler pour se les procurer; mais, par contre, ils ne craignent pas de mendier sans vergogne, de quémander avec importunité. Quand un des nombreux petits rois de Madagascar allait voir un Européen ou recevait sa visite, sa première question en s'adressant à l'un de ses

suivants était invariablement : Féry barikä ? [Combien apporte-tA1l de

(0) Du plus grand, du Souverain lui- même, au plus petit, ils faisaient des com- mandes qu'ils n’acceptaient pas lorsqu'elles arrivaient d'Europe ou qu'ils ne payaient pas (*).

2) Les calomniateurs élaient même punis assez sévèrement).

8) Comme nous le verrons plus loin, les femmes malgaches ont une grande liberté de mœurs et se livrent facilement; toutefois il est honteux pour une jeune fille de changer d'amant lous les jours, moins qu'il ny

ait profit»; dans ce cas, il n’y a ni honte, ni déshonneur.

4) On ne reconnaissait guère un riche Malgache à son vêlement ou à son appa- rence; pour n'être pas dépouillés par leur chef ou par les fonctionnaires, ils cachaïent leurs biens. Du reste, en général, ils se privaient de tout; ceux même qui avaient des bœufs, des moutons. des cochons. des volailles, ne mangeaient jamais de viande que chez autrui ou à l'occasion de cérémo- nies religieuses ou de famille.

() Le peintre Coppalle, que Radamä 1 avait mandé à Madagascar en 1825 pour faire son portrait au prix convenu de 1,500 piastres, fut fort étonné lorsque, débarqué à Foulpointe, 11 recut des mains du gou- verneur Rafaralahÿ une lettre du roi celui-ci lui offrait seulement 750 piastres, la moitié du prix qui avait été débattu et accepté en son nom à l'ile Maurice : «J'ai témoigné, écrit Copalle dans le récit de son voyage, mon étonnement à Rafaralahÿ, qui m'a dit qu'il était autorisé à m'offrir quelque chose de plus, mais je lui ai déclaré que je n'étais pas un marchand et que, puisqu'il en était ainsi, j'allais m'en retourner. Une heure après, on m'a remis une seconde lettre, également du roi, dans laquelle mes conditions étaient acceptées. Ces deux lettres étaient toutes deux venues de Tananarive et portaient la même date, et Rafaralahyÿ avait ordre de ne me montrer la seconde que si je n'acceptais pas la diminution proposée dans la première sur le prix convenu. Quelle ruse! » | Manuscrit du Voyage de Coppalle à Tananarive (1825-1896), Bibl. Froberville à Villelouet, près de Blois]. Coppalle monta à la capitale par l’Antsihanakä, et le portrait qu'il fit du roi fut payé 1,500 piastres d’Espagne le 18 janvier 1826.

®) Adi-vava manditsa, tsy aritry ny vohitra; andeha isika asia’ntsika hidy ny | On ne peut pas tolérer une mauvaise langue dans notre village, il faut l'empêcher de médire], disent les principaux du village [le fokon olon], et on lui impose une amende d’un ou de plusieurs bœufs, car ny manao vava ratsy, mandro omby entina manadio ny nasiana vava ratsy [le calomniateur doit tuer un bœuf pour racheter sa faute et pour indemniser et purifier la personne calomniée ].

ETHNOGRAPHIE. 67 barils de poudre?}, Fery kanikÿ ? [ Gombien apporte-til de pièces de toile bleue? |, et il s'informait du nombre de barils de poudre, du nombre de pièces de toile qu'il avait donnés en cadeau aux rois voisins. Ces rois et princes mendiants s'asseyaient soit à la porte, soit le plus souvent dans la salle qui compose d'ordinaire toute la maison est logé le voyageur, el y restaient des heures. Pour se débarrasser de leur présence importune el d'autant plus génante qu'ils étaient généralement accompagnés d’une suite nombreuse, on n'avait d'autre ressource que de leur faire un cadeau plus ou moins important : l’un de nous, ne jugeant ni bon ni utile d'épuiser ses marchandises de troc à leur bénéfice, a eu maintes fois de ces visi- teurs qui, arrivés à 7 heures du matin, ne se sont retirés après une vaine attente qu'au coucher du soleil.

L'intérêt entre pour beaucoup dans les démonstrations d'amitié et de dévouement qu'ils prodiguent aux Européens l. Tous les voyageurs qui sont montés à Tananarive en filanjanä [en palanquin] ont constaté que, dans leur bavardage continu qui dure tout le jour et une partie de la nuit, tant quils sont éveillés, les maromitä ou porteurs ne cessent de prononcer les mots de sikajÿ, de voamenä, de lasiray, etc., qui sont les coms des subdivisions de la monnaie malgache : il n’est pour ainsi dire jamais question que d'argent entre eux.

Toutefois 11 faut dire que les Betsimisarakä font exception à la règle, car 1ls ne sont pas économes et, légers et imprévoyants, ils consomment en quelques mois les produits de leurs récoltes, tout abondants qu'ils soient; 11 leur faut ensuite se contenter de ce qu'ils peuvent glaner de côté et d'autre ?

Les Malgaches des hautes classes sont tout aussi intéressés, tout aussi

M «L’empressement que les orands met- chose» (Voyage à Madagascar, par M. ne V., tent à venir voir un Européen, écrivait Car- p.139). eau du Saussay en 1663, ne vient que ) Il est vrai qu'ils sont généreux et par- P \ l Œ 8 P

de l'espérance qu'ils ont d’en tirer quelque tagent volontiers ce qu'ils ont avec autrui).

* Une tradition qui a cours chez eux dit que, des deux fils d’un de leurs chefs, dont l’un très généreux avait coutume de distribuer des vivres à tous ceux qui se trouvaient sur son passage, et dont tre. au con- traire, parcimonieux , économisait tout son avoir, Dieu récompensa le premier et punit le second, d’où il résulte que la générosité est une vertu et l’économie un vice.

9.

68 MADAGASCAR.

avares que les pauvres gens!”, mais ils cachent leurs intentions et leurs désirs sous les dehors d'une extrême politesse : quand le R. P. Berteux entra en pourparlers pour l'acquisition d'un terrain en Imerinä avec le propriétaire, et lui en demanda le prix, celui-ci lui répondit : + Celui que vous fixerez, mon Père, car vous êtes mon ray aman-drenÿ| mon père et ma mère], et je ne saurais marchander avec vous; cependant considérez que le sacrifice que je fais pour vous faire plaisir est aux dépens de la nourriture de ma famille, car nous autres Hovä, comme vous savez, nous n'avons pour subvenir à notre pauvre existence que les arides montagnes de l'Ime- rinä, ete.» Et il marchanda sou à sou.

Les actes de concussion, d'abus de confiance, de chantage, d’usurpation de ütres, de fausses dénonciations sont communs à Madagascar, surtout chez les Merinä qui sont, plus que les autres, sans scrupules et s'ingé- nient à vivre et s'enrichir aux dépens d'autrui, mpilinam-bahoakä | qui sont mangeurs de peuple | comme on les appelle, et qui usent de moyens, d'expédients | flandratsÿ]| que la loi ne prévoit pas toujours, mais que la morale réprouve : celle catégorie de malfaiteurs comprend linfinie variété des mpilorokä ou, comme on dit dans le Sud-Ouest, des petrakä ?. Quoi- qu'une sentence condamne les exactions des fonctionnaires qui abusent de leur pouvoir pour pressurer leurs administrés : Tsy mely raha homana aman-bolony | Ge n’est pas bien d’avaler chair et poils à la fois (comme un fauve qui dévore sa proie sans la débarrasser de ses poils ou de sa plume) |, et qu'une autre recommande, quand on a à rendre la justice, de ne pas avoir deux poids et deux mesures : sy mety rahamanao anaty fo maharary sy zanaka tsy mba meloka [Il ne faut pas écouter ses désirs intimes et pro-

(0) Ce ne sont pas, en effet, les sentences 2 Petrak’ ahiträ[ lit. : caché dansl'herbe], qui bläment l’avare(®), ce sont celles qui pré- guel-apens, chantage (G. Juzrex, Institutions chent l’économie qui, seules, sonten vogue politiques et sociales de Madagascar, t. I, chez les Malgaches ?). p- 541-347).

®) Mpanan-karena mahihitra, t8y tompony, fa mitahiry [Un avare riche n’est pas le maitre de ses biens, il n’en est que le gardien]; Jadano ny fanana’nao, fa aoka izaÿ [Vous êtes assez riche, jouissez main- tenant |, etc.

0) Aza rotorotoina, fa adano tsara ny fananana | Ne vous hälez pas de dissiper votre bien, usez-en avec sagesse |; Tsitsio ny hariana, fa tsy rano; ny rano aza manam-paharitana | Économisez vos richesses, car elles ne sont pas de l’eau et, du reste, l’eau elle-même tarit]; Ambezoy sara ny takitrosa, fa raha tsy ambezoina 1sara, tsy azo | Ne prenez pas de repos avant d’avoir recouvré l'argent qui vous est dû, autrement c’est de l’ar- gent perdu]; Ataovy tsara ny fanafinao ny vola nao [Ayez grand soin de bien cacher votre argent], etc.

ETHNOGRAPHIE. 69

elamer que son fils n'est pas coupable (quand il l'est)|, ces mauvaises pratiques n'en étaient pas moins générales sous le gouvernement malgache.

XVI. Voz, meurtre. «Tous fripons, à commencer par leurs rois», écrivait en 1734 le commandant de l’Astrée, et tout récemment, en 1891, Mangaluisa ny Sakalava iaby, andraka izao koa [Tous les Saka- lavä volent, moi-même je vole], disait l'un des meilleurs d’entre eux au Rév. Walen qui blâmait devant lui ce vice si universel à Madagascar D. En effet, il était généralement admis parmi les Malgaches qu'on pouvait voler sans remords pourvu que le larcin restât caché et que l'impunité matérielle fût assurée : quels que fussent les moyens employés, on ne blä- mait que linsuccès, et celui qui avait pillé, tué, incendié, prandissait aux yeux des siens, pourvu qu'il eût réussi. Répétons toutefois qu'entre membres d’un même clan, ils se conduisaient toujours fort honnêtement; aussi l'abbé Mounier, l'un des premiers missionnaires qui sont venus caté- chiser Madagascar, a-t-1l pu dire : «les Antanosÿ ont le vol en horreur »°) : en effet, les habitants d’un même canton ne se volaient jamais les uns les autres, ils ne fermaient pas leurs maisons 5), mais 1ls ne se faisaient pas faute de piller les gens des clans voisins toutes les fois qu'ils le pouvaient. Il y avait même des peuplades, notamment les Barä et les Mahafalÿ, pour lesquelles piller et tuer, enlever les femmes, les enfants et le bétail d'autrui, boire du toakä (du rhum) et vivre au milieu de leurs bœufs et de leurs femmes, est, ou du moins était Jusqu'à notre conquête, le comble du bonheur et le but de tous leurs vœux. Aussi, quand ils circoncisaient un enfant, faisaient-ils l'invocation suivante : + Puisse notre garcon être

1) Antananarivo Annual, 1891, p. 8.

® Mém. de la Congrégation de la Mission (des Lazaristes), t. IX, p. 189.

3) Sur la côte orientale, le vol était jadis extrêmement rare, sinon inconnu; les Be- tsimisarakä se contentaient de planter un morceau de bambou devant la porte de leurs maisons lorsqu'ils ne voulaient pas qu'on y entrât; depuis trois quarts de siècle que leurs rapports avec les Européens sont devenus permanents et que ceux-ci ont

introduit à Madagascar le commerce des liqueurs alcooliques, il n'en est plus de même et les crimes sont devenus com- muns.

(4) Les Baràä de l'Est, qui avaient dès longtemps accepté la tutelle des Merinà, ont perdu ces habitudes de combat et de vol et, les armes leur ayant été enlevées, ils se sont livrés à l’agriculture, mais ceux de l'Ouest ont continué leur vie de pillage jusqu'à notre conquête.

70 MADAGASCAR.

habile à voler, être hardi au combat! et quand il mourra, que ce soit par la sagaye ou par le fusil!»; ils parlaient de leurs vols comme d'autres parlent de la moisson de leurs champs : «Le fusil est notre bêche», disaient-ils.

Les Merinä ne le cèdent ou ne le cédaient en rien aux autres peu- plades sous le rapport de la cupidité et de lavarice : « À la sortie des mar- chés publics (qui se tenaient en Imerinä loin des villages), écrivait Mayeur en 1785, les Hovä attendent dans les bois, pour les voler et les piller, ceux qui s'en retournent chez eux, quand ils sônt sûrs de le faire sans risques : ces vols sont fréquents parce qu'ils restent impunis. Ils en com- mettent de plus hardis, comme d'enlever les gardiens de troupeaux, les laboureurs et les enfants qu'ils surprennent loin des lieux habités, et même d’assaillir à main armée des villages écartés pour voler leurs habi- tants").» Mais, sans considérer le vol comme un acte criminel, leurs chefs le leur ont défendu, sans grand succès, d’ailleurs, +comme nui- sible à la prospérité du pays» ©.

0) Maveur, Voyage dans l’Ancove en 1785, Manuscrit du British Museum, Fonds Farquhar, et Copie Bibl. Grandidier, p. 52. ®) Tnew, tbid., p. 54-57 ().

@®) Le roi de Tananarive, Andrianamboatsimarofÿ, a fait en 1785 à son peuple le kabarÿ ou discours suivant, en présence de Mayeur: «C’est une honte que le peuple d’Ankovä, le plus grand, le plus éclairé de Madagascar, soit haï et méprisé par les autres nations. Prenez-vous-en, Ambaniandrô, à cet amour du vol et du pillage qui est général parmi vous et qui éveillera à la fin le courage de nos ennemis. Craignons de les voir se lever contre nous, et dorénavant agissons mieux, méritons leur amitié et leur estime, établissons avec les Européens des relations de commerce, donnons-leur ce qui leur est dû, n’exigeons d'eux que ce qui nous revient à juste titre, et alors nous serons aimés, respectés. Nos forces seront doublées et l'amour de la paix qui nous est naturel ne sera plus mis sur le compte de la lächeté et de la poltronnerie qu’on nous reproche aujourd’hui comme formant le fond de notre caractère. ù

+Je vous ai assemblés pour vous faire ces reproches; il ne faut pas qu'on dise : Le peuple d'Ankovä attend les voyageurs sur la route et les pille, il vole des familles entières pour les vendre comme esclaves, 1l est le plus rusé, mais il est le plus lâche, car il se cache pour attaquer; il faut qu’on dise : Le peuple d’Ankovä ne fait de tort à personne, il respecte les voyageurs, il leur donne l'hospitalité, il accueille les étrangers avec amitié , il fait le commerce avec loyauté, il n'attaque point injustement, mais, si on l'attaque, il se défend et subjugue ses ennemis. Voilà la réputation qu’il faut que vous méritiez! Je suis votre roi, et vous allez me jurer que vous ne volerez plus, que vous ne pillerez pius personne, car, je le déclare , quiconque le fera à l'avenir sera fait esclave, lui et sa famille, si ses biens ne suflisent pas au remboursement du vol et au payement de l'amende de 200 piastres à laquelle je le condamne. Vous allez jurer en outre que vous ne ferez de tort à aucun étranger, blanc ou noir, que vous n'achèterez aucune marchandise avec de la fausse monnaie ou de fausses mesures; quiconque aura commis ce crime sera puni de mort.»

Le roi, s'adressant alors à Mayeur, lui dit : « Tu as entendu ce que je viens de dire. Mes intentions en effet ne sont pas d'encourager les vices, mais de les punir. Cette réforme, je le sais, ne s'opérera pas aussi vite que je le désire, car mes ancêtres ont toujours traité le peuple avec une indulgence qui l’a enhardi, mais je y amènerai peu à peu en faisant des exemples.» Le habary, l'assemblée, dura de 9 heures du malin à 5 heures du soir, et le roi le clôtura en donnant l’ordre d'annoncer dans tous les marchés qu’il venait de faire serment de réprimer le vol et le pillage; cette proclamation eut lieu conformément à l'ordre d’Andrianam- boatsimarofy et, dans la huitaine, fut connue partout.

ETHNOGRAPHIE. 71

En se civilisant, les Merinà ont hiérarchisé le vol, et, dans le xx' siècle, ce n'a plus été que les chefs, les supérieurs, qui ont volé ou plutôt prévariqué : les officiers pressuraient leurs administrés et étaient eux- mêmes dépouillés par le Premier Ministre; comme l'a fait justement remarquer M. Gautier", «en Imerinä, un petit nombre d'individus avaient le monopole du vol, sauvegardant toutefois les apparences, tandis que, chez les Sakalavä, le pillage était général et mutuel. . . Entre les Merinä et les Sakalavä, il y avait la différence qui sépare la concussion du cam- briolage, le pot-de-vin du banditisme, en un mot, en y réfléchissant, la civilisation de la barbarie ».

Et cependant, par une curieuse contradiction, lorsqu'un voleur de bœufs ou d'enfants était pris en flagrant délit, il n’y avait pas de peine assez sévère pour le punir : tantôt on lui coupait une main, qu'on attachait à un piquet à l'entrée du village; tantôt, comme l'a vu l’un de nous dans le Ménabé à la porte d’un fort merinä, on l'enterrait jusqu'au cou, ne laissant dehors que la tête, et on le laissait mourir de faim et de soif; d’autres fois, ainsi que le raconte M. Ferrand, on l’attachait solidement à un poteau, et les gens du village le frappaient, le piquaient, len- taillaient avec les outils et les armes qu'ils ont d'habitude à la main, et généralement quelque hideuse vieille faisait sortir ses yeux de leurs orbites avec la pointe d’une corne de bœuf, après quoi on le menait au bord de la rivière il était sagayé et son corps jeté à l’eau.

XVIL Ligerré pes mogurs, pésaucne. À nos yeux, les Malgaches, hommes et femmes, mènent une vie de débauche, étant d'un tempé- rament sensuel et voluptueux et ayant des mœurs licencieuses ou plutôt libres); mais, avant de les juger, il faut tenir compte de la conception

?

1) Bull. Comité de Madag., 1895, p.27-28.

2) Les Musulmans à Madagascar, partie, 1893, p. 23.

3) Les usages de l'hospitalité malgache voulaient que les chefs de village et les pères de famille missent à la disposition des hôtes de passage et des vazahä ou étran- gers les plus jolies filles du pays : 11 n°y a

pas bien longtemps encore, les jeunes filles betsimisarakä du Sud qui venaient passer la nuit avec un Européen apportaient leur lanananä long bambou dans lequel on garde l'eau, et souvent le père ou la mère venaient s'assurer, au poids de l’eau qui y restait, si l'amour du vahinÿ ou du vazahà pour leur fille avait été grand. Dans les

72 MADAGASCAR.

qu'ils ont de la famille, conception très différente de la nôtre; en tout cas, on peut dire que cest inconsciemment qu'ils sont immoraux ou plutôt amoraux, les liens du mariage étant très relâchés et l'adultère du mari, aussi bien que celui de la femme, n'étant généralement pas regardé comme criminel : + La femme se prête à qui la veut», dit un vieux pro- verbe; et en elfet, la femme malgache, qui n'est cependant ni vicieuse, ni passionnée, s'offre ou du moins s’offrait à tout venant sans honte, comme par devoir". Disons toutefois que, malgré cette liberté excessive des mœurs, 1l est honteux pour une jeune fille de prendre tous les jours un nouvel amant; mais, comme nous l'avons déjà dit, lorsqu'il y a profit, il n’y a plus ni discrédit ni honte. Font exception les femmes des clans nobles Antimoronä, qui sont plus chastes et plus fidèles à leurs époux que les autres femmes malgaches et pour qui ladultère est une honte. La moralité est également plus haute chez les Antifasinä et les Antisakä® que chez la généralité des Malgaches, qui ignorent la chasteté du haut en bas de l'échelle sociale et n’ont aucune retenue dans leurs actes, leurs gestes et leur langage ® : non pas que les femmes manquent d'une certaine

régions peu fréquentées par les Européens, concision |, il y avait un jour qu'on nom- les femmes en avaient peur, les usages mait androtsimatÿ (sous-entendu manotà ) étaient différents, mais nullement pour {jour il était permis de tout faire sans obéir à un sentiment moral. Partout encourir la peine de mort], jour de licence d’ailleurs, sauf jadis en Imerinä, lors des et de débauche générales. Le Souverain en orgies, au bruit infernal des tambours et accordait anaty Rovä [dans l'intérieur du autres instruments, aux cris des ivrognes, palais] quand bon lui semblait; Radamä [°°

on voyait hommes et femmes, surtout jeu- a souvent autorisé ces sortes de saturnales. nes gens et jeunes filles, sauter et s'enlacer ® «Ces peuplades ont des mœurs relati- presque nus, le visage barbouillé de terre vement pures; l'enfance y est jalousement blanche ou jaune. protégée contre la dépravation » (G. Juurex,

() Dans lImerinä, à chacune des deux /nst. polit. et soc. de Madagascar, t. X, p. 46). grandes fêtes, au fandroanä | la fête du nou- 3) Hommes, femmes et enfants parlent vel an] et au famoranä [le jour de la cir- de tout avec la plus extrême licence (*).

@ Nulle part, pour ainsi dire, les femmes ne s’effarouchent ni des paroles, ni des caresses. Dans les par- ties du pays que ne fréquentaient pas les Européens, elles leur paraissaient plus retenues, moins libertines que sur les côtes» (Dumaine, 1792); mais cette retenue était simplement due à la crainte que leur inspi- raient les étrangers avec lesquels elles n'étaient point encore familiarisées. Le Rév. Richardson raconte que, dans plusieurs villages barä, lui et ses porteurs ont été hués et invectivés par les femmes qui leur prodiguèrent les noms les plus injurieux et les plus grossiers parce qu’ils ne s’y arrêtaient pas pour y passer la nuit. C’est ce que maint voyageur a constaté de-ci de-là dans ses pérégrinations.

ETHNOGRAPHIE. 73

pudeur, mais cette pudeur ne peut aucunement se comparer à celle que nous considérons avec raison comme la première des grâces de la femme civilisée.

XVIIT. Ivrocnerie. Au nombre des principaux vices des Malgaches il faut compter l'ivrognerie, vice auquel ont été seuls soustrails pendant longtemps les Merinä par suite des peines qu'encouraient, en Imerinà, les ivrognes. Ce n'est pas qu'ils ne supportent admirablement les priva- tions; mais, dans l'Est comme dans l'Ouest, de même que dans les pro- vince centrales autres que l'Imerinä, toutes les fois qu'ils pouvaient se procurer des boissons alcooliques, ils ne manquaient jamais de s’enivrer jusqu'à l'épuisement total de ces boissons : et, quand ils sont ivres, hommes et femmes se conduisent «comme des bêtes fauves». D'ailleurs, quand ils boivent, les voisins et les passants en ont leur part.

Ils savaient distiller la canne à sucre et le jus de divers fruits, ils faisaient de Fhydromel; mais leur betsabetsä, leur toakäà, leur barisä, leur robok-antelÿ étaient en somme faibles, et il ne leur était pas facile, pares- seux comme ils l'étaent, de s'en procurer de grandes quantités; le mal déja grand® a empiré lorsque les Européens ont introduit à Madagascar l'arack ou rhum tres fort, dont le litre coûte quelques sous et qui a été vite partout le bienvenu®. Dans l'Est surtout, qui est en rapports con- slants avee les colonies de Maurice et de la Réunion, il y a dans la plu- part des maisons une barrique de rhum, et hommes, femmes, enfants en boivent à satiété; des milliers de Betsimisarakä vivent dans un état presque chronique d'ivrognerie, ce qui est une cause terrible de démo- ralisation, de dépopulation et de toutes sortes de maladies. Dans l'Ouest, les occasions de s'enivrer sont moins fréquentes, ils ne s’en livrent pas moins à des orgies interminables toutes les fois qu'ils le peuvent : aux naissances, aux mariages , aux enterrements surtout, tous s’emvrent à

1) «Les habitants de la baie d’Antongil ai- Collect. des Ouvr. anc. Madag., L. À, p. 233).

ment passionnément les liqueurs, s’enivrant ® Dans ces dernières années, on à comme des pourceaux avec un breuvage planté dans le Betsileo dix fois plus de qui est fait de miel et de riz» (Cornélis ne cannes à sucre que jadis, pour faire du

Hourwax, Relâche à Madagascar en 1595, rhum (Shaw).

ETHNOGRAPHIE. 10

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qui mieux mieux, hommes et femmes, les femmes encouragées par leurs maris qui déclarent que le toakà, la boisson, les rend plus aimables 1.

Cette ivrognerie ne laissait pas que d’être dangereuse, car, chez les Sakalavä par exemple, qui jusqu’à notre conquête avaient toujours leur fusil à la main, l’un de nous en a vu à maintes reprises qui ont tiré sur les traitants de Tuléar parce que ceux-ci leur refusaient du rhum ©.

Il en était autrement en Imerinä où, dès avant 1785, toute fabrication de liqueurs enivrantes était formellement prohibée. Une loi très sévère punissant ceux qui en buvaient a Jusque tout récemment empêché le vice de l'ivrognerie de s'y répandre comme dans tout le reste de l'ile Ÿ. Mais

M Les grands du pays étaient les pre- 5) Le roi de Tananarive a violé cette loi miers à donner l'exemple (*). à la fin du xvrt siècle, mais il en a été

@) Notamment le jeune prince Ralambo, puni, car, devenu odieux à ses sujets, il le fils du roi Lahimerijä P. perdit son royaume (.

( AndriandahifotsY, le fondateur du royaume sakalavä, est mort à la fin du xvn° siècle pour avoir bu trop d’eau-de-vie à bord d’un brigantin anglais dont tout l'équipage fut massacré par ordre de son fils et successeur, Tsimanongarivé, qui l’accusait d’avoir empoisonné son père (A. et G. Granoinier, Coll. ouvr. anciens Madag., t. NL, p. 617); Modave raconte que «Maimb6, roi des Antanosÿ, étant venu lui faire visite, son fils l'avisa que son père s’enivrerait sûrement et de prendre garde, parce que, dans cet état, il élait capable de faire des malheurs»; il ajoute que +la paresse des indigènes ne peut être domptée que par l’eau-de-vie, car il n°y a rien qu'ils ne fassent pour s'en procurer» (Arch. colomales, 1768). Dans le pays des Barä, il n’est pas un village l'on ne distille du rhum, et lorsque Naharovä, la reine du Ménabé, est venue voir l’un de nous à Tsimanandrafozanä, le matin de son arrivée elle était déjà ivre, en gaieté.

() Ce jeune prince tira contre l’un de nous et un colon, Achille Lemerle, qui causaient paisiblement, parce que, voyant le prince ivre, ils ne voulaient pas lui ouvrir la porte de l'enceinte ils se trouvaient : heureusement un de ses compagnons de plaisir avait relevé le canon du fusil au moment il pressait la gâchette.

( «Le trait suivant, dit Mayeur dans le récit de son voyage dans l'Ankovä (lImerinä) en 1785, montre quelle répugnance les Hovä ont pour ce vice. Des gens de la côte apportèrent, il y a quelques années, au prince Andrianamboatsimarofÿ de l'arack; il en but en secret et, le trouvant à son goût, en fit fabriquer de sem- blable. Il ne crut pas d’abord mal faire en en usant modérément, car cette boisson lui donnait non seulement des forces, mais aussi, ce à quoi il tenait beaucoup, de la hardiesse pour parler en public avec éloquence et énergie. La souveraineté venait de lui échoir par suite de la mort de son grand-père Andrianamponimerinä, prince sans volonté et sous le règne duquel les Hovä étaient devenus un peuple de brigands; et Andrianam- boatsimarofŸ, qui voulait régénérer les mœurs et était obligé de prononcer de fréquentes harangues dans les nombreuses assemblées qu'il convoquait dans ce but, avait soin d’en assurer le succès grâce à sa liqueur favo- rite; mais, peu à peu, il ne se modéra plus et, buvant avec excès, plongé dans une ivresse presque conti- nuelle, il commit tous les crimes qu'engendrent la perte de la raison et les passions effrénées, perdant toute dignité el toute retenue aux yeux de son peuple; celui-ci supporta longtemps sans se plaindre les excès et les extravagances auxquels se livrait son souverain et dont il était la victime; cependant, en 1872, ce prince ayant tué sa vady bé, sa première femme, Rahatsovolä, pendant qu'il était ivre, le peuple se sou- leva et, s’élant emparé de son fils aîné Ramaromanompô, encore enfant, lui dit, en assemblée plénière : «Get enfant est ton successeur légitime et nous le reconnaîtrons pour notre maitre après toi; mais, puisqu'il n'aurait auprès de toi que de mauvais exemples, nous allons l'emmener et nous le garderons avec nous; tu ne le verras plus. Tu nous as accablés de toutes sortes de maux pendant tes ivresses, et nous les avons supportés parce que tu es le fils de nos rois; mais tu as tué ta femme, et comme un pareil sort attend peut-être cet enfant que nous aimons, nous voulons l'y soustraire. Donc, choisis : renonce à ta criminelle passion, ou sinon tu perdras et ton royaume et ton fils. Nous te donnons huit jours pour nous

ETHNOGRAPIUE. 79

si l'ivrognerie y était sévèrement prohibée, les Merinä, une fois hors de leur pays, ne se faisaient pas toujours faute de s’enivrer, et, depuis l’avène- ment au trône de Ranavalonä IT en 1883, cette prohibition n'a plus été respectée; beaucoup de débitants de rhum, la plupart des étrangers, se sont établis à Tananarive même, et l'on buvait et l'on jouait dans leurs boutiques : d’ailleurs l'exemple venait de haut, car le fils favori du Premier Ministre était souvent, à cette époque, ivre mort.

$ 4. DIFFÉRENCE DES CARACTÈRES INTELLECTUELS ET MORAUX

DES PEUPLADES AGRICOLES, PASTORALES ET MARITIMES DE MADAGASCAR.

Les qualités et les défauts dont nous venons de parler sont, dans une plus ou moins large mesure, communs à tous les Malgaches; mais les habitants de l'ile de Madagascar se divisent en peuplades agricoles, qui ont une vie sédentaire, et en peuplades pastorales, qui, sans être à pro- prement parler nomades, vaguent souvent de côté et d'autre : et il est naturel que ces deux groupes de population, très différents par leurs occupations et par leur genre de vie, diffèrent aussi par leurs mœurs et leur caractère. Les peuplades agricoles de la région orientale et celles du centre de l'île doivent même être, sous ce rapport, considérées à part.

I. Peuprapes AGRICOLES DE LA cÔTE ortENTALE. Les habitants de toute la région orientale, la côte extrême Nord-Est exceptée, sont principale- ment adonnés à l'agriculture : ce sont les Betsimisarakä, les Betanimenä, les Antambahoakä, les Antimoronä, les Antifasinä, les Antisakä et les

répondre; mais en attendant, tu resteras parmi nous sans honneurs et sans autorité, que nous transférons à ton fils.

«Le jeune prince fut alors remis aux mains du chef des Manisoträ, Raïnitsaralafÿ, et Andrianamboatsimarofÿ resta accablé sous ce coup imprévu. Huit jours après, en une nouvelle assemblée plénière, il jura qu'il ne boirait plus jamais de liqueurs fortes, déclarant que, s’il manquait à ce serment, il consentait à êlre déchu de sa souveraineté. Le peuple Pat lui préla de nouveau serment de me et d’obéissance, et lui rendit son fils; puis on vota, et l’on promulgua une loi condamnant à mort tout individu coupable d’intro- duire des liqueurs fortes en Imerinä. Andrianamboalsimarofÿ cessa en eflet de s’enivrer et reconquit l’affec- tion de ses sujets» (Maveur, Voyage dans l'Ancove en 1985, Manuscrit du British Museum, fonds Farquhar, et Copie Bibl. Grandidier, p- o-h2). Mais Dumaine, le directeur en chef des traites à Madagascar pour le roi, dit qu’en 1794 «ce prince était repris par sa misérable passion au point que, iorsqu il ne pouvait se pro- curer d’arack, il usait d’ opium que les marchands arabes apportaient de Majunga et qu'ils débitaient en secret; son inconduite et ses vexations l’avaient, à cette époque, rendu odieux à son peuple, de sorte qu ’Andria- nampoinimerinä s’empara facilement de sa capitale, Tananarive, d’où il le chassa, le forçant à chercher honteu- sement un asile chez un de ses parents, chez lequel il vécut dès lors sans AE on et sans ressources».

10.

76 MADAGASCAR.

Antanosÿ. Tous sont respectueux de l'autorité et disciplinés ; ils sont, dans une certaine mesure, honnêtes et généreux, et sont propres; mais, tandis que les Betsimisarakä et les Betanimenä sont indolents et paresseux quoique résistants à la fatigue, imprévoyants, versatiles et inconstants, craintifs et même lâches, ce qui les rend pacifiques et disciplinés, bavards, querelleurs et processifs, les peuplades du Sud-Est, qui ont comme chefs des descendants d’Arabes, sont actives et laborieuses, économes et âpres au gain, toutefois peu industrieuses, indépendantes, belliqueuses et pillardes, toujours en quête de querelles et de disputes : comme nous l'avons déja signalé, quelques-unes n'accordent pas aux femmes la même liberté de mœurs que dans le reste de File".

IL. Pevpranes aricozes pu Centre. À l'exception des Tsimihetÿ, qui sont plutôt pasteurs et paresseux, les habitants du Centre sont adonnés à la culture comme leurs voisins de l'Est, mais 1ls ont à lutter contre un sol et un climat moins propices; plus qu'eux encore respectueux de l'au- torité et disciplinés, il n'en sont pas moins processifs; ceux surtout de l'Imerinä et du Betsileo sont très industrieux et curieux de la civilisation; actifs et laborieux, âpres au gain, économes et même avares, persévé- rants, ils sont courageux quoique pacifiques, mais fanfarons et vindicatifs, méfiants et corrompus; leur saleté est proverbiale, et leur peau, faute des soins de propreté les plus élémentaires, est souvent couverte de boutons, de squames et de pustules ©).

Les Betsileo, devenus aujourd'hui très craintifs, sont plus humbles, plus défiants d'eux-mêmes, plus modestes, plus doux et par conséquent plus dociles et plus respectueux que les Merinä, auxquels ils sont infé- rieurs en connaissances, n'ayant pas été en relations aussi anciennes et aussi suivies qu'eux avec les Européens; ils sont moins énergiques au travail, quoique grands et robustes, parce qu'ils sont d'un tempérament

(0) Voir à l'Appendice les » à 11 au leurs troupeaux, qui constituent cependant sujet des divers caractères intellectuels et leur seule richesse» (Capitaine TrarBoux, moraux des Malgaches de l'Est. Rev. Madag., mars 1903, p. 298).

® «Les Tsimihetÿ, qui aiment à vivre à () Voir à T'Appendice les 19 à 2 au

l'écart, sont sales et ivrognes; ils cultivent sujet des divers caractères intellectuels et à peine pour se nourrir et s'occupent peu de moraux des Malgaches du Centre.

ETHNOGRAPHIE. 77

lymphatique. Les femmes betsileo sont népligentes et paresseuses, pilant un peu de riz, apprêtant nonchalamment les repas, cueillant quelques brèdes, tissant ou cousant rarement, mettant une année pour confec- tionner un lamba. Au contraire, +les femmes bezanozand (comme les femmes merinmä) sont fort laborieuses dans leur ménage et cherchent par tous les moyens à gagner de l'argent».

En réalité, les Merinä seuls se sont montrés dans le passé aptes à un travail suivi: ils ont l'instinct de l'observation et le don de limitation, de la finesse et de la patience et sont possédés du désir de s'instruire ©. Dès les premiers rois d'origine javanaise, dès Andrianjakä, vers le milieu du xvr° siècle, 1ls ont su unir et coordonner leurs efforts et ont exécuté dans un but d'intérêt général des travaux remarquables, comme les digues de lTkopä et la transformation de orands marécages inutiles en rizières fertiles ®. Maintes et maintes fois, Andrianampoinimerinä a proclamé que «les paresseux sont dignes de mépris», car, ajoutaitl, «ceux qui ne tra- vaillent pas sont des traitres qui pactisent avec notre ennemi si redoutable, la famine, et, d'autre part, l'oisiveté et la faim les poussent au vol»; aussi tous les gens valides étaient-ils dans l'obligation de travailler, sous peine d'être expulsés de leur communauté", de sorte que, de gré ou de force, ses sujets étaient astreints au travail dans un but pacifique ou dans un but de conquête. Il est certain que, de même que les immigrants java- nais ont foncièrement modifié l'aspect physique des habitants de l'Imerinà,

facilement la couture, la broderie, la fabri- cation de la dentelle, elc., et y deviennent fort habiles.

D Dumarne, Voyage au pays d’Ankay en 1790, Annales des voyages de Malte-Brun,

t. XI, 1810, p. 175-176.

2) Grâce à ces dons d'imitation et de patience, les Merinä ont réussi dans l'étude de la musique, du dessin des langues, etc. :

8) Bror, L'effort physique chez les Mal- gaches, Rev. Madap., sem. 1908, p. 99. () On prétend même qu'Andrianampoi-

nimerinä faisait fouetter publiquement les fainéants().

les travaux qui exigent de l’abstraction leur conviennent moins; les femmes apprennent

# Plusieurs sentences ou dictons montrent dans quelle estime on tenait les travailleurs : Raha manao ka t8y ambininy, ampisambory, fa havana ory; fa raha miraviravy tanana, avelao, hivarina aman-lany | Si quel- qu'un de laborieux est malheureux dans ses entreprises, secourez-le, car c’est un parent digne d'intérêt : quant à celui qui reste les bras pendants, abandonnez-le à son sort, tombät-il à terre], et encore Vava tsy ambina hahitan-doza, ary tongo-dava hahitan-kanina | Une bouche qui parle à tort et à travers causera des malheurs; de grandes enjambées donneront à manger (trop parler nuit, mais prenez de la peine et vous en serez récompensé )].

78 MADAGASCAR.

ils ont fortement marqué leur empreinte au point de vue social et moral.

III. PEUPLADES PASTORALES ET MARITIMES pe L'Ouesr ET pu Sun. Quant aux peuplades pastorales qui habitent le nord°, l'ouest et le sud de Madagascar, auxquelles on peut adjoindre les Antanalä du Nord), et qui sont encore presque sauvages, elles étaient jalouses de leur indépen- dance et n'avaient plus ce respect absolu de l'autorité et cet esprit de discipline qui caractérisent les peuplades agricoles : beaucoup moins paisibles et d'humeur moins douce que les habitants de l'Est et du Centre, ceux de l'Ouest et du Sud sont belliqueux ou plutôt pillards,

M Les Anlankaranä sont en effet des taires, doux. honnêtes, n’admettent ni le vol,

pasteurs ainsi que les Tsimihelÿ; ce sont les Makoas (ou Africains) et les métis de Merinä et d’Antankaranä qui forment l'élé- ment slable de la population du Nord et qui travaillent les rizières. Les autres peu- plades pastorales sont les Sakalavä, les Mahafalÿ, les Antandroy, les Tsienimbalalä et les Barà.

® Les Antanalä du Nord et les Taivä, en effet, vivaient jadis de rapines et de bri- gandage, changeant fréquemment de loca- lité; imprévoyants et souvent en grande pénurie de vivres, ils avaient toutes les mœurs des peuplades pastorales. Au con- traire, les Antanalä du Sud, qui diffèrent des Antanalä du Nord par de nombreux traits de caractère, sont travailleurs et séden-

ni le mensonge; quoique très indépendants el jaloux de leur liberté, ils se rapprochent plus des peuplades agricoles que des peu- plades pastorales.

() Chez les Sakalavä indépendants, chez les MahafalŸ, les Antandroy, les Bara du Sud et les Antanalä, dans toutes les peuplades de l'Ouest et du Sud en un mot, l'anarchie a réyné jusqu'a notre conquête; leurs chefs n'avaient pas, malgré leur despotisme, d'au- torilé réelle, et on discutait leurs ordres dans des kabarÿ interminables (*.

(1 Beaucoup de ces pasteurs, surtout dans le Sud, qui guerroyaient loujours les uns contre les autres et se querellaient sans cesse, portaient sur leur corps la trace de leurs combats ),

( Ces chefs, en effet, qui n'étaient supérieurs à leurs sujets ni en instruction, ni en quahtés, et qui ne savaient ni commander, ni se faire obéir, ne pouvaient avoir d'autorité ni d'influence réelles; leurs sujets ne se faisaient pas faute de se soustraire à la domination de leur chef naturel, souvent pour la cause la plus futile, et allaient faire le mufalÿ, c’est-à-dire leur soumission, à l'un des chefs voisins, uniquement souvent parce qu'il était plus débonnaire, et ce chef avait tout intérêt à bien accueillir le transfuge et sa famille, puisque de ce fait le nombre de ses sujets et, par suite, sa puissance augmentaient.

«Les Sakalavä d’Ankavandrä, assemblés en kabarÿ par des officiers français, se sont montrés beaucoup plus indisciplinés que les Merinä , interrompant les discours à tout bout de champ et échangeant bruyamment leurs impressions et leurs idées» (Journal off. Madag., 1897, p. 766).

@) Tsifanihy, le roi des Antandroy lorsque l'un de nous se trouvait au cap Sainte-Marie, était estropié à la suite de blessures à la jambe et avait au côté une cicatrice provenant d’un coup de sagaye, et son fils avait eu la main gauche enlevée par une balle. Il en est, comme les Barä, qui ne se séparaient jamais de leurs armes, les ayant à leur portée, même la nuit, le long de la natte sur laquelle ils reposaient : lorsqu'ils se lavaient la figure, disait-on, ils tenaient le fusil d’une main pendant que de l’autre ils lavaient une joue, et, quand cette joue était lavée, ils changeaïent le fusil de main et lavaient l’autre. En 1661, Flacourt écrivait : «Les habi- tants des Ampâtres [les indigènes du Sud] sont adonnés à voler et à piller leurs voisins, à cause de quoi ils leur sont loujours ennemis» ( Hist. de Madagascar, p. 35).

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jurikà®), relativement courageux du reste; leur caractère est inquiet et tur- bulent®? et leurs passions violentes sont facilement surexcitées; brutaux et grossiers, souvent insolents et hautains quand ils se sentent les plus forts, égoistes et très méfiants, paresseux " et insouciants, imprévoyants

(1 Ces peuplades ne faisaient en effet la guerre que dans l'unique but de piller, et, dès qu'elles avaient du butin, elles s’em- piessaient de s’en retourner chez elles. Jus- qu'a notre conquête, ilse passait à Madagas- car ce qui s'est passé en Écosse, en pleine civilisation européenne, jusqu'au milieu du Avr siècle; car les clans écossais ont con- servé longtemps leurs occupations pasto- rales et leurs habitudes de pillage, malgré les progrès sociaux qui s'élaient accomplis autour d'eux (.

@) Lorsqu'on leur enlève leurs armes, ils perdent ce caractère inquiet et turbulent, en même temps que l'amour de la liberté , et deviennent laborieux et industrieux.

5) Chicaniers, ils cherchaient, surtout dans le Sud, noise à leurs voisins et même à leurs parents pour les motifs les plus fu- tiles : un bœul égaré, un esclave fugitif, etc., suffisaient pour les mettre aux prises.

4) Avant que nous occupions le sud de Madagascar, le travail, chez les Antandroy

comme chez les Mahafalÿ, était le lot des esclaves, des femmes et des enfants; à pré- sent qu'il n’y a plus d'esclaves, les femmes travaillent aux cultures et les enfants gar- dent les bœufs, mais les hommes continuent à passer leur temps assis devant la porte de leur case, sans rien faire ou faisant kabariÿ sous un tamarinier, causant de choses et d'autres, surtout de bœufs, qui seuls les intéressent. Leur paresse est telle, qu'ils aiment même mieux vendre, pour payer leurs impôts, quelques-uns de ces bœufs, ce qui leur est pourtant douloureux, que d'’al- ler dans la brousse récolter un peu de caou- tchouc, si peu pénible que soit ce travail. Ils ne montrent un peu d'activité et d’ar- deur que pour voler des bœufs (Lieutenant Bührer).

(5) Et pourquoi eussent-its été prévoyants, économes, pourquoi eussent-ils amassé pé- niblement une épargne qui, à tout instant, eût été exposée au pillage, si fréquent dans ces pays?

® Travailler et ne plus pouvoir voler sont les plus grands malheurs du monde aux yeux des Antandroy. Dieu nous a vendus aux Blancs, il ne s'intéresse plus à nous», répètent-ils sans cesse en gémissant depuis que nous occupons leur pays, car notre arrivée a marqué la fin des pillages , de l’oisiveté et de l'indépendance. + C'était le bon temps, clament-ils!» (Lieutenant Vacher). M. Gautier a dit «que les Sakalavä volaient et tuaient comme ils respiraient, que c'était une de leurs fonctions naturelles». Voler, pour eux, en effet, est maka harent, s'enrichir, et ils n’en éprouvent ni honte ni remords : ceux qui, ayant volé des bœufs, ont été assez adroits pour les amener dans leur parc, ont droit aux félicitations de leur entourage; mais, s'ils se laissent prendre sur le fait, tant pis pour eux, ils sont punis sévèrement.

Ce sont les bandes de Sakalavä et de Barä pillards, les Jahavalÿ comme on les nomme, qui ont rendu inhabitables ces vastes étendues dans l’Ouest qu'on pourrait prendre sur la carte pour des déserts, quoiqu’elles soient aussi habitables que le reste de la région occidentale. Dans les années qui ont précédé notre occupa- tion, ces fahavalÿ ont commis une foule de pillages et de meurtres : ils ont tué un jeune Suberbie en 1890, le Béziat en 1891, M. Muller en janvier 1893; et, cette même année, ils ont attaqué et pillé M. Guine- Folleau, M. l'ingénieur Guinard et M. Guilhaumin, pris 27 indigènes d’Ampotakakelÿ qu'ils ont réduits en esclvage, pillé les villages de Taïnangidinä, d'Andribä, de Bemarivo et attaqué à tout instant les caravanes qui traversaient cette région , etc.

Ï y a toutefois lieu de remarquer que les Sakalavä qui étaient soumis à l'autorité des Merinä s'étaient grandement amendés; ils mènent une vie plus sédentaire et semblent doux et tranquilles, quoiqu'il ne faille pas trop se fier à ces apparences et qu'il soit bon de se tenir toujours en garde contre eux.

80 MADAGASCAR.

et inconstants, ils sont assez propres sur leur personne el dans leurs maisons dans l'Ouest, mais sales dans le Sud l’eau est rare (): assez braves ?, comme nous l'avons dit, leur principale ambition est d’avoir un fusil qu'ils soignent avec amour, ou, lorsqu'ils habitent le bord de la mer, une pirogue, les Vezÿ étant des andevoranÿ, c'est-à-dire les «esclaves de la mer», ou plutôt les maîtres de la mer, car ils s’attribuent ou du moins s’attribuaient non seulement le droit d'épave, mais regardaient comme un don de Dieu tout navire naufragé et même tout navire en détresse.

Ces Vezô ou Sakalavä de la côte ne vivem pas toujours en bons termes avec les Masikord ou Sakalavä de l'intérieur, les Sakalavä pasteurs, et quand une querelle surgit entre eux, les Vezô, qui sont moins nom- breux et moins courageux, ne tentent pas d'entrer en lutte avec les Masi- korë : ils quittent leurs maisons, pauvres huttes à moitié enfouies dans le sable de la plage et qui ne méritent pas le moindre regret, puis, montant dans leurs pirogues, ils font voile, suivant le vent, vers le Nord ou vers le Sud, et vont s'établir sur une autre plage; leur mobilier ne les gêne pas pour s'enfuir, car 1ls peuvent l'emporter tout entier sur leur dos, les objets d'un certain volume qui pourraient les embarrasser étant toujours cachés en un heu sûr, connu du chef de famille seul. Mais en général ces deux peuplades vivent en bon accord, ayant besoin les uns des autres, les Vezd procurant les poissons et le sel, et. en temps de guerre, mettant à l'abri de l'ennemi les femmes et les richesses des chefs, et les Masikord fournissant le maïs, le manioc, le riz, la canne à sucre pour faire le toakà ou rhum, les bœufs, etc. Du reste, ils se marient entre eux.

Depuis qu'un groupe d’Antanosÿ, fuyant la domination mermä, a émigré dans les pays barä et mahafalÿ, sur les bords de lOnilahÿ ou Saint-Augusün, et y a apporté les habitudes d'ordre, de travail et d’éco- nomie qui les caractérisent, transformant une contrée jusque-là pauvre

0) Les Antandroy et les Barä ont leurs 2 Voir à l'Appendice les 25 à 30 au villages pleins de bouse, les bœufs yerrant sujet des divers caractères intellectuels et en liberté; ils diffèrent sous ce rapport des moraux des Malgaches de l'Ouest et du Sud. Anlisakä et des Manambia, qui sont plus (8) Ware, Two years among the Saka- propres. lava, Antan. Annual, 1881, p. 12.

ETHNOGRAPHIE. 81

et inculte en une contrée bien cultivée et riche, quelques clans pasteurs, les Antihodô et les Antimaromenàä par exemple, ont, à leur contact, secoué leur paresse native et se sont mis, eux aussi, à cultiver.

$ 5. EUROPÉENS ET MALGACHES : LEURS RELATIONS AUX SIÈCLES PASSÉS

ET LEUR INFLUENCE SUR LE CARACTÈRE DES MALGACHES.

Les Européens sont, avec juste raison, fiers de leur civilisation et se font gloire de l'avoir portée aux quatre coins du monde. Ils ne doutent pas d’avoir ainsi rendu à l'humanité le plus grand des services en incul- quant ou cherchant à inculquer, de force ou de gré, leurs croyances et leurs mœurs aux barbares et aux sauvages qui peuplent le reste de la terre. Ce n'est pas ici le lieu d'aborder la discussion de ce grand problème historique et philanthropique dans sa généralité, nous nous limiterons à l'examen des tentatives de colonisation faites par diverses nations européennes à Madagascar. Les conclusions auxquelles nous conduira cette enquête sur les résultats obtenus par les +civilisateurs» montreront combien, à ce sujet. l’orgueil des races supérieures est peu justifié : car, loin d'être toujours bienfaisante, comme elles se le figurent, leur action a souvent été néfaste, non pas certes pour les intérêts matériels des con- quérants, mais pour les pauvres indisènes auxquels elle a apporté avec beaucoup de vices toutes sortes de misères.

Autrefois, on a fait partout de la colonisation économique, appuyée manu mihlari; mais la colonisation intellectuelle et civilisatrice qu'on a tentée simultanément a souvent échoué, étant forcément en lutte avec l'autre, qui était le principal sinon l'unique souci de la plupart des intéressés. On peut se demander, du reste, si les dévoués et souvent admirables missionnaires chrétiens eussent mené à bien leur œuvre, même si les intérêts matériels de leurs compatriotes ne l'eussent pas dans une certaine mesure entravée et contrecarrée : leur sainte ardeur les poussait à des croisades actives, souvent violentes; ils voulaient et

0) Clans antandroy émigrés au pays mahafalÿ.

ETHNOGRAPHIE. 11

IMPRIMERIE NATIONALE.

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espéraient écraser de suite l'idolâtrie, quand, pour réussir, il eût fallu procéder avec patience par une infiltration lente, les peuples barbares ayant l'intelligence obseurcie par des préjugés séculaires auxquels ils étaient fortement attachés et qui, à leurs yeux, élaient autant de vérités incontestables. Or nous savons combien les Européens ont eu et ont encore de peine à se hbérer d’antiques superstitions; comment eût-on pu en quelques années affranchir ces prosélytes plus moins volontaires de leurs fausses croyances et leur imposer des dogmes nouveaux, ouvrir leur esprit à la raison et modifier leur moralité traditionnelle!

Quand on lit les récits des premiers marins et des premiers voyageurs qui ont visité l'ile de Madagascar, on est surpris et embarrassé de voir que des auteurs, tous dignes de foi, expriment des opinions complète- ment opposées sur le caractère de ses habitants : suivant les uns, ils étaient d’un naturel doux et pacifique, honnêtes, hospitaliers, curieux d’ap- prendre et doués d’une intelligence vive; en somme, des gens de sens, sympathiques, de relations faciles et, comme dit le général de Beaulieu, «gaillards et nullement brutaux»:; suivant d’autres, ils avaient au con- traire tous les vices et étaient capables de tous les erimes, ils étaient traîtres, menteurs, voleurs, débauchés, vils et humbles avec leurs supé- rieurs : en un mot, de «vraies brutes qui n'avaient pas leurs pareilles au monde».

Dans toute agglomération humaine, il y a des bons et des méchants; mais ce ne sont pas des individualités isolées, des groupes particuliers que certains voyageurs incriminent, c'est la race entière qu'ils prennent à parti et maudissent, c'est la race entière à laquelle ils attribuent les vices qu'ils énumèrent avec mépris et colère. Or la race malgache ne mérite pas et surtout ne méritait pas, avant la venue des Européens, qu'on l’accablât de semblables anathèmes. Il n'est pas douteux que, tout en avant les défauts et les vices inhérents à la vie sauvage qu'ils menaient, les habitants de Madagascar n'aient eu beaucoup des qualités que leur ont reconnues et qu'ont louées divers voyageurs; ce sont les étrangers qui ont peu à peu dénaturé leur caractère, vicié leur nature : d'abord les Arabes, les Indiens et les Malais, qui, venus successivement à Madagascar

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et trouvant cette ile habitée par des nègres orientaux qui vivaient patriar- calement divisés en une foule de clans, leur ont imposé plus ou moins impérieusement leur autorité despotique et ont forcément accru en eux l'esprit d'hypocrisie et de lächeté; puis les Européens, qui, comme nous l'allons montrer, ont non seulement développé dans une très large mesure le commerce des esclaves, en fomentant des guerres intestines qui seules pouvaient leur fournir le bétail humain objet de leur trafic, mais qui, par leur conduite souvent cruelle et inique, ont modifié les mœurs du pays en changeant la douceur et l'hospitalité traditionnelles des Malgaches en trahison et en perfidie : attaqués, volés, ceux-ci ont vite pris en haine les étrangers; ce que disent les vieux historiens est probant à cet égard.

Cest en l'an 1500, le 10 août, qu'un navigateur portugais, Diogo Diaz, qui se rendait aux Indes par la route du Cap nouvellement décou- verte, ayant été séparé des autres navires de la flotte par un ouragan, aperçut une île qu'il nomma ile de Saint-Laurent : ainsi fut révélée à l'Europe, par le caprice des vents, l'existence de l'ile de Madagascar, dont on a longtemps célébré les prétendues richesses naturelles maloré les récits peu encourageants de la plupart des marins ou voyageurs qui l'ont visitée.

Quatre nations européennes l'ont fréquentée plus ou moins longtemps. cherchant à y fonder des établissements : ce sont les nations portugaise, hollandaise, anglaise et française ®. Nous allons successivement rappeler les relations plus ou moins amicales que chacune d'elles a établies avec les Malgaches pendant les xvr°, xvn° et xvm siècles.

TL. Porrucars. En février 1506, l'amiral Fernan Soarez, en retour- nant de Cochin au Portugal, s'arrêta sur la côte Sud-Est pour y prendre de l'eau; c'était la premiére fois que des Européens y accostaient. Soarez

(1) À, Granninier, Les cartes de Mada- gascar, Bull. du Comité de Madagascar, nov. gascar depuis les temps les plus reculés 1898, p. 529-531. jusqu’à nos jours, Comptes rendus de l’Acad. @) Voir A. et G. Granpinier, Collect. des des Sciences, séance du 3 mars 1884, p.55, Ouvrages anciens concernant Madagascar, t. 1-

et Sur la date de la découverte de Mada- IX, 1903-1914.

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s'empara de force de 21 indigènes, dont il garda deux qu'il emmena à Lisbonne, et il en blessa quelques autres. Cette même année, Tristan d’Acunha,

. que nunca extincto Sera seu nome em todo o mar que lava As ilhas de Austro. . . 0)

envoyé par le roi Dom Manoel à la tête d’une flotte de 16 vaisseaux et de 1,300 soldats pour étendre et affermir la domination portugaise en Afrique et dans les Indes, visita en novembre la côte Nord-Ouest. Se fiant aux récits enthousiastes de l’un de ses capitaines, Jean Rodrigues Pereira, qui, ayant alterri à divers ports de Madagascar, lui amenait deux indigènes pris de force sur la côte et affirmait qu'on pouvait sy procurer en abondance du gingembre, du girofle et toutes sortes d'épices ainsi que de l'or et de l'argent, il partit à la découverte de ces richesses, emmenant avec lui quatre navires.

Arrivé en vue de terre et apercevant une pirogue montée par deux indigènes, 11 lui fit donner la chasse par ses chaloupes qui eurent vile fait de s'en emparer; puis il entra dans une vaste baie, la baie de Boinä, les Arabes avaient un comptoir important. À la vue de tous ces navires, les habitants de la ville s’enfuirent dans la brousse; les Portu- gais débarquérent et, se mettant à leur poursuite, en tuèrent plusieurs, puis ils incendièrent la ville et, sans s'attarder en ce lieu, mirent à la voile et se dirigérent vers le Nord, en longeant la côte. Îls arrivèrent ainsi à la grande baie de Mahajambä, vivait, en partie sur un ilot, l'iot de Langanÿ ou Nosy Manjä, en partie sur la terre ferme qui n'en est distante que de quelques centaines de mètres, une popu- lation nombreuse composée d’Arabes et de Malgaches adonnés les uns au commerce, les autres à la culture et à l'élevage du bétail. L’amiral envoya en avant deux embarcations armées de pierriers pour surveiller le chenal et empêcher les habitants de la ville bâtie sur Pilot de s'enfuir,

(1) Camoëns, As Lusiadas, x, 89.

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puis 1l embossa ses quatre navires devant cette ville. Affolés, les habi- tants cherchèrent à gagner la terre ferme, se jetant pêle-mêle dans des pirogues qui, trop chargées, chavirèrent sous le choc des lames; en un instant, la mer fut couverte de cadavres d'hommes, de femmes et d’en- fants, plus de deux cents, dit l'historien Barros. L’amiral et ses marins descendirent alors à terre et massacrèrent la plupart de ceux qui n'avaient pu fuir et qui étaient mal armés : «Il y eut bien, a écrit Alphonse d'Albuquerque au roi Dom Manoel, un millier de morts». Puis ils sacca- gerent la ville, prenant tout ce qu'ils y trouvérent, étoffes, argent et or : c'est dans ce port que se faisait le principal commerce avec les Arabes et les Indiens, qui y venaient chercher des esclaves, de la cire et des vivres. Les Portugais s'emparèrent en outre de 5oo femmes et enfants dont l'amiral fit rendre une partie contre une honnête rançon, bien entendu, «n'ayant, disait-1l, nullement l'intention de faire du mal aux habitants de ce pays, voulant seulement s'y procurer des vivres et des renseigne- ments sur ses productions ».

Poursuivant sa route vers le Nord, il atterrit à la baie de Sadä (la baie actuelle de Radamä). L'ancre jetée, il fit mettre toutes les embarca- tions à l’eau et s’en fut à terre avec tout son monde. Les habitants de Sadà, effrayés, s'enfuirent dans la montagne. Les matelots samusèrent à mettre le feu aux maisons, feu qui, dit l'historien portugais, «se propagea si vite que, avant qu'ils fussent revenus à bord, toute la montagne était en flammes».

Tels furent les premiers rapports des Européens avec les Malgaches. Il n'est pas besoin de dire que cette entrée en relations n'était pas pour les leur rendre sympathiques, et cependant, tandis que les Portugais les traitaient sans raison d'une façon aussi barbare, ils usaient à l'égard des quelques Européens abandonnés ou perdus en divers points de Madagascar de bons procédés : par exemple, Jean Gomes d’Abreu, qui, ayant été abandonné à terre en 1507 à la suite d'un fort raz de marée, reçut, ainsi que les matelots qui l'avaient accompagné, une franche hospi- talité; Diogo Lopes de Sequeira, qui explora la côte Sud-Est en 1508; Louis Figueira, qui atterrit à la eôte orientale en 15 14; Jean de Faria, qui

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y hiverna en 1529; un matelot dieppois venu en 1527 avec le premier navire français qui ait touché à Madagascar, et quatre Portugais que recueillit en 1531 Diogo de Fonseca, etc., tous n'eurent qu'à se louer de leurs relations avec les indigènes. Il en fut de même pour d'autres naufragés dont les navires se perdirent sur la côte Sud de Madagascar ; ils prirent femme parmi les indigènes et eurent de nombreux enfants, dont les descendants, reconnaissables à leur teint élair et à leurs cheveux droits, vinrent demander à des Hollandais, qui abordèrent en 1600 dans la baie de Saint-Luce, des «Pères» afin de les instruire dans la religion de leurs aïeux.

À Ja fin du xvr siècle, vers 1586, le gouverneur de Mozambique, Dom Jorge de Meneces, fit une expédition contre les Antalaoträ (les Musul- mans) de Boinä auxquels il reprochait d'avoir accaparé au détriment des Portugais le commerce de la côte Nord-Ouest, commerce qui en réalité existait depuis le x1° ou le xn° siècle. Les Portugais détruisirent leur ville et tuèrent un grand nombre d'habitants, auxquels ils attribuaient, à tort vraisemblablement, la mort d’un religieux dominicain, le Père de San Thomas, qui travaillait avec une grande ferveur à la conquête spirituelle du pays et mourut empoisonné, dirent-ils, mais plutôt de maladie, de fiévres. L'année suivante, les Antalaoträ se vengèrent sur l'équipage d’un navire portugais venu se ravitailler à Boinä, massacrant plusieurs ma- telots qui étaient descendus à terre.

En 1613, le vice-roi des Indes, Dom Jeronymo de Azevedo, envoya une carayelle, la Nossa Senhora da Esperanca, sous le commandement du capitaine Paulo Rodrigues da Costa et avec deux Jésuites, les PP. Pedro Freire et Luis Mariano, pour explorer l'ile de Madagascar et en recon- naitre les côtes. Partis de Mozambique le avril, ils mouillerent le 15 dans la baie de Boinä se trouvait la ville musulmane dont nous avons déjà parlé plus haut, et qui ne comptait pas moins de 7,000 à 8,000 habitants; ils y restèrent dix Jours et signérent avec le roi du pays, Tsimamô, un traité d'alliance et d'amitié. Puis ils longèrent la côte, s'ar- rêtant successivement à l'embouchure du Sambao, à celle du Manambolü dont le roi leur confia de bon cœur son fils pour les accompagner dans

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leur voyage de cireumnavigation, à Morombé, à Manombô, dans la baie de Saint-Augustin et dans celle des Masikord; partout ils furent accueillis amicalement, et les chefs de tous ces lieux signèrent avec le capitaine Da Costa des traités par lesquels ils s'engageaient à ne donner aucune aide aux Anglais n1 aux Hollandais qui viendraient dans leurs États et à laisser les Pères y précher librement la religion catholique, y élever des églises et baptiser ceux de leurs sujets qui se convertiraient.

Doublant le cap Sud, ils jetèrent l'ancre dans la baie d'Andranofotsÿ (non loin du Fort-Dauphin actuel), ils furent accueillis par la popu- lation avec de grands témoignages de joie. Tous les chefs et seigneurs des environs accoururent voir les étrangers et leur vendre des denrées, notamment Tsiambanÿ, le plus puissant de tous, qu'accompagnaient »00 hommes vêtus de beaux pagnes de coton rayés de couleurs vives et armés de sagaies et de hachettes. Tous paraissaient animés des meilleures intentions, et Tsiambanÿ accepta le plus facilement du monde (parce quil n’y attachait pas la moindre importance) les propositions que lui firent les Portugais; 1l signa une convention 1l s'engageait, outre les conditions semblables à celles faites avec les différents rois de la côte occidentale, à confier au capitaine Da Costa son fils ainé pour être conduit à Goa auprès du vice-roi et y connaître les usages et la gran- deur des Portugais. Ce traité fut conclu et signé de la meilleure grâce di monde, et le roi fit spontanément donation aux Pères d'une île à l'embouchure du Fanjahirä, pour quils y construisissent une éplise, jurant que lui et ses fils seraient fidèles à ces engagements.

Les Pères étaient enchantés de demeurer dans ce pays et de prêcher la religion aux habitants dont beaucoup étaient des descendants de naufragés portugais, et ils étaient pleins d'espérance, car la plupart portaient au cou des croix d’étain, non pas certainement par dévotion, mais par respect pour leurs ancêtres et aussi par coquetterie, et causaient familie- rement avec eux, n'ayant pas de cesse qu'ils n'eussent appris à faire le signe de la croix.

Le roi lui-même leur témoigna tant d'amitié + qu'ils ne pouvaient douter quil ne désirät vivement les avoir dans son pays». Mais quand, le navire

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étant prêt à partr, les Portugais vinrent prendre congé de lui et voulurent emmener son fils à bord, il nia avoir jamais promis de le leur confier pour le conduire aux Indes et dit qu'il s'était simplement engagé à bien traiter les Pères qui resteraient dans ses États, jurant qu'il était toujours dans les mêmes sentiments; il leur proposa toutefois d'emmener; s'ils le voulaient, un jeune Malgache «qu'il aimait comme son fils». Les Portu- gais furent outrés de sa « mauvaise foi» et, jugeant +qu'ils ne pouvaient tolérer un semblable affront si préjudiciable à leur honneur >, décidèrent, puisque Île roi ne voulait pas leur donner son fils de bonne grâce, de le lui enlever de vive force. Le lendemain, en effet, ayant attiré le jeune prince, âgé d’une douzaine d'années, auprès de leur chaloupe sous pré- texte de lui faire un cadeau, ils le saisirent soudain à bras-le-corps, le jetèrent dans l'embarcation et s'éloignèrent de terre à force de rames, pendant que lartillerie de la caravelle bombardait à grand bruit les Malgaches qui s'étaient rapidement amassés sur la plage et que la mi- traille forca à fuir.

Le navire mit à la voile pour Mozambique d'où le prince fut mené par l'un des Pères, le P. Freire, à Goa, 1l arriva le 16 mai 1614. Recu avec de grands honneurs et baptisé par l'archevêque sous le nom de Dom André en présence du vice-roi, qui fut son parrain, et d'une noble assistance, 11 fut mis au séminaire de Santa pour y faire son édu- cation. Il avait une si grande vivacité d'intelligence, qu'en moins de deux heures 1l apprit à connaître et à distinguer toutes les lettres de lal- phabet et qu'il sut lire et écrire très vite»; 1l avait un si bon caractère et son application était telle, + qu'il n°y avait pas à lui dire ni à lui défendre deux fois la même chose». Il resta à Goa jusqu'au 7 février 1616. Les deux navires qui le ramenérent dans son pays natal emmenaient quatre missionnaires de la Compagnie de Jésus et arrivèrent en rade d'Andra- nofotsÿ le g avril.

Le seigneur du lieu vint de suite à bord en toute confiance avec plu- sieurs de ses sujets, et, le lendemain, le roi Tsiambanÿ parut avec une escorte nombreuse; les Portugais lui firent savoir que son fils était à bord et lui serait rendu dès qu'il aurait signé un traité de paix et d'amitié

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avec le Portugal. Le P. L. Mariano alla à terre pour le décider à faire ce qu'on lui ne. mais, aussitôt arrivé, il fut appréhendé et gardé comme otage. La mère du prince, Run vint sur le vaisseau embrasser son fils, qu'à sa demande le commandant fit mener dans une embarcation assez près de terre pour que son père püt le voir. Tsiambanÿ vint jusqu'à cette embarcation, mais jamais 1l ne voulut aller à bord pour signer le traité. + Les affaires étaient fort embrouillées, dit l’un des Pères, car si le roi n'avait pas confiance en nous, nous n'avions de notre côté aucune confiance en lui et nous craignions fort que le P. Mariano ne fût tué par ces sauvages si nous les laissions aller, lui et sa femme. Heureusement, le Père réussit à s’embarquer, et nous les relâchämes. »

Le lendemain, le commandant descendit à terre et entretint le roi du traité qu'il désirait lui faire signer : celui-ci l’accepta sans difcultés, consentant à ce qu'on préchât la religion chrétienne à ses sujets et à envoyer des otages à Goa; mais il n'eut pas plutôt fait cette promesse, qu'il la regretta, et, s'emportant, il accusa les Portugais «d'être des voleurs d'enfants» qui, après lui en avoir déjà pris un, en voulaient prendre d’autres.

Après avoir longtemps hésité, le commandant se décida à laisser le jeune prince descendre à terre et aller voir son père, pensant que celui- ci, en apprenant de la bouche même de son fils les bons traitements qu'on lui avait faits à Goa et tous les bienfaits dont il avait été comblé, changerait de sentiment; et 1l se contenta d’un seul otage, un parent du roi nommé Andriantsambaträ, qui fut conduit à Goa. Les Portugais n’eurent, du reste, à se louer ni du roi, ni de son fils, qui cependant, au début, s'était montré bon chrétien: néanmoins deux des Pères restèrent dans le pays avec l'espoir de réussir, «les enfants y étant d’un bon naturel et d’une grande intelligence ». [ls ne furent pas longtemps à se convaincre qu'il «ny avait rien à faire pour le moment ni rien à espérer pour l'avenir», d'autant que, d'ordre du roi, personne ne voulait les écouter ct que celui-ci n'avait pas caché sa satisfaction lorsqu'il les avait su malades, attribuant les fièvres qui les minaient aux maléfices de ses sorciers.

Is partirent donc à bord du premier navire qui se présenta : c'était

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AMMRIMENIE NATIONALE.

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celui qui ramenait de Goa, en mai 1617, le parent du roi qui avait été livré en otage l’année précédente et qu'on ne laissa pas débarquer du moment que les Pères quittaient le pays; ils s’en allèrent rejoindre les deux autres Pères qui, depuis un an, étaient sur la côte Ouest, à l'em- bouchure du Manambolô, et les trouvèrent dans une triste situation : les habitants étaient en pleine guerre civile et les prédications n'avaient eu chez eux aucun écho, de sorte que tous les quatre résolurent d'aban- donner ce pays «ingrat» sur lequel ils avaient fondé au début de si belles espérances.

Les PP. Mariano et Gomes essayèrent encore en 1619 de fonder une mission dans la baie de Boinä:; mais, tout en leur faisant un bon accueil, les habitants ne voulurent jamais consentir à les laisser se fixer chez eux. Une dernière tentative, qui ne réussit pas davantage, eut lieu en 1630 dans la baie d’Ampasindavä, et depuis lors les Portugais ont complète- ment abandonné Madagascar.

Il. Horraxpais. Il y avait près d'un siècle que les Portugais fré- quentaient Madagascar dans les tristes conditions que nous venons d'exposer, lorsqu'une flotte hollandaise y atterrit pour la première fois le 3 septembre 1595. Cette flotte se rendait aux Indes et était sous les ordres de l'amiral Cornélis de Houtman; elle fit terre au cap Sainte- Marie, pointe la plus méridionale de l'ile, et, poussée par le vent et les courants, alla mouiller dans la baie des Masikord, qui est dans le Sud-Ouest. Trois matelots étant descendus à terre furent assaillis par une troupe d'indigènes qui, après un combat à coups de pierre, leur prirent leurs armes et les dépouillérent de leurs vêtements. Les Hollan- dais se linrent des lors sur leurs gardes, et cinq autres matelots en- voyés à la découverte, étant à leur tour attaqués, mirent facilement en fuite leurs agresseurs en tirant quelques coups de fusils, et en tuèrent un.

Ils allèrent de à la baie de Saint-Augustin ils trafiquérent très paisiblement avec les habitants. Ils mirent à terre les nombreux malades du scorbut qui étaient à bord et que les indigènes, voyant si faibles, vinrent piller; quelques-uns d’entre eux, munis de fusils, se défendirent

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et firent trois morts et plusieurs blessés. Malgré cette échauflourée, ces indigènes étant venus trafiquer comme ils avaient coutume de le faire avant, porlant pendus à leur cou plusieurs des objets volés, les Hollan- dais indignés voulurent les reprendre, ce qui amena une bagarre dans laquelle deux Malgaches furent tués, et ils emmenèrent prisonniers à bord deux hommes et deux enfants : cette malencontreuse querelle coupa court aux relations amicales quils avaient eues jusque-là. Etant des- cendus un jour à terre pour tâcher de se procurer des vivres, ils se virent tout à coup entourés par 300 indigènes qui faisaient le simulacre de leur jeter leurs javelots, mais un coup de mousquet les fit fuir; quelques-uns revinrent, et, se tenant À distance, firent signe qu'ils ap- portaient du lait: le pilote Janssen étant allé à eux avec deux volon- tres, ils le tuèrent; les Hollandais, pour se venger, s'emparèrent d’un indigène qu'ils surprirent dans une pirogue et Île passérent par les armes. Tous ces faits, rapportés par les Hollandais eux-mêmes, ne semblent qu'à moitié véridiques; ils avaient en effet tout intérêt à pallier leurs méfaits et à se donner le beau rôle, mais John Davis, le pilote du Middlebure, navire qui a fait en 1998 le troisième voyage de la Com- pagnie Néerlandaise des Indes, raconte que le «maitre d'équipage du navire de Houtman avait fort malmené les indigènes de Saint-Augustin ; que, en ayant appréhendé un et l'ayant attaché à un poteau, il s'était amusé à tirer sur lui des coups de mousquet Jusqu'à ce que la mort s’ensuivit et quil s'était conduit ignominieusement envers beaucoup d’autres ».

Tout commerce étant devenu impossible, l'amiral de Houtman fit rem- barquer les malades et leva l'ancre le 14 décembre. Le 10 janvier 1596, il atterrit à l'ile de Sainte-Marie les Hollandais trouvèrent auprès des habitants un accueil franc et hospitalier; ils s'y approvisionnérent de riz, de chèvres, de moutons, de poules, d'œufs, de lait, de bananes, de cannes à sucre, de fèves, de citrouilles, etc., en échange de verroteries de cou- leurs variées. Le 21, ils mirent à la voile et arrivèrent le 23 dans la grande baie d’Antongil ils complétèrent leurs provisions, y achetant notamment des bœufs. Les relations étaient les plus cordiales et les plus

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franches du monde, lorsqu'un cyclone s'abattit sur la flotte et entraina plusieurs de ses canots à la côte; quand la mer fut calmée, les Hollandais, s'étant mis à leur recherche, les trouvèrent dépecées par les Malgaches qui en avaient pris toutes les ferrures, jusqu'aux clous; ils en furent très 1rrilés et marquèrent d’une manière fort vive leur grand méconten- tement. Les Malgaches prirent peur, et, mettant leurs femmes, leurs en- fants et leurs hardes dans des pirogues, ils quittèrent précipitamment la ville, remontérent le fleuve et s’allèrent cacher dans les bois. L’amiral résolut alors de leur demander quelques-unes de leurs grandes pirogues pour remplacer ses canots et, s'ils s’y refusaient, de leur faire la guerre; il envoya à terre une compagnie de marins qu'une troupe d'indigènes chercha à empêcher de débarquer, jetant une grêle de pierres sur leurs embarcations ; les Hollandais tirèrent dans le tas et en tuérent une demi- douzaine, ce qui les fil tous s'enfuir, car jusque-là ils se croyaient par- faitement à l'abri derrière leurs énormes boucliers. Plusieurs de ces Malgaches ne tardèrent pas à revenir, priant qu'on cessät les hostilités et promettant de donner vivres et pirogues; malheureusement, dans l'ardeur du combat, les matelots hollandais ne les comprirent pas et continuèrent à tirer, puis ils mirent le feu à la ville qui flamba tout d'un temps. Après ce bel exploit, la flotte, larguant ses voiles, fit route vers les Indes.

Deux ans après, en 1598, trois navires de la flotte de lamiral Van Neck atterrirent à l'ile de Sainte-Marie. Le premier acte de leurs capitaines fut de s'emparer de la personne du chef pour le forcer à leur fournir des vivres; ils le relâchérent contre une rançon d’une vache et de son veau, quand ils eurent constaté que, suivant ce qu'il avait assuré, le pays était dépourvu de ressources.

Cette même année, le Middleburg relâcha à la baie de Saint- Augustin; dès que les indigènes, qui étaient accourus en grand nombre sur la plage, virent les Hollandais venir à terre, ils s'enfuirent, se remé- morant les mauvais traitements auxquels ils avaient été en butte de la part des marins de la flotte d'Houtman, et refusèrent d'entrer en rela- tions avec eux.

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L'amiral Van der Hagen, qui commandait la quatrième flotte envoyée aux Indes par la Compagnie Hollandaise, s'arrêta sur la côte orientale de Madagascar, dans les environs de Tamatave, afin d'y prendre de l'eau et des vivres frais. Il constate, dans son journal de bord, que les indigènes sont d'un «naturel doux et facile, intelligents et curieux d'apprendre»; mais, ny ayant point trouvé ce quil élait venu chercher, il fit voile pour la baie d’Antongil il mouilla le 17 novembre 1599. À la vue de ces trois vaisseaux hollandais, les habitants, qui n'avaient point oublié le traitement que leur avait fait subir Houtman, s’enfuirent tous dans les bois. Van der Hagen eut beau leur faire toutes les invites possibles, semer dans les sentiers ils avaient coutume de passer des miroirs, des verroteries et d’autres menus objets, rien n'y fit; 1l envoya des matelots explorer le pays et tâcher de nouer des relations avec eux : dès qu'on les apercevait, c'était un sauve-qui-peut général, si bien qu'il dut lever l'ancre et continuer son voyage sans avoir réussi à se ravitailler.

En allant aux iles de la Sonde, en 1619, Bontekoe s'arrêta à l'ile de Sainte-Marie; les habitants lui firent le meilleur accueil et s'empres- serent de lui fournir les vivres dont il avait grand besoin. En retournant en Europe, en 1625, il relâcha dans la baie de Sainte-Luce; dès que l'on connut son arrivée, les indigènes accoururent en masse, apportant toutes sortes de provisions, et le roi du pays vint à son bord sans crainte. «Ils paraissaient fort affectionnés à notre nation », dit Bontekoe. Deux des ma- telots désertèrent, et 1l fut impossible de les ravoir, car, dès qu'ils aper- cevaient leurs camarades, ils s’enfuyaient; ils furent retrouvés en 1626 par l’Amsterveen en bonne santé.

Dans la seconde moitié du xvrr siècle et au commencement du xvrrr, les gouverneurs soit de l'ile Maurice, soit du Cap de Bonne-Espé- rance ont envoyé presque chaque année des navires à Madagascar pour y acheter des esclaves. Le gouverneur de Maurice, Van der Stel, alla lui-même à Antongil, en 16h42, il en prit 105; 1l y laissa deux traitants chargés de préparer une cargaison plus importante pour son prochain voyage. Quand il revint en avril 1644, il trouva les indigènes moins bien disposés à son égard qu'a son précédent voyage, parce qu'un

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navire français, le Sant-Lons, capitaine Cocquet, y était venu dans l'intervalle et que son équipage avait ravagé le pays; pendant qu'il était sur rade, le Royal de Dieppe, capitaine L'Ormeil, arriva, et les Français exercèrent une foule de vexations envers les habitants, coupant des ba- naniers et leur causant méchamment toutes sortes de dommages. Dès qu'ils furent partis, les Malgaches, qui s'étaient enfuis dans l'intérieur, revinrent traiter avec les Hollandais auxquels ils vendirent 97 esclaves. Van der Stel retourna une troisième fois à Antongil en mars 1645, et en rapporta 95 esclaves; 1l y laissa son chef de traite avec cinq matelots et un mousse qui furent rapatriés en octobre.

À partir de 1654, le gouverneur du Cap envoya fréquemment des navires à Madagascar pour y prendre des provisions et des esclaves. Frédéric Verbug, qui est allé à Antongil en 165/ avec le navire Tulp, y fut bien accueilli par les indigènes, qui lui fournirent toutes les pro- visions qu'il voulut. «Ils ont, dit-il, de l'amitié pour nous autres Hol- landais, mais ils ne veulent pas entendre parler des Français qui, quand: ils viennent chez eux, s'emparent de tout ce qui leur tombe sous la main.» Joachim Blank, le subrécargue du Waaterhoen, qui visita en 1663 plusieurs ports de la côte occidentale en quête de riz et d'esclaves, a trouvé les indigènes «quelque peu barbares, mais animés de senti- ments amicaux envers les étrangers, toutelois sans loyauté»; et, dans son rapport sur son second voyage fait en 1664, il dit : «Ge sont des gens fourbes, mais de relations agréables et faciles ».

Les Hollandais ont cependant éprouvé plusieurs désastres : un de leurs navires, ayant relâché sur la côte Nord-Est en 1662, fut d’abord bien accueilli par les indigènes qui lui fournirent des provisions, mais qui pillèrent ensuite ses marchandises, tuérent deux de ses matelots et en blessèrent deux autres; le chef de Vohémar, auquel le capitaine alla se plaindre, se conduisit convenablement. Un peu plus tard, en 1668, le Poelsnip du Cap, ayant aussi touché dans le Nord, eut son chirurgien et huit marins tués. En 1632, John Nieuhoff, après avoir fait un peu de commerce sur la côte occidentale et s'être procuré quelques esclaves et un peu de bétail, s'arrêta dans la baie d'Ampasindavä et alla voir le roi

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avec cinq hommes, emportant une assez grande quantité de marchan- dises; Jamais plus on ne les revit. Enfin l'équipage du Barneveld, qui relâcha en 1719 à l'embouchure du Mania, sur la côte occidentale, en orand besoin de vivres et qui eut d’abord des rapports convenables avec les Sakalavä, une fois les cadeaux échangés, eut beaucoup à se plaindre d'eux; quand il s’agit de fixer le prix des bœufs, des esclaves, du riz, le roi se montra arrogant el très exigeant, et les Hollandais, par né- cessité et par peur, finirent par consentir à tout ce qu'il voulut : aussi disent-ils dans leur «Journal de route» que les «Sakalaves, du premier au dernier, sont méchants, menteurs, fourbes, voleurs, sans le moindre sentiment d'honneur et sans la moindre loyauté, vils et humbles devant leurs supérieurs, cruels et arrogants avec leurs inférieurs, en un mot les plus fieffés coquins qu'on puisse trouver sur la terre».

IL. Axczas. La premitre flotte anglaise qui soit allée aux Indes, et qui comprenait cinq navires, relâcha à l’île de Sainte-Marie le 18 dé- cembre 1600, puis à la baie d’Antongil le 25, afin de se procurer des vivres frais, surtout des oranges et des citrons qui étaient fort nécessaires pour combattre le terrible scorbut qui sévissait à bord. Les Anglais constatèrent que les Malsaches étaient « doux et familiers et paraissaient braves». À Antonoil, ils furent quelque temps avant de trafiquer avec eux, Car, «comme tous les Orientaux, ils sont rusés et astucieux, aussi bien pour acheter que pour vendre, changeant à chaque instant les prix et cherchant toujours à obtenir plus qu'on ne leur accorde»; mais, des qu'eurent été fixés d'un commun accord le nombre de perles de verre à donner pour une mesure de riz et le nombre de bananes, d'oranges, de citrons, etc., qu'on donnerait par grain de verroterie, le trafic devint + franc et animé» et les relations furent des plus cordiales.

David Middleton, qui commandait le Consent, l'un des trois vaisseaux formant la troisième flotte envoyée par les Anglais aux Indes, ayant reläché dans la baie de Saint-Augustin, le 30 août 1607, pour y prendre de l’eau, apprit que, quelques mois auparavant, un navire s'était échoué dans ces parages : une foule de gens armés en avaient débarqué et s'étaient répandus dans le pays, après avoir traité les indigènes avec

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humanité, ils leur avaient fait par la suite une guerre sanglante dans laquelle eux aussi avaient perdu beaucoup de monde. Quoique en appre- nant ce douloureux événement 1l supposät que les habitants de ce lieu devaient avoir peu d'amitié pour les Européens, 1l se décida cependant à y faire de l'eau dont il avait un pressant besoin: vingt hommes allèrent à terre avec des barriques; ils furent attaqués par une troupe de plus de deux cents Malgaches qu'ils mirent en déroute par une décharge de mousquets, mais ils jugèrent prudents de regagner le navire, et levèrent l'ancre aussitôt. En longeant la côte, ils virent venir du rivage plusieurs pirogues qui leur apportaient des moutons et de la viande de bœuf; ils achetérent le tout à bon marché : ces Malgaches ignoraient ce qui s'était passé chez leurs voisins.

Les deux autres vaisseaux de la flotte dont faisait partie le Consent ne mouillèrent dans la baie de Saint-Augustin que le 17 février 1608. L’amiral eut quelque peine à entrer en relations avec les habitants de cette baie; toutefois, lorsqu'ils virent qu'il ne les attaquait pas, deux d'entre eux amenèrent un veau et un mouton qu'on leur paya à leur convenance, un couteau et un shilling; les autres s'empressèrent alors de donner leurs marchandises au même prix. Fort satisfait de ce début et des «apparences de douceur» qu'il remarqua chez ces sauvages, l'amiral résolut d'attendre, sans montrer de hâte, qu'ils lui apportassent d’eux- mêmes des provisions; toutefois 1l constata que, dès que la chaloupe venait, ils s’éloignaient. Il acheta beaucoup de bétail et à bon compte, entre autres trois vaches, deux jeunes taureaux et quatre veaux pour la somme de 15 shillings, soit 18 fr. 75, et un veau, un mouton et un agneau pour 2 shillings 3 deniers, soit 9 fr. 85. Les deux vaisseaux reprirent la mer le 28 février.

Richard Rowles qui commandait l'Union, l'un des trois navires formant la quatrième flotte envoyée d'Angleterre aux Indes sous les ordres d'Alexandre Sharpey, passa sans encombre, à la fin de 1608, vingt Jours dans cette même baie; puis, au commencement de 1609, il relâcha dans celle de Sadä, qui est dans le Nord-Ouest. Les indigènes lui ayant paru «fort honnètes» et étant entrés volontiers en relations avec lui, 1} alla

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sans défiance faire visite au roi () avec cinq marins; mais, à peine furent- ils débarqués, qu'une horde de sauvages les entraina dans l'intérieur, pendant qu'une foule de boutres et de pirogues entouraient le navire qui fut criblé de flèches et de javelots; une décharge de canons coula une demi-douzaine de ces embarcations, et les agresseurs, refroidis dans leur ardeur, s'en allèrent plus vite qu'ils n'étaient venus. Quant à Rowles et à ses compagnons, on ne les revit plus. Toutefois Bradshaw, qui avait pris le commandement du navire, avant de quitter ce lieu maudit s’ap- procha de la côte et, lorsqu'il fut à portée, fit faire une décharge de canons et de mousquets qui oncha Île sol de cadavres; à la vue de tant de morts et de blessés, les indigènes affolés s’enfuirent en poussant d’af- freux hurlements,

En 1644, un armateur anglais, William Courteen, envoya à Mada- gascar des colons qui s’établirent dans la baie de Saint-Augustin en mars 1645. Ses navires devaient en outre explorer les côtes de l'ile, et leurs capitaines acheter des esclaves. Comme ils n'avaient, à cause du mauvais état des affaires de Courteen, emporté que peu de provisions et peu de marchandises de troc dont la plupart, du reste, n'avaient pas en ce moment cours dans le pays, le chef de la colonie, John Smart, eut grand'peine à s'approvisionner de vivres en quantité suflisante pour que les colons ne mourussent pas de faim. Aussi réclama-t-1l à cor et à cri en Angleterre des envois importants; sans quoi, disait-il, «il ne pourrait rien faire de bon», et il ajoutait : «Du reste, le pays ne convient nul- lement pour une colonie ; ses habitants sont vils et perfides, menteurs et voleurs, et n’ont pas leurs pareils au monde». Les indigènes lui ayant volé une partie du bétail qu'il avait acheté, il envoya dans l'intérieur une compagnie de {o hommes qui réussit à s'emparer par trahison du roi et de trois de ses fils : il n’y eut pas de sang versé; on les conduisit à bord de l’un des navires et on ne leur rendit la liberté que contre une rancon de 200 têtes de bétail et après que le roi eut signé un traité de paix et d'amitié.

9) I] parait qu'un fils de ce roi avait été Anglais (Luis Manrano, Coll. Ouvr. anc. Ma- enlevé quelque temps auparavant par des dapg., par A. et G. Grandidier, t. Il, p. 66).

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IMPRIMERIE NATIONALE.

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Smart explora la côte occidentale et les îles Comores pour voir s’il ne trouverait pas quelque lieu plus propice que la baie de Saint-Augustin à l'établissement d'une colonie; 1l apprit qu'on accusait M. Weddal, le capitaine du James, lun des navires de W. Courteen, d'avoir enlevé de force les habitants d’un ilot de la baie d’Ampasindavä ainsi que les mar- chandises qui y étaient amassées (probablement l’'ilot sont enterrés les rois du pays avec leurs trésors).

Pendant son absence, deux des colôns qui étaient allés dans l'intérieur chercher les bœufs que les Anglais avaient confiés à la garde d’un chef malgache, parce qu'il n'y avait pas de pâturage au bord de la mer, furent assassinés; dès que la nouvelle en arriva au camp, on s’empara de deux indigènes qui s'y trouvaient et on les passa par les armes, et il fut décidé qu'on en ferait autant à tous ceux qu'on attraperait. Les Malgaches se vengèrent en tuant trois autres colons, en brûlant la chaloupe et en lais- sant aller à la dérive le petit canot.

«Avant mon départ, écrit John Smart, ils n'avaient jamais commis de semblables attentats; il est vrai que je ne leur en avais pas fourni l'oc- casion, ayant toujours été bienveillant à leur égard et ayant entretenu avec eux des relations de bon voisinage, d'autant que J'étais obligé de leur confier notre bétail. Ils sont cupides et veulent cependant être traités avec égards. »

Les Anglais abandonnèrent ce lieu maudit en mai 1646, laissant en partant ce conseil à ceux qui y viendraient après eux : « Ne vous fiez pas aux coquins qui habitent ce pays, quelque belles promesses qu'ils vous fassent; ne sortez jamais sans armes et, si vous pouvez mettre la main sur quelqu'un de ces chiens, exterminez-le sans pitié. »

Aux xvu° et xvin° siècles, les négriers venaient fréquemment à Mada- gascar chercher des esclaves pour les Antilles, et ils y ont trouvé un bon accueil; et les nombreux pirates, pour la plupart de nationalité anglaise, qui ont à la fin du xvn° et au commencement du xvu siècle choisi cette ile pour centre de leurs courses maritimes, n’ont jamais eu non plus trop à se plaindre de ses habitants, malgré leur conduite extravagante et leurs exactions : ils y furent non seulement craints, mais puissants ; leur

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mariage avec des femmes malgaches favorisait d’ailleurs les relations cordiales qui existaient entre eux et les gens du pays.

Nous ne parlerons pas de Drury dont le récit, véridique et digne de foi au point de vue géographique et des mœurs des habitants, mérite peu de confiance au point de vue de ses rapports avec Îles Maloaches, rapports qui sont présentés de façon à le rendre intéressant.

En 1938, le Sussex se mit à la côte dans le Sud-Ouest; les naufragés furent bien traités par les indigènes jusqu'au moment où, ayant vu qu'ils n'étaient pas plus de seize, ceux-ci devinrent arrogants et impor- tuns. Les Anglais se décidèrent à chercher un autre port; leur navire s'étant échoué sur des hauts-fonds, plusieurs d’entre eux périrent, et cinq seulement, après dix-sept jours de souffrances, arrivèrent à terre, non loin de Mahabô. Le roi du pays leur fit donner tout ce dont ils avaient besoin, mais la maladie en enleva quatre, et John Dean survécut seul; les divers chefs de village qui lui donnèrent l'hospitalité le traï- tèrent bien; ce ne fut toutefois pas sans peine qu'ils consentirent à le laisser embarquer sur un navire anglais qui était venu chercher des esclaves dans ce pays.

En 1754, la flotte commandée par l'amiral Watson fit relâche dans la baie de Saint-Aueustin, elle reçut le meilleur aceueil du roi et des habitants; le docteur Edouard Yves, chirurgien de cette flotte, fit mettre à terre les malades qui étaient nombreux et qui se rétablirent en trois semaines. «J'ai le regret, écrit-1l, d'être obligé d’avouer que nos com- patriotes fraudent souvent les indigènes, leur vendant des canons de fusil de mauvaise qualité qui éclatent et les blessent, ou même les tuent. Une semblable mauvaise foi ne peut manquer de nuire à notre nation, et bon nombre d'Anglais sont déjà mal famés. Cependant, tout dupés qu'ils sont, ils nous témoignent encore, jusqu'à présent du moins, de l'amitié. » Les Malgaches, ajoute-t-1l, sont «sens polis et humains, mais ils sont susceptibles et se vengent lorsqu'ils se croient offensés ».

Cette baie de Saint-Augustin était du reste très fréquentée par les Anglais; ainsi, en 1780, il n'y eut pas moins de douze navires, trois de guerre et neuf de la Compagnie anglaise des Indes, qui y ont séjourné

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de concert pendant un mois et demi, à la grande satisfaction des marins et des indigènes. Mackintosh, qui l'a visitée à cette même époque, dit : «On accuse les Malgaches de férocité, de barbarie, d'ignorance, de stu- pidité, d'irréligion et de toutes sortes de vices et de crimes; ces imputa- tions sont absolument fausses. »

Enfin, comme dernier exemple, nous dirons que les naufragés du Winterton, qui ont demeuré sept mois à Saint-Augustin en 1792, ont été accueillis fort amicalement et fort hospitalièrement par le roi qui les hébergea de son mieux; s'ils eurent quelquefois à se plaindre de la rapa- cité des indigènes, ils les trouvèrent d'ordinaire obligeants et honnêtes.

IV. Français. Les premiers Français ayant atterri à Madagascar sont des Dieppois; ils y vinrent en 1527 et y trouvèrent des gens «doux» qui leur firent le meilleur accueil et commercèrent + franchement » avec eux.

Deux années plus tard, en 1529, les frères Jean et Raoul Parmentier, également Dieppois, visitèrent la côte occidentale; bien accueillis en divers points, ils eurent cependant deux de leurs gens sagayés en face des iles Stériles, et ils se vengèrent en tirant sur les mdigènes quelques coups de pierriers qui en blessèrent deux.

Puis un long temps se passa pendant lequel les Français demeurèrent inactifs, laissant le champ libre aux Portugais. Ce n’est qu'en 1601 que des marchands de Saint-Malo, de Vitré et de Laval s'unirent pour leur disputer le commerce des Indes et formèrent une compagnie dans le but patriotique d'enrichir la France des «singularités» de l'Orient; ils équipèrent à leurs frais et à leurs risques et périls deux navires, le Crors- sant, de Loo tonneaux, et le Corbin, de 200, qui, ayant été démäâtés par une forte tempête, entrèrent, le 19 février 16092, dans la baie de Saint- Augustin afin de faire les réparations urgentes. Les matelots construi- sirent à terre quelques huttes de branchages furent transportés les malades, qui étaient nombreux. Ils eurent quelque peine à entrer en rela- tions avec les indigènes qui, au début, montraient de la méfiance à leur égard; quelques-uns, armés et accoutrés à leur mode, vinrent recon- naître quels étaient ces étrangers et se rendre compte s'ils pouvaient

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traiter franchement avec eux: ils trainaient après eux une vache et un mouton. + Maloré les invites et les signes amicaux que nous leur faisions, disent Martin, de Vitré, et Pyrard, de Laval, et quoique nous leur montrions maints objets de troc, ils s'en furent sans vouloir rien entendre. S'élant probablement convaineus que nous élions des gens de bonne foi et que nous n'avions pas l'intention d’user de violence envers eux, puisque nous ne leur avions causé aucun dommage et que nous n'avions pas cherché à les suivre, ils revinrent peu après avec leurs deux bêtes qu'ils échangèrent contre des couteaux , des ciseaux et d’autres menus objets dont ils font cas. Ils litrent dès lors amitié avec nous et nous amenérent une quantité de bétail dont nous nous sommes approvi- sionnés abondamment et à bon compte, en échange de cuillers de cuivre, de jetons de métal, de verroteries, achetant un bœuf ou trois moutons pour une cuiller ou pour deux jetons, et ainsi du reste. »

Le 18 mars, six matelots désertèrent et s’en furent dans la brousse pour vivre avec les sauvages; mais, au bout de sept jours, ils revinrent au camp demander grâce, car les habitants s'enfuyaient dès qu'ils les aper- cevaient et ils n'avaient pas trouvé à se bien nourrir, comme ils l'avaient cru. Les Français quittèrent cette baie le 15 mai: comme, depuis leur départ de France, ils avaient perdu le tiers de leur effectif par suite de la terrible mortalité qu'avaient occasionnée le scorbut et les fièvres, le général, sentant le besoin de compléter son équipage, d'autant que beau- coup des survivants étaient encore trop faibles pour faire un bon travail, projeta de prendre à bord des Malgaches pour leur venir en aide; comme 1] ne pouvait douter qu'ils ne viendraient pas de leur plein gré, il prépara un guel-apens pour les prendre de force. Il fit donc cacher pendant la nuit des escopettes, des pistolets et des épées auprès du lieu 1ls étaient accoutumés à se rendre chaque matin pour trafiquer de leurs bestiaux et des autres denrées, et ils devaient venir une dernière fois; 1l pensait que, voyant les Francais sans armes, ils ne se défieraient de rien") et que ses gens pourraient, à un signal convenu, courir aux

Tout familiers qu'ils étaient avec les hension des armes à feu et ne voulaient pas Français, ils montraient une grande appré- approcher des gens armés.

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armes qu'il avait fait cacher et s'emparer de bon nombre d’entre eux. Ainsi, comme l'écrit Pyrard, de Laval, qui était à bord du Corbin, « nous avions formé le dessin de leur donner un mauvais adieu et de leur faire un mauvais remerciement, mais Dieu n'a pas permis que nous exécutions cette perfidie, car ils ne vinrent pas ce jour-là, et notre général ayant changé d'avis, nous partimes, ce qui nous fut un grand bien».

Le général de Beaulieu, qui relâcha pendant quinze Jours avec la flotte du Montmorency dans cette même baie en 1620; y acheta beaucoup de bétail et des vivres de toutes sortes; les indigènes se montrèrent bienveil- lants et ne marquèrent aucune appréhension, quoique les Français fussent armés; plusieurs même vinrent sans crainte à bord: ce sont, dit Beaulieu, des gens +gaillards et nullement brutaux ».

Arrivons-en maintenant à la mainmise de la France sur Madagascar.

Le capitaine Cocquet, qui commandait le Saint-Lows, et le capitaine L'Ormeil, qui commandait le Royal, prirent possession, en 1643 et 1644, de la baie d’Antongil au nom du Roi de France; ils y commirent des exactions, laissant leurs matelots ravager les plantations de bananiers et autres, si bien que les habitants, pendant leur séjour sur rade, dé- sertèrent le bord de la mer et se cachèrent dans les bois avec leurs femmes, leurs enfants et leurs biens. Nous avons dit plus haut, d’après Fr. Verburg qui est allé dans cette baie en 1654, que «les indigènes ne voulaient pas entendre parler des Français, qui s'emparaient de tout ce qui leur tombait sous la main».

Pronis, qui était venu à bord du Sænt-Lous, établit dans le Sud-Est pour la Compagnie de l'Orient une petite colonie dont il fut le premier gouverneur. La Compagnie ne pouvait faire un plus mauvais choix : c'était un homme cupide, rien moins que serupuleux, débauché, dont l'adminis- tration eut le résultat le plus déplorable pour l'honneur du nom français et l'avenir de la colonie. On peut le juger d’après le fait suivant : en 1646 arriva à Fort-Dauphin un petit bateau hollandais de 100 tonneaux qui venait chercher des esclaves: Pronis et le capitaine qui commandait le Saint-Laurent, alors sur la rade, lui en vendirent 73 dont ils s'em- parérent traitreusement, Lo qu'ils attirèrent dans le fort sous le faux

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prétexte de leur distribuer de la viande de bœuf, et 33 qu'ils firent enlever de force sur les routes, ne cessant ces rapts odieux que lorsque Van der Meersch, le capitaine du bateau et gouverneur de l'ile Maurice, leur eut dit qu'il en avait assez. « Pronis, dit Flacourt, oublia en cette occasion son devoir, et de ce jour-là les Malgaches eurent en haine tous les Fran- çais, faisant retomber la faute du chef sur tous ses compatriotes», d’au- tant que parmi ces gens volés se trouvaient seize jeunes gens de bonne famille. À ce méfait, il en ajouta peu après un autre : il fit assassiner deux Malgaches de grande famille, ce qui lui aliéna encore davantage les indigènes. Pronis, du reste, ne se conduisait pas mieux envers les Français qu'envers les Malgaches; ses dilapidations criminelles et ses mauvais procédés amenèrent la révolte de ses subordonnés qui le tinrent en prison pendant six mois.

Il n'est pas étonnant que son successeur, Flacourt, héritant de la haine vouée aux Français à la suite des méfaits de Pronis, ait eu à se plaindre à diverses reprises des Roandrianä ou seigneurs du pays et de leurs sujets, et qu'il ait dépeint les Malgaches sous des couleurs sombres; cependant il s'est quelquefois contredit, comme de Valgny le fait remarquer d’une facon assez plaisante dans une lettre adressée par lui de Madagascar en 1798 aux mânes de Flacourt, aux Champs Elysées : « Vous dites, illustre défunt, dans votre « Épitre à Messire Nicolas Fouquet», que la nation mal- sache est sans fard et sans artifice et qu’elle a conservé sans interruption ce qu'elle a appris de la loi de nature dans laquelle elle subsiste encore, et plus loin, dans l’« Exposé des avantages qu'on peut retirer de l'éta- blissement d’une colonie à Madagascar », que les Malgaches sont des gens humbles et soumis. Or est-ce la loi de la nature qui les rend tels que vous les dépeignez au xxvu° chapitre : adonnés à la trahison, à la dissi- mulation, à la flatterie, à la cruauté, au mensonge et à la tromperie? Si cela est, et cela est en effet, la nature dont vous dites qu'ils suivent la loi les a bien mal dirigés. Et si au contraire ils sont, comme vous le dites,

M De Valgny connaissait bien Mada- vingt-cinq ans; il a élé commandant de gascar 11 a demeuré pendant environ l'ile Sainte-Marie en 1743.

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sans fard et sans artifice, pourquoi avez-vous fait graver sur une stèle

représentée au LxIx° chapitre cet avis aux VOYAgUTS : Ab incolis cave! Défiez-vous des habitants du pays!

Comment Flacourt, qui réprouvait les méfaits de son prédécesseur Pronis et reconnaissait qu'il s'était attiré la haine des Malgaches, s’estl plu, lui aussi, à fomenter des guerres et à massacrer, à piller sans pitié? Malgré les reproches plus ou moins réels qu'il pouvait adresser aux indi- gènes, avait-il raison d'envoyer de nuit attaquer et mettre à sac des villes telles que celle de Fanjahirä habitait le roi, qui fut tué ainsi que son fils : «Nos gens, écrit Flacourt, étant tous entrés à la file dans la ville sous la conduite de mon lieutenant Angeleaume, coururent droit à la maison d'AndriandRamakä, le roi, qui en se sauvant fut tué d'un coup de fusil ainsi qu'un de ses fils, Andriantsajoa, dont on m'apporta la tête que Je fis planter sur un pieu. Tout y fut mis en désordre et pillé par nos Français qui y firent un butin qui les arrangea fort. I y eut des hommes et des femmes tués, et toutes les richesses du Roandrianä | ou seigneur | furent mises en cendres. On prit 150 bœufs ou vaches. »

Un mois et demi après, nouvelle expédition. Flacourt envoya 25 Fran- çais surprendre le village d’un autre Roandrianä, d'où ils ramenèrent 108 têtes de bétail après avoir tué lun des chefs.

Du 19 septembre au 23 novembre 1651, pendant que Flacourt visi- tait Foulpointe et l'ile Sainte-Marie, son lieutenant Angeleaume, à la tête de quelques Français, saccagea les environs de Fort-Dauphin, in- cendiant des villages, s'emparant des bœufs et faisant de nombreux pri- sonniers.

Le 24 février 1652, le caporal La Forest s’en alla dans l'intérieur à Mangarand avec 28 soldats; 1l revint, ayant brûlé vingt-deux villages et tué sept Malgaches.

Le 14 mars 1653, Angeleaume, envoyé dans la vallée d'Ambolÿ, mit à sac les deux villes principales, «il veut bien des nègres tués ».

Le 26 février 1654, par ordre de Flacourt, 25 Français partent en guerre contre les habitants de la vallée de Tsilivä et reviennent trois Jours

ETHNOGRAPHIE. 105 après, ayant brülé les villages, mais n'ayant pu razzier qu'une cinquan- taine de bœufs. Ainsi que le dit de Valgny, «ce qui est rapporté aux cha- pitres vu, xz et xur de l'Histoire de Madagascar de Flacourt n'est pas à l'hon- neur de notre nation ni de Flacourt, car les Français agissaient comme des brigands, tuant et pillant!»

Du reste, les expéditions de ce genre étaient continuelles, et si, sous l’ad- ministration de Champmargou et de Mondeveroue, qui étaient «+ humains et honnêtes», 1l y eut une paix relative, on voit encore l'amiral de La Haye aller, en janvier 1671, avec 70 Français et 6oo Malgaches, attaquer un grand du pays nommé Ramosä, parce qu'«il ne venait pas lui rendre ses hommages». Gette fois, les Malgaches tinrent bon et tuëérent plusieurs de leurs agresseurs, de sorte que La Haye dut reprendre le chemin de Fort-Dauphin sans avoir fait de butin, honteux et confus de cet échec, quoique Souchu de Rennefort qualifie sa retraite de «belle». Son gou- vernement, qui était rude et fâcheux», ne fut pas pour lui rallier les indigènes, car ceux-ci, peu après son départ pour l'Inde et celui de nom- breux Français qui, désespérant de la colonie de Fort-Dauphin, l'y sui- virent, massacrèrent à la fin de 1672 tous ceux qui y restaient. «[l n'est pas étonnant, écrit de Valgny, qu'ils aient fini par égorger ceux qui les volaient et les assassinaient sous le couvert de la civilisation et de l'amitié. »

Il faut avouer que tous ces +Commandants pour Sa Majesté très chrétienne le Roi de France», qui gouvernaient par la terreur et en toutes circonstances recouraient aux châtiments les plus sévères, parce que, selon leurs dires, ce sont des «gens sans cœur et sans foi qu'il faut mener par la rigueur et châtier sans pardon, grands et petits, quand on les trouve en faute», avaient une manière bien singulière de comprendre la colonisation et de faire goûter les bienfaits de la eivi- sation aux indigènes, quelques raisons qu'ils aient prétextées pour excuser leurs pillages et leurs tueries, voulant, disaient-ils, pumir des vols de bétail, arrêter des complots, etc. I est certain qu'il y avait d’autres moyens, et de meilleurs, pour arriver à leurs fins. Ces expé- ditions accompagnées de meurtres et de brigandages, et qui en réalité

ETHNOGRAPHIE. 1!

IMPNIMENIE NATIONALE

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avaient pour but principal le bulin qu'on en rapportait, ne sont pas sans révolter nos sentiments de justice et d'honnêteté, même en tenant compte des idées et des mœurs de l’époque : pour des essais de colonisation , des prises de contact, ce n'étaient certainement pas des actes de bon gou- vernement, m de sage politique. Les événements ultérieurs l'ont d’ailleurs bien prouvé.

Il est toutefois juste de dire que l'insuccès des opérations commerciales de la Compagnie Orientale a tenu à ce que les richesses naturelles de Madagascar n'étaient pas telles qu'on les croyait; on était en effet plein d'illusions à ce sujet. Gertes il y a dans cette île des richesses, mais pas si naturelles et pas en tel nombre qu'on l'a si souvent redit depuis : pour les mettre au jour, un travail persévérant et intelligent est nécessaire. Flacourt vantait fort les avantages qu'on pouvait retirer de létablisse- ment d’une colonie à Madagascar: 1l faut avouer que, hors la traite des esclaves qui y était malheureusement trop florissante, un peu de scepti- cisme est de mise à l'égard de ces avantages tels qu'on les représentait à celte époque, car, si la science et la civilisation moderne ont placé entre nos mains les moyens, avec l'aide d'un gouvernement sage et éclairé, de mettre cette ile en bonne valeur, il est fort douteux qu'il eût été possible autrefois d'en retirer tout ce qu'on en espérait.

Si les diverses nations européennes dont nous venons de résumer les tentatives de colonisation pendant les xvi°, xvn° et xvin° siècles n’ont pas réussi dans leurs entreprises successives, autant à cause d’une mauvaise administration et d’une politique néfaste que par suite, comme nous venons de le dire, de la pauvreté relative du pays, elles n’en ont pas moins eu une influence sur les habitants. Quelle at-elle été? L'impres- sion qui ressort de tous les faits exposés d'après leurs auteurs mêmes, qui certainement n'ont pas cherché à se noircir, est bien nette. Avant leur venue, la masse des indigènes était d’un naturel doux et hospitalier, honnête, de relations faciles et agréables, et avait le germe de qualités qu'une culture appropriée eût vite développées; partout, au début, ils ont accueilli les étrangers, quelle que fût leur nationalité, avec respect et bienveillance, et 1ls se sont plu à leur fournir tous les vivres dont ils pou-

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vaient avoir besoin. Comme les mœurs des femmes malgaches sont très libres et que chez eux la Jalousie est un sentiment à peu près inconnu, il n'y avait pas à craindre que les relations fussent entravées ou refroidies de ce chef. Il n’est pas douteux, par contre, qu'ils avaient beaucoup des vices et des défauts inhérents aux peuples sauvages, et que, dès avant 1500, les petits rois entre lesquels le pays était divisé s’adonnaient à la guerre et au pillage dans le but surtout de faire des prisonniers qu'ils vendaient comme esclaves aux Arabes dela côte Nord-Ouest ; néanmoins, tout triste qu'en soit l'aveu, il faut confesser que les Européens ont amené à leur suite à Madagascar, ainsi que dans tous les pays qu'ils ont découverts, beaucoup de maux, et aucune des nations qui ont pris part à ces décou- vertes n’est exempte de reproches: toutes ont commis de nombreuses in- justices envers les peuples sauvages et ont infligé à des millions d'inno- cents une foule de calamités.

Si tant de marins et de colons ont eu à se plaindre de la perfidie des Malgaches et leur ont reproché d’être cruels et vicieux, à qui la faute? Ne leur en ont-ils pas trop souvent donné l'exemple? Qu'y a-t-1l d’éton- nant à ce que les Malgaches aient pris en haine ces étrangers, qui, sans provocation, sans raison, comme les découvreurs portugais, ont mis leurs villes à sac et ont tué ou enlevé de nombreux indigènes, quelque- fois de hauts personnages; ou, comme les Hollandais, les Anglais et les Français, qui ne se sont pas fait faute, sous des prétextes plus ou moins plausibles pour nous, mais en tout cas incompréhensibles pour les Mal- gaches, de brûler leurs villages, de razzier leurs bœufs, de réduire Îles vaincus en esclavage et quelquefois de voler des hommes libres attirés par trahison et venus en toute confiance soit à bord de leurs navires, soit dans leur camp?

Incendies, attaques et rapts d'hommes inoffensifs, meurtres sans rai- sons sérieuses, vols à main armée, ce sont des exploits dont certes les Européens n'ont pas lieu d’être fiers.

Enfin ils n'ont cessé pendant deux siècles, à l'instar des Arabes, de fomenter des guerres civiles qui seules pouvaient leur fournir les esclaves qu'ils venaient y chercher pour leurs colonies des iles de la Sonde, des

14.

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Antilles, du cap de Bonne-Espérance, de l'ile Maurice, etc., et qui ont été la plus grande plaie dont ait souffert Madagascar et dont elle souffre encore. « Pauvres êtres, écrit l'un des naufragés du Winterton en 1792, brutalement arrachés à leur famille et à leur pays natal ils vivaient heureux, jetés dans des navires l'existence était extrêmement pénible à cause de leur entassement et de la chaleur, et, à leur arrivée, assujettis à un dur labeur et au fouet de gardes-chiourme cruels ; l'esclavage ne faisant pas de distinction entre ses victimes, il y en avait qui apparte- naient aux hautes classes et tombaient au même degré de misère que les autres.» On trouve dans les Archives du Cap des récits qui montrent la manière de voir qu'on avait à celte époque au sujet des esclaves : un capitaine négrier y raconte les péripéties d'un voyage qu'il qualifie de «désastreux» et pendant lequel, ayant surpris au départ de Mada- gasear des symptômes de mécontentement dans sa cargaison d'esclaves, il Jugea bon, pour couper court à une révolte possible, de jeter par- dessus bord les plus mutins; il en parle comme s'il se fût agi de ballots de toile!

En somme, à Madagascar jusqu'à la fin du xvru° siècle, les Européens, sans esprit politique et sans clairvoyance, n'ayant pas conscience des fautes nous dirions aujourd’hui des crimes qu'ils commettaient, entourés de la haine que leurs méfaits avaient suscitée non sans raison, ont fait une mauvaise besogne pour leurs intérêts matériels comme pour les intérêls supérieurs de la morale et de la civilisation; les événe- nements qui se sont succédé pendant les derniers siècles, et dont nous venons de donner un aperçu, sont la juste conséquence de leurs actes inconsidérés. Très heureusement, à l'influence néfaste dont nous venons de parler s'en est substituée, depuis le commencement du xnx° siècle, une autre toute bienfaisante et civilisatrice, dont l'honneur revient pour une grande part aux missionnaires qui ne cessent depuis près d’un siècle de prêcher aux Malgaches les grands principes de morale et d'humanité; aujourd'hui leurs leçons portent leurs fruits, et depuis quelques années la civilisation a fait des progrès remarquables dont il y a lieu de se féciliter.

ETHNOGRAPHIE. 109

$ 6. INFLUENCE DES IMMIGRANTS ARABES ET PERSANS SUR LE CARACTÈRE ET LES MOEURS DES MALGACHES.

Quoique, dès le 1x° siècle et même avant, les Arabes et les Persans aient entretenu des relations commerciales suivies avec le nord de Mada- gascar et que quelques colons sémites se soient établis dans les principaux ports du Nord-Ouest et du Nord-Est, leur influence n’a guère été eivili- satrice V; en effet, ils n'ont pas converti ni même cherché à convertir les Malgaches à l'Islam : il est vrai que la plupart élaient des métis d'Arabes et d’Africains ou de Comoriens, qui formaient un personnel sémilique très inférieur); en tout cas, leur échec, si tant est qu'ils aient cherché à faire des prosélytes, a été complet, car, si quelques Saka- lavä du Nord ont adopté le costume et certains usages arabes, tous, des rois aux esclaves, n'en ont pas moins conservé jusqu'a nos jours les coutumes et les croyances de leurs ancêtres, et aucun ne sait lire mi écrire l'arabe ni ne connait le Coran. En réalité, les colons d'origine sémite n'ont joué qu'un rôle commercial; les «Silamô > | les sectateurs de Fislam | ou + Arabô >, comme on les appelle, et leurs métis, les « Anta- laoträ» [les gens d'outre-mer], ne se sont jamais adonnés à l'agrieul- ture au temps existaient sur les côtes Nord-Ouest et Nord-Est d'im- portantes et prospères colonies sémitiques; les travaux agricoles étaient laissés aux esclaves, et ils s'occupaient peu d'industrie, leur but unique

était le commerce : 1ls ne se contentaient pas de résider sur les côtes, 1l

(M) Ce n’est pas seulement au point de regarde les mœurs et les usages de la vie(®). vue religieux que leur influence a, pour @) Voir au tome précédent, p. 104-165 ainsi dire, été nulle, mais aussi en ce qui et AoG-h11.

Ainsi, par exemple, la saleté des Antalaoträ et des colons arabes est incroyable; les cours de leurs maisons et leurs chambres l'exception de la salle de réception) sont pleines d’immondices de toutes sortes empestant l'air, de vieux chiffons jetés çà et là, ce qui ne les empêche pas d’avoir une vanité puérile : les riches femmes antalaoträ, comme du reste les femmes arabes de Zanzibar, ont l’habitude de vêtir de temps en temps leurs esclaves de beaux fambas, ou pagnes de soie, et de tous les bijoux qu’elles possèdent, et de les envoyer ainsi richement habillées se montrer chez leurs parents et leurs amis; mais elles n’ont pas, comme les riches Anjouanaises, la fastidieuse et ridicule coutume de poster sur le toit de leur maison de jeunes esclaves qui, à tour de role, sont chargés d'appeler par leur nom successivement loutes les esclaves de la maison comme si l’on avait besoin d'elles, lors même qu’elles sont présentes, dans le but de faire savoir, urbi et orbi, qu’on en a un grand nombre.

110 MADAGASCAR.

y en avait qui s'en allaient de côté et d'autre, jusqu’au centre de l'ile, en Imerinäl}, colportant leurs marchandises. Ils ont toujours cherché et ont réussi à se faire bien venir des chefs malgaches qui, de leur côté, avaient intérêt à favoriser ces colons qui leur apportaient la richesse et la puissance, puisque, grâce à eux, ils pouvaient se procurer les armes et les marchandises dont ils avaient besoin; mais de tout temps ils se sont montrés hostiles aux Européens, dont ils redoutaient la concurrence et l'influence, et ont toujours cherché à les desservir ; 1l sont d’ailleurs peu probes et durs en affaires, très intéressés.

Dans le Sud-Est, sont venus échouer au xw° siècle quelques familles arabes et persanes, leur influence religieuse sur les indigènes : a été également nulle au point de vue du Coran, mais ils ont répandu et développé non seulement dans le Sud, mais on peut dire dans toute l'ile, la foi aux gris-pris et aux talismans et à maintes superstitions dont nous nous occuperons au chapitre de la Religion ©.

0) Duwane, Idée de la côte occidentale de Madagascar, 1792, Annales des Voyages de Malte-Brun, t. XI, 1810, p. 28. ®) Voir le tome suivant.

ETHNOGRAPHIE. 111

LIVRE QUATRIÈME. LA VIE SOCIALE À MADAGASCAR.

CHAPITRE PREMIER. LA FAMILLE MALGACHE.

$ 1. SA CONSTITUTION.

A Madagascar, l'unité sociale est la famille, et non comme chez nous, l'individu Ÿ. Les peuplades ou plutôt les groupes sociaux entre lesquels la population de l'ile était encore récemment divisée étaient très nom- breux et reposaient sur la parenté; c’étaient des familles ou plutôt des groupes familiaux indépendants les uns des autres, des clans ® dont les membres très unis, car leur sécurité n’était qu'au prix de cette union, vivaient sous le régime patriarcal; ils avaient pour chef héritier lépi-

9 L’effort individuel ne suffisant pas aux tâches multiples et complexes qui se sont imposées à l'homme au fur et à mesure que son intelligence s’est développée et que ses besoins se sont accrus, les énergies par- ticulières ont se grouper en un faisceau qui s'appelle la famille, le clan, et l'indi- vidu a été sacrifié à la fianakavianä, aux

mpianakavibé, à la collectivité familiale (+). L'union seule fait la force, disent les Mal- gaches : Ny hazo tokana tsy mba ala, ary ny tondro tokana tsy mahazo hao [Un seul arbre ne fait pas une forêt, et avec un seul doigt on ne prend pas un pou].

2) Ce nom a, comme l’on sait, le sens originel de «parenté » (?).

Comme jadis les Grecs et tant d’autres peuples, les Malgaches considéraient que lous les êtres qui se transmettaient le même sang de génération en génération ne formaient en réalité qu’un seul et même être. Quoique les individus s’arrogent aujourd’hui dans nos sociétés le droit de vivre chacun à sa guise, MM. Paul Bourget et Henri Bordeaux, dans leurs romans qu’on peut qualifier de sociaux, déplorent les conflits d'auto- nomies individuelles et d’instincls égoïstes qui résultent de ces mœurs nouvelles, et cherchent à montrer que «la cellule sociale» ne doit pas étre l'individu, mais la famille, que c’est la famille qui, avant tout, doit nous occuper, car, comme a dit Bonald, elle seule peut dire : «Je suis et je serai».

() Beaucoup des coutumes des clans malgaches rappellent celles des clans celtiques, ce qui n’est pas éton- nant puisque les uns et les autres vivent sous le régime patriarcal (voir Sxene, The Highlanders, 1837, et Summer Maye, Prim. Inst.). Skene (t. I, p. 153) dit avec raison que le chef patriarcal était le seigneur par droit d’héritage de tous ceux qui descendaient de la même souche que lui, tandis que le chef féodal était le propriétaire par conquête ou par héritage d’une certaine étendue de territoire, el que c'était de ce fait qu'il avait droit à l'obéissance et aux services de ses habitants : les uns étaient unis par la communauté d’origine, les autres n'étaient associés que par la force ou pour des besoins de protection mutuelle.

112 MADAGASCAR.

time de l’aïeul commun, et observaient scrupuleusement, relipieusement, les commandements et prescriptions des ancêtres morts, les descendants étant, d’après leurs croyances, solidaires de leurs aïeux qui sont chargés par Dieu de les surveiller et de les protéger et qui exercent sur leur famille une autorité toute-puissante ( : être exclus du tombeau de famille était la punition la plus grave et la plus redoutée. L'amour, on pourrait dire la religion du clan pris dans son ensemble, primait tout autre sentiment; ses membres s’assistaient les uns les autres contre leurs ennemis, peu importait qu'ils eussent tort ou raison; 1l était de règle qu'ils vécussent tous en bonne intelligence ©, ct, s'il s'élevait entre eux quelque dispute, quelque querelle, on attribuait à ce défaut d'union les maladies ou les malheurs qui survenaient dans le clan et l’on exigeait que les frères ennemis se réconciliassent, qu'ils demandassent pardon à Dieu et à leurs ancêtres : sacrifiant une volaille, chacun d'eux devait, avec son index trempé dans le sang de la victime, faire en témoignage de réconciliation une marque sur le front de son adversaire.

Chez les Merinä, dont l'état politique et social est si différent de ce qu'il était jadis, tant de clans sont depuis un siècle réunis sous une même autorité, cet amour de la famille ne continue pas moins à se manifester, notamment au fandroanä ou fête du nouvel an, époque à laquelle les membres de chaque famille, y compris les esclaves, s'assemblent autour du chef et prennent tous leur part des cérémonies traditionnelles de cette fête; ceux qui, retenus au loin, sont dans l'impossibilité d'y assister,

Q) C'est surtout après la mort de leurs le corps du défunt dans le tombeau de parents, plutôt que pendant leur vie, qu'ils famille *). ont un culte pour eux; aussi lorsqu'un des 2) Car, disent-ils, ny ahiahy tsy mba niha- leurs était mort au loin, ils ne regardaient vanana | litt. : mésintelligence et parenté ne ni à la dépense, ni à la peine, pour ramener vont pas ensemble |).

&) Mayeur rapporte que, lors des guerres des clans merinä entre eux, les æcombals les plus furieux se livraient autour des cadavres qui devenaient l'objet d’un commerce avec les parents des défunts, que même on les dépecait, on les détaillait, pour en tirer plus de profit, car les parents qui ne rachèteraient pas les membres ainsi épars d'un des leurs seraient voués au mépris» (Voy. dans l’Ancove en 1785, Copie Bibl. Grandidier, p. 39).

@®) Le principe : «Aide les tiens, qu'ils aient tort ou raison» élait mis presque universellement en pratique dans l'antiquité. Achille ne dit-il pas à Phoinix (Jiade, 1x, 613-615) : «Tu ne dois pas êlre lami de mon ennemi, tu dois m'aider à faire du mal à qui m'en a fait».

ETHNOGRAPHIE. 115

envoient un témoignage de souvenir, et ceux qui manquent à cet usage sont sévèrement jugés : à la fin du dernier mois de l’année lunaire, du mois d'Alohotsÿ ou, comme ils disent, de Volampadinä [mois sacré des abstinences|, les parents se visitent, venant souvent de fort loin, et man- gent ensemble le jakà, sorte de communion en témoignage d'amitié et de bonne parenté.

La solidarité entre les membres d’une famille est, du reste, complète; les riches viennent à l'aide de leurs parents pauvres, hena-drazanü [par respect des ancêtres] comme ils disent, et pourvoient aux frais de leurs funérailles: ils subvenaient aux besoins de ceux qui étaient requis pour le service du Gouvernement sous la monarchie merinä, car le Gouver- nement malgache ne payait aueun de ses fonctionnaires, ni officiers, ni soldats, ni même ouvriers; et, lorsque l'un d'eux était, pour crime ou pour dette, réduit à l'esclavage, peine qui était, comme nous le verrons plus loin, souvent partagée par la famille du coupable, les autres s'éver- tuaient à réunir la somme nécessaire pour le racheter @] : ceux qui man- quaient à ce devoir étaient l’objet du mépris public. Mais il n’y avait pas seulement entre eux cette solidarité active, ils étaient également liés par une solidarité passive, étant tous responsables des délits commis par l'un d'eux: cette responsabilité collective entrainait souvent l’escla-

vage de la femme et des enfants du chef de famille qui avait commis un = (3) crime P).

1) Le jakä, hena mialin-taont [litt. : la viande qui attend depuis l’année der- nière], comme on l'appelle aussi, est de la viande de bœuf séchée, provenant des bœufs tués à la fête du Fandroanä, qu'on garde pieusement pour être consommée l'année suivante en une sorte de commu- nion rituelle avec les parents et les amis assemblés en ce jour solennel : nofon-kena

mitampihavanana, Viande qui scelle l'union des parents.

(2) Les Zanakantitrà, clan merinä d'Am- bodiranÿ , étaient remarquables par la soli- darité qui les unissait et qu'ils pratiquaient à un degré extraordinaire.

(8) La responsabilité collective a existé chez beaucoup de peuples depuis les temps les plus anciens (*).

&) Ne voit-on pas dans l'Exode (xx, 5) Dieu punir les crimes du père jusqu'à la troisième et à la quatrième

génération, et les Grecs de l’époque historique ne me

ttaient-ils pas à mort dans leurs guerres les enfants

avec les parents, car «bien fous sont ceux qui, ayant tué le père, laissent vivre le fils»; cette jurisprudence a existé en Europe jusqu'au xur° siècle et même en Hollande jusqu’au milieu du xv°, époque à laquelle les parents

ETHNOGRAT HIZ.

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IMPRIMERIE NATIONALE.

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La famille malgache, la fianakavianü ou mpianakawbé, qui est un agrégat social dans une certaine mesure hétérogène, n’est pas compa- rable à la famille telle qu’elle est constituée chez nous, elle est parfai- tement homogène et lindividu occupe une si grande place. En effet, non seulement le degré de parenté n°y est pas pris en réelle considération, non seulement les enfants naturels et adultérins y sont admis au même titre que les enfants légitimes, mais 1l n'est même pas nécessaire que tous les membres soient consanguins : les enfants adoptifs Ÿ et les individus liés par le serment du sang ® avec toute leur lignée en font partie, ainsi que les esclaves affranchis, et jadis, à un moindre degré, ceux nés dans la famille. Tous ces membres sont complètement solidaires les uns des autres, tous sont tenus de s’entr'aider sous peine d’être rejetés de la communauté

une certaine mesure, aux membres des deux familles les uns par rapport aux autres.

(5) Aussi bien pour exiger que pour don-

0) À Madagascar, les adoptions sont fré- quentes. Quand la jeune fille, ayant libre- ment usé et abusé de son corps, entre en ménage régulier, elle y amène souvent des

enfants qui sont toujours bien reçus dans la nouvelle famille entre leur mère. le nouveau mari les adoptant généralement. ®) Dès que deux Malgaches se sont liés par le /ati-dra ou le serment du sang, les parents de chacun d'eux acquièrent à l'égard de l’autre le même degré de parenté qu'ils auraient eu, si les deux contraclants eussent été réellement frères ou sœurs. Les effets de cette alliance s'étendent même, dans

ner réparalion d'une offense ou d'un tort. + La famille d’un homme qui à des dettes (*) ou qui a été lâche devant l'ennemi, ou qui a commis certains crimes (), est réduite à l'esclavage et ses biens sont confisqués. Dans l'Ankaranä, les parents d’un individu ac- cusé de sorcellerie et mort à la suite de l’or- dalie du tanghin payent une amende pour laver la tache faite à la famille» (J. pe ra

SALLE, 1785, Arch. fortif. Colonies).

des condamnés ont été enfin affranchis de l'obligation délictuelle : on sait que cet usage de rendre collective- ment responsables des délits et des crimes tous les membres d’une famille venait surtout de ce que, dans les anciennes organisations sociales, il était dificile d'atteindre l’auteur d’une offense et de reconnaître dans la propriété familiale ses biens personnels (voir GLorz, La Grèce, et Kognicswanter, Études sur le développement de la Société humaine). Aujourd'hui, cette solidarité se retrouve encore dans l’Extrême-Orient aussi bien qu’en Afrique : ainsi M#° Lechaptois dit qu'aux rives du Tanganika elle existe dans chaque famille pour les dettes et les délits graves d’un quelconque de ses membres, et que les parents se prétent tous assistance en cas de malheur ou de besoin : nul ne songe à se soustraire à ce devoir; tout chef de famille est responsable des actes des siens, enfants ou esclaves (Aux Rives du Tanganika, 1913, p. 123).

® «Lorsqu'un Hovä [un habitant de l’Imerinä] doit une somme à un titre quelconque et que ses biens ne suffisent pas à la payer, il donne en outre ses femmes, que leurs parents ont le droit de racheter, un ou plu- sieurs de ses enfants et enfin lui-même, s’il est nécessaire» (Maveur, Voyage dans l’Anhove en 1777).

@) Chez un très grand nombre de peuples, d’ailleurs, certains crimes, notamment les crimes de trahison envers l'État ou de lèse-majesté, entrainaïent aussi non seulement la punition du coupable, mais celle des parents même éloignés, notamment chez les Chinois, les Japonais, les anciens Perses, les Macédoniens, etc.

ETHNOGRAPHIE. 115

qui a, de ce fait, une grande cohésion!); tous prennent part au culte des ancêtres), aux cérémonies religieuses. Dans l'organisation sociale mal- sache, comme dans celle des Arabes au vn° siècle et de beaucoup d’autres peuples, Findividu isolé du groupe auquel il appartenait, soit qu'il leût abandonné volontairement, soit qu'il en eût été chassé, était privé de toute protection, de toute aide, et dès lors était un être perdu : car chaque famille a son culte, son foyer, qu'aucun de ses membres ne peut abandonner sans perdre la communion avec ses ancêtres, et par conséquent avec les divinités et avec les hommes, et sans perdre sa place dans le tombeau commun tous doivent être enterrés sous peine d’im- piété et il est évalement impie d’enterrer un étranger ®). Ces coutumes et ces traditions, qui unissaient intimement les membres d’une famille, les séparaient des autres, de sorte que, hors du sein de sa famille, on n'avait que des ennemis.

Chaque ménage désire avoir une nombreuse progéniture “), non pas tant que les Malgaches, quoiqu'ils les choient et les affectionnent, aiment les enfants pour eux-mêmes, comme c’est le cas chez nous, mais parce qu'ils perpétuent la famille et que, comme nous le verrons au Livre de la Religion des ancêtres, ils sont indispensables pour rendre aux mânes de leurs parents les devoirs sans lesquels la vie dans l’autre monde serait pour ces défunts précaire et malheureuse (); à cet intérêt primordial de la

9 L'Antandroy lui-même, le plus sau- mille était, pour eux, le pire des châtiments

vage et le plus égoïste des Malgaches, n’hé- site pas à donner quelques bœufs à un pa- rent que les fahavalÿ ou voleurs de grand chemin ont dépouillé, et le Rév. H. E. Clark rapporte que les Zanakantiträ, clan merinä réputé pour son avarice parmi des gens dont l'esprit d'économie est prover- bial, n'hésitent pas à donner tout l'argent nécessaire quand il s’agit de sauver l'honneur de la famille (Antan. Annual, 1896 ,p. h54).

2) Omettre d'inviter un membre de la famille à une cérémonie en l'honneur de ses ancêtres élait une injure grave, et ne pas être admis dans le tombeau de la fa-

() Chez beaucoup de peuplades mal- gaches, Betsimisarakä, Sakalavä, ete., comme d’ailleurs autrefois en Germanie et en d’autres pays, la femme elle-même, füt- elle mère, n’était pas enterrée aux côtés de son mari et de ses enfants, mais dans le tombeau de sa propre famille.

(0 On appelle, en Imerinä, antoandrô [lüitt. : le plein jour (le bonheur parfait) | les gens riches qui ont beaucoup d'enfants et qui sont, par conséquent, arrivés au faîle du bonheur malgache.

1) Aussi appelle-t-on maty masd [litt. œil, germe mort ] ceux qui meurent sanspostérilé.

15.

116 MADAGASCAR.

naissance de beaucoup d'enfants s'en joignait un autre, celui d'augmen- ter la puissance du groupe familial qui, dans ces pays, repose plus sur le nombre que sur les qualités de ses membres, le nombre y faisant la loi). L'enfant appartient à l’aïeul beaucoup plus qu'au père.

Les empêchements aux mariages et même, pour les femmes, aux rela- tions passagères avec des gens de castes et de clans différents sauvegar- daient l'intégrité de la famille.

Beaucoup de ces groupes familiaux ou clans se désignaient par le mot zafÿ (petits-fils) suivi du nom de l'aïeul commun, comme les clans irlandais et écossais étaient désignés par les mots O’ (contraction de « Ua» [ petit-fils |) Mac (fils) précédant le nom de leur ancêtre.

Le pouvoir du chef de ces familles ou clans s'exerçait à la manière des patriarches, et non comme celui d’un propriétaire, d’un seigneur féodal); il était le tompo hazomanuisä (dans l'Ouest et dans le Sud), le tompo jurô (dans l'Est), c'est-à-dire le maitre, le gardien du poteau sacré au pied duquel se faisaient les prières à Dieu et aux mänes des ancêtres; 1l était done non seulement »y lohä, le chef temporel, mais aussi ny mpisoronü ou ny mpiord, le chef spirituel, le pontife de la famille, l'intermédiaire entre les siens et la divinité, ct il avait le pouvoir de manala voadÿ, de dispenser de leurs vœux ses enfants, ses frères et neveux, ainsi que leurs esclaves. Il était en outre le dépositaire des biens de tous les membres du clan , sur lesquels il exerçait une autorité arbitraire, les enfants, comme nous l'avons dit, dépendant plus de lui que du père. Avec laide des anciens de la famille, il jugeait les différends et les disputes, et levait des impôts, impôts en nature bien entendu; mais, d'autre part, 1l était

(0) Mba aizano izay, Andriamanitra ! na ho lahy, na ho vavy ! mba ho maro fara, ho maro dimby izahay ! disaient-ils dans leurs prières [Donnez-nous de nombreux enfants, divi- nilés que j'implore! garçons ou filles, sui- vant votre bon plaisir, mais que nous ayons une postérité nombreuse! |.

) Quelquefois aussi de l'aïeule, mais non pas toujours, comme dit à tort Flacourt : «Dans toute l'ile du côté du Sud, ainsi que

chez les Masikorë, le nom de la lignée se prend de la femme, Zafikazimambô, etc.» (Hist. Madag., p. 17).

8) Voir plus haut la notule b, p. 111.

(1) Enfants, neveux, esclaves affranchis, etc., remettaient tous entre les mains du chef de famille ce qu'ils gagnaient, les ca- deaux qu'ils recevaient, et quand ils avaient besoin de quelque objet leur appartenant, ils le lui demandaient.

ETHNOGRAPHIE. 117

responsable des faits et gestes des siens. Les frères succédaient souvent aux frères avant les fils, car, dans le système patriarcal, l'héritage au droit de commandement revient au plus proche parent de l’aïeul commun, qui, lorsque le chef mort avait un frère puiné, était ce frère puisqu'il est d'un degré plus près de l’auteur commun que son neveu (); du reste, dans une société patriarcale, cet usage répondait aux besoins d’une population dont les habitudes de guerre et de pillage nécessitaient la présence à sa tête

2

de chefs capables de commander ®. Les vieillards sont entourés à Mada- gascar de respect ® et y jouissent d’une grande autorité : «Le mal est un pays sans vieillards», dit un de leurs proverbes.

Ces clans ont été autonomes jusqu'au milieu du xvn° siècle, puis peu à peu groupés, d’abord dans l'Ouest par Andriandahifotsÿ, ensuite dans le centre par Ralambô et ses successeurs, chefs d’origine, les uns in- dienne, les autres, javanaise, lesquels ont facilement imposé leur domi- nation à un certain nombre de clans indigènes qui, bien que voisins,

étaient désunis . Peu à peu, quoique avec une moindre cohésion, la même

(D C'est ce qui avait lieu chez les Be- tsimisarakä, chez les Mahafalÿ, chez Îles Anüfiherenanä et les Sakalavä, chez les Va- zimbä de l'Ouest, etc. ), et c’est pourquoi les Merinà avaient les dictons suivants : Fara vady anadahy | Le frère est le dernier mari (soutien) de sa sœur |, et Manipaka anadahy, mahafaty tanora | Mourront jeunes les femmes qui donneront des coups de pied à leurs frères (c’est-à-dire qui leur manqueront de respect, car les coups de pied étaient ré- servés aux chiens et aux esclaves) | 1).

(2) «Honorez vos ainés et, en général, tous les anciens», a dit Andrianampoini- merinä à maintes et maintes reprises.

(3) M. le lieutenant Bührer dit cependant que, si certains clans anlandroy comme les Antihodë, par exemple, ont le plus grand respect pour les vieillards, il en est d'au- tres qui se conduisent mal à leur égard; il en est de même chez les Mahafalÿ.

(4) Andrianampoinimerinà, le fondateur de l’hégémonie merinà, a beaucoup insisté sur la nécessité de l'union des clans (°).

() Dans le système patriarcal, en effet, c’est de l'aïeul commun que provient le droit au commandement, tandis que, dans le système féodal, ce n’est plus la succession à un droit personnel, mais la succession à une propriélé territoriale qui est en cause, et c’est le plus proche héritier du propriétaire, le fils aîné, qui, dans ce cas, lui succède naturellement (Sxene, The Highlanders, t. 1, p. 160 et 161).

®) En Imerinä, les frères sont tenus en grand respect par leurs sœurs, dont ils sont les protecteurs natu- rels : Ny anadahy toy ny vodi-fahitra : na soa, na ratsy, izay manjo lazaina azy avokoa [Le fière est (pour la sœur) comme la fosse à fumier (où l’on jette tout), elle lui fait part de tout ce qui lui arrive en bien comme en mal)] (R. P. Carxer, Bull. Acad. malgache, 1903, p. 211).

( «Voici ce que j'ai à vous dire, à vous qui êtes mes sujets. Je veux que vous vous assistiez tous les uns les autres, clans, villages, familles : c’est dans votre intérêt, car, comme dit le proverbe, «mieux vaut être «détesté du roi que du peuple : on ne fréquente guère le roi, et on est en relations constantes avec le peuple».

+ Voulez-vous construire une maison? Une seule personne ne peut y arriver, car œun seul doigt ne tue pas un

115 MADAGASCAR.

transformation s’est opérée dans le reste de l'ile, dont la population a été dès lors divisée non plus en un nombre considérable de groupements familiaux, mais en une vingtaine de peuplades!”. Toutefois, partout, même en Imerinä le souverain avait un pouvoir absolu, chaque fa- mille® a continué à former au sein de l'État une sorte de petit État ayant

() Voir plus haut, p. 2, et, dans letome clan sont fokô, fokom-pirenenä, fokon'olonà précédent, p. 195-196 et 196-290, ainsi ou fianakavianä(®), firenenà [litt. : qui ont la que la carte ethnographique, p. 196 bis. même mère |, ces deux derniers ayant un

(2) Les noms malgaches pour famille ou sens plus large que foko ).

«pou, et un seul arbre ne fait pas une forêt» ; quand donc quelqu'un voudra en construire une, si sa famille n’y suflit pas, que le village l’aide; mais alors celui qui aura été ainsi aidé aidera les autres à son tour, et, s’il s’y refuse, détruisez sa maison pour laquelle vous aurez peiné, et en outre, dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, abandonnez-le à ses propres ressources : vient-il prendre du feu chez vous, ne lui en donnez pas, et, puisqu'il s’est séparé de la communauté, délaissez-le. Toutefois ne lui gardez pas rencune, s’il vient à résipiscence.

« Voulez-vous construire un tombeau et, dans ce but, trainer de grosses pierres? Si quelqu'un, füt-1l un chef ou un homme riche, ne tire pas à la corde et fait le fier, ne le regardez plus comme lun des vôtres, et, si vous l'avez aidé dans la construction de son tombeau, démolissez-le, car il est votre œuvre plus que la sienne.

«Si un clan ne suffit pas pour construire un tombeau ou faire tout autre gros travail, qu’on appelle le clan voisin. Et dans ce cas, si, au repas commun l'on servira du manioc, il se trouve quelqu'un, noble ou libre, qui n'y veuille pas toucher, chassez-le, car par sa fierté insolente il met la discorde entre vous.

«Je désire que l'hospitalité soit en honneur parmi vous, je veux, selon le proverbe, qu'entre deux « mai- sons voisines, l’une au Nord, l’autre an Sud, on puisse s’abriter dans celle qui protège contre la pluie», et qu'il ny ait aucune parole de mépris pour quiconque cherche un abri chez un autre.

«Je tiens en outre à ce que vous soyez complaisants les uns pour les autres, et que vous vous prêtiez du riz; cédez-en s’il y en a dans votre maison, et assistez-vous mutuellement.

«J'ai à cœur tout ce qui vous touche, voilà pourquoi je veux que vous soyez unis. Je trouverais mauvais que, unis par le sol, vous ne le soyez pas aussi par les intérêts. Vivez donc en bon accord avec tous ceux au milieu desquels vous vous trouvez, vous, vos femmes et vos enfants. Vos biens, je ne les prendrai pas, car je veux que vous soyez riches afin que vous puissiez vous assister mutuellement» (Kabary d’Andrianampoi- nimerina à Andohalo, R. P. Callet).

@) De la racine anakavÿ anaka avÿ [litt. : tous les enfants (mes enfants)], terme d’affection employé par les supérieurs vis-à-vis de leurs inférieurs.

() On distingue fianakaviana akaiky indrindra (père, mère, enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants, neveux et nièces issus de sœurs), fianalaviana akækyÿ ankohonanü (les précédents, plus les collatéraux qui, sans descendre les uns des autres, ont un auteur commun: frères et sœurs, cousins et cousines, oncles ct tantes, neveux et nièces issus de frères, qui ont la même souche, le même héritage et le même tombeau), fianalaviambé (les parents précédents, plus les parents par alliance, par adoption : beau-père, belle-mère, gendres, brus, ete.). Les Merinä nomment les membres d'une même famille mpranahkavy [lité. : ceux qui sont frères et sœurs, cousins et cousines (parents)] et aussi figurément tangorom-pozà [litt. : crabes qui foit cerele (c'est-à-dire gens qui obéissent à un seul chef )]. Fianahana, c’est la famille dans un sens étroit, le père, la mère et les enfants.

Quant aux parents, on les appelle havanä ©), atin-kavanà | litt. : parents sortis du même foie (c’est-à-dire du même sang)], et quelquefois chez les Merinä tamingant, lafÿ [litt. : qui sont à vos côtés], tarinÿÿ [litt. : qui sont rangés les uns à côté des autres], ou, dans les autres provinces, fehiträ, fehinÿ ; un parent proche se dit havana akaikÿ fanaton-kavanä, et les parents éloignés havan-tetezinü [itt. : parents pour lesquels il faut

0) On sait que cerlains crabes, notamment ceux qui énorme et produisant ainsi un bruit assez fort : on croi- abondent dans les palétuviers (Gelasimus d'espèces di- rait voir le chef d’un orchestre militaire battant la me- verses), ont la curieuse habitude de s’assembler en assez sure au milieu de ses musiciens rangés en rond autour grand nombre, formant un cercle au milieu duquel de lui. passe de temps en temps lun d’eux, tous frappant en ) Un mauvais parent, c'est un havanü {sy ainü [lite :

cadence leur carapace avec leur pince gauche qui est un parent sans vie, un parent qui est mort].

ETHNOGRAPHIE. 119

ses lois propres, se régissant selon les ordonnances de ses propres ancêtres transmises pieusement de génération en génération : le chef, assisté des notables, exerçait le droit de basse justice pour le règlement des conflits survenus dans le fokon'olonü ou la communauté ©), excepté en cer- tains cas l’on en appelait au souverain qui jugeait après avoir reçu l'avis d'un Conseil d'anciens, l'Ampiasy forazanana ny Mpanjakü ®), chargé de le

U), c’est-à-dire sur les actes et les traditions

renseigner sur les alao ny razanü de ses aïeux, et de le prémunir contre les zaka tsy natao ny razanü contre les innovations; chez les Betsileo surtout, les clans se tiennent encore complètement à l'écart les uns des autres en toutes circonstances : les membres des divers clans, en effet, ne s’entremarient pas; lorsque le gouvernement merinä leur imposait une corvée, ils ne la faisaient pas en commun et se la partageaient, et ceux qui sont chrétiens ont leurs églises particulières, Dans les régions autres que celles qui étaient soumises aux Merinä avant notre occupation, comme dans le pays sakalavä, par

exemple, les divers clans ou tribus, quoique gouvernés par des chefs

(b)

Car Ny hafa-drazana ahoïzina ny tara- nwny, disent-ils [On doit obéir scrupuleu- sement aux ordres des ancêtres |.

®) «Je vous dis, d mon peuple, que je donne à chacun de vous le droit d’être maître absolu chez lui. Si des cadets ou des enfants manquent de respect à leurs ascendants et ne leur obéissent pas, s'ils se conduisent mal à leur égard, ces ascen- dants auront le droit d'agir à leur guise et de disposer, comme ils le voudront, de leurs biens, masi-mandidy aminny hareny (Kabary d'Andrianampoinimerinä à Andohalô).

(8) Litt. : «Ceux qui honorent, qui res- pectent Îes aïeux du Souverain, qui con- naissent l’histoire de leurs faits et gestes».

(4) Litt. : « Ge qu'ont fait les aïeux (du Souverain)».

(5) Litt. : « Les choses que n’ont pas faites les aïeux (du Souverain)».

(5) Un «ministre» indigène betsileo ne prêche jamais que devant des fidèles appar- tenant à son clan, ou tout au moins au groupe de clans qui étaient réunis sous le même chef, tels que les [lalanginä, les Isandrä, les Arindranë.

remonter (loin jusqu’à la source, jusqu'aux ancêtres) | U), lafin-kavanü [litt. : les parents qui sont à la frontière],

ou encore iray lenü, iray petsapetsä [litt.

: un qui est mouillé]. Les proches parents du souverain merinä

prennent les noms de Zanak’Andriant [litt. : les enfants du Souverain], de Sakelik-Andrianä [litt. : que le Souverain porte sous son bras] ou d’Atinandrianä [litt. : qui sont le foie du Souverain | ©).

® Havako raha misy patsa, fa, raha lany ny patsa, havan-tetezina, dit un proverbe malgache : Il est mon proche parent pendant le temps que je mange un patsü (une crevette minuscule), mais, quand je l'ai mangé,

il n’est plus qu'un parent très éloigné, il ne me connait plus.

Les Malgaches considèrent le foie comme l'organe principal, le plus noble du corps humain.

120 MADAGASCAR.

appartenant à la même dynastie, ne se faisaient pas faute de guerroyer les uns contre les autres, tuant, pillant, volant leurs voisins sans pitié. ; , P Les Malgaches n'ont pas de noms de famille; les noms par lesquels on les désigne sont toujours des noms individuels, qu'ils sont libres de changer quand bon leur semble; 1ls n’usent du reste de cette faculté que pour des raisons d'ordre sentimental ou superstitieux 0. AI y 2 Al u = L4 L4 7 « Père » se dit ray et mère» renÿ, mais en général les enfants emploient plutôt, au lieu du premier, les mots aba, baba, dada, ou bien kiakÿ ”), ce dernier étant d'ordinaire usité par les filles, tandis que ce sont surtout les garcons qui font usage des premiers, et, au lieu du second, nenÿ°), imü, endriÿ®. Ces noms ne s'appliquent pas seulement à ceux qui ont en- gendré, mis au monde un enfant, car, si les Malgaches avaient, comme il a été dit plus haut, le plus grand désir d’être pères de famille, ils ne distinguaient pas, au moins jusqu'a une époque encore récente, leurs \ L 4 . . Q propres enfants de ceux de leurs frères et sœurs : au début il n°y avait pas, entre les membres des clans familiaux qui alors ne connaissaient pas la propriété individuelle et qu'unissait seulement le besoin de se défendre contre leurs ennemis du dehors, de différences réelles au point Ù I de vue de la naissance, et les relations entre pères et mères et enfants n'avaient pas de raison d'être plus intimes que celles entre oncles et tantes et neveux et nièces, entre cousins et cousines, etc., tous dépendant ; > Ï en réalité de laïeul, du chef, plus que de leur père; de sorte que les

6) Dans les langues malayo - polyné- siennes, on dit inana, nina, nene, ina.

(1) En montant sur le trône, le Souverain merinä change toujours de nom.

@) Ils disent aussi ada, daday. Ce sont des onomatopées analogues à notre mot en- fantin «papa».

8) Ou ikakÿ. En malais, kaka kakak signifie +aïeul».

(4) On dit encore, pour «père», notam- ment dans l'ouest de lImerinä, anpÿ ou iangÿ | litt. : ornement] et aussi àrà [litt. : qui est élevé, qui est supérieur], et dans le nord-ouest de l'ile, rafiasÿ [litt. : qu’on res- pecte, chef], masakorä, nahodà [litt. : chef (en soahili)],

Nenek a le sens d’aïeule.

(6) Dans les provinces, on dit aussi nendrÿ, nindrÿ. Les Sakalavä disent nanjä, et dans le Nord-Ouest, njarÿ, ranjarÿ. Les Merinà ap- pellent souvent les vieux esclaves nés dans la famille ikakÿ [père], nenÿ [ mère ].

() Les Merinä désignent sous le nom de andevo tsy milefa [litt. : esclaves qui ne s'en- fuient pas (attachés à la famille)] les 2a- nakà, les zafÿ et les zafafÿ, c'est-à-dire les enfants et les petits-enfants, mais non les neveux el les nièces.

ETHNOGRAPHIE. 121 Malgaches appellent du même nom : le père et l'oncle, ray", ada; la mère et la tante, renÿ, nenÿ ®; le frère et le cousin, rahalahÿ anadahi} ; la sœur et la cousine, rahavavÿ ou anabavÿ), tous parents dont lunion

est considérée à Madagascar comme incestueuse %) et au milieu desquels

on a de la peine à se reconnaitre ©).

Les Européens nouvellement établis à Madagascar ne laissent pas que d'être sur- pris de voir leur domestique demander, à plusieurs reprises et à quelques mois d'in- tervalle, un congé de deux ou trois jours, chaque fois pour aller enterrer son ray, son père.

® Rai aman-drenÿ [litt. : père et mère] est un litre respectueux qu'on donne à un supérieur, à son maitre ou à sa maitresse. Le Souverain et le peuple, lorsqu'ils s'adres- sent l'un à l'autre, s'appellent mutuellement ainsi.

6) Il y a entre les frères et les sœurs, à Madagascar comme chez les peuples malayo- polynésiens, des distinclions qui n'existent pas dans nos langues et qui sont des ves- tiges du matriarcat, de la parenté par les

femmes : ainsi le frère d’un homme s’ap- pelle rahalahÿ ®) et sa sœur anabavÿ ©), et le frère d’une femme s'appelle anadahiÿ et sa sœur rahavavÿ (), Mirahalahÿ, c'est «être deux frères», et mirahavavy, c'est + être deux sœurs ».

(4) À Madagascar, on emploie d'ordinaire le «singulier» lorsqu'on parle à une seule personne, mais les Sihanakä ont la cou- tume de se servir du «pluriel» lorsqu'ils s'adressent à quelqu'un de leurs parents avec lesquels le mariage est illicite : ils leur disent hianareo [vous] et non anao [toi] (Th. Lorp, Antanan. Annual, 1893, p.115).

(6) Si, ne connaissant pas les liens de parenté qui unissent les divers membres d’une famille, on veut s’en rendre compte, il faut recourir à des périphrases (1.

Dans les provinces, on dit aussi raokilahÿ ou rokilahy (par contraction de razokÿÿ «ainé»). Dans les provinces, on dit aussi anakavy. Dans les provinces, on dit aussi raokivaviÿ ou rokivavy.

() Pour savoir, par exemple, quelle est la parenté exacte d’une femme avec celui ou celle qui l'appelle reniÿ nenÿ, on demande : Reny niterakä va ? Reny nahitana masoandrà va ? [Est-ce la mère qui a mis au monde? Est-ce la mère qui a fait voir le soleil? |; Anabavy ndray namaitr& va ? | Est-ce la sœur du père qui a engendré (la tante paternelle) ?] ou Rahavavy ndreny niterakà va ? [Est-ce la sœur de la mère qui a mis au monde (la tante maternelle)?] ©); Anabavy ny dady lahÿ va ? [Est-ce la sœur du grand-père (la grand'tante paternelle)?] ou Rahavavy ny dady vavÿ va ? [Est-ce la sœur de la grand'mère (la grand’tante maternelle )?]. Pour savoir si ce sont des frères, des sœurs ou des cousins, des cousines, lorsqu'on parle de rahalahyÿ, d'ana- dahÿ, de rahavavÿ, d'anabavÿ, 1 faut poser les questions suivantes : Rahalahy Anadahy (Rahavavy ou Anabavy) kibo raikÿ va ? [sont-ils fils (filles) des mêmes parents?] ou bien Rahalahy Anadahy (Rahavavy Anabavy) tokan-dady namaitra izÿ va? [sont-ils les petits-fils (les petites-filles) du même grand-père (cou-

b

G

sins)?] ®.

1 Dans les provinces côtières, on dit aussi : pour oncle paternel, daday kel, et pour tante paternelle, daday ma- toa; pour oncle maternel et oncle par alliance, zama, et pour tante maternelle et tante par alliance, zena. On voit qu'a Madagascar, comme d’ailleurs dans beaucoup d’autres pays, on distingue les frères et les sœurs de père des frères et des sœurs de mère, ainsi que les cou- sins germains ou enfants de ces oncles et de ces tantes, que chez nous, dit Sir John Lubbock, «on regarde à tort comme identiques et égaux». Voir aussi Monrcaw, Systems of consanguinity of the human family (among 13ÿ peoples), 1870.

ETHNOGRAPHIE.

®) On dit aussi, pour cousin et cousine, zanak’olomia- nadahÿ, quand ce sont les enfants d’un frère et d’une sœur; zanak’olo-mirahalahÿ, quand ce sont les enfants de deux frères, et zanak’olo-mirahavaviÿ kibo tsy ombr, quand ce sont les enfants de deux sœurs. Pour neveu et nièce, on dit zanak’anadahÿÿ, zanak’anabavÿ (et aussi zanak’ainü) , zana-drahalahÿ zana-drahavavi;, sui- vant qu'il s’agit des enfants de deux frères, des enfants du frère d’une femme, des enfants de la sœur d’un homme ou des enfants de deux sœurs. Pelit-neveu, petite-nièce se disent zafy lahy (vavy) n’anadahy, zafy lahy (vavy) n'anabavy, zafy lahy (vavy) ny rahalahy, ete.

16

IMPRIMERIE NATIONALE.

122 MADAGASC AR.

«Mari et femme s'appellent indifféremment vadÿ (ou, sur les côtes, valÿ); un «ménage», c'est olona muvadyÿ [litt. : des gens qui sont mari et femme |. On distingue la vadibé, la première ou la principale des épouses d'un polygame, la ou les vady masay, les diverses épouses, à l'exclusion de la première et de la dernière, et la vady kelÿ, la dernière d’entre elles, et, en outre, chez beaucoup de peuplades, les vady sindranÿ, les épouses esclaves ?. Maris et femmes n'usent pas entre eux de ces petits noms tendres et familiers dont nous sommes coutumiers : rain-Janakä ou, dans l'Ouest, tbaban-tsaikÿ | père de mes enfants], dit la femme en s'adressant à son mari, bien tompokolahÿ [mon maitre |; et reny anakü [mère de mes enfants], dit le mari à sa femme, ou bien ramatoa |l'ainée|, s'il s'adresse à la vady bé, et rafotsÿ | madame}, s'il s'adresse à l’une des autres.

Les zanakü, les enfants, se divisent : en miray ray aman-drenÿ, qui ont le même pére et la même mère; miray ray, qui ont le même père; miray lam-po | qui ont été dans le même sein |”. On distingue : le zokÿ

0) Sur les côtes, on appelle 1s0-badÿ la femme préférée.

(2) Sindranovavi, sindranolahi}, étaient des esclaves cohabitant avec leur maitre ou avec leur maitresse.

En Imerinä, on appelait tsindranolahy, isindranovavÿ, les hommes et femmes atta-

chés au service du Souverain ou des princes. (%) On dit aussi mifanapa-tsinay {itt. : qui ont déchiré les mêmes entrailles |», qui ont la même mère ("), (1) Les Sakalavä disent plutôt ampokÿ; chez les autres peuplades des côtes, raokÿ est plus usité (),

® On distingue : le zaza am-bohokä ou, sur les côtes, le zaza votrakä, le fœtus; les zaza menä mena vavä |litt. : les enfants rouges], c'est-à-dire les nouveau-nés; le somonÿ, sy an-drano renÿ [Hitt. : dont la mère n'est plus à la maison], l'enfant dont la mère est morte en le mettant au monde (1; le miolo-nond [litt. : qui tétent ensemble], l’enfant encore au sein d’une femme enceinte (); le voa taizä, le nourrisson; le maraorao lelà [Htt. : qui a la langue un peu rugueuse], l'enfant de plus de trois mois auquel on commence à donner à manger; le zaza ranÿ, l'enfant au-dessous de deux ans qui n’a encore rien vu, qui ne sait encore rien; le apa-jazä ou le zaza bodë ) [lit : l'enfant qui n’a pas l’âge de raison], le jeune enfant auquel on n'a pas encore donné un nom; le kibontä ou kilongä, nom donné sur les côtes aux enfants depuis qu'ils sont sevrés jusqu’à l’âge de raison; le kitsensy (sur les côtes), l'enfant de trois à cinq ans; le zaza varivary ou le sakan-jazà , le papan-jazt, Venfant de huit à neuf ans; le vanto-jazü et le vantoh”olonà , Venfant d’un âge moyen; le kotÿ ou botÿ, le petit garçon, et la ketakä ou aussi, dans l'Ouest, la mabë, la petite fille; le tovon-jazà ou le tovon-olon& , l'enfant qui grandit; le zaza-vatonangÿ, V'enfant malingre; le tolo-kaninä, l'enfant qui ressemble à une autre personne qu'à ses parents (ainsi nommé vdon d'aliments», parce que les Malgaches attribuent cette ressemblance à ce que la personne à qui il ressemble a donné à manger à sa mère pendant qu’elle était enceinte). D'une manière générale, les enfants s'appellent ankizy madinikä et, sur les côtes, zaza misitikä.

@) On appelle zokibe toa ray [aîné grand comme le père] le fils aîné qui remplace son père mort, et zoky masay | petits ainés] ceux qui sont les ainés de quelques-uns de leurs frères, mais pas de tous. Zoky tsipopon- tanÿ, c’est le fils ou la fille aînée qui sont beaucoup plus âgés que leurs frères et sœurs.

() On nomme encore ainsi les enfants dont la mère est divorcée et qui vivent avec leur belle-mère.

® On donne aussi ce nom aux frères et aux sœurs de lait.

®) Ce mot bodÿ entre assez souvent dans les noms de

femmes, soit seul comme dans «Rabodë», soit comme préfixe : par exemple, dans «Rabodonandrianampoini- merinä», qui était le nom de Ranavalonä I avant son accession au trône.

ETHNOGRAPHIE. 193

A L4

ou matoa", l'ainé®; les andrianaïvo ou ranawv, les garçons qui ont des frères plus àgés et plus jeunes qu'eux; les r@vÿ, les filles qui ont des sœurs plus âgées et plus jeunes qu’elles; les zay ou zandrÿ, les cadets; et l'an- driamparanÿ (rafaralahÿ, rafaravavÿ), le dernier enfant. Une fille unique, c'est vavlahÿ [la femme-homme]. /sok’anakü, ce sont les enfants chéris, que la mère se plait à appeler menaky ny ainä [la graisse (le meilleur) de moi-même], et ambin-jazü | l'enfant en surplus (qui n’était pas de- mandé, désiré)], c’est le moins aimé. Il faut encore citer : les zaza ampy mihirä [les enfants qui doivent se suflire pour s'amuser |, c’est-à-dire les deux premiers enfants d’une fille qu'en vertu d’une convention faite avant le mariage, son père et sa mère réclament comme leur appartenant et qui dès lors ne sont pas considérés comme les enfants du mari; les zana- badiÿÿ ou zaza momba renÿ [les enfants qui suivent leur mère], c'est-à-dire les beaux-fils et les belles-filles de l’homme qui a épousé leur mère; les zanaka-nalsanganà , les enfants adoptifs; les zana-dranitrà , les enfants des concubines; les zaza-sarÿ [les contrefaçons d'enfant] ou, sur les côtes, les anal ampasinà | les enfants (engendrés) sur le sable | et les zanak'ambelani [les enfants (engendrés) hors de la maison |, c’est-à-dire les bâtards, les enfants nés hors du mariage"; ceux dont les parents sont de races dif- férentes s'appellent zanak’aminambinä ou zafindraonÿ, et les métis de Me- rinä et de Betsimisarakä, dans l'Est, angany hovä).

« Grand-pèêre » se ditrabé, kalkubé, et aussi, sur les côtes, dadÿ, dadilahiÿ, ibelahÿÿ, et « grand'mère» rembé, et aussi, sur les côtes, dadÿ, dadivavy, ibibe.

0) On dit lahimatoa andriamatoa pour 6) S'il n’y en a qu'un ou que les parents

le fils aîné et ramatoa pour la fille ainée. Les Merinä donnent quelquefois à l'aîné des garçons le nom allévorique de antsilavä ou de kalazä [litt. : la hache de la famille], c’est-à-dire le protecteur et le défenseur naturel de ses frères et sœurs.

2) On appelle encore le premier voa- loham-temb5 | lit. : la première semence | et vaky vodiÿ [litt. : qui (le premier) a déchiré les organes maternels ].

n'en prennent qu'un, comme c'est souvent le cas, il n’en porte pas moins le nom de zaza ampy mihira.

(4) On dit aussi anak”amonto [litt. : enfant du dehors], anak’an-tanÿ [litt. : enfant de la campagne ] et, dans l'Ouest, anaka misa- haträ [litt. : enfant énigmatique | ou anaka misaikiÿ | itt. : enfant qui se glisse (dans la maison) |.

(6) Litt.: qui s'élèvent au rang de «hovä».

16.

124 MADAGASCAR.

Les + ancêtres », lasan-ko Andriamaniträ | qui sont partis pour être divins (pour être auprès de Dieu)}, s'appellent razanà, et les «descendants», taranakà taranjà”.

Rafozanü, rafozalahÿ, rakelÿ [le petit père], c’est le beau-père, et rafozanü, rafozavavÿ, renikelÿ [la petite mère], cest la belle-mère. Vinanto, c'est le gendre (vinantolahiÿ) aussi bien que la belle-fille (vinan- tovavÿ). La parenté contractée par le mariage s'appelle zaoträ, ou, chez les Sakalavä, aotrû : zao-dahÿ, e’est le beau-frère, et za0-bavÿ, la belle- sœur

Ray (ou Ada) nananganü [le père qui à mis debout, qui a choisi | est le père adoptif, et, comme nous l'avons dit, zanaka natsanganü [ l'en- fant qu'on a mis debout, qu'on a choisi] est l'enfant adopté. Zazalav , c'est un enfant adopté par ses proches parents et qui a les mêmes droits que leurs propres enfants.

On compte encore au nombre des parents à Madagascar les personnes qui portent l'enfant pendant les cérémonies de la circoncision et celles qui lui servent de parrain et de marraine, auxquelles on donne le nom de rain-jazà | père de l'enfant | et de remin-jazü | mère de l'enfant |, ainsi

(1) Ceux-ci se divisent en zanaka-lahÿ et zanaka-vavÿ ou les fils et les filles, en 24/ÿ

[litt. : les petits-enfants que ne mine pas le chagrin, ainsi nommés parce qu'ils ne

ou les petits-enfants (zafilahÿ, les petits-fils, et zafivavÿ, les petites-filles), en zafafj ou les arrière-petits-enfants (la troisième génération), en zafin - dohalikä |litt. : les pelits-enfants du genou | ou la quatrième généralion, en zafin - kitrokelÿ [litt. : les petits-enfants de la cheville du pied] ou la cinquième génération , en zafim-paladia | WU. : les petits-enfants de la plante des pieds | ou la sixième génération, en zafin-doria [htt. : les petits-enfants très éloignés] ou la sep- tième génération, en za/y mafÿ [litt. : les petits-enfants au cœur dur | ou 24/y tsy toranà

pleurent guère leurs vieux ancêtres | ou la huitième génération et les suivantes, et enfin, en zafy tsy havanà [litt. : les petits- enfants qui ne sont pas parents] ou les parents descendant d'un ancêtre commun, mais si éloigné qu'en réalité les liens de parenté n'existent plus.

® On dit aussi ranaoträ, appellation res- pectueuse dont se servent entre eux les beaux-frères et les belles-sœurs. Les maris de deux sœurs comme les femmes de deux frères sont miaotrà, c'est-à-dire beaux- frères et belles-sœurs.

() On dit aussi : afÿ, tsingafiafÿ et, sur les côtes, safÿ. Les zafÿ se divisent en zanak’olo-mirahalahyÿ (les enfants de deux frères), zanak’olo-mirahavavÿ (les enfants de deux sœurs) et zanak’olo-mianadahÿ (les

enfants d’un frère et d'une sœur).

ETHNOGRAPHIE. 195

que les frères et sœurs de sang ou fati-dra | qui se sont faits mutuelle- ment une incision sanglante |.

Les Malgaches appellent : les jeunes enfants, d’une manière générale, zazû ® ankizÿ® et aussi, sur les côtes, {s@kÿ ou n&kÿ"; les jeunes hommes, tovolahÿ ou plus respectueusement zatovolahÿ, vaky somoträ ou arisomotrà | dont la barbe commence à pousser], et sur les côtes, lalu- tovÿ, hijaojao, sahidÿ®), et les jeunes filles, zalovovavÿ, kalë, dhialü, zaza ampelà ou ampela tovd [les enfants du fuseau |, somondrarà | dont les sens se forment |: les adultes (hommes), tovobé, lehilahÿ, et (femmes), vavÿ vehivavÿ, ampelà”; les gens d’un âge moyen, sakan-olonà [qui sont au mi- lieu (de la vie)|; les gens d’un âge mür, soron-ainà | qui ont déjà amassé de la vie (qui sont en pleine force) |; les gens âgés (les vieillards), lahy anhiträ anti-dahÿ, et (les vieilles femmes), vavy anhträ ou anti-bavÿ :

on dit aussi maloy ou zokinolonà [les aînés des hommes |.

0) On sait que les frères ou sœurs de sang sont ceux qui se sont juré alliance et amitié en se faisant réciproquement une légère incision au creux dela poitrine d’où ils ont tiré quelques vouttes de sang qu'ils se sont donné mutuellement soit à sucer au bout de l'index ou sur un morceau de pin- gembre, soit à boire dans un peu de rhum (*).

2) Les Betsileo ne donnent pas le même nom aux petits garcons et aux pelites filles qu'ils appellent réciproquement botÿ et bao.

5) Ankizÿ s'emploie aussi pour désigner les serviteurs.

9) On dit aussi Embÿ, horao. Les Anti- fiherenanä disent souvent azä et hakä.

5) On dit aussi, en parlant d’une personne jeune, lanja miakaträ | litt. : poids qui monte, qui s'élève |, tanora fanahÿ | litt. : qui a l'esprit jeune] ou ary sainà | litt.: qui a l’âge de raison].

(6) Dans le Nord-Ouest, on se sert sou- vent du mol raotô pour désigner les hommes, surtout ceux d’une haute naissance (du mot soahili mtu « hommes»); les Sakalavä appel- lent un homme joharÿ, mot qui, chez les Merinàä, signifie «chef», «président».

(1) Sur les côtes, on dit wavÿ et aussi mpisafÿ, barer (*),

(5) Sur les côtes, on dit aussi vory jerÿ ou vory sainà |litt. : qui ont beaucoup d'idées, de pensées amassées (dans leur tête)].

9) On dit aussi popä, lanja midinä ou lanja mandroron | hitt. : poids qui descend], et sur les côtes, golagoay, taolan’oloniÿ | tt. : vieux os d'hommes], /olo ain [litt. : qui ont (vécu) dix vies] (dans le Sud-Ouest). On se sert des mols ngahÿ et rangah, quand on s'adresse à un vieillard, et renÿ [mère ] quand on parle à une femme âgée.

On dit aussi tata-dra | qui ont fait une incision sanglante |, vaky ra ou vaky lio (chez les Sakalavä) [dont le sang a coulé (ensemble)], et saboha raiky izÿ [ qui ont tenu ensemble la même sagaye |, parce que, pendant la cérémonie, les deux contractants tiennent la même sagaye pendant que l’ofliciant prononce les bénédictions et les malédictions rituelles. Voir plus haut, p. 114, note », et plus loin, p. 128.

®) On distingue : les vierges, vehivavy tsy azondahÿ ouvi avy vehezinä ou vinjd; les mères de famille, velon- jazt, laïkenanä [qui ont un jeune enfant], ampelavao [nouvellement accouchées, et, en Imerinä, femmes mortes en couches]; les veuves, mpitondra-tenü [litt. : qui sont seules à porter leur corps], et sur les côtes, ampelam-bantotr.

126 MADAGASCAR.

Tandis que, dans nos sociétés, la civilisation est en continuel progrès grâce aux études incessantes qu'on y fait depuis des siècles, dans la société malgache, les connaissances acquises par le seul usage se réduisent à peu de choses et sont souvent mal interprétées, règne une routine aveugle, les usages sociaux, les institutions, les mœurs sont restés 1m- muables, invariables, quoique les Malgaches aient eu depuis le xvr siècle des relations assez fréquentes avec les Européens : toute innovation, toute modification aux us et coutumes de leurs ancêtres étaient, en effet, considérées comme impies et criminelles, comme les offensant et excitant leur colère contre leurs descendants.

L'inspecteur de Bellecombe, qui est venu à Madagascar en 1776, envoyé par Louis XVI pour se renseigner sur la colonie fondée par Be- nyowsky, dit avec raison : «11 y a une remarque à faire, essentielle, c'est que toutes les peuplades malgaches qui sont en relations avec des Euro- péens depuis plus de cent cinquante ans et avec lesquelles des Français vivent habituellement depuis plus de quarante ans, n’ont absolument rien changé à leurs usages et à leurs mœurs; leurs goûts, leur maniere de s'habiller, de se loger, de vivre, tout est comme dans Fancien temps, et c'est en vain qu'on voudrait chercher à changer ou à ajouter à leurs in- clinations naturelles et à leurs vieilles habitudes! »

Les Malgaches ne sont pas démonstratifs; fatalistes comme la plupart des Orientaux, ils subissent les coups du sort sans manifestations exté- rieures qui leur paraissent puériles et inutiles. Les sentiments d'amour, d'amitié, de haine, qui se manifestent chez nous d’une maniere si vive, sont-ils moins profonds chez eux? Il est certain que, moins sensitifs que nous par manque d'éducation et par suite de leur état social et de leur mode d'existence toute matérielle, ils ressentent moins violemment les joies et les peines et qu'ils ont une prande résignation à ce qu'ils savent ne pouvoir empêcher; ils ne manifestent pas comme nous, par les multiples témoignages extérieurs que nous prodiguons à tout propos, leur amour.

0) De Bellecombe attribue à tort cette inertie ou plutôt cette constance «à l'indiffé- rence et à la paresse qui en sont, dit-il, l'âme».

ETHNOGRAPHIE. 127

leur amitié, leur haine à ceux qui en sont l'objet; ils ne semblent même pas faire de différences entre leurs amis et leurs ennemis. Néanmoins, quoiqu'ils ne montrent d'ordinaire, dans la vie de famille, ni la Joie, ni la colère sur leur visage !, ils éprouvent ces sentiments assez fortement pour que leurs actes les révèlent au moment voulu : l’un d’eux vientl à mourir, sa mort est amérement et longuement pleurée ?; un des leurs avant notre conquête, avait-il été réduit en esclavage par rapt ou pour cause de dette, de crime, ses parents faisaient l'impossible pour le ra- cheter, toute la famille s'unissait à eux pour obtenir ce résultat, et lors- qu'ils avaient réussi, c'était l'occasion de fêtes et d'actions de grâces, etc.

0) À voir un mari et sa femme, ou des @) TT est vrai que les Malgaches ont bien parents et des enfants se retrouver aprèsune plus le culte des morts que celui des vi- longue absence ©), on les croirait en effet vants(‘), leurs morts étant pour eux leurs indifférents les uns aux autres (P). intermédiaires avec Dieu.

® Nous avons souvent assisté au retour d’un Malgache dans sa famille après une absence plus ou moins longue : la femme, quoique avisée de l’arrivée de son mari, ne se porte pas au-devant de lui; l'usage veut qu’elle reste accroupie dans sa case et, quand le mari arrive, on le laisse s'asseoir, puis alors seulement, sans bouger, sa femme et les personnes présentes lui donnent le velomä, le finariträ, le salamä [le bon- jour], et l'on se met à causer tranquillement comme si l’on s'était vu quelques heures auparavant ; aucun empressement à poser des questions. «Lorsque, écrit l’un de nous dans ses notes de voyage, je fis en 1869 une excursion dans le pays mahafalŸ, excursion pendant laquelle j'ai découvert le lac Tsimanampetsotsä, j'étais accompagné par un chef nommé Besarangä et par sa femme dont la famille habitait précisément sur le bord de ce lac. Arrivés à l'improviste devant l'enceinte du village vivaient le père, la mère et les frères de cette femme, nous y entrâmes sans nous faire annoncer et nous trouvämes ses habitants en train de déjeuner sur une natte; nous nous accroupimes conformément à l'étiquette malgache et donnämes le salamä obligatoire, le bonjour. Quoique ces gens n’eussent pas été prévenus de cette visite d’un Européen, le premier qui fût encore venu dans ces parages, ni de la venue de leur beau-frère ct de leur sœur, aucun d’eux ne bougea, et ils ne témoignèrent ni surprise, ni crainte, mi joie. Il y avait longtemps qu'ils n'avaient vu leur fille, leur sœur; ils lui demandèrent simplement : Akory anao? | Comment vas-tu?] A quoi elle répondit : Tsara! | Bien!] et ce fut tout; ils ne s’enquirent pas des nouvelles des autres membres de leur famille, mais se mirent à parler de moi et de mes projets. Toutefois, les esclaves vinrent les uns après les autres s’agenouiller auprès d’elle et la saluer d’un salamä respectueux.»

?) I faut excepter les Barä, chez lesquels l'un de nous a constaté une curieuse coutume : en effet, quand un Barä arrive d’un voyage lointain, avant de parler à qui que ce soit, il entre dans sa case et s'y enferme avec sa femme, et ce n’est qu'après avoir rempli ses devoirs de mari, après cet exorcisme d’un nouveau genre, qu'il entre en conversation avec sa famille et avec ses amis et qu’il reçoit leurs compliments de bienvenue.

® Naharovä, la reine du Ménabé, faisant visite à l’un de nous en 1869 à Tsimanandrafozanä , et trouvant avec lui Edmond Samat qu'elle n'avait pas vu depuis la mort de son fils, mort qui cependant remontait assez loin, fondit en larmes, puis, après avoir donné cours a son chagrin pendant quelques minutes, elle s’exeusa d’avoir cédé à son émotion et se remit à causer et à boire : c'est que, lorsqu'elle avait contracté le fati-dra ou serment du sang avec Samat bien des années auparavant, ce fils était présent à la cérémonie. Ellis raconte que, ayant eu l’occasion à Tananarive en 1856 de faire visite au père et à la mère d’un officier merinä dont 1l avait fait la photographie à Tamatave et qui était mort depuis, il leur montra cette photographie; ils la pri- rent l'un après l’autre, la regardèrent silencieusement en pleurant abondamment, puis l’embrassèrent et dirent : «Nous sommes heureux de vous voir, quoique nous pleurions; nous ne Je verrons plus, lui, mais nous vous voyons, vous qui étiez son ami et qu'il aimait», et ils se remirent à pleurer. La veuve qui était présente embrassa aussi le portrait, et, l'ayant mis par terre, prit son jeune enfant dans ses bras et, le lui montrant, pleura (Three Visits to Madagascar, p. 357).

128 MADAGASCAR.

À côté de la parenté naturelle, 11 y a à Madagascar, comme il y a eu en beaucoup d'autres pays!”, une parenté conventionnelle, artificielle, qu'on crée au moyen de certains rites et qui lie plus les contractants que la parenté naturelle : elle répond en effet à un impérieux besoin de l’homme peu ou point civilisé à qui sont nécessaires des amitiés sûres, et elle est scrupuleusement observée. Ces frères et sœurs d'élection se doivent l'un à l'autre aide et assistance, une fidélité à toute épreuve et un dévouement sans bornes ; leurs femmes leur deviennent en général communes et

Œ) Cette parenté artificielle n’a pas eu seulement d'importance dans les sociétés inférieures; la fraternité par l'échange du sang a été. comme l'on sait, pratiquée chez les Grecs (‘), les Arabes (), les Scythes (, les Mèdes, les Romains(), les Ibères et les Arméniens(®, les Irlandais, les Anglais, les Scandinaves, les Slaves (), les Italiens, les Nègres africains (6), les Indo-Mélané- siens{l), etc.

®) Un Malgache n’a confiance dans un étranger que lorsqu'ils ont fait le serment du sang. «RabokŸ, le chef du Mailakà sud, ne consentit à venir à mon bord, dit le commandant Guillain, que lorsque j'eus fait avec lui le serment du sang, lui prouvant ainsi la droiture de mes intentions. Malgré toutes mes promesses, {ous mes discours, tant que je n'étais pas son frère de sang, il craignait que je ne l’enlevasse, mais, dès que je lui eus donné cette garantie, il est venu à bord en toute confiance.» Cette coutume a été adoptée par beaucoup de voyageurs et de traitants étrangers, car elle facilite les rapports avec les indigènes; en 1890, le

D' Besson n'a pu gravir le pic d'Ikongo qu'en se faisant le frère de sang avec lun des fils du roi Tanalä qui y avait sa rési- dence; mais, si l'étranger reste à demeure sur les lieux, étant le plus riche, le plus pourvu d'objets divers, il ne cesse d’être im- portuné par les demandes de sa nouvelle famille, comme lun de nous l'a éprouvé. (8) Mifamatidra Ranoga sy Ranona hifanampy sy hifamonjy na aminny an-kasoavana na amin ny an-hasoratana, na aminny vilan’ny aina na amv ny vianny harena, ka sy hfa- madika amin'izany mandrapa-hafaty [Un tel et un tel s'unissent par le «fatidra», par le serment du sang, dans le but de s'entr'aider et de se soutenir dans la joie comme dans la tristesse par toutes les ressources qu'ils tireront de leur force physique comme de leur fortune, et ils tiendront leur serment jusqu’à leur mort] (Jucrex, nst. polit. et soc. Madag., t.W, p. 162). «Un tel et un tel désirent devenir frères de sang; entre eux il n'y a aucune parenté, mais, à l'avenir, ils seront les enfants du même père et de la même mère; le survivant enterrera le mort,

() Grorz, La Grèce, p. 160. © V. R. Swiru, Rel. of. Sem., lect. IX, p. 240-244, etc. ! Hénonorr, liv. IV, chap. 70 : Les Scythes buvaient du vin ils avaient laissé tomber quelques gouttes de sang provenant d’une piqüre et étaient plongées des flèches, des lances et des haches. Ils buvaient le sang mêlé au vin (assiratum). ( Tacrre, Ann., lib. XII, cap. 47. (9 St. Ciszewskr, Künishiche verwandschaft bei den SüdSlaven (Parenté artificielle des Slaves du Sud, 1897). ‘* Dans le Haut-Oubangui, on fait une incision au poignet des futurs frères et on met les plaies en contact. Au Tanganika, le sang qu'on tire du bras droit ou de la cuisse est mélé à nn peu de miel ou de viande que mangent les contractants. Au Zanguebar, ils mangent le soga, morceau de foie rôti imprégné de quelques gouttes de sang. (*) A Bornéo, les Dayaks font une cérémonie toute pareille à celle des Malgaches (Ezus, Hist. of Madagascar, t. 1, note p. 191).

ETHNOGRAPHIE. 129

leurs parents deviennent les parents de leur frère de sang, au même degré que celui qu'ils auraient eu s'ils avaient été vraiment frères; si l’un d'eux veut épouser une proche parente de son frère putatif, 1l lui faut procéder à une cérémonie d'exorcisme, comme si elle était vraiment sa proche parentel); le survivant porte le deuil de son «frère» mort et, lorsque celui-ci n'a pas d’héritiers directs, il a sa part de son héritage. Quelque- fois même, un mari et une femme font le serment du sang, mais ils ne peuvent plus divorcer et le survivant ne peut plus se remarier sous peine d’encourir la vengeance de Dieu et des razanü, de leurs ancêtres.

La cérémonie par laquelle on se faisait conventionnellement frère s'appelle généralement fati-dra [litt. : incision sanglante |, et ce même nom sert aussi à désigner les individus liés par le serment du sangl?, qui

s'appellent entre eux rahalahÿ (quand ce sont deux hommes), rahavavy

celui qui se portera bien soignera celui qui sera malade et celui qui sera libre rachè- tera celui qui tombera en esclavage ; leurs maisons, leurs rizières, leurs femmes (®), leurs troupeaux leur seront communs» (Daxpouau, Le +fati-dra» dans la région d'Analalava, La Tribune de Madagascar, 18 oc- tobre 1912).

9) Noir à l'Appendice, 32.

2). On dit aussi tata-dra [\itt. : coupure sanglante |, vaky ra (chez les Betsileo), vaky lio (chez les Sakalavä), famakiÿ (chez les AnlanosŸ) et famaky ra (chez les Antanalà) {[litt. : sortie du sang |, atinkenä [litt. : le foie de bœuf, ce qu'il y a de meilleur au monde] (chez les Antandroy), vaky sarotrô [litt. : in- cision à l'épigastre |, etc.

#) Le premier Européen qui s’est fait frère de sang» avec un Malgache est le R. P. Luis Mariano, missionnaire portu- gais, qui, pensant faciliter sa mission chez les Sakalavä, a contracté en 1619 cette

alliance avec le petit roi d'Honarä, pays situé sur la côte Ouest, un peu au sud du cap Saint-André : «La cérémonie, dit-il, consiste à tirer quelques gouttes de sang des mains de chacun des contraclants et, après avoir dilué ce sang dans un peu d’eau, à boire trois petites gorgées de ce mélange san- guinolent. Les Malgaches considèrent ce ser- ment comme sacré» (Coll. Ouvr. anc. Mada- gascar, t. IT, p. 307-308). Très nombreux sont ceux qui l'ont imite; toutefois, en 1765, Modave s’est refusé à faire l'alliance du sang avec un roi antanosÿ parce qu'«un guerrier français ne s’abreuve jamais que du sang de ses ennemis» (!), et, le 28 août 1792, Lescallier, un des commissaires civils envoyés dans les Établissements français situés au delà du Cap de Bonne-Espérance, ne voulut pas non plus +se prêter à cet usage barbare» avec Zakavolàä, le roi de Foulpointe; il y substitua un «serment juré et signé» (!).

() Même chez les Antambahoakä et les Zafindriambelô, qui, par exception à Madagascar, sont très jaloux, «leurs femmes deviennent celles de leurs frères de sang, lorsqu'elles leur plaisent, n'en eussent-ils qu'une»

(Mayeur, 1777).

ETHNOGRAPILE.

D

IMPRIMERIE NATIONALE,

130 MADAGASCAR.

(quand ce sont deux femmes) et anadahÿ, anabavÿ (quand c'est un homme et une femme). Les rites que doivent accomplir les personnes, hommes ou femmes, qui veulent se faire frères ou sœurs de sang comprennent une sorte de communion qui consiste à boire ou de l’eau d'or», de l’eau dans laquelle est plongé un objet quelconque en or, et qui est de ce fait considérée comme sacrée, ou le plus souvent quelques gouttes du sang de son futur «frère» ou de sa future «sœur» prises am-bavafo | à l'entrée du cœur, au creux de l'estomac], créant ainsi une consanguinité artificielle en mélant leur sang) : avant que les contractants boivent une ou trois ou sept gorgées du liquide sacré, on ajoute dans le vase en bois (jadis dans le bouclier) qui le contient divers objets exécratoires, sahadä comme ils disent, témoins devant lesquels se prête le serment avec impréca- tions contre celui qui se parjurerait : en général, il y en a sept, auxquelles succèdent six souhaits de bonheur, car le nombre «six» est le nombre propice, à cause du double sens qu'a le mot eninü, qui veut dire +six» et aussi + qui est pourvu», + qui est plein». Comme objets exécratoires, on employait une sauterelle dont on avait tordu le cou et mis la tête sens devant derrière (‘, de la bouse d’un veau ayant perdu sa mère, un épi de riz avorté(, de vieux os, etc., auxquels on ajoutait toujours de la poudre, des balles, des pierres à fusil, une sagaye et une baguette de

(1) Dans l'Ouest et dans le Sud, on fait assez souvent ce serment sur l'or, les pointes de la sagaye et de la baguette de fusil tou- chant l'objet d'or; chez les Antanosÿ émi- grés, comme dans l'Androy, on immole un bœuf et l'on met un peu de son sang dans l’eau d’or». Quelquefois, pendant qu'on prononce les imprécations, les contractants tiennent une sagaye dont la pointe plonge dans le corps de la victime. Voir à l'Ap- pendice, 33.

®) Voir à l'Appendice, 34. Chez les Betsimisarakä , chacun des contractants met quelques gouttes de son sang sur un petit morceau de gingembre, qu'il fait manger à son «frère». Il en est de même chez les An-

tandronä , dans le Nord-Ouest, ete. Chez les Antimoronàä, on ne boit ni de l’eau d'or», ni de l’xeau de sang»; on mange du foie de bœuf et du gingembre saupoudrés de poudre d’hazomanitsä , du poteau familial sacré.

#) Après avoir prononcé les formules d'imprécations, les contractants comptent à haute voix : isa, roa, telo, efatra, dimy, enina [un, deux, trois, quatre, cinq, six], puis s'écrient : Enina, ho enina ary soa, ho enin havelomana ! [Puissions-nous être pleins de biens et pleins de vie!].

(4) Valala miolan-katol:a ou miolam-bozona.

5) Tain'omby very reny.

(6) Afofam-bary.

ETHNOGRAPHIE. 131

fusil, quatre pincées de terre prises aux quatre points cardinaux, en com- mençant par l'Est. On lançait contre ceux qui se parjureraient des impré- cations, telles que Wanjary sira, manjary molaly, manjary tal ! [ Que celui qui manquera à son serment soit changé en sel, en noir de fumée, en trombe! (c'est-à-dire qu'il meure et disparaisse sans laisser de traces comme le sel mis dans l’eau, comme la suie dans le feu, comme la trombe dans l’air)], ou bien Haniny ny vorondolo ! | Que les oiseaux de nuit dé- vorent son cadavre], Militra amy ny tranon akoho ! [Qu'il ne trouve reposer sa tête que dans un poulailler |"), etc.

Pendant le discours ou plutôt l’invocation que prononce l’un des principaux chefs ou personnages présents ©, les contractants tiennent de la main droite les deux sagayes ou la sagaye et la baguette de fusil; les pointes plongent dans le liquide sacré sont les sahadü, témoins devant lesquels, avant que le sang de leur futur + frère » coule dans leurs veines, ils prêtent serment, ce pendant qu'un autre assistant ne cesse de les ar- roser avec une cuiller, et que celui qui porte la parole les frappe avec son coûteau.

I y a à Madagascar une coutume étrange, le lohatenÿ, c'est-à-dire la convention conclue soit jadis entre les ancêtres de deux familles, atsika lohatenÿ ou, comme disent les Sakalavä, atsika jiv, soit entre deux indi- vidus #tondra lohatenÿ [qui ont conclu personnellement ce pacte |, con- vention d’après laquelle tous les descendants de ces ancêtres ou ces deux personnes se doivent aide et assistance en toute occasion, nouent à leur gré des relations avec leurs femmes respectives, s'emparent sans les demander des objets qui sont dans la maison de leur lohatenÿ et tuent un ou deux bœufs dans leurs troupeaux, sans donner lieu à des récrimi- nations ou à des représailles).

0) Pour comprendre cette malédiction, chez les Merinä, le mpitsitsikà , qui pontifie.

il faut avoir vu un poulailler malgache, si GI n'y a pas de grossières privautés étroit, si sale! qu'ils ne se permettent, commettant des

® Cest, chez les Sakalavä, le mpitokä, ou actes injurieux et même criminels (#).

7 ù ! : RAS + LE

* L'un de nous a vu dans l’Ankaranä, la province septentrionale de Madagascar, deux Onjalsÿ qui, ayant 2 2 a à N . re d QUE connaissance et ayant constaté qu'ils appartenaient à des familles liées par le pacte de lohatenÿ, s’inju- ièrent aussitôt sans raison, sans provocation, l’un appelant l’autre amboa razanà | fils de chien], et l'autre,

17:

132 MADAGASCAR.

D'où vient cette coutume singulière, en somme assez étrange, qui a existé à peu près partout à Madagascar? est-ce un héritage transmis de père en fils par des ancêtres ayant autrefois fait le /ati-dra, le serment du sang, dont les privilèges se sont continués de génération en généra- tion? ou bien, un individu en ayant gravement offensé un autre à diverses reprises et celui-ci ayant supporté ces offenses sans rien dire parce qu'il n'a pu se venger n'a pas Jugé à propos de le faire, ces individus se sont-ils dés lors déclarés «amis intimes», «amis à la vie, à la mort», et cette amitié s’est-elle perpétuée d'âge en äge?

Chez les Sakalavä, chaque fanulle a ses jevt, même les princes et les rois. En certains cas, la conformité des métiers, des occupations semble avoir été la cause de cette singulière fraternité; c’est ainsi que les Vezô ou habitants de la côte occidentale, qui pêchent en mer, sont 7ivä avec les Vazimbä de l'Ouest, habitant le bord des lacs et des rivières et qui sont pêcheurs d'eau douce.

Dans le Sud-Est existe un clan, les Antivandrikä®, qui prend à l'é- gard des ZafindRaminia des privautés analogues, mais sans qu'il v'ait ré- ciprocité de la part de ceux-ci, sauf en ce qui concerne les malédictions

0) La plupart des Antivandrikä habitent il y en a aussi quelques-uns d'établis à Na- actuellement le grand village de Masianakà ; moronà, à Faraonÿ et à TsaravarŸ.

sans se fâcher de cette injure, l'une des plus grosses qu'on puisse faire à un Maälgache, lui répondant : «Je te trouve hardi, toi dont les ancêtres étaient esclaves des miens, d'oser élever la voix devant ton Maitre!» et ils continuèrent ainsi pendant quelque temps à s’accabler d’invectives plus ou moins grossières, puis, lorsqu'ils en eurent assez, ils se serrèrent la main et furent dès lors les meïlleurs amis du monde.

Survient-il un décès dans une famille, et un membre d’une famille liée avec celle-là par le lohateny lui apporte-t-il ses condoléances, il se dirige sans mot dire vers le farafarä, ou lit, tréteau, sur lequel est exposé le mort qu'entourent ses proches parents, et il l’apostrophe grossièrement : «Dis done, fils de chien, as-tu bientôt fini cette comédie? Pourquoi fais-tu le mort? est-ce par paresse, par gourmandise? Allons, lève-toi et viens chanter et rire avec nous!», et ce disant, il le tire par le bras, par la jambe; puis, comme le cadavre ne bouge naturellement pas, il s’accroupit aux côtés des parents et se met à pleurer et à boire suivant l'usage. Quiconque agirait ainsi sans être lié par le lohatenÿ avec le mort serait immédiatement sagayé, ou tout au moins ses biens seraient pillés.

Tous ceux qui ont vécu quelque temps dans la région de l'Ouest ont pu, comme nous, assister à des scènes comme celle-ci, par exemple : une famille est accroupie au pied de l’hazomanitsä, poteau sacré qui est l'autel familial, dévotement occupée à adresser une prière à ses ancêtres et faisant bouillir un peu de viande ou quelques légumes pour leur en faire l’offrande propitiatoire; survient un Sakalavä qui est Jivt avec ses membres, c'est-à-dire dont la famille est liée avec celle-là par le lohatenÿ : | renverse la marmite sacrée, blasphème le nom de leurs ancêtres, émet le vœu sacrilège que les assistants manjary sira! manary talio! [soient changés en sel, en trombe (c’est-à-dire disparaissent comme le sel mis dans l’eau, comme la trombe dans l'air, meurent)], etc., et quoique en toute autre circonstance ces actes impies eussent été punis de mort, on ne lui dit rien : il peut tout se permettre à l'égard de ceux qui sont Jivä avec lui.

ETHNOGRAPHIE. 133

dont ils s’accablent mutuellement lorsqu'ils se rencontrent : quand les Antivandrikä enlévent, de force ou par ruse, quelque objet aux Zafin- dRaminia, ces derniers sont obligés de le leur laisser; quand les Zafin- dRaminia tuent un bœuf, s'il y a des Antivandrikä présents, ceux-e1 s'em- parent d'une cuisse entière sans qu'ils osent s'y opposer, etc. Mais la raison de cette coutume est, racontent-ils, différente de celles qu'on peut attribuer aux relations fraternelles connues sous le nom de lohatenÿ : venant de La Mekke avec Raminia, un jour de grande tempête, et leur bateau étant sur le point de sombrer, ils Jetèrent sur son ordre leurs enfants à la mer, convaincus que tous, Raminia le premier, agissaient de même pour alléger le bateau; quand, la tempête apaisée. ils s'aper- curent qu'ils avaient été les seuls à faire cet horrible sacrifice, 1ls mau- dirent leur maitre et ses descendants et s’arrogèrent les droits dont nous venons de parler.

S 2. RAPPORTS DES SEXES.

CONCUBINAGE, UNION LIBRE.

«

La puberté est assez précoce chez les peuplades des côtes et chez les indigènes du centre à facies négroïde; elle l’est moins chez ceux à type malais. Cette précocité est souvent avancée par suite des relations que les jeunes filles ont fréquemment avec des jeunes gens avant d’être nubiles : sur la côte Ouest, chez les Antifiherenanä, par exemple, une fille perd, sinon toujours, au moins très souvent, sa virginité avant d’être réglée, parce que, disent les mères, «sil n’en était pas ainsi, le sang ne sorirait pas et les étoufferait ». Il faut attribuer à la même crainte super- stitieuse l'usage dont parle Vincent Noël : «Les jeunes filles du Boimä se déflorent elles-mêmes quand elles n’ont pas été déflorées dès leur bas âge par leurs mères !.»

La menstrualion apparait d'ordinaire de 11 à 12 ans chez les femmes malgaches d’origine ndo-mélanésienne à cheveux crêpés, et de 12 à 13 ans seulement, comme en Europe, chez celles d'origine javanaise à cheveux

(1 Note sur les Sakalaves du Nord, Bull. de la Soc. Géogr. de Paris, t, XX, 1843, p. 294.

134 MADAGASCAR.

droits et lisses!). Elles sont en général bien réglées; l'écoulement mens- truel, peu abondant, cesse vers la quarantième année en moyenneP; elles n'ont jamais de relations avec les hommes pendant les époques.

Le mariage à Madagascar diffère totalement du mariage tel qu'il existe en Europe, depuis longtemps il est considéré tout à la fois comme un sacrement et comme un pacte légal qui établissent entre les époux un double lien religieux et civil, comme un contrat synallagmatique les époux se promettent assistance, amour et fidélité. À Madagascar, c'est un accord purement verbal, une association des deux contractants résultant du simple échange des volontés requises par la coutume, accord, associa- tion toujours précédés, avant que la famille soit appelée à les sanctionner, d'une période plus ou moins longue d'essai, d'union libre.

La beauté morale de la virginité et de la chasteté, le charme de la pudeur ne sont ni compris, ni appréciés par les Malgaches, qui n’attachent aucune importance à la chasteté des jeunes filles, ni à la virginité de leurs épouses : «La chasteté, écrivait Ellis en 1863, est contraire à la loi malgache, et jamais un homme qui se marie n°y compte »!", et Razali-

0) D'Fonroyxoxr, De la Gynécologie à Madagascar, Bull. Soc. de lInternat, nov. 1910. M. Fontoynont croit à tort, selon nous, que tous les Malgaches à facies négroïde sont d'origine africaine.

2 Dr Fouzzroy, à bord du Golo, 1818, Arch. Min. des Colonies.

8) En malgache, il n’y a pas de mot pour

dire «vierge»; on se sert de périphrases : 8 p ÿ L vehivavy (femme) tsy azon-dahÿ (qu'aucun homme n’a possédée), tsy nahay lahÿ (qui P ) LOUE] n'a pas connu d'hommes), {sy maimbo lahÿ (qui ne sent pas l'homme) ou mpitovÿ (qui grandit encore). Les missionnaires euro- péens ont créé le mot virijinÿ (). (1) Madagascar revisited, p. 199. C4 p00

() Beaucoup de peuples, du reste, ont ce même dédain de cette vertu qui, à nos yeux, est si essentielle, par exemple : en Asie, les Ansariehs et les Yazidiés de Syrie, les Tibours de l’Aoudh, les Erulars des Nilghirris, les habitants des Andamans (où toutes les femmes sont communes à tous les hommes); en Océanie, beaucoup de Malais, d'Indonésiens et de Polynésiens M), les Australiens, les Tasmaniens; en Afrique, les Ouled-Naïl d'Algérie (où, jusqu’à leur mariage, les jeunes filles sont libres de leur corps), les habitants du Benguela (où les parents promènent leurs filles de village en village pour qu’elles gagnent de l'argent en se prostituanl), les Boschimans; en Amérique, les Esquimaux, les Aléoutes, les Indiens de la Vieille-Californie , les Haïdahs, les indigènes du Darien (chez lesquels «se refuser» est une impolitesse, un manque d'éducation), etc. Chez la plupart de ces peuples, comme à Madagascar, les parents s’honorent de la préférence accordée à leurs filles, et souvent les maris prêtent ou louent leurs femmes.

® A Pogghi, près de Sumatra, aux Célèbes, aux Ma- riannes (où une fille ne peut se marier vierge), aux Carolines. à Noukahiva. à la Nouvelle-Zélande, à Tiko- pia, etc., les filles sont entièrement maitresses de leur corps; comme à Madagascar. elles sont plus recherchées

si elles sont mères, et les femmes mariées sont du reste libres d'aller et de venir à leur gré. Au contraire, en Pa- pouasie, dans la Nouvelle-Irlande, à Vanikoro, en Méla- nésie en général, les hommes sont jaloux et cachent leurs femmes.

ETHNOGRAPHIE. 135

mandimbÿ, un fin lettré malgache bien connu sous le pseudonyme de Nimbol Samÿ, dit : «Nous ne tenons pas à la virginité; au contraire, elle nous rend défiants, inquiets ».

Les parents favorisent les rapports de leurs filles avec les hommes; dès qu’elles sont en âge de comprendre, souvent même avant la puberté, avant la menstruation, à 10, à 11 ans et souvent plus tôt", leur édu- cation de femme commence et elles peuvent à leur gré se livrer à qui bon leur semble ®, ce dont elles ne se font pas faute, sans avoir à craindre de ne pas trouver à se marier plus tard, car plus une femme a d'enfants, plus elle est recherchée : un Malgache à qui deux femmes plaisent également, prend toujours pour épouse légitime celle qui a déjà eu des enfants, surtout celle qui les a encore vivants, et ces enfants, il les ai- mera comme les siens". [l est en effet umiversellement admis que les jeunes filles, dès qu'elles sont pubères, doivent suivre leurs inclinations : manjavavÿ, suivant l'expression des Betsimisarakä, Lout comme les jeunes sens suivent les leurs, manakidÿ; les relations sexuelles entre un jeune homme et une jeune fille, entre un homme et une femme, sont, aux veux des Malgaches, un acte tout naturel), nullement répréhensible et

0) «Les Antandroÿ sont à peu près in- différents à ce que font leurs filles : entre 3 et 10 ans, filles et garçons gardent les veaux ensemble et jouent aux jeux les moins innocents, à celui de jeunes mariés entre autres; jusqu'à l’adolescence, ils couchent pêle-mêle dans la plus complète promis- cuité» (Cap. Vacuer, Revue de Madagascar, févr. 1904, p. 111).

® En respectant toulelfois les interdic- tions pour cause de parenté et de classes, dont nous parlerons plus loin.

6) Il est juste de dire que les mission- naires chrétiens ont apporté une modifica-

tion, en tout cas apparente, à cet ancien état de choses, et que, surtout en Imerinä, il y a un progrès sensible. Le gouverneur de Fiaranantsoa , Rafanoharanä, n’a-t-il pas dit en 1888 au R. P. Brégère: «Si quel- qu'un touche à l'intégrité de mes filles avant leur mariage, je lui brülerai la cervelle»; mais les paroles des Malgaches ne sont pas toujours l'expression de leurs sentiments réels.

() Fowroyxowr, La Gynécologie à Mada- gascar, Bull. Soc. de l’Internat, nov. 1910.

(5) J1 en a été de même, du reste, dans beaucoup de pays).

@) Au moyen äge, même en Europe, le concubinage n’était pas considéré comme un acte à demi immoral ou qui ne pouvait se faire tolérer qu’à condition de rester clandestin; c’est seulement à fin du xvi° siècle que, la religion aidant, une réaction a commencé contre cette liberté de mœurs et qu'il s’est formé un nouvel élat d'esprit, qui a amené un changement considérable dans les idées morales touchant les rapports des sexes. Wilhem Rupecx, dans son Histoire de la moralité publique en Allemagne (1897), dit qu'il n'y a pas encore longtemps que, dans ce pays, «le libre commerce sexuel n'avait point, au regard de la conscience publique, le caractère qu'il a pris depuis».

136 MADAGASCAR.

quin'a pas à craindre le grand jour; aussi la jeune fille, comme la femme non mariée, se donnent ou plutôt se prêtent à qui elles veulent, sans qu'il en rejaillisse sur elles le moindre diserédit ni la moindre défaveur, pourvu toutefois qu'elles respectent certaines interdictions; les parents, du reste, favorisent les rapports de leurs filles avec les hommes. [ ne convient pas cependant qu'une jeune fille change continuellement d’amou- reux, à moins qu'elle n’y trouve son intérêt, car, ainsi que nous l'avons déjà dit, il y a profit il n‘y a pas de honte.

Dans quelques clans de la côte Sud-Est, les jeunes filles ont cependant plus de retenue et l'on y trouve assez souvent de grandes jeunes filles encore vierges ; le Catat rapporte qu'«entre Fort-Dauphin et Vangain- dranô, contrairement à ce qui se voit partout ailleurs à Madagascar, le mariage est le commencement de la vie de la femme, au lieu d’en être la fin». Ce n’est pas exact pour les Antanosÿ dont les mœurs ont tou- jours été fort dissolues!”; pour eux, selon M. Bertout®), les mots + vertu » et «chasteté» n'existent pas, hommes et femmes ne connaissant que leurs désirs). Mais, dans les clans nobles Antimoronà(®, il n'y a pas, assure- t-on, de Jeune fille qui ne garde sa virginité pour son mari, sans quoi elle n’en trouverait pas; les Jeunes gens, eux, qui exigent de leurs épouses une pureté absolue, ne la gardent nullement : il est toutefois d'usage que le fiancé essaie sa future femme pendant une semaine avant de l'é- pouser(); mais si, après cet essai obligatoire de vie commune, la femme

(A) R. P. Mariano, 1616 ().

@) Revue de Madagascar, 1 907; P. 19-

(®) On sait, en effet, que les ancètres des ZLafindRaminia ou nobles antanosÿ étaient des «Zanadiqa», des Bâtiniens, qui s'arro- geaient toutes les licences, de tuer, de

cestes, ete., et chez qui les femmes se mé- laient indistinctement aux hommes. Voir dans le tome précédent, p. 109-111.

(1) Dans les familles antimoronä arabi- bisées, l'endogamie est obligatoire),

(6) Cf. Snaw, Antananavivo Annual, 1894,

piller, de forniquer, de commettre des in= p. 206.

1 «A Sadia (dans le Ménabé), les mœurs ne sont pas aussi licencieuses que dans l’Anosÿ» (Coll. Ouvr. anc. Madag., publiée par A. et G. Grandidier, t. IL, p. 213), et cependant les femmes de Sadia et de tout le pays sakalavä usaient et abusaient de la liberté qu'on leur laissait (oc. cit., t. II, p. 245).

®) Les femmes des classes nobles antimoronä non seulement n’épousent jamais un Malgaché d’une autre tribu, mais elles ne peuvent pas avoir de relations même fortuites et passagères avec un étranger quelconque sous peine d’être rejetées du sein de leur famille et d'être, après leur mort, enterrées non pas, suivant l'usage, aux côtés de leurs parents, mais en travers, à leurs pieds.

ETHNOGRAPHIE. 137

rompt toutes relations avec son partenaire et s’en retourne chez elle, elle a la plus grande peine à retrouver un mari.

Les filles antanalä d'Ikongÿ sont également respectées jusqu'à leurs fiançailles", ainsi que les filles antifasinä ou Zafisoronä®.

Du temps de Flacourt, au xvr° siècle, «les femmes et les filles n'étaient pas si débordées [ débauchées | chez les Zafibrahim [les Zafy Borahä ou habitants de l'ile Sainte-Marie et de la côte voisine qui descendaient d'immisrants juifs] que du côté de l’Anosÿ et du Matitananä; elles sont d'aussi diflicile accès que nos filles de France, car les pères et les mères les gardent aussi soisneusement » (); aujourd'hui, elles sont toutes pa- reilles aux autres Malgaches, probablement depuis que les pirates euro- péens ont, aux xvi° et xvin siècles, surtout de 1688 à 1 722, établi leurs repaires sur cette côte et que leurs bâtards en sont devenus les maîtres.

Vincent Noël dit que, dans le Boinä, les « princesses, contrairement à l'usage général, restent intactes ou du moins sont censées demeurer telles jusqu’à leur mariage. Manifester le moindre doute à cet égard est un crime de lèse-majesté »(. Les princes du Nord-Ouest ont en effet adopté, dans une certaine mesure, les mœurs musulmanes.

IL semble ressortir de ce que nous venons de dire que la pudeur et la chasteté étaient, tout récemment encore, des vertus inconnues des Malgaches. Certes leurs idées à ce sujet différaient fort des nôtres, ce qui n'a rien d'étonnant, étant données leur morale spéciale et la vie que leur imposent le climat de leur pays et leur état social; cependant nous dirons avec Flacourt : + Les femmes malsaches ont en certaines choses de la vergogne», car elles ont honte d'accomplir certains actes en publie, de montrer leur nudité, surtout aux très proches parents), et on ne

(1) Brssow, Voyage au pays des Tanala (3) Histoire de Madagascar, 1661, p. 307. indépendants, Bull. Soc. Géopr. Paris, 1899. (4) Bull. de la Soc. de Géogr. de Paris, ® Berraier, Rapport sur les races de t. XX, 1843. p- 29/4. Madagascar, Notes, Reconn. et Explor., 1898, (5) Les hommes ont aussi cetle même p- 1130. pudeur(#).

® Le roi antimoronä Rabefarantsä, qui régnait à Faraonÿ sur la côte Sud-Est au milieu du siècle dernier, a été déposé parce qu’il avait des relations avec ses sujettes en présence de leur père et de leur mère, et les

ETHNOGRAPHIE, 18

IMPRIMERIE NATIONALE,

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peut pas dire qu’elles soient totalement dépourvues de pudeur. Quant à la chasteté, elle est, à quelques rares exceptions près, ignorée, incom- prise de la jeune fille malgache aussi bien que de la femme mariée; il y a cependant des cas particuliers la femme entre en retraite et doit, sous peine de terribles châtiments, garder momentanément une chasteté absolue". Les Malgaches arabisés, Roandrianä ou nobles Antanosÿ et sur- tout nobles Antimoronä, s’abstenaient de toutes relations, même avec leurs femmes légitimes, pendant le mois de jeûne et d’abstinence qu'ils appellent mufeli-vava®.

Puisque, presque partout dans l'ile, les jeunes filles, tant qu'elles ne sont pas mariées, sont libres d'user et d’abuser à leur pré de leur corps et que souvent les hommes épousent avec bonheur des filles enceintes" aussi bien que des filles-mères, il n’est pas étonnant qu'avant le ma- rage, le concubinage ou plutôt les unions libres soient de règle à peu près dans tout Madagascar.

Les parents, en effet, inconscients des devoirs que nous imposent la

0) Par exemple, lorsque son mari est à la guerre, en corvée ou engagé dans une entreprise dangereuse, lors de la circonci- sion de son fils, dans certaines cérémonies d'exorcisme, etc. Voir au volume suivant.

®) Mois de Ramavahä (Ramadan) ou de Wiafitsä de Flacourt.

8) Jusqu'à ces dernières années, la pré-

occupation, le but de tout Maloache étaient d’avoir le plus d'enfants possible).

(4) Sur la côte Sud-Ouest, par exemple, chez les Antifiherenanä, les pelites filles se construisent de petites cases elles vont passer la nuit, se donnant ou plutôt se ven- dant ou se prêtant à qui elles veulent, et les parents s'en montrent contents.

Anakarä l'ayant déclaré, à cause de ce fait, mpamosavÿ «sorcier» , les Tsimetô l'ont empoisonné. Il a été rem- placé par son frère, que Pun de nous a vu à Faraonÿ en 1870. Du reste, le nom d’une ile et d’une ville qui sont situées à l'embouchure du grand fleuve Tsiribihinä sur la côte occidentale de Madagascar, Tsimanan- drafozanä [litt. : il n°y a pas de beau-père, l'on ne respecte pas son beau-père |, est suggestif à cet égard: en effet, on nomme ainsi cette île et cette ville parce que, à la fin du xvur° siècle ou au commencement du xn', l'ile, aujourd'hui presque entièrement couverte d’une forêt de palétuviers impénétrable, était un simple banc de sable beaucoup moins étendu et dépourvu de toute végétation, et qu’une femme, prise d'un be- soin pressant, dut y satisfaire sous les yeux de son beau-père, violant ainsi les coutumes (A. Gnanniier, Hist. de la Géographie de Madagascar, 1892, p. 116, note 93).

Pendant que l’un de nous était à Madagascar, le vieux ministre Rainijoharÿ répudia, peu de jours après l'avoir épousée, une de ses femmes, une vadikelÿ, qui, sans qu'il le sût, était enceinte avant son mariage. Le hasint ayant été fait, c'est-à-dire la reine ayant reçu la piastre qu’on doit offrir au souverain pour rendre définitive et officielle la vépudiation, cette femme convola en de nouvelles noces. Deux jours après la célébra- tion de ce nouveau mariage, RaïnijoharŸ, ayant eu connaissance de sa grossesse, voulut la reprendre, mais le nouveau mari, un oflicier du palais, s'y refusa : «Vous avez fait le hasinä, dit-il, vous ne pouvez donc plus revenir sur la répudiation; je garde et la femme et l'enfant. Quand vous achetez une vache, ajouta-t:il, vous ne savez pas si elle est pleine, mais, pleine ou non, le marché n’en est pas moins bel et bien conclu.»

ETHNOGRAPHIE. 139

civilisation et la morale chrétienne, ne se préoccupent nullement de sauvegarder la vertu de leurs filles}, car, nous le répétons, la virginité n'a nul prix à leurs yeux et la chasteté n’est pas non plus appréciée, tandis qu'au contraire la grossesse est un honneur. « La crainte de Dieu n'est, dit Flacourt®, aucunement connue de la nation malgache, qui ne vit que selon la loi naturelle et bestiale. Les petits garçons et les petites filles se jouent en présence de leurs parents qui s’en rient et qui même les y incitent... Avant que d’être mariées, elles se prostituent à tous venants, pourvu qu'ils payent, et si un homme a manqué à les payer, elles vont effrontément lui arracher son pagne sans qu'il ose se défendre. Ainsi c'est la coutume de ce pays que la fornication entre gens non mariés n'est point péché envers Dieu ni envers les hommes.» Et, en 1657, l'abbé Bourdaise écrivait : «À Fort-Dauphin, les pères et les mères n'attendent pas que leurs enfants de lun et de l'autre sexe aient l'usage de la raison pour leur apprendre comment on perd la pureté; ils les y incitent eux-mêmes). »

Ellis constate de son côté que «les Hovä ne croient pas que hommes ou femmes doivent garder la continence avant de se marier »!, et, sur la côte

® Is en trafiquent même volontiers à l'occasion, et lorsque l'amant est un Vaza- hä, un Européen, les parents suivent avec intérêt les phases par lesquelles passe son amour pour leur fille, se plaisant à cal- culer à quel taux montera sa générosité (*).

@) Histoire de Madagascar, 1658 (édit.

Grandidier, p. 128 ). (3) Lettre de Fort-Dauphin (Mém. de la tb)

Congrégation de la Mission, t. IX, p. 303)". (4) History of Madagascar, 1838, t. I,

p-137.

® On a dit à l’un de nous que, lorsque des jeunes Betsimisarakä du Sud allaient passer une nuit avec un Européen, elles apportaient souvent avec elles le lananant, le long bambou où, dans l'Est, on garde la pro- vision d’eau de la maison et qu’elles laissaient au dehors, le long de la porte; le lendemain matin, leur père ne manquait pas d'aller le soupeser pour se rendre compte, au poids de l’eau restant, quel avait été l'amour du Vazahä®). T1 y avait toutefois quelques exceptions à cette règle générale, au moins chez les Merinä, qui ont un mot maarovaroträ exprimant le refus des parents de laisser une de leurs filles ou pupilles se livrer à des actes immoraux.

®) Voici encore à ce sujet quelques passages tirés des récits d'anciens voyageurs : Dans le Nord-Ouest : «A Bombétoke, le roi envoya à notre camp plus de 200 femmes avec Loutes sortes de vivres frais; s'étant établies à 1/8° de lieue de nous, elles venaient trouver nos gens avec beaucoup de familiarité» (le Sieur pe ra Mer- VEILLE, 1708, Coll. Ouvr. anc. Madüp., publiée par A. et G. Grandidier, t. INT, p. 620, note). Sur la côte orientale : «Pour peu que les femmes trouvent des Français de belle prestance, il n’y a pas d’avances

0) En effet, les femmes malgaches, au moins sur les côtes, sont très propres. «Chaque soir, à Tintingue, les femmes vont se laver jusqu’au-dessus des hanches à la mer, et elles ne souffrent pas que leurs époux les appro-

chent une seconde fois sans qu'elles se soient lavées de nouveau» ( D'L. Fouzcioy, Essai physico-médical sur Mada- gascar, à bord du Golo, 1890, Arch. Minist. des Colonies ,

carton XI, dossier 3).

18.

140 MADAGASCAR.

orientale, d’après le capitaine Carayon «les filles ont des mœurs dissolues et ne sont pas déconsidérées pour avoir disposé d’un bien qui leur appar- tient, tant qu'elles ne l'ont pas aliéné en contractant mariage».

En effet, les jeunes filles malgaches suivent librement leurs instincts, tout comme les jeunes gens, sans que personne y trouve à redire : l'amour n'a pas une grande part dans ces liaisons, non pas que ces jeunes filles n'aient leurs préférences, qu’elles ne ressentent des inclina- tions même quelquefois profondes, qu'elles ne montrent à certains de leurs partenaires plus d'abandon, plus de chaleur qu'à d’autres, qu'elles ne gardent même à quelques-uns une certaine fidélité, mais c’est que ceux-là savent mieux émouvoir leurs sens, et leur cœur y est rarement engapé : il ne peut en être autrement dans un pays une fille ne quitte pas en réalité sa famille, reste d'ordinaire en dehors de celle de son mari. Toutefois, elles ne changent pas continuellement d’amants, de sakaizü ou amis comme elles disent, ce qui les déconsidérerait et les déprécie- rait®), à moins qu'il n’y ait profit; les Malgaches se servent du même mot milansÿ pour dire «se louer à gages» comme domestique ou ouvrier et «avoir des relations intimes avec un amant»; car non seule- ment les étrangers donnent des cadeaux à leurs concubines malgaches,

(0) Histoire de l'établissement français à Ma- solues sont appelées, en Imerinà, angelin- dagascar, 1845. gelÿ, jangajangà, jejojejo, et, dans les pro-

®) Les filles qui changent continuelle- vinces côlières, korô, vembanä , korombembanàä, ment d'amants ou qui ont des mœurs dis- c’est-à-dire coureuses, libertines (®).

qu’elles ne leur fassent pour les engager à recevoir les faveurs qu’elles veulent leur prodiguer, et quand elles les ont fait succomber à la tentation, elles s’en vantent et s’en trouvent fort honorées. La plupart sont passa- blement belles» (De V. [Carpeau nu Saussay], Voy. de Madagascar en 1663, p. 299). «il n'y a pas de pays femmes et filles soient de meilleure composition; on en amène aux Français de tous les côtés, de sorte que chacun s’en pourvoit à sa fantaisie, et les «fruits» de cet agiolage se multiplient» (Mopave, 1768). «Les femmes de la vallée d’Ambolo (au nord de Fort-Dauphin) sont fort débauchées et se prostituent longlemps avant d’être nubiles» (Liscer Georrnoy, 1787).— Dans le Sud-Ouest : «Les hommes de la baie de Saint- Augustin ne se font pas scrupule de livrer les charmes de leurs filles à bon compte, les proposant aux étrangers, et les filles sont des premières à engager ceux-ci à conclure le marché» (Carmanrin, 1804).

«Dès qu'un navire de commerce mouille sur les rades de Tamatave, de Saint-Augustin, etc., de nom- breuses pirogues quittent la plage, chargées de femmes qui viennent faire leurs offres de service aux officiers comme aux matelots. Toutefois, tandis qu’à Saint-Augustin et autres ports des provinces de Madagascar qui sont restées indépendantes jusqu'à notre conquête, viennent chercher fortune des filles et femmes de toutes classes, toutes celles en un mot qui se trouvent libres en ce moment à Tamatave, qui dépend des Merinä, c'est une classe spéciale de femmes à laquelle échoit cette bonne fortune, car la loi merinä interdit à tout Malgache de quitter Madagascar sous quelque prétexte que ce soit, sous peine de perdre ses biens et de voir sa famille responsable de son «crime»; les femmes qui allaient à bord des navires élaient désignées pour ce

ETHNOGRAPHIE 141

mais les indigènes doivent eux aussi leur faire quelque présent, petit présent, certes, qui ne se peut comparer à ceux que font d'ordinaire les Européens, mais qui n'est pas moins la rémunération de leurs bons services : et à celui qui manquerait à ce devoir, elles arracheraient, comme le raconte Flacourt, son lamba et lui feraient publiquement affront de sa lésinerie. Elles ne se montrent pas, du reste, très exi- geantes sous ce rapport el se contentent de sauvegarder leur amour- propre : ainsi, par exemple, les jeunes filles sakalavä du Ménabé prisent fort les têtes de kelitamanä ou pigeons verts, qu’elles considèrent comme des philtres d'amour, et que leurs amants vont chasser dans les forêts en leur honneur; celles qui peuvent en montrer le plus sont très fières, et en Imerinä, si, au Fandroanü, le nouvel an, un galant manquait au devoir traditionnel de donner à sa belle le jakü, comme ils disent, il aurait toutes chances de s'entendre répondre à la première faveur réclamée : «Exeuse-moi, mon ami, la source de l'amour s’est tarie le jour du Fan- droanü, je n'ai plus de caresses à ta disposition ».

Dans son Grand Dictionnaire manuscrit, le chevalier de Froberville dit que, «dans le nord de Madagascar, lorsqu'une femme qui vit en union libre avec un homme devient enceinte, et meurt soit pendant sa srossesse, soit en couches, le droit coutumier veut que cet homme donne un certain nombre d'esclaves à la famille de la défunte, et un seul s'il ny a que l'enfant qui meure».

1) Kelitamant, litt. : petit (oiseau) doux, familier | Colombar malgache (Vinago australis).

service, dûment enregistrées et munies d’un laissez-passer pour la nuit seulement : on leur donnait le nom de tsimihoriranä [Mtt. : celles qui ne couchent pas sur le côté, c’est-à-dire qui se mettent sur le dos]. Ce sont ces mêmes femmes qui étaient les chanteuses requises pour toutes les réceptions solennelles; elles avaient leur place dans les cortèges officiels» (Notes manuscrites d'A. Gravpmier, 1870). Voici la scène que raconte M. Hilsenberg : «A peine, dit-il, nos navires se préparaient-ils, voiles basses, à entrer dans le port de Tama- lave (en mai 1822), que du milieu des indigènes amassés sur la plage sortit une troupe d’une soixantaine de jeunes Malgaches très jolies, bien faites, la figure expressive; à un signal donné, elles se précipitèrent dans l'eau en poussant un grand cri et nagèrent vers nos vaisseaux qu'elles entourèrent comme des sirènes; elles empoignèrent tout ce qui était à leur portée, voiles, cordages, gouvernail; puis, avec une rapidité et une adresse extraordinaires, elles grimpèrent le long du bord et sautèrent sur le pont. Encore toutes mouillées de l'eau de la mer, elles fondirent avec une vivacité incroyable sur les matelots, se pendirent à leur cou, les em- brassèrent, les caressèrent avec tendresse, comme s'ils eussent été des êtres chéris qu’elles revoyaient après une longue et douloureuse absence. Quand notre bâtiment eut laissé tomber l'ancre, il vint encore d’autres filles à bord, et force fut à chacun de se conformer à l'usage et de se laisser faire des cajoleries et des caresses.» Hilsenberg et Bojer ajoutent que, «ne s’altendant pas à un semblable spectacle, ils restèrent muets de sur- prise» (Nouv. Ann. des Voyages, série, t. XI, 1829).

149 MADAGASCAR.

D'après l'exposé que nous venons de faire des us et coutumes des Mal- gaches et des idées qu'ils ont au sujet des rapports d’hommes à femmes, on peut juger à quel point, chez un peuple aussi adonné aux plaisirs charnels, les conversations peuvent être licencieuses : les mots les plus grossiers, les plus obscènes, sont continuellement dans la bouche des hommes aussi bien que dans celle des femmes, sans hésitation et sans honte, moins toutefois dans l’Imerinä central l'influence des mission- naires s'exerce utilement depuis un demi-siècle.

Au cours de ces unions libres, tokantranomasÿ, senpÿ, suivant l'expres- sion en usage dans l’Imerinä et ailleurs"), unions qui n’ont pas reçu la consécration du vody ondrÿ ou du fandeo, les consorts, quoique vivant maritalement, conservent une indépendance absolue tant au point de vue de leurs intérêts personnels qu'au point de vue de leurs faits et gestes P); elles s’'établissent le plus souvent, pour les femmes du moins, entre sens de même condition ou avec des hommes d’une classe supérieure (}, car

(1) Quand un homme et une femme ou simplement encore vazÿ ou ranitrà l°).

ont des relations intimes, soit clandes- tines, soil publiques, mais ne cohabitent pas d’une manière permanente, on les ap- pelle mpiraniträ, mpivazd [litt. : des gens qui aiment à chanter (de gais compagnons) |.

2) Dans ces sortes d’unions, il n°y a pas lieu au délit d'adultère.

6) TT y avait, en Imerinä, des lois sévères réolementant les relations entre hommes et femmes de classes différentes l).

® Mandry amy ny tsy henÿ [HU : dormir avec un homme (ou une femme) avec qui l’on n’est pas marié] ou, comme l’on dit chez les Sakalavä, amin-tsahé, c'est avoir un amant ou une maitresse, et l’homme ainsi que la femme qui vivent ensemble sans être mariés s'appellent raniträ. L'appellation sakaizä [ami], lors- qu'elle est adressée par un homm? à une femme ou réciproquement, implique l'idée de relations intimes ; zanakä an-trand se dit d’une jeune fille qui vit avec un homme qui n’est pas son mari, mais qui est traitée par les parents de son amant comme si elle était membre de leur famille. Quant aux enfants issus de ce con- cubinage, on les appelle zana-draniträ où, au Ménabé, analk-amintsahé, c'est-à-dire bâtards: toutefois ces dénominations semblent assez récentes. Les Malgaches ont quelques mots méprisants pour désigner les pro- stituées, les gens vicieux : jangä, je), jilà et juridahyÿ, jirivavy, mais ces mots indiquent-ils bien la honte, l'opprobre qui s’attachent à une conduite trop licencieuse ?

%) Jusqu'au règne de Radamä Il, les andriambavÿ, femmes nobles, ne pouvaient avoir de relations avec les hovalahy, hommes libres, sans déchoir [mandroronä |. et elles étaient vendues comme esclaves, à moins qu'elles ne payassent une amende égale à la somme qu'aurait produite leur vente et avec quoi on achetait du manioc qu’on distribuait aux gens de leur caste:; quant à l'hovalahÿ qui entretenait des relations avec une andriambavyÿ, on disait de lui nananika andry malamä [litt. : qui grimpait à un mât glissant], et, jusqu’au règne de Radamä IT, il était puni de mort. Le code de Ranavalonä 1“, de 1828, ordonne que tout zazahovä [c'est-à-dire hovd devenu esclave pour cause de dettes ou par suite d’une condamnation |, qui cherche à nouer des relations avec une femme hovä ou libre en se faisant passer pour libre, soit puni d’une amende de sept bœufs et sept piastres, et que tout andevolahÿ [c'est-à-dire tout Malgache fait esclave à la guerre ou fils d’esclave] qui cherche à nouer des relations avec une femme zazahovä en se faisant passer pour zazahovä, soit vendu. D'une manière générale, les hovt, c’est-à-dire les libres, qui entretenaient des relations avec des 0lo-maintÿ, des esclaves, étaient rejetés par leur famille et déshérités.

ETHNOGRAPHIE. 143

il est honteux pour une Malgache d’avoir un enfant avec un homme d'une classe inférieure à la sienne, tandis qu'il est honorable d'en avoir un avec un personnage de distinction, quoique cet enfant suive la con- dition de sa mère.

D'ordinaire, cependant, la cohabitation d'un homme ayant un rang dans la société malgache avec une femme d'une classe très inférieure était mal vue; ainsi au Ménabé, à l'embouchure du Manambolë, l'un de nous vit un chef antavelô (vezë) qui vivait au bord de la mer dans une misérable hutte de roseaux, à une petite distance du village étaient établis ses enfants et qu'il habitait lui-même jadis; épris d’une Cafrine, il avait quitté sa femme, la mère de ses enfants, au scandale de tous, pour cohabiter avec cette esclave.

La femme léoitime était morte, et les enfants aussi bien que les es- claves de la famille s'étaient tous éloignés du vieux chef, ne voulant pas avoir pour maitresse une esclave : ils n'attendaient tous que la mort du père pour sagayer cette femme qu'ils considéraient comme responsable de la mort de leur mère et de leur maitresse

La mise à la disposition des hôtes de distinction de jolies jeunes filles faisait partie des devoirs sacrés de l'hospitalité. Il n’y a pas de voya- geurs à qui l'on n'ait fait maintes fois ces propositions hospitalières. « Un jour, dit Carpeau du Saussay, étant chez Ramosay, l'un des grands du pays, celui-ci me fit demander si je voulais me divertir, me propo- sant de m'envoyer une de ses filles ou une de ses femmes: la plus forte marque de considération que les grands peuvent donner, c'est d'en user de la sorte... Un des princes masikord, Rafaelÿ, que visitaient deux de nos Français, offrit à chacun d'eux une de ses filles pour en disposer comme ils voudraient; . .. pendant neuf jours, ils éprouvérent ce qu'elles savaient faire, et ils en furent si contents qu'ils les emmentrent au

(1) Dans l'Est, chez les Ranomenä, un 2) Ce n'étaient pas seulement les filles vohitsä ou libre qui vivait avec une esclave et femmes non mariées que les Malgaches devait donner au maître de cette esclave tout offraient à leurs hôtes, mais les maris, en ce quil gagnait pendant cette honteuse maintes occasions, leur prétaient une de cohabitation; en outre, il était renié par sa leurs épouses, la plus jolie lorsqu'ils en famille, etc. avaient plusieurs.

14% MADAGASCAR.

Fort-Dauphin.» Le Gentil, ayant mouillé sur la rade de Foulpointe en 1761, raconte que la femme du chef linvita d’un air très affable à rester à terre et à venir coucher dans la chambre de sa fille qu'elle lui présenta; cette jeune fille, qui s'appelait Volatsarä [litt. : Bon argent], était, ajoute-t-il, fort jolie et très bien faite®. +En 1775, le chef d'Ita- perinä donna à Mengaud de la Hage, qui se rendait par terre à Sainte- Luce, une de ses filles pour être sa compagne de Jour comme de nuit, et à Mananivô, qui en est à 1 h. 1/4, toutes les femmes du village vinrent demander aux hommes de sa troupe s'ils voulaient être «leurs maris». Une autre fois, un chef de la baie de Fort-Dauphin, auquel 1l fit visite et offrit un riche cadeau, le pria en grâce de prendre sa femme, une jolie personne de 28 ans, et aussi une de ses filles, s'il voulait; cette femme emmena Mengaud de la Hage à l'écart et, comme celui-ci la quitta de suite, son mari, lui ayant demandé la raison de son prompt retour, en fut fort fâché®), »— + Les femmes betsimisarakä, dit Th. Frappaz, vont ouver- tement au-devant des Européens et leur prodiguent avec plaisir leurs plus tendres faveurs(®. » « En 1817, Hastie, en se promenant à Tananarive, remarqua une jolie fille et l'invita à venir le voir; elle refusa. Radamä [°, informé du fait par un témoin, ordonna de la mettre à mort pour avoir ainsi manqué aux devoirs sacrés de l'hospitalité; ce ne fut pas sans peine qu'Hastie obtint sa grâce. Sur l'ordre du Roï, elle alla alors chez lui, qui lui fit un petit cadeau et la renvoya de suite, ce dont elle se montra trés marrieW.» On pourrait citer d'innombrables cas semblables, mais nous nous contenterons de dire que, jusqu’en 1869, les jeunes princesses et les filles nobles, aussi bien que les filles hovä ou libres, s'en allaient le soir publiquement, suivies d'un cortège plus ou moins nombreux d’es-

claves afin que personne n'en ignorât, chez leur amant du jour (.

0) De V. [Carprau pu Saussay |, Voyage 5) Lorsque les membres de la mission de Madagascar en 1663, p. 255-256. envoyée par l’empereur Napoléon IT pour @) Voyage dans les mers de l'Inde, 1. I, assister au couronnement de Radamä II en 1781, p. b17 (Madagascar). 1862 arrivèrent à Tananarive, le Roi les 6) Archives du Ministère des Colonies, 1775. invita à une soirée et, choisissant parmi (1) Jhid., 1818. les femmes présentes les plus jolies an-

(5) Bulletin Acad. malgache, 1904,p.24. drianä ou nobles, il leur intima l'ordre

ETHNOGRAPHIE. 145

En eflet, les reines et princesses malgaches, excepté lorsqu'elles étaient mariées à un roi ou à un prince du sang), avaient non seulement comme le commun des mortels le droit de donner libre carrière à leurs caprices ©, mais elles avaient le privilège de désigner (ce qu’elles faisaient souvent en plein kabarÿ, en assemblée publique) l’heureux homme qu'elles dis- tinguaient et qui, bon gré, mal gré, car il ne lui était pas plus loisible de refuser l'honneur qu'on lui faisait que d'oser le solliciter, allait

d'aller s'asseoir sur les genoux de ses hôtes français et d’être aimables avec eux. Lors de nos voyages à Madagascar, ces mœurs étaient partout encore florissantes. Cepen- dant, à Tananarive, on commençait à y met- tre plus de formes et les jeunesfilles, sans re- noncer au concubinage , rendaient plus rare- ment visite à leurs amants en grande pompe, surtout depuis la conversion de la Reine et du Premier Ministre à la religion chrétienne en 1869, et celle plus ou moins forcée de toule la populalion merinä qui s'ensuivit. Malgré la réserve qu’elles durent dès lors s'imposer, ellesn’enconlinuèrentpasmoins leur vie libre d'antan; toutefois, avant de se

coucher, après en avoir demandé la permis- sion à leur amant, elles ne manquèrent plus de faire leur prière : dans ce quenous serions tentés d'appeler hypocrisie, il n’y avait en réalité qu'inconscience, incompréhension de la morale chrétienne, et la foi naïve dans la vertu des pratiques extérieures n’en est pas moins le germe d'où sort peu à peu une conception plus élevée de la morale reli- gieuse ef sociale.

(0) Chez les Sakalavä, les princesses ou les femmes nobles mariées à un roi s’'ap- pelaient des ampela hovä, des femmes-chefs.

® Droit dont elles usaient et abusaient au grand jour).

o

La loi 54 du Code de Ranavalonä 11, de 1881, frappe d'incapacité civile les personnes qui vivent en con- cubinage, édictant que «l’une d’elles ne peut pas réclamer de l’autre les biens qu'elle en a recus, soit comme don, soit à titre onéreux». Comme on peut bien le penser, ces lois, calquées dans un but de moralisation sur celles de nos pays, sont restées à l’état de lettre morte. Mais, le septembre 1887, a été promulguée une loi spéciale qui défendait à l'avenir le concubinage à Madagascar, punissait les contrevenants d’une amende de 50 piastres, soit de 250 francs, et ordonnait la confiscation des propriétés des femmes malgaches vivant en concubinage | mifanao tolan-tranomasë | avec des étrangers , ainsi que l'inscription de leurs enfants comme sujets de la Reine (Madagascar Times, 3 septembre 1887, p. 263).

®) «Parmi les héroïnes d’un bal donné en 1896 par la reine Ranavalonä Il, on a cité, comme ayant attiré l'attention d’une manière toute particuhière, une jeune princesse àgée de quinze ans, Razafinandriamaniträ , mièce de la Reine et fille de Rasendranorô, célèbre Messaline malgache : on évalue en effet à dix au moins le nombre des heureux danseurs que celte intrépide princesse a tour à tour entrainés, au cours du bal, en dehors de la salle de danse pour exprimer à chacun sa joie, sa gratitude et son admiration. La bonne Rasendranorô contemplait avec satisfaction les évolutions de sa digne fille» (La Politique coloniale , juillet 1896). Pierre Mazze raconte que, «pendant son séjour à Tananarive, cette même princesse prit pour amant un jeune lieu- tenant C...et que, la Reine ayant voulu intervenir, la princesse se fâächa tout rouge, disant qu’elle était d’une caste qui lui donnait le droit de choisir ses amants». Pendant que l’un de nous était au Ménabé, un capitaine, dont le navire était en chargement sur la rade de Tsimanandrafozanä, fut éveillé, un soir qu'il etait déjà couché avec la femme sakalavä qu'il avait épousée à la mode du pays, par les chants d’une bande de femmes qui s'étaient arrélées devant sa maison, puis, le silence s'étant fait, il entendit cogner à sa porte : «C’est moi, la Reine» (), criait Naharovä. Force lui fut d'ouvrir, tandis que l'épouse sakalavä effrayée courait se cacher dans une autre pièce; la reine entra avec son cortège, et le capitaine dut en passer par voulut Sa Majesté.

M) Cette phrase était la seule phrase francaise que connut cette reine. P P L q

ETINO GRAPIIIE. 19

IMPRIMERIE NATIONALE,

146 MADAGASCAR.

devenir leur amant pour un jour, pour une semaine ou, suivant le hasard des choses, pour un temps plus long : car, dès qu'il avait cessé de plaire, elles le congédiaient. Quant à la femme ou aux femmes de ce favori occasionnel, elles n'avaient qu'à se retirer discrètement.

Dans ces cas, quand survient un enfant, la paternité n’est jamais recherchée, car les enfants d’une reine ou d’une princesse, même nés hors du mariage, sont toujours lépitimes : Ranavalonä [°° à eu son fils Radamä [l un an après la mort de son mari Radamä [, survenue, comme on sait, le 27 juillet 1898, et il a été unanimement reconnu lépitimel.

Si, comme nous venons de le dire, les reines et les princesses mal- gaches avaient, à moins d'être mariées à un roi ou à un prince du sang 0, la liberté la plus grande au point de vue des relations avec des hommes de toute catégorie, sans perdre leur noblesse ni la faire perdre à leurs enfants, cette liberté n’était pas moins absolue pour tous les rois et princes de Madagascar; toutefois les enfants nés de leurs unions morganatiques n'avaient pas forcément, comme ceux des reines et des princesses, rang de princes du sang. Les rois sakalavä avaient coutume de prendre leurs femmes légitimes parmi les filles de grande famille, auxquelles ils joi- gnaient une petite bande de concubines, d'andevondanü [htt. : d'esclaves de l'oreiller] comme on les appelait, qui étaient choisies dans la caste des moraimbé [litt. : de ceux qui sont devenus facilement grands],

c'est-à-dire des affranchis.

(M «Les femmes issues en lione directe 2) Quand une reine malgache n'était pas soit de Rasoherinä, soit de Ralesokä (qui mariée à un roi, SON époux ou ses époux, étaient, l’une la grand'mère, l’autre la car certaines reines en prenaient plu-

sœur d'Andrianampoinimerinä), quel que sieurs, comme par exemple Naharovä, reine soit l’homme avec lequel elles auront des du Ménabé, qui en avait deux en 1870, enfants, légueront à ces enfants le droit étaient de simples sigisbées aux ordres d'accession au trône; ils sont en eflet des- de leur dame et sans pouvoir sur elle : les cendants légitimes d’Andrianampoinimerinä, Sakalavä les appellent Sava, et les Antanka- qui seuls peuvent être à jamais maitres de ranä, ainsi que les Betsimisarakä, Biby, le Madagascar comme l'a voulu Andrianam- même nom qu'ils donnent aux femmes des poinimerinà » (Testament de Ranavalonà [”, rois, car, à Madagascar, une reine est con- 1835, in {nst. polit. et soc. de Madag., par sidérée non comme une femme, mais à

G. Juuex, t. I, p. 453-454). l'éval d’un homme.

ETHNOGRAPHIE. 147

Chez les Antanosÿ, une roandrianä ou noble peut avoir des relations avec un libre, quoiqu'elle ne puisse l'épouser; mais, dans ce cas, ses enfants sont censés ne pas avoir de père : on les appelle ambol : ils sont néanmoins considérés de caste noble comme leur mère. Il en est de même chez les andrianä de lImerinàä.

La cohabitation d’un noble ou d'un libre avec une esclave était géné- ralement mal vue, excepté lorsqu'un Merinä, par exemple, allant en ex- pédition hors de l’Imerinä, emmenait une esclave, une {sindry fé, dont il faisait sa concubine pendant le temps de son absence. Andrianampoinime- rinà, à la fin du xvrn siècle, a ordonné « qu'un homme libre qui avait des relations avec une esclave appartenant à un autre maitre pouvait être réduit en esclavage : une moitié du prix était pour le Souverain, et l’autre moitié pour le folon'olonä, l'assemblée des notables; Ranavalonä [°, en 1828 (art. 5), et Rasoherinä, dans son Code de 1863 (art. 5,9 et 10), ont décrété aussi que le mandry amin'ny andevÿ, c'est-à-dire le concubinage d'hommes libres et d'esclaves, faisait perdre la liberté et entrainait la confiscation des biens des coupables, et que, comme nous l'avons déjà dit, seraient punis d’une amende de 7 piastres et de 7 bœufs tout zaza hovü [tout libre réduit en esclavage | qui tenterait par fraude de nouer des re- lations sexuelles avec des femmes de leur caste d'origine, ainsi que tout esclave de naissance qui se donnerait pour zaza hovä afin de nouer des relations avec une zaza hovä. Si un esclave, pénétrant de nuit chez une femme libre, voulait la violenter ou même seulement osait lui faire des propositions déshonnêtes, elle pouvait le faire amarrer et ne le rendre à son maitre que contre le payement de sa valeur.

Quoique les jeunes filles et les femmes malgaches soient libres de se donner à qui bon leur semble, il y a toutefois diverses catégories de per- sonnes avec lesquelles les rapports sexuels sont /adÿ, mifohträ, tsy henÿ, c'est-à-dire plus ou moins formellement interdits : Ny mandry fady, dia melokä | coucher avec un fadÿ (commettre un inceste) est un crime]. Il y a d’abord les parents et alliés au degré prohibé qui sont des fadibé ou grands fadÿ, avec lesquels les relations sont incestueuses, crimi- nelles : ce sont, dans la famille propre, les ascendants et descendants en

19.

148 MADAGASCAR.

ligne directe, mpiray tam-po [descendants d’une même mère, légitimes ou naturels |"), et en ligne collatérale, les frères et sœurs, les oncles et nièces, les tantes et neveux, les cousins et cousines (tant germains qu'issus de germains) , ainsi que, dans la famille du mari ou de la femme, le beau-père!, la belle-mère, les oncles et tantes par alliance, les beaux- frères (les maris des sœurs du mari, mais non les frères du mari()) et les belles-sœurs (les femmes des frères de la femme, mais non les sœurs de la femme). Le crime de mandry fadÿ, inceste, relevait de la juri- diction du clan du coupable; le grand. inceste, qui était assimilé au crime de sorcellerie, de mosavÿ, de vorikä, était puni de mort, d'ordi- naire par lapidation, excepté, comme nous le verrons plus tard, dans les familles c'était un usage ancestral"); les incestes toutelois, tels que les relations entre enfants et petits-enfants de deux sœurs, c’est-à-dire entre zanak’olo mirahavavÿ et entre zafimprrahavavyÿ (jusqu'à la sixième génération au moins , surtout si ces sœurs ont la même mère),

0) Un père qu'on verrait embrasser sa fille, un frère qui embrasserait sa sœur, seraient déclarés mpamosavÿ, sorciers, el punis comme tels. Il est vrai qu'il n’est pas fréquent de voir des Malgaches s'embras- ser (ou plutôt se sentir), les baisers étant réservés pour le huis clos. Chez les Tsimi- hetÿ, une fille ne doit jamais se vêlir du lamba de son père, pas plus du reste qu'une sœur de celui de son frère (Trazvoux, Rev. de Madag., mars 1903, p. 235-236).

®) Quand des jumeaux sont de sexes différents, on les qualifie de mpamosavÿ (de sorciers, de possédés), car il ne convient pas, disent les Malgaches, qu'un frère et une sœur cohabitent dans la même chambre pendant neuf mois» (cf. Ranaivô, Thèse de médecine, 1902, p. 30).

(3) Pour les Zafisoronà, l'interdiction s’é- tend ,dit-on , jusqu'à laneuvièmegénéralion.

(1) Chez les Tsimihetÿ, il est interdit (/adÿ) à un beau-père de rester seul dans une chambre avec sa belle-fille, de se pro-

mener seul avec elle sur la route et même de s'asseoir en face d'elle (Trarsoux, Rev. de Madag., mars 1903, p. 235-236).

(5) Excepté à l'ainé d’entre eux.

(6) Car, après la mort du beau-père, ses fils, étant appelés à devenir les uns après les autres chefs de la famille, sont de ce fait considérés à l'égal de leur père ou de leur ainé, qu'ils remplaceront chacun à leur tour : aussi le mari d’une femme donne-t-il souvent, sur la côte Sud-Est par exemple, le nom de rafozanà aussi bien à ses beaux- frères qu'à son beau-père.

(Voir p. 152-194.

(8) Dans l'empire romain, la parenté a longtemps aussi fail obstacle au mariage en ligne collatérale, jusqu’au sixième degré. Voir les noms de ces diverses générations, note 1,p. 124.

°) Parce que l'hérédité par les mâles est toujours sujette au doute dans un pays l’on tient en suspicion, avec raison, la vertu de toutes les femmes.

ETHNOGRAPHIE. 149

n'étaient punis généralement que d'une amende de deux bœufs, qu'on abattait dans le sud de la maison le crime avait été commis: le Jokon'olonä, les notables du clan, procédaient au partage de la viande entre ses membres et répandaient sur les coupables, pour effacer leur faute et les purifier, les excréments retirés des intestins : cette cérémonie expiatoire ne levait pas l'empêchement [sy az0 alampady |, et, sil y avait eu mariage, 1l était toujours nul et non avenu; mais elle écartait les malheurs qu'il appelait sur les coupables [ka azo alan-dozü |.

Sont également (sy henÿ, prohibées formellement, toutes relations sexuelles entre un homme ou une femme et leurs enfants adopüfs, entre un homme et une femme qui se sont faits fati-dra, c'est-à-dire frère et sœur par le serment du sang, avec la mère ou la femme de son futi-dra, de son frère de sang, et, au moins chez les Merinä, entre un frère et une sœur de lait, c’est-à-dire entre deux enfants de sexes différents, si l’un d'eux est l'enfant de la femme qui a «prêté son lait» [| nampindrana rononÿ| à l'autre jusqu'à ce que sa mère ait été en état de l’allaiter elle-même; de même entre un homme et la fille d’une femme avec laquelle il a eu commerce. Les relations entre ces diverses personnes sont considérées incestueuses, criminelles, et appellent non seulement sur le coupable, mais sur toute sa famille, la colère des ancêtres et de Dieu; ceux qui com- mettaient ce crime étaient soumis à une ordalie, et d'ordinaire mis à mort.

Les cousins M, c'est-à-dire les zanak’olo mirahalahÿ [les enfants de deux frères] et les zanak'olo muanadahÿ [les enfants d’un frère et d’une sœur |, à l'exclusion, comme nous l'avons dit plus haut, des enfants et des petits-enfants de deux sœurs, ne sont plus des fadibé®) avec lesquels les relations sexuelles faisaient accuser les coupables de sorcellerie et

D Chez les Merinä, le Souverain, en ou d’un frère et d’une sœur jusqu'à la

certains cas, levait cette interdiction.

2 IT faut toutefois excepter les Zafso- ronà, clan qui habite le canton de Mahama- ninä (dans le Sud-Est) et qui, plus strict que tous les autres Malgaches sur les ma- riages consanguins, nadmet sous aucun prétexte l’union des enfants de deux frères,

sixième (et même, prétend-on, jusqu’à la neuvième) généralion; quand, à cet égard, il y à un doute après qu'un mariage a été célébré, on procède à une enquête, et, s’il est prouvé que les époux sont parents à un degré prohibé, on tue un bœuf en expiation de la faute, et le mariage est annulé.

150 MADAGASCAR.

entrainaient jadis la peine de mort; ce sont de simples fadÿ®, des ravetël, qui peuvent se marier entre eux en effaçant l’empêchement par le sacrifice, dans le village des parents de la femme, d'un bœufl?, d’un mouton ou d’une simple volaille, ou par l'+eau d'argent »°), suivant le degré de parenté des époux et leurs moyens : car il faut, croit-on, du sang pour appeler les bénédictions de Dieu et des ancêtres sur cette union entre parents. Dans certains clans du Nord, on jette, dans ce but, sur les nouveaux époux, de la bouse de vache mélangée à du riz euit, cérémonie d’exorcisme ° qui a pour effet de lever les empêchements dirimants, et le chef de famille bénit ensuite les conjoints : s'ils ne faisaient pas cette cérémonie, les intéressés croyaient qu'ils mourraient jeunes, ou que, s'ils venaient à être soumis à l'épreuve du tanghin, ils y succomberaient quoique innocents de l’accusation portée contre eux.

Si un homme s'introduisait la nuit dans la maison d'une parente /adÿ, à un degré prohibé, elle pouvait, sans crainte d’être poursuivie pour in- sultes graves et envoûtement, l'injurier et ameuter contre lui les voisins.

La violation des interdictions sexuelles entraine pour les coupables des

0) Déjà, lorsque lun de nous était à Madagascar, de 1865 à 1870, les /adÿ ou interdictions de commerce criminel entre parents commençaient à ne plus être respec- tés; les Malgaches peu à peu devenaient incrédules à ce sujet comme à beaucoup d’autres.

2) Les ravelÿ sont ceux des parents par alliance qui étaient réputés /ady.

(3) Manala lozä, manala ondran&, ou fandroana ny mangaro fadÿ, comme ïls disent. Pour le mariage des enfants de deux frères | mianadahÿ]|, il fallait lever l'empé- chement par la cérémonie ala ondranà ; c'étaient les père et mère ou, à leur défaut, les aînés et, pour les esclaves, leurs maitres qui l'accomplissaient. Pour le mariage d’en- fants d'un frère et d'une sœur, la cérémonie n'était pas obligatoire, néanmoins quelques Merinä timorés la faisaient quand même.

(1) Les Merinä appelaient celte purifica- tion (par l’aspersion du sang de la victime) mandro omby.

6) Ranom-bolä Vxeau d'argent» était l'eau dans laquelle on mettait une pièce d’ar- gent et qu'on considérait dès lors comme sainte, comme bénile.

(6) Manala antambo ou manala lozä, sui- vant leur expression.

0) Manjary sira ! mandria aloha amy ny reninao, ary amin'izay ho avy anao, karilahÿ [litt. : Change-toi en sel (c'est-à-dire : dis- parais comme le sel quand on le met dans l'eau!), va d'abord coucher avec ta mère, et alors tu pourras venir, impudent drôle]. Ces imprécations sont considérées comme envoütant, ensorcelant ceux auxquels on les adresse, et par conséquent entraînent des peines sévères contre ceux qui les ont proférées sans des raisons majeures.

ETHNOGRAPHIE. 151 sanctions redoutables, qui se manifestent sur cette terre par des maladies frappant soit les coupables eux-mêmes, soit leurs enfants", soit leurs conjoints, tout innocents que soient ceux-ci : aussi les Malgaches , lors- qu'ils se sentent gravement malades et qu'ils ont sur la conscience quelque faute de ce genre, ce qui dans un pays les mœurs sont si libres n'est pas rare, en font-ils la confession publique, en implorant le pardon de Dieu et des ancêtres ®?!.

Enfin il y a des fadÿ soit temporaires, soit occasionnels, des inter- dictions momentanées d’avoir des relations sexuelles avec qui que ce soit ®) : dans tout Madagascar, par exemple, les femmes dont les maris faisaient une expédition lointaine et dangereuse étaient, comme nous le verrons, sacrées et inviolables; chez les Sakalavä, une femme ne voit pas d’amants pendant que son père et sa mère sont gravement malades, ni quand elle est enceinte!" ete. Garder la chasteté était encore obligatoire : dans l'Est, pour les individus qui devaient subir le tsitsi-delam-by, l'épreuve du fer rouge, ainsi que pour ceux qui étaient préposés à leur garde, pendant les vingt-quatre heures qui précédaient cette ordalie; chez les

M Nombreuses sont les sentences qui, sous des formes diverses, disent : «Auront des enfants difformes ceux qui épouseront des olom-padÿ, c'est-à-dire des parents à un degré prohibé, ou des personnes d’une autre caste ».

® Une femme, par exemple, a-t-elle un accouchement difficile, on tire Ie sikidÿ, et si l'oracle attribue ses souffrances à ce que son mari a eu des relalions avec une parente fadÿ, celui-ci doit confesser sa faute et, après avoir frappé le ventre de sa femme avec son salakä (toile que les Malgaches enroulent autour des reins et passent entre leurs jambes) préalablement mouillé, payer en expiation une amende que fixe le mpisikidiÿ ou diseur de bonne aventure. Lorsque c’est la femme que le sikidÿ incrimine, son complice est sommé de faire le {spy ranÿ, Yaspersion purifica- toire, et de donner un bœuf ou au moins

une volaille qu'on immole et avec le sang desquels on fait une marque sur la poitrine de la malade, en priant Dieu et les ancé- tres de ne pas être en colère contre elle.

&) Voir au paragraphe de l’adultère (p.216-228), péché d'ordinaire sans grande importance et qui n'est point générale- ment fadibé, criminel, les circonstances le manquement à la foi conjugale devenait un crime capital. «A certaines époques, dit Drury, les Malgaches s'abstiennent, comme les Juifs, de rapports avec leurs femmes» (Coll. Ouv. ane. Madag., par À. et G. Gran- DIDIER, L. IV, p. 411).

(4) Les Sakalavä nomment mitan-tekinà [litt. : qui tiennent un bâton | les femmes qui sont ainsi occasionnellement en retraite et, par conséquent, hors de la circula- lion, parce que, lorsqu'elles sortent, «elles tiennent à la main une canne» afin que nul n’ignore qu'elles sont sacrées.

152 MADAGASCAR.

Betsimisarakä du Nord-Est, pour ceux qui allaient à la pêche de la baleine®) et même à la simple pêche des poissons en pleine mer; en [merinä, pour toutes les femmes pendant les deux premiers jours du mois d'Alakaosÿ, du neuvième mois de l’année lunaire ou Ramadan, car l'enfant conçu dans ces jours néfastes entre tous eût eu un mauvais vintanü, une mauvaise destinée®); enfin, dans tout Madagascar : pour le pére et la mère d’un enfant qu'on allait circoncire, ainsi que pour la marraine et pour tous ceux qui devaient prendre part à la cérémonie, tantôt pendant la nuit précédente, tantôt pendant toute la semaine, sous peine que l'enfant fût blessé pendant l'opération; pour les femmes qui faisaient le service des malades accomplissant la cérémonie du blé ou du salamangä | sorte d'exorcisme|, pendant les vingt-quatre heures pré- cédentes"); lors d'épidémies, de guerres, de calamités publiques; lors de pénitences imposées à la suite de maladies ou d'accidents par le mpisikidÿ ou diseur de bonne aventure F).

Toutelois il y a quelques clans et quelques familles qui n'admettent pas de fadibé, c'est-à-dire d’interdictions sexuelles entre leurs membres, quel que soit le degré de parenté, et où, de père en fils, l'inceste se pra-

() De Varcny, Manuscrit Bibl. Mus. Hist. retraite de plusieurs semaines, vêtu d'ha-

nat. de Paris, et Copie Bibl. Grandidier, p. 77).

@) Chapelier (Lettres, 1804).

8) Manuscrits merinä, Bibl. Grandidier, traduction, p. 215 (*).

(4) À, Grandir , Bull. Soc. Géopr. de Paris, févr. 1872, et G.Granniier, lievue de Mada- gascar, 1899, p. 180.

5) Pendant que lun de nous était à Mahabô, le roi du Ménabé sud, Tovonkerÿ, tomba dans le feu, étant ivre, et se brüla grièvement; sur l'ordre de son mpisikilÿ ou diseur de bonne aventure, :l fit une

bits grossiers, ne recevant aucun étranger, n'ayant pas de rapports avec ses femmes et servi par deux personnes gardant aussi la chasteté. Une retraite encore plus sévère fut imposée vers la même époque à SomongahŸ, le roi du Fiherenanä nord, qui, pour s’as- surer de la victoire dans une guerre qu'il allait entreprendre, passa deux mois dans un trou creusé en terre en plein bois et recouvert de vondrà |de jones], servi seu- lement par deux hommes lenus de garder la chasteté la plus absolue.

(®) Les femmes betsimisarakä du Sud regardent comme fadÿ de se donner à un homme dans une maison abandonnée moins d’y allumer du feu), et surtout en plein champ, croyant dans ces cas ne pas pouvoir se délivrer de son étreinte à leur volonté, ete. I y a, pour les ZafindRaminia et les nobles antimoronä, tout un mois, le mois de Ramavahà [de Ramadan ] ou Mifehivavt, pendant lequel les amants et maïtresses, aussi bien que les maris et femmes, gardent la chasteté.

ETHNOGRAPHIE. 153

tique ouvertement (1); dans ces cas, cette coutume, qui est réputée crimi- nelle au plus haut point pour tous les autres Malgaches, étant un héritage des ancêtres, ces clans, ces familles se considèrent comme tenus de la continuer sous peine d’encourir leur colère en ayant l'air de les blâmer : tels sont les Onjatsÿ du Nord-Est qui ont des relations incestueuses avec leurs mères, leurs sœurs, leurs filles (sans Jamais les épouser), les Antambahoakä de la côte Est (entre les rivières Fanantarä et Mananjarä ©), autrefois au moins les Antanosÿ), dans une certaine mesure les Anti-

moronä® ainsi que les Antandroy®, et quelques familles sakalavä, qui

| Héritage des immigrants sémites (*)

2) «L’inceste est commun entre frères et sœurs chez les Antambahoakä; ce com- merce criminel conduit, disent-ils, à la for- tune» (Ferraxn, Les Musulmans à Madagas- car, partie. 1893, p. 20).

! «Ce qu'il y a de plus triste Anosÿ), c'est qu'ils épousent leurs sœurs, leurs cou- sines, leurs nièces. ainsi que les veuves de leur père, de leurs frères ou de leurs fils» (R. P. p'Auwera, 1617, Coll. Ouvr. anc. Ma- dag. par À. et G. Grandidier, t. IE, p. 197). «À AnosŸ, les frères et les sœurs se marient entre eux, et les pères ont des rapports avec leurs filles et les mères avec leurs fils» (R. P. NavarrerEe, 1671, Collect. Ouvr. anc. Madag., t. WE, p. 350).

} Pour les Antimoronä toutefois. l'in- ceste est un pêché : quand l’un d’eux a eu des relations incestueuses avec sa mère ou une sœur, relations qu'ils appellent evotrÿ, il doit se laver le corps ou au moins la figure, en prononçant la prière suivante : Simolahy

lazimo | Bisnuallahi el-“adhim (Au nom de Dieu grand, puissant) | äsy ny doa na hinoro izy ! (Grand«Sorabé» de la Biblioth. Grandidier, trad. p. 1).

5) Quoique fadÿ, interdit chez les An- tandroy, l'inceste y est également fréquent; mais, comme un semblable acte doit atti- rer le malheur sur toute la famille, ses membres se surveillent réciproquement, et quand l'un d’eux a enfreint les Hlin-drazanà, les lois sacrées des ancêtres, par des rela- Uons avec ses tantes, avec ses sœurs ou avec sa mère, ils averlissent le mpisoront , ou leur chef qui remplit les fonctions de prêtre, afin qu'il procède au plus tôt au sacrifice de purification pour apaiser la colère des lolo, des mânes des ancêtres : on immole d'ordinaire deux bœufs appar- tenant au coupable, dont l'un est tué au pied de l’hazomanitsä , de l'autel familial, et l'autre partagé entre tous les parents (Rev. Madag., août 1904, p. 146, et Bull. Acad. Malg., 1908, p. 185).

«Les Arabes, écrivait Strabon un peu avant l'ère chrétienne, ont commerce avec leurs propres mères», el les mariages entre pères ct filles, entre frères et sœurs, étaient fréquents chez les Mèdes et chez les Perses : tous les Ale de l'antiquité, Heroes Lucain (Pharsale, vn, 408), Quinte-Curce (vu, 9-10), ainsi que Strabon, sont d'accord pour dire que, chez ces derniers surtout, cet usage élait général. En Ég gypte, les gens du commun épousaient souvent leurs sœurs (Dionone, 1, 27; Masrzro, Contes populaires de P Érypie ancienne ; p. 52). Au reste, cette même pralique existait, paraît-il, dans les hautes classes du Cambodge (V. Moxnières, Bull. Soc. Anthrop. de Paris, 1875), et, chez les Grecs et chez certains Slaves, de même que chez les Hébreux primitifs, les anciens Arabes et les Phéniciens, un homme pouvait épouser sa sœur de père | mais non sa sœur de mère] (Dorcknem, L'année sociologique, t. T, p. 38). Voir le tome précédent, p. 108 et suiv., et dans ce tome la notule b, p. 154.

ETIINOGRAPUIE, 20

IMPRIMENIE NATIONALE,

154 MADAGASCAR.

ont, de père en fils, la coutume d'entretenir des relations, les pères avec leurs filles, les mères avec leurs fils, les frères avec leurs sœurs).

Quant aux rois et princes merinä, sakalavä, barä et autres, à qui du reste tout est permis puisqu'ils sont une émanation de la divinité 1e1-bas, ils n'ont aucun fadÿ sexuel : non seulement toutes les femmes vivant sur leur domaine sont à leur disposition dès qu'ils en ont la moindre envie, mais ils peuvent avoir des relations avec leurs sœurs, avec leurs filles, sans avoir à craindre l'accusation de sorcellerie, accusation si terrible pour leurs sujets ©.

Sont au contraire autorisées dans tout Madagascar les relations sexuelles

(D) Telles qu'en 1869 celles de Vazô, le chef de Rafinentä au Ménabé, d'Alidÿ, le chef de Maintirand dans le Mailakäà, etc. !*).

®) Le roi du Boinä, AndriamahatindrŸ, a épousé sa jeune sœur Ratsipirand, après, comme l'indique son nom, qu'elle eut été bénite, et dont il a eu six enfants, et l'un de nous a vu Mahataidaonà, jeune prince sakalavä, entretenir publiquement el sans vergogne des relations avec sa sœur; mais

aucuns n'ont cette coutume aussi générale que les chefs barä; en effet, un certain nombre de ces roitelets prenaient la virginité de leurs filles et vivaient pour ainsi dire en pleine promiscuité avec toutes les femmes de leur famille, les pères ayant commerce avec leurs filles, les frères avec leurs sœurs, les beaux-pères avec leurs brus, les beaux- fils avec leurs belles-mères ; seule, la mère était falÿ, sacrée pour ses fils 1).

() L'un de nous a assisté à une curieuse cérémonie faite à ce sujet : le père de Vazô étant moribond, le mpisikilÿ ou devin, consulté sur la cause de la maladie ), lattribua aux relations incestueuses qu'il avait eues avec les femmes de sa famille, et déclara que, pour guérir, il devait en faire la confession publique et en demander pardon à Dieu. Sa sœur s’y opposa, disant qu'il n'avait pas à regretter ces actes, car c'était leur lilin-drazant, la coutume de leurs ancêtres, et qu'il n’avait pas commis de faute; elle offrit ensuite à Dieu un soront, le sacrifice d’un bœuf, avec cette prière : «Il est vrai que mon frère a eu des relations avec moi, qu'il en a eu avec sa mère qui élait aussi la mienne, qu'il en a eu avec ses filles; mais, ô mon Dieu, comment pourrais-tu le lui reprocher, comment pourrais-tu être en colère contre lui et le punir à cause d’usages que nous nous transmettons religieusement de père en fils, car tu n’ignores pas que, de tout lemps, notre famille a eu ces usages. Non, il y a une autre cause à ta colère contre nous. Quelle est-elle? Voici un bœuf que je L'offre, accepte-le et rends la santé à mon frère!»

Une cérémonie toute semblable eut lieu vers la même époque, à Maintiranô, pour le père d’Alidÿ qui était gravement malade,

® Il est bon de faire remarquer que l'inceste n’était point, dans l'antiquité, et n’est même pas encore au- jourd’hui, chez certains peuples, considéré comme criminel : les Grecs de l'épopée admettaient l'union entre frères et sœurs germains (ayant le même père et la même mère) afin de conserver les patrimoines dans les mêmes mains (Gzorz, La Solidarité de la famulle en Grèce, p. 335); Solon autorisait les mariages entre frères et sœurs de pères, mais les interdisait entre frères et sœurs utérins; il en était de même chez les Juifs : Abraham n’a-t-il pas épousé sa sœur de père? Les Mages s’unissaient à leurs filles, à leurs sœurs et même à leurs mères; à la fin du vru° siècle, il y avait en Arabie, à Bagdad et ailleurs, beaucoup de Bâätiniens ou æZanädiqa» qui avaient de temps immémorial les mêmes coutumes et qui blâmaient Mahomet d’avoir, par ses prescriptions contraires, changé la loi des ancêtres (Chronique de Tabari, t. IV, p. 447). Le Koran dit en effet : «N'épousez pas les femmes qui ont été les épouses de votre père, car c'est une turpitude. N'épousez ni vatre mère, ni vos filles, ni vos sœurs, mi vos tantes, ni vos mièces, n1 vos petiles-

par une faute contre les prescriptions des ancêtres, soit

On sait que, pour les Malgaches, toute maladie est par la transgression de quelque fadÿ.

causée soit par un sort qu'a jeté quelque ennemi, soit

ETHNOGRAPHIE. 155 d’un homme avec les sœurs et les cousines non mariées de sa femme et avec les femmes de ses frères®), et de ses cousins ou d’une femme avec les frères et les cousins de son mari et avec les maris de ses sœurs et de ses cousines, encore avec la femme ou le mari de son fati-dra [ de son frère ou de sa sœur par le serment du sang et de son lohatenÿ ou jivà (); dans tous ces cas, le mari ou la femme lépitimes ne sont pas en droit de faire

un kabarÿ, un procès à leur conjoint infidèle et, pour se venger, n'ont

9 I en est de même aux Marquises, aux Sandwich, à Tahiti, etc., un homme dont la femme est absente a plein droit sur ses belles-sœurs, sœurs de sa femme ainsi que femmes de ses frères (et même de ses beaux-frères), qui sont toutes considérées comme parentes du mari, au même degré que l'épouse elle-même.

®) I y a lieu de remarquer toutefois que les cadets peuvent avoir des relations avec la femme de leur frère aîné, mais que cet ainé ne doit pas en avoir avec les femmes de ses frères cadets, parce qu'il sera un jour le chef de famille et comme leur père.

8) «Le 19 septembre 1768, le roi d'A- nosŸ, Mananjaÿ, qui venait de faire le ser- ment d'alliance et d'amitié avee Modave, le gouverneur de Fort-Dauphin, lui dit qu'il avait deux femmes et, puisqu'ils étaient maintenant frères, qu'il était juste qu'il partaget avec lui. [ls les envoya cher- cher, et elles arrivèrent le 29 pour se mettre à la disposition de leur second mari; à la prière de Modave, il se désista de la propo- sition galante qu'il lui faisait, mais, huit jours plus tard, étant ivre, il revint avec une de ses deux femmes, qui était du reste

vieille et laide, et insista vivement pour que Modave la gardât avec lui» (Man. Bibl. Mus. Hist. natur. de Paris et Copie Bibl. Grandidier, p.11). «Les Antambahoakä et les Zafin- driambelonä sont très jaloux; toutefois, n'eussent-ils qu’une femme, ils la cèdent à un fah-drà, à un frère de sang, si elle lui plait» (Maveur, Voyase à Andrantsay et à Ancove en 1777, Manuscr. British Museum, Jonds Farquhar, et Copie Bibl. Grandidier, p. 21). —Ilen est de même chez les Antimo- ronä. L'un de nousse trouvant, en 1869, chez le roi antanosŸÿ Rasosä et ne satisfai- sant pas assez vile à son gré aux demandes de sa femme principale, Rasisanä, qui ne cessait de limportuner pour avoir des ca- deaux d’étoffes, de verroteries, etc., le roi s’en montra surpris : + Puisque nous sommes convenus de faire demain le famakà , serment du sang, pourquoi ne donnes-tu pas ce qu'elle désire à ma femme, qui va devenir aussi la tienne?»

(4) Les individus dont la famille est liée avec une autre par le lohatenÿ peuvent à leur gré nouer des relations avec celles des femmes de leurs lohatenÿ ou de leurs jivà qui leur plaisent (voir plus haut, p. 131-133).

files, ni deux sœurs». Ce commandement montre que ces unions élaient fréquentes en Arabie du temps de Mahomet. Les Celtes d'Irlande avaient commerce avec leurs mères et leurs sœurs (Strabon), et il en était de méme chez les Parthes, les Tartares et les Huns. En Indo-Chine, les divers modes d’inceste sont fréquents chez les Karens, etc. Le Rév. William Ellis a assisté, aux iles Sandwich, au mariage d’un frère et d’une sœur, car il n’y avait personne autre de leur rang avec qui il pussent se marier, et à cette même époque le roi de Tahiti, Tamehameha, a épousé sa demi-sœur, etc. Quant aux Arabes paiens, dit Pauthier, ils n’épousaient ni leur mère, ni leurs filles, ni leurs tantes, mais la femme de leur père ou deux sœurs (Les Livres sacrés de l’Orient, p. 518).

20.

156 MADAGASCAR.

d'autre moyen que de lui infliger la peine très douce du talion (”. Elles sont même obligatoires en certaines circonstances”) : lorsqu'un Malgache arrive chez son frère sans sa femme et que celui-ci est absent, sa belle- sœur lui jette aussitôt sur le dos le lamba de son mari, marquant ainsi qu'il est momentanément le maître de la maison, et elle le traite comme tel); l’usage veut qu'elle ait même, pendant qu'il cohabite avec elle, le droit qu'ont les épouses lépitimes d'enlever son lamba à toute amatù ou femme surprise en conversation intime avec lui; si le mari, arrivant la nuit, apprend qu'un de ses frères, beaux-frères ou frères de sang est dans la maison, 1l s'en va demander l'hospitalité pour la nuit à un ami.

Est également obligatoire le mariage non seulement d'une veuve avec son beau-frère, mais aussi entre un fils aîné et les veuves de son père, sa mére exceptée, car les femmes qui, pendant la vie de leur mari, étaient des fadibé pour les enfants même des autres lits),

chez les Merinä, qui leur ont pris beaucoup

(1) «Condamnée par la coutume à être d’usages : chez eux, en effet, la femme d'un

partagée, le cas échéant, avec les frères et

les frères de sang de son mari, la femme antandroy devient en réalité, au cours des absences de celui-ci, la femme de tous les hommes du village, de sorte que restent seules criminelles les relations qu’elle peut avoir avec des esclaves et les ennemis de son mari» (Lieut. Vacuer, Revue. de Mada- gascar, Févr. 1904, p. 114-115).

@) Héritage de la coutume de la commu- nauté des femmes qui, à l'origine, existait dans les clans (*). Voir p.202 et 218.

(3) Excepté chez les Antimoronä et aussi

frère est fadÿ à son beau-frère, mais, à la mort de son mari, elle lui revient de droit.

(1) IT est ordinaire que, dans la conver- sation courante, une belle-sœur appelle son beau-frère valÿ [mon mari | !?.

5) «Un des rois de l’Anosÿ, Andrian- dRamozä, a pris comme femme, après la mort de son père, sa belle-mère qui était en même temps sa cousine, puisqu'elle était non seulement la femme, mais aussi la nièce de son père» (R. P. n’Acwerna,

1617, Coll. Ouvr. anc. Madag..,t. WE, p. 197).

() JI en est de même dans certaines iles de l'Océanie : aux iles Marquises, par exemple, le mari a des droits sur les sœurs de sa femme, comme les frères du mari en ont sur leur belle-sœur (D°Taura, LAnthropologie , 1895, t VI, 6, p. 641).

() Le lendemain du jour l’un de nous, qu'accompagnait Edmond Samat, est arrivé à Tsimanandrafozanä, au Ménabé, un chef sakalavä vint reprocher à Samat d’avoir manqué aux convenances et à ses devoirs envers ses deux filles : «Pourquoi, lui-dit-1, n'as-tu pas fait appeler hier au soir mes filles qui l’attendaient ? N'es-tu pas leur valÿ [leur mari |, puisque leur sœur aïnée est ta femme ? Est-ce qu’elles ne te plairaient pas et ne plairaient-elles pas non plus au blanc, à ton parent, qui t’accompagne? Elles sont pourtant jeunes et jolies!» Ils s'excusèrent de leur mieux, prétextant la fatigue du voyage et la fièvre, dont ils souffraient en effet. Le même, se rendant de Morondavä à Manjä, avait parmi ses porteurs un Merinä dont le frère élait établi dans ce fort; ce frère l'avait chargé de lui amener sa femme qu'il avait laissée à Morondavä, et, pendant tout le trajet, cette femme se mil au service de son beau-frère, comme c'était son devoir.

ETHNOGRAPHIE. 157

, ML avec lesquelles par conséquent les relations eussent été incestueuses,

LA es à a criminelles, faisaient, après la mort de leur mari, partie de son héri- tage (D,

Enfin, soit dans les «heuveries* auxquelles se sont de tout temps adonnées les peuplades des côtes, soit dans le centre de l'ile en certaines occasions, les Malgaches se livrent à de vraies saturnales hommes et femmes, jeunes garcons et jeunes filles commettent les pires excès. + Aux temps de leurs réjouissances, écrivait en 1668 François Martin), lors- qu'ils boivent leur vin de miel et de sucre, comme ils en prennent sans discrétion, les hommes et les femmes mêlés ensemble, échauffés par la boisson, ne gardent point de mesure.» Ces orgies sont devenues pires et

s U e D A L o A plus fréquentes lorsque au toakà ou rhum indigène s’est ajouté ou plutôt substitué le rhum des îles de la Réunion et de Maurice.

Chez les Betsileo, les funérailles des grands du pays sont l’objet de fêtes licencieuses où, d’un commun accord, maris et femmes et même les veuves du défunt se donnent toute liberté et règne pendant quelques heures l'amour libre. D'autre part, Mayeur!® raconte qu’en Imerinä, «le

—— À Sahadia, au Ménabé, «la coutume la plus abominable, vraiment bestiale , est celle qu'ont les fils d'épouser, ce qui a lieu jour- nellement, les femmes de leur père lors- qu'il les a répudiées ou bien après sa mort, à l'exception de celle qui les a mis au monde, De son côté, le père agit de même avec les veuves de ses fils» (R. P. Luis Ma- rIAno et R. P. »’Azeveno, 1617, Coll. Ouvr. anc. Madar., t. I, p. 227, 234-235, 945 et 252 (note). «Chez les Bezanozand, les enfants peuvent prendre pour femmes les épouses de leur père, à l'exception de leur mère» (Mayeur, Voyage à Ancove en 1785, Manuscrit du British Museum et Copie Bibl. Grandidier, p. 21).

0 C'est par suite de cette loi que les

souverains merinà héritaient des roa amby ny folo vadÿ, des douzes épouses de leur prédécesseur, et que la reine Ranavalonàä [°, qui était la première des femmes de Ra- damä I, est devenue, après la mort de ce prince, lorsqu'elle est montée sur le trône, le «seigneur» de ses onze autres femmes.

2) Mémoire sur l'établissement des Co- lonies françaises aux Indes Orientales, Ar- chives nationales (T* 1169) et Copie de la Biblioth. Grandidier, p. 327.

(3) Rév. J. H. Hucz, Antananarivo Annual, 1900, p. 19.

(1) Voyage à Ancove en 1785, Manuscr. du British Museum et Copie de la Bibl. Gran- didier, p. 39. Mayeur dit que cet usage singulier n’élait pas ancien.

) Les Arabes paiens disposaient aussi des veuves comme il leur plaisait, parce qu’elles faisaient partie des bieus du mort. Aguxrea (Hist. Gén. Al-Sharhestani, apud Poc. Spec., p. 337) dit qu'il leur était habituel d'épouser la femme de leur père (Paurmier, Les Lavres sacrés de l'Orient, p. 518).

158 MADAGASCAR.

premier jour d'août (c'est-à-dire à la fin du Ramadan ou carême mal- gache®), il est permis aux femmes d'accorder leurs faveurs à qui bon leur semble ; on célèbre à cette occasion une fête publique et il y a un grand repas aux frais duquel chacun contribue, apportant suivant ses moyens un bœuf, un mouton, un cabri, mais on n'y boit aucune liqueur enivrante, les Hovä n’en usant pas».

À la naissance d'un enfant dans la famille royale de Tananarive, il était également d'usage de se livrer à des orgies régnait la licence la plus grande : en ces jours qu'on nommait andro tsy matÿ [jours il n'y a pas de morts], parce que, comme nous le verrons aussi au paragraphe de la Circoncision, les excès quels qu'ils fussent n'étaient pas punissables de mort, toute la population se jetait dans la débauche et le dérèglement des mœurs était extrême. Radamä [°° mit fin à cet usage à l’instigation des missionnaires anglais qui le menacèrent de faire connaître à l'Europe, à l'opinion de laquelle ce roi tenait beaucoup, l'horreur et la bassesse de semblables coutumes, si bien que non seulement il a donné des ordres pour que ces viles pratiques fussent abandonnées, mais qu'il a fait mettre à mort certains hauts personnages qui désobéirent à ces ordres ©.

Quoique les Malgaches soient d’un tempérament ardent et que les femmes occupent dans leurs pensées et dans leur vie une place prépon- dérante, les perversions des sens se retrouvent chez quelques-uns d’entre eux. « La sodomie n'est point en usage à Madagascar», dit Flacourt; c’est une erreur, elle y est rare, mais elle n’y est pas inconnue : et en réalité les sekatsä® dont il parle, «hommes efféminés et impuissants qui re- cherchent les garçons et font mine d’en être amoureux, qui leur font des présents pour dormir avec eux, qui contrefont les filles et se vêtent comme elles, se donnant des noms de filles et faisant les honteuses et

M) Ce jour, en 1785, correspondait en nouaient des relations au hasard de leur

effet au 25 Ramadan 1199, par conséquent caprice)]. au pelit Beiram ou fêtes qui mettent fin ®) Euus, History of Madagascar, 1858 , au jeûne du carême arabe. Les Merinä cé- t. [, p. 150.

lébraient cette date en faisant le valabé [litt. : le grand enclos (où, comme les ani- maux dans leurs pares, hommes et femmes

8) On dit aussi kovavÿ (qui s'adonnent aux occupations des femmes) et sarim-baviÿ (qui ont l’aspect d’une femme).

ETHNOGRAPHIE. 159

les modestes» (1), sont des individus atteints, sinon tous, au moins pour la plupart, de perversion sexuelle Qi

« Quelquefois, dit Flacourt, les petits garçons (dans l’Anosÿ) com- mettent certaines dissolutions avec des veaux ou des cabris en présence de leurs parents sans en avoir honte, et les esclaves qui n'ont pas le moyen de se payer des filles s’accouplent avec des vaches, sans punition et sans être repris®).» Le crime de bestialité dont parle Flacourt a été en réa- lité commis et l'était encore cliez les Antimoronä, les Antifasinä et les Antanosÿ, lorsque l’un de nous était dans le Sud-Est en 1870! : on lui a assuré en effet que les Antimoronä et les Antifasinä avaient encore l'usage, lorsqu'ils revenaient d'un long voyage, avant de rentrer dans le domi- cile conjugal, de se purifier en s'accouplant avec une vache, et cet usage s'est perpétué, parait-il, jusqu’à ce jour, puisque M. Julien rapporte que, + parmi les attributs des rois antimoronä, 11 y a un taureau dont la couleur

‘) Fracourr, Hist. Madag., 1661, p. 86. (4) A Tuléar, les hommes du clan des An- 2) Ainsi que l'un de nous l'a constaté tandavakà ont cette même réputation, etc. diverses fois (). (5) A, Granpiter, Notes de voyage manu-

5) Fracourr, Hist. Madap., 1661, p. 86. scrites (P),

# A Javibolä, il a rencontré un vieil ombiasÿ ou devin, le devin du roi du lieu Andriamitsir), que suivaient constamment deux mignons sans que personne s’en étonnât, et il en a vu quelques-uns dans l'Ouest qui, mariés avec d’autres hommes, faisaient dans le ménage l'ouvrage ordinaire des femmes, tissant des lambas, vaquant à la cuisine, entourant leur «mari» de soins empressés. Guillain rapporte que le prince saka- lavä Tafkandrô avait les femmes en horreur (Documents sur Madagascar, 1845, p. 246), et Vincent Noël dit qu'il y a dans le Nord-Ouest des êtres dégradés qui se châtrent eux-mêmes (?), vivent avec les femmes, en portent les vétements, et dont le sexe véritable est problématique : on les appelle sekatsä (). Nous citerons encore le cas récent de Rajoakarivony, roi d’Isandrä (l’une des provinces betsileo), qui est mort en avril 1892 : il lui était fadÿ, de par ses devins et astrolopues (fadÿ, c’est-à-dire interdit, sous peine d’encourir la colère de Dieu et de ses ancêtres et d’être exposé aux pires malheurs), d'employer des femmes pour quelque ouvrage que ce füt le concernant et, quoiqu'il eût plusieurs épouses, Ramavô et d’autres, ce n’est pas d'elles qu'il réclamait les services qu'il eût élé naturel qu'elles lui rendissent et que, dans la crainte de violer son Jfady, son tabou, 11 demandait à des hommes.

Leguével de Lacombe, dont les récits relatifs à la côte orientale sont un peu moins sujets à caution que ceux relatifs à la côte occidentale, rapporte le même fait, mais, pour ne pas en perdre l'habitude, avec des enjolivements de son crû; voici ce qu'il dit : «A Matatana comme à Namour, j'ai remarqué à la suite des troupeaux de bœufs une vache plus belle et mieux soignée que les autres; elle était grasse, son poil était court, propre et luisant; ses cornes élaient ornées de guirlandes de fleurs et de plantes odorantes que le pâtre avait soin de renouveler lous les soirs quand il revenait du pâturage (!). Je demandai à quoi cet animal servait : «Aux plaisirs du maitre!» me fut-il répondu. Chaque chef de famille a la sienne, car quand un Antaymour arrive de voyage, n’eût-il été absent qu'une nuit, il doit se purifier avec cette vache avant de s’approcher de la couche conjugale; aussi les appelle-t-on manambaly aombÿ, les épouseurs de vaches» (Voyage à Mada- gascar, 1840, t. I, p. 228).

® Dans l'article de V. Noël (Recherches sur les Saka- devenus, dans une note du D" Eveleigh, les «bachati», et lava, Bull. Soc. Géogr. de Paris, 1844, p. 386), ce nom non plus des invertis, mais des nains industrieux (les pyg- est écrit bekalsi, mais c’est une faute d'impression. Par mées imaginaires de Gommerson et de Modave!) [Voir

une de ces légèretés trop fréquentes, les bekalsi sont Oliver’s Paper, Anthrop. Review, juillet 1868, p. exxr 1.

160 MADAGASCAR.

se rapproche autant que possible du teint du roi et qu'on laisse vaguer en liberté en compagnie d’une vache : ce taureau est appelé {simalaho- parèm-bolà | htt. : qui n’a pas à craindre d’être enfermé|, et la vache dikam- belonä [litt. : qu'on emjambe (!) vivante (pour s’exorciser) |; on les laisse errer en liberté et ils sont respectés par tout le monde ; lorsqu'ils commet- tent des déprédations, on se contente de les détourner avec douceur, »

Ajoutons que le commerce charnel avec les vaches se pratiquait même en dehors de ces rites purificatoires, puisque, dans l’un des « Sorabé» en caractères arabes que nous possédons et qui est un des livres religieux des Antimoronä, il est dit que «celui qui s'épilera les poils du pubis an jour du destin d’Adabarä (de la constellation du Taureau) s’accouplera avec une vache ».

On cite encore les orgies que Radamä IT, poussé par une aberration et une perversion morale incroyables, a faites dans le Tranovatÿ Maison en pierres, il donnait ses fêtes intimes : 1l y aurait, prétend-on, forcé certaines filles de sa cour à subir des unions bestiales sous ses yeux et sous ceux des menamasë, ses compagnons de plaisir de triste mémoire; mais ces débauches, toutes nouvelles alors pour les Merinä , n’ont heureu- sement pas eu de lendemain. Toutefois le crime de bestialité n’était pas inconnu des Merinä, puisque l'article 5 du Code de Ranavalonä FF (1828) condamne à la perte de la liberté et de leurs biens les mandry amin'ombÿ, ceux qui ont un commerce charnel avec les bœufs.

MARIAGE.

Générazités. Le mariage à Madagascar a pour but principal, on peut même dire pour unique but, de produire des enfants destinés, comme chez les Chinois et chez les Grecs par exemple, à continuer la famille et son culte domestique. Il est d'ordinaire une association com- binée par les parents des futurs ou par les futurs eux-mêmes en vue des intérêts matériels et religieux de leur famille, association l'amour compte pour fort peu de chose et dont les liens sont extrêmement

M) Cf. Institutions politiques et sociales de rer, La femme à Madagar, Revue de Ma- Madagascar, 1908, 1. T, p. 46, et H. Ber- dugascar, 1911, p. 704.

ETHNOGRAPHIE. 161

lâches ; l'homme avait la prépondérance sur la femme, mais celle-ei avait droit, comme épouse, à des égards et à un traitement plein d'humanité et d'équité.

Le mariage résultait du simple échange des volontés requis par la coutume, échange qui n'avait lieu qu'après une période plus ou moins longue d'union libre, de cohabitation, permettant aux futurs de se bien connaître. Îl n'y avait pas de limite d'âge, il suffisait que l’homme eût atteint un certain développement physique et que la femme fût pubère; quelquefois même 1l était plus précoce, pour des raisons que nous expo- serons tout à l'heure. Ïl n°y avait à proprement parler aucun acte de célé- bration, n1 civil, ni religieux, et le passé de la jeune fille ne préoccupait en rien son futur mari; en réalité, les seules conditions requises étaient : d'une part, le consentement donné publiquement par les parents et sou- vent, mais non pas toujours, celui soit des deux futurs, soit quelquefois du futur seulement, et l’offrande du vody ondrÿ [ d'un pipot de mouton avec la queue | ou du vody akohô [du croupion de volaille], c'est-à-dire d'un cadeau aux parents de la future, cadeau obligatoire qui scellait le contrat(l; et, d'autre part, le respect des interdictions touchant les rela- tions déclarées illicites par la coutume entre les parents ou alliés et entre les personnes de rang inépal et de tribus ou de castes différentes ©).

Fraxçarsres. À Madagascar, les fiançailles, /i/o/oam-badiÿ ou fifa- mofoanü, ont un tout autre caractère et de tous autres effets que dans nos pays: 1l y a toujours une période d'essai, d'union libre, plus ou moins longue, pendant laquelle la fiancée cohabite d'ordinaire avec son fiancé, car, disent les Malgaches, Voankazo an’ala, ka ny mamy atelina, ny man- gudy aloa | en est des femmes comme des fruits des bois, qu'il faut goûter et dont on avale les bons, dont on rejette les mauvais] : ce stage matrimonial ne dure pas moins de quelques mois et même d’une ou

®) Le mariage, tout légal qu'il était dès ®) Ce sont les mêmes conditions de ca- lors, n'avait néanmoins loute sa force, tous pacité, soit absolues (liberté, communauté ses effels, que lorsque la femme était,comme de cité), soit relatives (absence d’empê- disent les Malgaches, latsa-pakà [litt. : avait chements tenant à la différence de rang

pris racine dans la famille de son mari ou à la parenté, à l'alliance), qui existaient (avait eu un enfant avec lui) |. autrefois en Grèce, à Rome et ailleurs.

ETHNOGRAPHIE. 21

IMPRIMERIE NATIONALE,

162 MADAGASCAR.

deux années et plus"). Du reste, lorsque, après un certain temps de cohabitation, les fiancés, vady voafofd, fofom-badÿ, reconnaissent qu'il y a entre eux incompabbilité d'humeur et de caractère, ils se séparent sans arrière-pensée ni rancune, maly fahanü [litt. : l'arme a raté] comme ils disent, et ils convolent en de nouvelles fiançailles : on a vu des jeunes filles passer successivement par sept maisons pseudo-conjugales®); ces essais répétés n'entravent nullement leur mariage définitif, car les Malgaches ne se préoccupent jamais des relations que leurs femmes ont pu avoir dans le passé. Il y a cependant quelques peuplades, comme les Antanosÿ et les Merinä par exemple, chez lesquelles le fiancé qui renvoie sa fiancée est tenu de lui payer une espèce d'indemnité® et, de même, la famille de la fiancée qui manque à sa promesse de mariage est pas- sible d’une amende de 50 piastres, car, dit la loi merinä, «une femme ne peut pas avoir deux maris ">.

Chez les Antimoronä, qui exigent cependant de leurs femmes une

0) L'un de nous a connu à Tananarive rinä, (sy mety ny manao filan-dra-tsi-mahita une princesse à qui, dans sa sollicitude pour [litt. : on ne doit pas commettre le filan- son bonheur à venir, la reine Rasoherinä dra-tsi-mahita (on ne doit pas chercher n'accorda pas tout de suite l'autorisation éternellement une femme qu'on ne trouve qu'elle lui demandait pour se marier avec pas, il n’est pas bien de promettre à des un jeune Andrianä à qui elle s'était fiancée; jeunes filles le mariage, de vivre quelque lorsque enfin cette sage reine consentit à temps avec elles, puis de recommencer le leur mariage, ils avaient deux enfants (*). même manège avec d'autres, n'ayant en

2 Rev. J. H. Hue, Malagasy village life, réalité d'autre but que de s'amuser et non

Antananarivo Annual, 1893, p. 2. de fonder une famille) | (?. 8) D'après le droit coutumier des Me- (4) Noir, p. 165, la fin de la note 1.

( Cet essai plus ou moins loyal, «le chausse-pied du mariage» comme dit Rabelais, qu'on appelle à Mada- gascar mitari-bady tsy lasam-body ondrÿ [litt. : courtiser une femme avant la remise aux parents du vody ondrÿ, avant par conséquent la conclusion du mariage] et qui a surtout pour but de s'assurer de la fécondité de la femme, n’est pas particulier à Madagascar. Même en Europe, en Écosse, longtemps encore après la conversion de ses habitants au christianisme, l'usage n’était-il pas que le fils d’un chef vécût un an et un jour avec sa fiancée : si, pendant ce temps, la jeune fille devenait mère ou enceinte, le mariage élait par ce fait définitif, lors même que le prêtre ne l’eût pas béni; sinon le contrat était rompu, et les fiancés, les chandfasted» [qui avaient les mains liées], étaient libres de se thandfast» à nouveau, de contracter de nouvelles fiancailles en vue d'un autre mariage (Skewe, The Highlanders, 1837, p. 166).

@) «Cette loi vise les jeunes gens volages qui font à des jeunes filles des promesses de mariage, vivent avec elles, puis ne tardent pas à les abandonner pour s'engager avec d’autres, et qui, dans ces unions successives , montrent une inconstance et une indécision d'où il appert qu'ils sont de mauvaise foi et ont l'unique désir de se divertir. Si une équivoque de ce genre est entretenue au delà des limites raisonnables, les parents de la jeune fille trompée dans ses espérances sont fondés à introduire une instance aux fins de contraindre l'homme à tenir ses engagements ou à payer des dommages et intérêts» (Juziex, Instit. polit. et soc. de Mada- gascar, L. IT, p. 216).

ETHNOGRAPHIE. 163

chasteté absolue, la femme peut, si elle le Juge bon, quitter son mari à la fin de la première semaine du mariage, qui est alors nul et non avenu ou qui, à proprement parler, n'est réel et définitif qu'après cette semaine, qu'on peut plutôt considérer comme une période de fiançailles ".

[ny a pas, comme nous l'avons dit, de limite d'âge. Dans beaucoup de peuplades malgaches, les fiançailles avaient lieu dès la naissance ou dans le tout jeune âge); les enfants grandissaient côte à côte, se donnaient même, dès qu'ils pouvaient parler, les noms de mari et de femme et, lorsqu'ils étaient arrivés à l’âge de la puberté, étaient tenus d'accepter l'union voulue par leurs parents : c’est ce qui avait lieu notamment dans le centre de l'ile et sur la côte Sud-Est"; au contraire, chez les Betsi-

4 Snaw, The Arab element in South cailles ont lieu dans l'enfance, à l'âge de 3 East Madagascar, Antanan. Annual, 1894, ou À ans. p. 207 et 208. (5) Chez les Merinä(*), les Belsileo, les 2 Cette coutume subsiste encore de nos Barä?}, les Antandroy Renivoay (°), les Beza- jours chez cerlaines peuplades de l'Océanie, nozand ( et les Tsimihetÿ (°). aux Fidji, en Australie, ete., les fian- (1) Chez les Antivongô et les Antanosÿ.

® Ces fiançailles, que décidaient autrefois les parents suivant leur bon plaisir et qui unissaient fréquem- ment des vieillards et de toutes jeunes filles sans tenir compte de l’âge, du caractère, du physique du fiancé, ne se concluaient plus dans les derniers temps de la monarchie merinä; ou du moins, si les jeunes gens dési- raient reprendre leur liberté, leurs parents échangeaient le {s0-dranû, sorte de bénédiction résolutoire, souhaits d'adieu. La loi 51 du Code de 1881, édicté par Ranavalonä IT, dit en effet : «Les fiançailles pro- noncées sans le consentement formel des deux fiancés sont nulles».

®) Lorsque des Barä fiancent deux enfants, ils tuent un bœuf, et chacun de ces enfants, trempant l'index de sa main droite dans le sang de la victime, trace une croix rouge soit sur le front, soit, comme chez les Bara-bé, sur la poitrine de son partenaire.

® Chez les Antandroy Renivoay, les filles sont fiancées de bonne heure. Les parents du futur donnent un bœuf qui est mangé en famille; on méle le sang à un peu de cendres, on y trempe le doigt et tous se mar- quent réciproquement le front : c’est ce qu'ils appellent le tandraky. Jusqu'à l'époque du mariage, les parents de la fiancée surveillent le fiancé et s'inquiètent de sa conduite; de son côté, le fiancé a mille atten- tions pour ses beaux-parents, les aidant dans leur travail et leur faisant de petits cadeaux. Si, plus tard, le père de la jeune fille ne veut plus consentir au mariage effectif, il doit rendre à l'homme un bœuf en rempla- cement de ce qu'il a recu; si c’est la fille qui refuse, le dédit est de trois bœufs, et si c’est l’homme, il est de cinq bœufs (Journ. offic. Madagascar, 25 sept. 1901, p. 6393).

«Il y a des indigènes qui, voyageant dans l'Ankay, obtiennent de ses père et mère un enfant à la ma- melle comme épouse; cette sorte de mariage a pour but de contracter des alliances utiles aux commercants : le futur époux donne des arrhes aux parents et, lorsque la fille est en âge de puberté, elle ne peut se livrer (se marier) à un autre, quand bien même elle ne connaïtrait pas son mari et n'aurait l'espoir de le jamais voir; sa famille s’exposerait à des poursuites ruineuses, si elle permettait à l'épouse de prendre un autre enga- gement. Il y a des voyageurs riches qui retiennent ainsi plusieurs filles en donnant à leurs parents des arrhes et qui les cèdent ensuite à d’autres sans que ces parents puissent refuser leur consentement» (Duwaixe, Voyage au pays d’Ancaye en 1790, Ann. Voy. Malte-Brun, t. XI, 1810, p. 186-187).

(2 Trazsoux, Rev. de Madag., mars 1903, p. 23°. Il est dit, dans le Journal officiel de Madagascar du 17 mars 1899, p. 377, comme nous le verrons plus loin, p. 175, que «la jeune fille, après avoir résisté aux tentatives de séduction de son galant, prend la fuite et que, si elle se laisse atteindre après une course plus ou moins longue, elle accepte par même tout ce qui va arriver : c’est le «oui» sacramentel, et les fian- çailles sont conclues incontinent, sans témoins; après une cohabitation de huit à quinze jours, on procède au mariage». Ce mariage par capture simulée est également de règle à Sumatra.

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misarakä, chez les Antanalä, comme chez les Sakalavä et les Sihanakä, les intéressés choisissaient eux-mêmes leur partenaire et vivaient en amants avant d'en aviser leur famille : cesunions libres n’entrainaient pas forcément pour les fiancés l'obligation ultérieure de se marier, mais il était assez rare que les promesses échangées ne fussent pas tenues de part et d'autre.

Il paraît que chez certaines peuplades de l'Est et du Sud-Est, notamment chez les Betsimisarakä du Sud, les jeunes filles «qui n’ont pas de mari» font des vœux pour que le fiancé de leurs rêves ne tarde pas à venir; elles coupent un petit morceau de leur lamba et vont l’attacher en ex-voto aux branches d’un arbre, au bord d’une route fréquentée, et elles enter- rent au pied une pièce de monnaie après avoir adressé une supplique ardente à Dieu et à leurs ancêtres; le mari, croient-elles, sera d'autant plus riche que l'offrande a une plus grande valeur.

Ar. —— L'âge auquel la plupart des Malgaches contractaient ma- rage était environ 1/4 ans pour les jeunes gens!) et 19 ou quelquefois 10 ans pour les Jeunes filles”.

Cest chez les Merinä surtout qu'on se fiançait et qu'on se mariait très jeune, afin d'être de bonne heure tokantrano zazü [htt. : enfants ayant leur ménage à part |, car 11 y avait le plus grand intérêt à ce qu'ils eussent

9) Ils attendent de pouvoir suflire aux ®) Betsimisarakä, Merinä, Betsileo, Anta- dépenses du ménage par leur travail. nalä, Antifasinä, Antivongô, Sakalavä (), etc. En 1595, Cornélis de Houtman dit qu'à Les Bezanozanÿ et les Tsimihetÿ ne se ma- Saint-Augustin +les garçons se marient à rient guère, les garçons qu'à 18 ans, et onze douze ans et les filles à dix» (Pre- les filles qu’à 1 4. Du reste, à la fin du siècle mier atterrissage des Hollandais à Mada- dernier, l'âge ordinaire pour le mariage a gascar, Coll. Ouvr. anc. Madag., 1. 1, p. 197). reculé de trois à quatre ans.

® «Les Malgaches se marient fort jeunes, les garcons à 12 ans, les filles à 10, de sorte qu'à peine savent- ils ce qu'est le pucelage» (Th. Hensenr, Voy. en Perse et aux Indes, 1626, Coll. Ouvr. anc. Madagascar, t. IT, p. 386). Un soir, pendant que l'un de nous était à Morondavä, les esclaves du lieu firent une grande fête pour célébrer l'union plus ou moins légitime d’une jeune esclave àgée de 13 ans, nommée Zinarä, avec l'un de ses serviteurs; cette jeune fille avait déjà eu, depuis trois ans, deux maris, dont l’un était mort et dont l’autre l'avait quittée, et ce n’est qu'au moment de convoler en troisièmes noces qu’elle venait enfin d’être réglée; la fête fut animée et bruyante : vociférations prolongées et stridentes, tamtam infatigable, libations p: m y ñ D x , à fréquentes de 1oakà [ de rhum |. «Chez les Mahafaly, dès qu'il est en âge de se suffire, l'enfant construit sa I PTE un : }: qe è : case et bientôt se marie : il n’est pas rare de voir des époux âgés de 12 ou 13 ans, le gamin portant fièrement : À : : une sagaye plus haute que lui et la femme (!) ayant cet air grave qu'ont les enfants malheureux ; l’inslallation du ménage est peu compliquée : c'est une hutte triangulaire n'ayant guère plus de 1 m. 20 de haut. Plus tard, il construira une case, guère confortable non plus, dont le faite aura de 1 m. 50 à 2 mètres et les murs

1 mètre de haut» (Lieut. Büunen).

ETHNOGRAPHIE. 165

le plus tôt possible leur ménage parüculier afin d'être soustraits à la tutelle paternelle, et par conséquent aux condamnations que le pere pouvait encourir et dont ils devaient subir les dures conséquences s'ils n'étaient pas émancipés par le mariage(), Les mariages précoces avaient aussi souvent pour but de ne pas morceler l'héritage des ancêtres afin de conserver dans la famille les propriétés, terres et autres biens, et aussi d'augmenter le nombre de ses membres et par conséquent sa puissance, au lieu d’accroitre un clan étranger à son détriment.

° Essar précimiNaire. Comme nous l'avons dit en parlant des Unions libres et des Fiançailles, la jeune fille malgache, à de très rares exceptions près, n'apporte jamais en dot à son mari sa virginité; elle n'apporte pas souvent non plus d'amour, quoique cependant une affection vraie ne soit pas toujours absente des ménages maloaches®.

CONSENTEMENT DES PARENTS ET DES FUTURS. À Madagascar, le ma- riage étant avant tout, comme chez tant de peuples autrefois, une asso- cation utile au clan, faite en vue de la famille et non pas pour le bien

de l'individu, le consentement des pères et des mères

1 I n’était même pas nécessaire que le mariage eût lieu réellement; des enfants fiancés et dotés étaient déjà, de par la loi, tenus pour émancipés et regardés comme formant une famille à part, et la proscrip- tion tombant sur leurs parents ne les attei- gnait plus. Quand les parents de deux jeunes gens les ont fiancés | /a ataony teny nilokany izy roroa], si les parents de la fille l’accordent ensuite à un autre homme, ils doivent donner au premier fiancé, au tompom-badij celui qui était le maître de la femme], 50 piastres d'indemnité, car «ils n'ont qu'une fille et ne peuvent avoir par conséquent deux gendres» [f& manao zanako iray ary vinantoko roa |.

2 C'est plutôt dans les peuplades pas- torales, n'existe pas la préoccupation du

8), ou tout au moins

patrimoine foncier et où, par suite, l'endo- gamie n'est pas aussi tyrannique, que l’on rencontre des couples heureux etaffectionnés. Le Rév. A. Walen dit qu'il a vu maintes fois chez les Sakalavä, «lorsque la mort est en- trée dans une maison, le survivant avoir un profond chagrin et même quelquefois res- ter auprès de la tombe pendant plusieurs mois, ne cessant de pleurer le défunt : dans ces cas, les parents lui construisent une hutte de feuillages et lui apportent des vi- vres; on raconte même que quelques-uns se sont suicidés» (Antananarivo Annual, 1884, p. 54).

(5) Betsimisarakä, Ranomenä, Antimo- ronä, Antifasinä, Antanosÿ, Antandroy, Ma- hafalÿ, Sakalavä, Bezanozand, Sihanakä et Merinà (*).

") Les souverains merinä se sont arrogé le droit d'autoriser les enfants à se marier contre la volonté de leurs parents. Andrianampoinimerinä, tout en blämant ces sortes de mariages, les a cependant tolérés : «Les

166 MADAGASCAR.

des pères des futurs et, à leur défaut, de leurs ascendants, était indis- pensable : ce consentement, surtout chez les Merinä, ne s’accordait pas tout de suite, car les Malgaches ne sont pas prompts à prendre une déci- sion , ils aiment à tout supputer, à tout calculer.

Quant aux intéressés, il y avait des peuplades®? on les consultait, ou plutôt ils avaient toute liberté de s'entendre entre eux à leur aise, s'enquérant du consentement de leurs parents lorsqu'ils étaient d'accord; il y en avait lon ne s'inquiétait pas de la volonté de la future); d’autres enfin 1l n’était besoin du consentement ni de l'un, ni de l'autre, les parents, dans ce cas, décidant de l'union de leurs enfants d'après des considérations tirées du seul intérêt patrimonial [vady anterÿ (mariage forcé) |.

0 Anlankaranä, Antambahoakä, Tsimi- le mariage se conclut également dans le bas hetÿ, Sihanakä, Antanalä, Betsileo et Barä. âge, sans le consentement de la fille.

(®) Betsimisarakä, Antimoronä(®), Anta- (4) Merinä (autrefois), Betsileo, Anti- nosŸ, Mahafalÿ, Sakalavä, Antankaranä , Tsi- vongô et Roandrianä (ou nobles antanosÿ ) (1. mihetÿ, Sihanakä, Merinä (aujourd'hui) 6) En Imerinä, on désigne sous le nom et Baräl°. de vady amboarinä | litt. : époux qu’on pré-

(5) Antifasinä. Chez les Mélanésiens, pare] les enfants de frères ou de proches

unions contractées avec le consentement des père et mère | fanambadiana miera amain’ny ray aman-dreny] sont à encourager, parce que les enfants qui se marient contre le gré de leurs parents [ fanambadiana manao ditra] s’'affranchissent de l'autorité que j'ai déléguée à ceux-ci. Toutefois, si des jeunes gens ont convenu de s'unir par le mariage contre la volonté de leurs parents, leur union, quoiqu'elle n’ait pas été précédée de la forma- lité du vody ondrÿ, aura tous les effets du mariage légal, car il faut tenir compte à la femme que son amour pour son mari lui aura le plus souvent valu d’être déshéritée par les siens. En pareil cas, lorsque par la suite les époux viendront à se séparer, chacun d'eux gardera la moitié de la communauté, à moins toutefois que la femme ne se soit conduite en ahkohovavÿ manend [litt. : en poule qui chante comme le coq (c’est-à-dire se soit mal conduite)], et que ce ne soient les parents du mari qui se soient opposés au mariage» (Kabarÿ prononcé à la fin du xvin° siècle par Andrianampoinimerinä sur la place d’Andohalô).

( Chez les Antimoronä, le jeune homme choisit lui-même sa fiancée et tâche de gagner son consentement, lui faisant sa cour en secret de peur que ses amis ne se moquassent de lui s’il ne réussissait pas; les jeunes filles antimoronä aiment en effet à coqueter et ne donnent jamais leur consentement de suite. Lorsqu'il est enfin obtenu, le fiancé vient alors la nuit prendre sa fiancée et la mène chez lui, elle reste une semaine; ce n'est qu'après ce stage qu'ils mettent leurs parents au courant de leurs intentions et leur demandent officiel- lement leur consentement en leur portant une demi-mesure de riz, deux bouteilles de toakä [de rhum indi- gène] et une volaille.

@) Les parents, comme nous l'avons dit, conservent encore l’ancien usage de fiancer leurs enfants en bas âge; mais, depuis la fin du siècle dernier, le mariage n’est valable que si les fiancés donnent leur consen- tement lorsqu'ils ont l’âge de raison.

( Chez les Malais comme chez les Indonésiens et les Polynésiens, le mariage se fait du libre consentement des intéressés.

® «Chez les grands d’Anosÿ, bien souvent l'accord et la promesse de mariage se font parles parents dès la naissance du garcon et de la fille» (Abbé Nacquarr, 1650, Mém. Congrég. de la Mission, t. IX, p. 70). «Chez les Antanosÿ, le consentement de la jeune fille n’est pas nécessaire , et il n’est pas rare que des parents acceptent le vody ombÿ à l'insu de leur fille, qui se trouve de ce fait mariée sans le savoir et contre son gré» (Berrour, Revue de Madagascar, janv. 1907, p. 20).

ETHNOGRAPHIE. 167

Chez quelques-unes toutefois", les parents qui avaient refusé leur consentement étaient tenus de lever leur veto si, la jeune fille [ny vady seneÿ (la concubine)| étant devenue enceinte, le jeune couple leur en- voyait un bœuf ou quelque autre présent, pourvu toutefois qu'il n'y eût pas entre les futurs quelques-uns de ces empêchements dirimants dont nous allons parler, car, disaient-ils, « Dieu les a mariés ».

Empfcnemenrs au martage. Nous avons énuméré plus haut, au paragraphe des « Unions libres », celles entre parents ou alliés qui, d’après le droit coutunuer malgache, sont fadÿ, illicites; les mêmes parentés et alliances sont des empêchements au mariage, nous n’y reviendrons done pas ®. Nous insisterons toutefois sur le fait déjà signalé que, si le mariage entre enfants et descendants de deux sœurs, c’est-à-dire entre cousins utérins et collatéraux du côté maternel, était fadbé | formel- lement interdit (incestueux au plus haut degré)], mandozä [un crime contre nature |, celui entre enfants et descendants de deux frères, c’est- à-dire entre cousins consanguins et collatéraux du côté paternel, était considéré comme désirable, surtout chez les Merinä, et se pratiquait fréquemment après une sorte d’exorcisme pour manala ondranü, pour écarter les obstacles opposés par la consanguinité ou, comme on dit dans le Sud, pour manafaka tononÿ, pour éloigner les malheurs que pourrait amener une semblable union).

Il y a encore, comme nous l'avons dit, d’autres empêchements, non plus d'ordre religieux" ou social, mais d'ordre politique, tenant à la différence

parents que ceux-ci ont décidé de marier (5) Il ne semble pas que ces unions entre

ensemble afin que les biens ne sortent pas de la famille : ces mariages s'appellent lova 1sy mifindrä [litt. place pas |). É

(1) Betsimisarakä, Ranomenä, Vorimô, Antisakä et Antifasinä.

® Voir plus haut, p. 147-150.

: l'héritage ne se dé--

proches parents consanguins aient donné naissance à des enfants ayant les tares qu’on leur attribue d'ordinaire.

(1) «A T'île de Sainte-Marie, dit Flacourt, les femmes ne contractaient pas d'alliance avec les Chrétiens» (Hist. de Madag., 1661, p- 457). Les mœurs sont bien changées !

(®) D'après les lois de Solon, qui a réglementé l'institution de l’épiclérat (des filles uniques), institution installée de temps immémorial dans la vie privée des Grecs, quand un homme mourait sans enfants mâles, sa fille devait épouser le premier-né parmi les plus proches agnats du père (ou collatéraux descendants par mäles d’une même souche masculine), afin que le patrimoine ne sortit pas de la famille, mais les époux n’en avaient que la jouissance provisoire et il appartenait d'avance au fils qui naîtrait de ce mariage.

168 MADAGASCAR.

de clans et de classes ainsi qu'a la condition d'homme libre ou d’esclave : l'endogamie, le mariage entre personnes non seulement du même clan, mais de la même classe, et par conséquent pour ainsi dire de la même famille, était de règle® : les unions en dehors de la classe ou du clan étaient considérées comme criminelles, comme une sorte d’adultère social. Les clans voisins, en hostilités constantes les uns avec les autres, ainsi que vainqueurs et vaincus qui, bien que vivant côte à côte, n’en restaient pas moins ennemis, ne pouvaient en effet se mélanger sans porter atteinte à leur unité, qui était la seule sauvegarde de leurs membres, et par conséquent à leur existence même : se marier avec quelqu'un d'un autre clan, d'une autre classe, était un crime de lèse- famille que les parents ne pardonnaïent pas; le coupable était rejeté de son clan, excommunié, mort pour les siens, et ses enfants n'étaient pas acceptés dans le sein de la communauté.

Dans les clans arabisés, chez les ZafindRaminia jadis”, et aujourd’hui

(D «J'entends, a dit Andrianampoini- merinä à la fin du xvin° siècle, que dans mon royaume, sous les peines les plus sé- vères, mes sujets ne contractent mariage qu'avec des personnes de leur classe, les hommes nobles avec des femmes nobles, les hommes hovä [libres] avec des femmes hovä, les tandonakä | esclaves royaux | avec des tandonakä et les esclaves avec des es- claves. Ceux qui contreviendront à mon ordre (qui perpétuait d’antiques coutumes) perdront leur classe et descendront à celle de leur conjoint (*).»

®) Le Rév. Haile a connu, en 189», une vieille femme hovä qui, à l'article de la mort, a instamment recommandé à son mari presque sexagénaire d'épouser sa pe- tile-fille par alliance, alors âgée de 15 ans, afin que les biens de la famille restassent dans les mêmes mains.

(5) Les Vazimbä de l'Ouest, que le roi sakalavä Lahifotsÿ a soumis à son autorité au milieu du xvn° siècle, ont longtemps refusé de se marier avec des Sakalavä : un d’entre eux, ayant épousé la fille d'un Maro- serananä ou prince sakalavä, a été honni et renié par les siens (A. Granninier, Les Vazimba, Mém. Société philomath., 1888, p- 157-158). Il en a été de même entre les Sihanakä et les Merinä jusqu'au règne de Radamä IL.

Aujourd'hui, les ZafindRaminia, dont le contact prolongé avec les Français a mo- difié dans une certaine mesure les idées et les mœurs, n'ont plus les mêmes interdic- tions, et l'enfant, illégitime bien entendu, qu'a une Roandrianä ou noble avec un Lohavohitsä ou avec tout autre libre, est reconnu comme Roandrianä; en quelques cas même, ils se marient.

® De même en Océanie, comme dans beaucoup de pays primitifs, en Nouvelle-Zélande, à Taïti, etc. les dif. férentes classes ne contractaient pas d’unions les unes avec les autres. On sait du reste que le mariage romain ne pouvait exister qu'entre citoyens romains, et que patriciens et plébéiens, ingénus et affranchis, ne pou- valent se marier entre eux, etc.

ETHNOGRAPHIE. 169

encore chez les nobles Antimoronä, l'interdiction des mariages exoga- miques est plus formelle que chez les autres Malgaches!, la femme qui épousait un homme d'une autre classe était traduite devant l'Assemblée des notables de son clan et, après une invocation à Dieu et aux ancêtres et le sacrifice d'un bœuf, on la sommait de répudier son mari; tout rentrait dans l’ordre, si elle obéissait, mais si, malgré les objurgations et les menaces, elle refusait, elle était maudite et chassée de la commu- nauté; personne des siens ne lui permettait plus de prendre de la braise à son foyer pour allumer son feu, et personne ne lui en venait demander; à la naissance de ses enfants, personne ne lui adressait de félicitations ; en cas de malheur ou de maladie, personne ne prenait pitié d'elle et, ce qui était le pire de tout, aucun de ses parents ne venait l'ensevelir ni la pleurer®. Même des relations passagères n'étaient pas tolérées, et une femme noble antimoronä surprise en conversation amoureuse avec un homme étranger à son clan et à sa classe était mise au ban de sa famille, et après sa mort on ne l’enterrait pas aux côtés de ses parents, mais à leurs pieds, en travers.

Les Européens, bien qu'ils fussent toujours autrefois considérés comme gens de haute naissance, ne trouvaient pas toujours grâce devant les rois antimoronä : en 1709, l'un de ces derniers ayant eu connaissance qu'une de ses sœurs avait commerce avec le pirate North, dont le na- vire était en rade de Matitananä, en fut fort fâché et imposa au pirate une amende de 200 sequins, soit de deux mille francs environ; North le calma en lui en donnant cent).

() Certains de ces clans arabisés, les ZafindRaminia, les Zafy Rambô et les Zafy Tsimaitô, se mariaient cependant entre eux; il est vrai qu'ils se reconnaissent des ancé- tres communs et qu'ils mangent la viande d'animaux tués par un membre quelconque d’une de leurs familles.

2) Au sujet des mariages chez les Anti- moronä, voir SHaw, The Arab element in South East Madagascar, Antanan. Annual, 1894, p. 208-209 : «Il n°y a pas, dit-il, à

BTINOGRAPUIE.

Madagascar d'autre peuplade les mésal- liances soient si sévèrement prohibées, l'on s'efforce de maintenir aussi intactes les divisions de tribus et de castes et de les préserver de tout mélange et de toute +con- taminalion»; très peu de femmes antimo- ronä violent la loi».

(5) Capt. Jonxson, History of Pyrates, 1724, t IT, p. 4o7, et Coll. des Ouvrages anciens concernant Madagascar, publiée par

À. ct G. Grandidier, t. III, p. 586.

22

IMPNIMENIE NATIONALE,

170 MADAGASCAR.

En Imerinä, un andrianü | ou noble |", sauf les princes qui pouvaient épouser à leur gré une femme quelconque, ne pouvait pas épouser une hovä [une femme libre], ni un hovä une zaza-hovü [une femme libre réduite en esclavage®], ni un zaza-hovä une andevô [une esclave soit de naissance, soit originaire d’une autre province que l'Imermäl”]; les différentes classes de la noblesse ne contractaient pas non plus d’unions entre elles®, et il en était de même des nombreuses familles hovä de lmerimä, tant menabé ou vassaux du souverain, que menakelÿ ou vas-

Q) Autrefois une femme andrianä qui épousait un homme d’une classe inférieure à la sienne était passible de la peine de mort (*).

2) En effet, les Zanak'Andrianä, princes du sang, et les ZazamarolahŸ, proches pa- rents des souverains, étaient libres de choi- sir qui bon leur semblait pour mari ou pour femme sans se mésallier(b).

5) Du moins, tant qu'elle n’avait pas re- conquis sa liberté.

5) Les Codes de Ranavalonä 1" (de 1898, articles 32 et 33) et de Rasoherinä (de 1863, art. 30 et 31) défendent aux Zanak” Andriamasinavalonä d'élever à leur classe par adoption des nobles Zanadralambà (°) (qui sont la et dernière classe de la no- blesse) et ordonnent que, si des Zanadra- lambô changent de province dans le dessein de fusionner soit avec des Zanakambonÿ (5° el.), soit avec des Zafinandriandranandô (6° cl), ils soient vendus comme esclaves

(4) À moins toutefois de l'affranchir. et que leurs biens soient confisqués (”,

() Toutefois «la loi n'interdisait pas les relations qui n'étaient que passagères, au moins entre les andrianä hommes et les femmes hovä» (Maxeur, Voyage dans l’Ancove, Manuscr. du British Museum et Copie Bibl. Gran- didier, p. 59). On appelle manao valabé | voir note 1, p. 158] «avoir des relations coupables». Dans un kabarÿ tenu vers la fin du xvin° siècle, Andrianampoinimerinä a fait la proclamation suivante : «Les gens de la même classe peuvent seuls se marier entre eux. Les Andriamasinavalonä et ceux de mes parents qui contrac- teront mariage avec une personne de la classe hovä deviendront eux-mêmes hovä pour s'être mésalliés et avoir poussé les Merinä au commerce illicite des classes entre elles. Si, d’autre part, des hovä [ou sujets libres | s’allient à des tandonakä, à mes esclaves, ils deviendront ma propriété et, s'ils entretiennent des rela- tions avec des esclaves de particuliers, les fokon’olonà [les chefs de clans] les vendront et auront la libre disposition de la moilié du prix, l’autre moitié devant m'être versée en même temps que me seront fournies les explications. J'entends que dans mon pays, sous les peines les plus sévères, mes sujets ne contractent mariage qu'entre individus de la même classe : les princes avec les femmes de la noblesse, les hovä avec les femmes hovä, les tandonakä avec les tandonakä et les esclaves avec les esclaves. »

® Mais, tandis qu'une femme noble, füt-elle même de la dernière classe de la noblesse, une simple Zanadralambô, épousée par un prince, héritait, après la mort de son mari, elle ct ses enfants, de ses titres et de ses pouvoirs, la femme hovä, devenue veuve, reprenait ainsi que ses enfants la condition de hovä et ne pouvait hériter que des biens n’ayant pas le caractère féodal.

( Au sujet de la division des Merinä en classes, voir, dans le tome précédent, p. 240-244, 245-248, 261-268 et 624-625, 77-80.

( Encore en 1881, le Code merinä (art. 59-62) édictait : que les membres des trois classes de nobles dits «Andrianteloray» ne pouvaient se marier qu'avec des personnes de la même classe, mais cependant que, si des mariages légitimes avaient été contractés avant la promulgation de la présente loi, la femme pourrait, devenue veuve, retourner à sa classe d'origine; que si des femmes Andrianteloray épousaient des «Tsihibe- lambanä», c’est-à-dire des Hovä [ou libres | de quelque classe qu'ils fussent, elles deviendraient des Tsihibelam- banä, et que si un Andrianteloray s’alliait à une Tsihibelambanä, sa veuve et ses enfants resteraient hovä ; que les Zanadralamb6, ou la dernière classe de la noblesse, ne pouvaient contracter mariage n1 avec des Andrianteloray, ni avec des Tsihibelambanä.

ETHNOGRAPHIE. 171

saux des seigneurs feudataires, non seulement lorsqu'elles n'étaient pas de même rang, mais aussi lorsqu'elles étaient de clans, de cantons dif- férents : encore aujourd'hui, les Tsimiamboholahÿ ne donneraient pas leurs filles aux gens du SisaonŸÿ, ni les Tsimahafotsÿ à des gens du Veni- zongô, ni les Voromaherÿ aux Marovatanä, etc."). Le concubinage des sujets libres avec des esclaves, ny mandry amin'ny andevo, était formelle- ment interdit®); les coupables étaient réduits en esclavage et leurs biens confisqués (?.

Les Betsileo, qui se subdivisent en un nombre considérable de clans, ne se marient guére non plus, on pourrait même dire jamais, en dehors de leur clan.

Toutefois les hommes avaient fréquemment, sans que cela tirât à con- séquence, puisque l'enfant à Madagascar suit la condition de sa mére, des relations passagères avec des femmes d’une classe inférieure à la leur ou avec des femmes originaires d’une autre province, mandroronü [| s’abaissant | comme ils disent”; les femmes elles-mêmes ne se faisaient pas faute de prendre pour amants des hommes d’une condition moindre que la leur : mais, surtout en ce qui concernait les femmes, ces amours étaient fort mal vues, et chez certaines peuplades, comme nous l'avons dit pour les Antimoronä, elles étaient sévèrement punies lorsqu'elles deve- naient publiques.

Lorsque lun de nous était à Madagascar en 1865, une femme merinä était encore châtiée lorsqu'elle cohabitait avee un homme d'une autre peuplade.

Cette endogamie qui, jusqu'à ces derniers temps, était si religieu- sement observée par tout Madagascar et que protégeaient de si sévères sanctions, n'est plus respectée aujourd'hui, surtout en Imerinä l’avène-

Q) Voir pour la division en clans des «Hovä», dans le tome précédent, p. 249- 261 et p. 625, 78.

2) Article 5 des Codes de Ranavalonà [r° (1828), de Radamä IT (1862) et de Raso-

entretenait des relations avec un esclave» (Mayeur, Voy. à Ancove en 1777, Ms. du Bri- tish Museum et Copie Bibl. Grandidier, p. 59).

(4) Lorsque les relations se prolongeaient , lorsqu'il y avait cohabitation, la famille s’en

herinä (1863). 8) «tait réputé infâme tout libre qui

offensait et intervenait comme nous l'avons indiqué plus haut, p. 142, note 3.

292.

172 MADAGASCAR.

ment au poste de Premier Ministre ou plutôt de dictateur, après la mort de Radamä If, d'un +hovä», Rainilaïarivonÿ, a précipité la décadence des «andrianä» ou classes nobles, déjà commencée sous le règne de Ranava- lonä [°° pour des raisons politiques .

Dewanpe EN Mar14GE ©. Lorsque, après le stage ou noviciat dont nous avons parlé, le mariage est décidé, d'ordinaire le père et la mére du futur, en compagnie de parents et d'amis et d’un chef de l’endroit, se rendent en habits de fête, c'est-à-dire vêtus de leurs plus beaux lambas, chez les parents de la jeune fille pour faire la demande : cette démarche a lieu généralement le jour que le mpisikidÿ ou le mpanandrÿ, le devin ou l’astrologue, ont déclaré faste, propice. Chez les Merinä, ce sont trois, cinq, sept personnes ou plus, mais toujours en nombre impair, qui sont déléguées par la famille du futur pour remplir cette mission; les Bezanozand n'envoient qu'un seul émissaire, mais connu comme beau parleur : c’est le fiantranoanü | la visite |, ou, comme disent les Sakalavä, manoka viavÿ [la demande en mariage |.

Chez les Merinä, le père ou le plus proche parent, qu'on a fait asseoir à la place d'honneur et qui est le mpikabarÿ, le porte-paroles, après l'exorde invariable de tous les discours malgaches, c’est-à-dire après s'être exeusé de prendre la parole le premier devant une aussi noble assemblée et en présence de personnes plus âgées que lui”, présente sa requête, à

Pendant que l'un de nous se trouvait à Tananarive, une Zanak’Andrianà, c’est-à- dire une princesse de sang royal, la fille du propre frère de la reine Ranavalonä IT, la princesse Ravoantay, qui était, quoique mariée, la maitresse d’un fils du Premier Ministre RainilaiarivonŸ, demanda à sa tante la reine la permission de divorcer afin d'épouser son amant; cette étrange més- alliance, qui eût été quelques années au- paravant impossible, ne s'est pas réalisée uniquement parce que ce fils du Premier Ministre était de son côté marié à une fille de Rainimaharavô qui, fervente catholique, n'a jamais voulu consentir à divorcer.

2) Malagasy Customs, collected and edited by the Rev. W. E. Cousixs (en langue mal- gache), Antananarivo, 1876, p. 17-20; édition, 1896, p. 12-15, et trad. en anglais (The marriage ceremony among the Hova) dans l’Antananarivo Annual, 1900, p- 477-480.

(5) Chez les Merinä, c'est ordinaire- ment le jeudi que se fait maintenant la demande.

(4) Chez les Merinä, avant notre con- quête, il était d'usage, au commencement de lexorde, d'appeler les bénédictions de Dieu et des ancêtres sur le Souverain, sur son royaume, sur ses douze femmes, etc.

ETHNOGRAPHIE. 173

laquelle répondent successivement le pére el la mère de la jeune fille en posant leurs conditions

Chez les Sakalavä, comme chez la plupart des autres peuplades de Madagascar, c'est le père du prétendant qui prononce le discours où, après maintes digressions oiseuses, il aborde le sujet, faisant l'éloge du

() Ces discours sont toujours fort longs. Nous en donnons ci-dessous un exemple °).

@) «Un tel, fils d'Un tel (dont il énumère toutes les qualités vraies ou supposées, dont il vante les ancêtres et les parents et dont il détaille la fortune), m'a chargé, dit l’orateur, de vous demander votre fille non pas pour qu'elle soït sa vazÿ, sa sengÿ, sa concubine, mais bien sa vadÿ, sa femme légitime, pour qu’elle dirige sa maison, pour qu’elle lui donne des enfants, pour qu'ils s’entr'aident dans la vie, car il a un grand désir de se marier | de maneli-badÿ (litt. : de prendre une femme sous son bras), de mampaka-badÿ (Hitt. : d'introduire une femme chez lui), comme ils disent |».

Si la demande est agréée, le père de la jeune fille (ou, à son défaut, son oncle ou son frère ainé), répond : +Nous n'avons pas l'intention de garder notre fille avec nous du moment qu'Un tel, fils d’Un tel, désire la prendre pour femme. Ne formons-nous pas comme une seule et même famille, car nous sommes les descen- dants d'Ün tel. fils d’'Un tel, etc., qui ont été des hommes importants, et vous, de votre côté, vous avez également une excellente ascendance W). Or vous nous dites qu'il veut non pas en faire sa concubine, mais lépouser, qu'il veut lui confier la direction de sa maison et vivre avec elle «la main dans la main» et qu'il la choisit pour étre la mère de ses enfants; nous lui en sommes reconnaissants et nous agréons sa demande, car nos deux familles sont de même condition et notre fille est très capable d’être une bonne ménagère et de metlre au monde de beaux enfants. Rien ne s'oppose donc à cette union.»

«Vous comblez nos vœux, répond le mpikabarÿ ou porte-paroles du jeune homme. Certes, vous pourriez nous préférer une famille plus riche, et cependant, malgré notre situation modeste, vous voulez bien nous accueillir favorablement: nous avions soif et vous nous donnez de l’eau pour nous désaltérer; nous avions faim et vous ñous servez du riz pour nous rassassier; nous étions fatigués et vous nous offrez une pierre pour nous reposer; nous désirions entrer chez vous, et vous nous ouvrez la porte toute grande et nous faites le don le plus précieux qui soit. Merci!»

Laissez-moi vous dire encore quelque chose, reprend le père de la fiancée, car il serait imprudent de ne pas envisager l'avenir. N’est-il pas sage, pendant Ja saison sèche, de songer à la saison des pluies et de prendre à l'avance la précaution de creuser des rigoles autour de sa maison pour que l’eau qui tombera en été puisse s’écouler et n’en mine pas les murs? Or, tout comme les saisons, les hommes ont l'humeur changeante, et qui ne sait que les liens du mariage ne sont pas indissolubles et que, comme un nœud coulant qui se serre peu à peu, ils peuvent étrangler les époux? qui ne sait que les unions, qui commencent par des ris, finissent souvent par des pleurs? Il est donc juste de prendre des précautions pour parer à ce danger, et il faut que, si la mésintelligence entre les conjoints leur rend la vie dure et difficile, la porte de sortie leur soit grande ouverte et que l'honneur et la santé de notre fille restent saufs; done, si lun des futurs a contracté des dettes avant son mariage, il en sera seul responsable ©), et, s'ils en viennent à se séparer, car bien rares sont ceux qui, comme les hannetons, meurent attachés à la même tige, les acquêts, aussi bien que les dettes de la communauté, seront imputables pour les deux tiers à l'époux et pour un tiers à l'épouse.»

C'est entendu, crie le chœur des mpakä, preneurs; nous veillerons à ce que tout se passe correctement, »

Fort bien! réplique le père de la fiancée. Mais qu'il soit convenu aussi que, si les mariés, suivant leur instinct comme les anguilles qui s’en vont butinant dans l’eau de côté et d'autre, se séparent, le mari ne maltraitera pas ma fille et ne l’empéchera pas de se remarier ©), car l’homme est fort et la femme est faible; or, si jamais il abuse de sa force contre elle, je déclare que les liens du mariage seront rompus.»

Chez les Betsimisarakä, ainsi que chez les Bezanozand, il y a une cinquantaine d'années, jusqu’au milieu

!} Quand un Malgache fait une demande en mariage, le point le plus important est de bien établir l’origine dont il se targue.

® Pour comprendre la grande importance de cette stipulalion, il faut se remémorer que, d’après le droit malgache, en cas d'insolvabilité du mari, la femme était responsable solidairement, ainsi d’ailleurs que les

enfants. de ses dettes et pouvait être vendue pour les payer.

®) On sait qu'un mari pouvait ne pas répudier sa femme, quoique vivant tous deux séparément; dans ce cas, elle n'avait pas le droit de se remarier. et les enfants auxquels elle donnait le jour étaient toujours les enfants légitimes du mari.

174 MADAGASCAR.

mariage et de la jeune fille dont il demande la main. Le père de celle-ci répond d'une manière ambiguë, s'il ne consent pas; mais si la demande lui agrée, 11 se contente de dire : Manao manakory? manao manakory ? [Que puis-je répondre? que puis-je faire? (ce qui veut dire quil est bon de se marier et que, puisque les jeunes gens s'aiment, il n'y a qu'à les laisser faire) ]; à quoi le père du jeune homme s'empresse de répondre : lé, lahy, izao! [C'est cela! |".

I y a lieu de remarquer que dans aucun des discours, si longs qu'ils soient, que les pères et les mères des fiancés prononcent lors des fian- çalles ou du mariage, il n'est question de fidélité conjugale, qui a en effet aux yeux des Malgaches très peu d'importance.

Il y a eu chez les Sakalavä et chez les Betsileo ®), ainsi que chez Îles Tsimihetÿ ® et les Antimoronä!”, des coutumes qui semblent une survi-

0) Rev. A. Wacen, Antan. Ann.,1884, p.59. Guide Immior. à Madag., 1899, LT, p. 377. 2) Th.Bnockway, Antan. Ann.,1878, p.99. (4) RR. PP. Agivaz et DE LA VAISsiÈRE, 6) Journ. ofic. Madag., 17 mars 1898, et Vingt ans à Madagascar, 1885, p. 179.

du siècle dernier, après que le père avait parlé, après qu’il avait spécilié, en présence du fokon’ olont, des notables, que, suivant la coutume, la femme aurait droit, en cas de séparation ou de mort de son conjoint, au tiers des biens acquis pendant le mariage, au fahatelon-tanant 0), et déclaré qu'il n’y avait pas d’empé- chement à l'union des deux jeunes gens, la coutume voulait qu'il ajoutât : «si la mère de ma fille [ny renin- jazà ] toutefois y consent»; et, quoique la mère eût assisté à toute la conversation, on la lui répétait textuelle- ment, en s'adressant à elle et requérant son avis : « Vous nous demandez notre fille en mariage pour votre fils, disait-elle alors; s'ils désirent se marier suivant nos coutumes, je ne m’y oppose pas, mais vous savez comme moi que l'amour n’est pas élernel et que les liens du mariage se dénouent facilement; il est à souhaiter qu'il règne entre les époux un accord parfait, car, lorsqu'ils ne s'entendent pas, il s'ensuit des disputes, des rixes, et la femme, qui est la plus faible, est alors battue, blessée même, sans qu’on puisse savoir qui a eu les premiers torts; et cependant, de ce que la paix a déserté le ménage, de ce que la maison est devenue inhabitable pour les époux, il ne s'ensuit pas que nous cessions d'aimer notre enfant. Or, vous qui voulez la faire entrer dans votre famille, la connaissez-vous bien? Savez-vous quels sont ses défauts? Comme nous ne voulons pas vous prendre en traïtres, je vais, moi qui l'ai nourrie de mon lait, vous dire ce que j'en sais, afin que, s’il survient de la mésintelligence entre elle et son mari, vous ne puissiez pas nous faire de reproches : notre fille est menteuse; elle est gourmande, coquette, colère, elle est paresseuse et abandonne volontiers son travail et sa maison pour aller s'amuser, etc. Tous ces défauts; le futur ne les voit pas aujour- d'hui, mais avec le temps il les verra, et des discussions, des querelles s’ensuivront. Quant à nous, malgré ses défauts, nous l’aimons et nous ne demandons pas mieux que de la garder avec nous. Si toutefois, malgré les aveux que vous venez d'entendre, vous persistez dans votre demande, j'y consens, mais écoutez bien ceci : vous prenez notre fille en parfaite santé; jusqu’à ce jour, elle a eu des yeux qui lui ont permis de se conduire , des jambes qui l'ont portée et des bras avec lesquels elle a travaillé; or si un jour vient son mari en a assez et nous la renvoie, car les liens du mariage ne sont pas indissolubles, nous entendons qu'elle nous revienne saine et sauve; il ne faut pas qu’il la batte avec un bâton, il ne faut pas qu’il lui donne des coups de pied, qu'il lui brise les bras et les jambes, qu'il lui casse des dents, qu’il lui arrache les yeux, il faut qu elle soit, comme aujourd’hui, capable de gagner sa vie. Voilà ce que j'avais à vous dire.» En attribuant ainsi bénévolement à leur fille tous les défauts possibles, ses parents allaient au-devant des réclamations que son mari eût élé plus moins en droit d'élever à son sujet lorsqu'il voudrait divorcer et la leur renverrait.

M Si, le mariage consommé, la femm2 se conduit mal [est vambä (coupable)}], le mari peut lui relirer ce droit.

ETHNOGRAPHIE. 175

vance de l’époque avait lieu le mariage par capture, l'homme s’ap- propriait une femme par la force, seule manière jadis d’avoir une femme à soi, car la captive appartenait bien à celui qui l'avait prise; en la gardant pour lui, il ne lésait en effet Les droits de personne, d'aucun des membres de sa tribu, qui, au contraire, pouvaient prétendre à la jouissance de toutes les femmes de leur tribu. Chez les Sakalavä, comme jadis chez les Betsileo, quand un jeune homme demande une jeune fille en mariage, on le place à une certaine distance d’un homme habile à manier la sagaye : celui-ci lui en jette successivement plusieurs qu'il doit attraper entre les bras et le corps; s'il montre de la peur ou sil est maladroit, sa fiancée le renie. Chez les Antimoronä, le futur doit aller au commencement de la nuit frapper à la porte du père de sa future, bouclier au bras, sagaye à la main ; celui-ci, également armé, répond Entrez!» et, ouvrant la porte, accueille le prétendant par un rude coup de lance : à lui de le parer; sil réussit, on lui accorde la main de sa fiancée, mais sil a été touché, il s’en va honteux et confus. Chez les Tsimihetÿ, la coutume est différente; après avoir plus ou moins résisté aux tentatives de séduction de son prétendant, la jeune femme prend la fuite, poursuivie par lui; si elle se laisse attraper, souvent après une course assez longue, elle accepte par même tout ce qui adviendra.

À signaler l'étrange coutume qu'ont les Barä de ne pas laisser leurs femmes aller voir leur père ni leur mère pendant les quatre premiers mois de leur mariage.

«Vopx onprŸ », canaux. Une fois les accordailles faites, on discute la nature et la valeur des cadeaux que le futur doit faire à ses beaux- parents et à sa future comme arrhes du contrat, sorte de prix d'achat : ces cadeaux, qui consistent en bœufs, moutons, chèvres, volailles, riz, rhum, argent, vêtements, etc. ), sont très variables suivant sa position

0) Quelques Merinä donnaient à leurs files une dot consistant en bétail, en es- claves ou en argent, qui, en cas de divorce, était reslituée à la femme; mais c'était le contraire qui était la règle (Ecus, Hist. of Madagascar, 1.1, 1838, p.165).— «D'après

les lois du mariage malgache, le mari doit donner une vache ou quelque autre cadeau équivalent aux parents de la femme qu'il épouse. S'il vient à la répudier, üls la lui restituent. À cause de cette vache, la femme est comme l’esclave de son mari; après sa

176 MADAGASCAR.

et sa fortune, mais comprennent toujours le hasinä ou offrande, en signe de vénération et de respect, du vody henä | du quartier d’arrière de droite d'un bœuf avec la queue], du vody ondrÿ [de la cuisse droite ou gigot d'un mouton avec la queue], ou du vody akohô [d'un croupion de volaille], morceaux du bœuf, du mouton et de la volaille qui sont l'apanage des chefs de famille : offrir le vody ondrÿ ou le vody akohô aux parents d’une jeune fille, c’est les reconnaitre pour ses propres parents, leur promettre de les respecter à l'avenir comme son propre père et sa propre mère, et si ceux-ci acceptent, c'est de leur côté admettre le jeune homme au nombre de leurs enfants : ce don, d’une part, et cette accep- tation, de l'autre, du vody ondrÿ sont les rites obligatoires qui seuls con- sacrent le mariage et le rendent valable, et font de la femme une épouse légitime (vady ny henÿ), une femme ayant droit à la couche de son mari [andefimandrÿ®], de sorte qu'une répudiation en bonne et due forme peut seule annuler; sans cette formalité, les fiancés, eussent-ils vécu des années ensemble, ne sont point liés l’un à l’autre.

Dans de telles conditions, la femme, sans avoir à craindre de pour- suites et sans avoir de comptes à rendre à personne, peut quitter son partenaire quand le cœur lui en dit, et homme n’a aucun droit sur les

mort, ses enfants en héritent» (R. P. Luis Mariano, Mission au Ménabé en 1616, Coll. Ouvrages anciens Madagascar, t. I, p. 226) (*).

0) On ne tue guère de bœufs à l'occasion d'un mariage que dans les familles riches ou lorsqu'il y a des liens de parenté entre les futurs; dans ces cas, alors, le vody henà était réservé pour le roi ou le chef, et le beau-père avait seulement un gros morceau de viande. Cependant, chez les AntanosŸÿ, le futur donne aux parents de sa femme

le vody henä, le vody ombÿ, comme ils l'ap- pellent.

@) Jadis, c'était la tête ou la poitrine du mouton que l'on donnait. Du reste, le vody ondrÿ était quelquefois le mouton entier, quelquefois l'arrière-train seulement.

8) Si le futur est très pauvre et ne peut donner que du riz ou des voëmes, des ha- ricots, il faut que le père de la jeune fille non seulement les accepte, mais en mange.

G) Litt. : qui dort dans le lit du côté du mur, de la cloison.

(@) Les formalités du mariage chez les Malgaches sont, en somme, à peu près les mêmes que chez beaucoup d’autres peuples : chez les Grecs, encore à l'époque historique, le futur devait donner des présents au père de sa fiancée, ainsi qu’à sa fiancée, et la noce consistait en un repas avec sacrifice offert par le père de la fille et à la conduite solennelle de la fille dans la maison du mari, étaient également offerts un sacrifice et uu banquet.

ETHNOGRAPHIE. 177

enfants nés de cette union libre, qui sont des zana-draniträ, des zanak amont, des enfants illépitimes

Les Betsimisarakä dénomment jamonü le présent obligatoire destiné à consacrer l'accord, et qui consiste aujourd’hui en argent; les Sakalavä et les Mahafalÿ l'appellent {ombom-poitsä et, lorsqu'il s’agit d’une union entre parents, fandeo.

Dans ces derniers temps, au vody ondrÿ en nature on a substitué de l'argent, de sorte que ce n’est plus un gigot de mouton avec la queue qu'on porte à ses futurs beaux-parents, mais un vola kelÿ, une petite pièce d'argent, et même souvent une ou plusieurs piastres, que d’ailleurs on désigne toujours sous le nom de vody ondrÿ®,

En réalité, le cadeau, petit ou grand suivant les moyens du futur, mais plutôt pelit que grand en général, n’est pas fait en vue d'acheter la femme, car la femme malgache n'entre pas définitivement dans la

) Car, comme disent les Malgaches, ny vody ondry hiany no mahavady |e’est le don aux parents de la jeune fille du vody ondrÿ (du gigot de mouton avec la queue)

qui seul lie les futurs, et par lequel seul l’homme acquiert l'autorité maritale | ().

®) Le cadeau du vody ondrÿ variait sui- vant les pays Ÿ).

® Ny vody ondry, na io vola atao vody ondry io, no fototry ny fanambadiana, ka, raha lasam-body ondry, dia vady tokoa, raha tsy isaorana omena ny manana zara tsy afaka; ary, rahe tsy lasam-body ondry, tsy mbola vady, fa tokantranomaso hiany, na efa ampakarina aza, raha tsy lasam-body ondry, raha miala iy, dia afaka raha (sy lasam-body ondry [Le vody ondrÿ, ou l'argent donné en son lieu et place, est la base du mariage. Si vous le donnez, la femme est vôtre et elle reste votre femme tant que vous ne l'aurez pas répudiée; sans lui, elle n’est pas une épouse, mais une simple concubine, et, si elle veut vous quitter, si elle s’en va, tout est fini entre vous]. Andrianampoinimerinä l'a proclamé solennellement dans un kabarÿ tenu sur la place d’Andohalé à la fin du xvin° siècle : «Ce sont, a-t-il dit, le vody ondrÿ et le fitorian-dravinà [le repas les deux futurs mangent ensemble sur la même feuille de bananier et il est fait don de morceaux de viande à leurs parents qui consacrent le mariage. Si l'union n’a pas été précédée de l’offrande du vody ondryÿ aux parents de la future et du repas fitorian-dravinà, celle-ci n’est qu'une tokantranomasÿ [une simple coneu- bine |; dans ce cas, si l’homme surprend sa femme avec un rival, il ne peut obtenir sa condamnation pour délit d’adultère, et, s’il tue ce rival, il encourt les rigueurs de la loi, et les enfants qui naïtront de semblables unions seront zana-dranitrà |illégitimes]. Si, au contraire, les formalités du vodry ondrÿ et du fitorian- dravini ont été remplies, le mariage est valabie et ne peut être dissous que par la volonté du mari, qui est dés lors seul maître de répudier sa femme».

® Chez les Tsimihety, le don obligatoire aux parents de la jeune fille varie de 2 à 30 ariarÿ [piastres], suivant les moyens du futur et la beauté de la future. Chez les Betsimisarakä, outre un bœuf ou une volaille et du riz ou une piastre [jamonä] à son beau-père, le marié remet deux piastres à sa belle-mère au moment elle donne sa bénédiction au jeune couple. Les Betsileo ranconnent sans pitié leur futur gendre. Chez les Antimoronä, il est d'usage que le marié fasse trois cadeaux à ses beaux-parents, l'un obligaloire aussitôl après avoir obtenu leur consentement, comprenant du riz, une volaille, deux bouteilles

0) Fitorian-dravinü , litt. : action de séparer les feuilles chez les parents de la femme, et des morceaux de viande.

(de bananier) en lanières, de les déchirer. Les deux fulurs mangent sur la même feuille de bananier (aujour- d’hui dans la même assiette) les aliments qu’on leur sert

ETHNOGRAPHIE.

enveloppés dans des lambeaux de feuille de bananier. sont donnés aux parents afin qu'ils les emportent chez eux.

23

IMURIMERIE NATIONALE,

178 MADAGASCAR.

famille de son mari et de ses enfants lépitimes, elle ne rompt jamais les liens qui l’unissent à sa propre famille"), dans le tombeau de laquelle elle dort toujours auprès des siens son dernier sommeil?; c'est comme une cession, un louage, pouvant durer toute la vie ou être résilié au gré du mari qui reste seul maitre des enfants nés pendant le mariage. Néanmoins, jusqu'a ces dernières années, tant qu'il n'y avait pas divorce, la femme appartenait au mari, était comme un de ses biens meubles et entrait dans l’expropriation légale de ses biens, lorsqu'il était condamné soit pour dettes, soit pour un crime. Quant au cadeau fait par le mari à la femme, il était d'usage, à moins d’une convention spéciale, qu'il le reprenait lorsqu'il divorçait, mais il perdait tout droit sur sa femme, qui pouvait dès lors se remarier.

0) I y a plus d'affection véritable et (3) Pendant sa vie, la femme était la

plus de respect entre un frère et une sœur qu'entre deux époux : c'est chez son frère qu'une épouse malheureuse en ménage se réfugie : fara-vady anadahij [litt. : le dernier appui d’une femme, c’est son frère |.

(2) Chez les Merinä toutefois , comme nous le verrons plus loin, la femme légitime qui n'a pas quitté son mari jusqu'à sa mort et qui en a des enfants a droit à reposer dans son tombeau.

propriété du mari, sa «chose» (res, comme l'esclave dans le vieux droit romain), si bien qu'à moins de conventions spéciales, à la mort de celui-ci elle passait par suc- cession à ses héritiers (vady lovä ou lolohà, comme disaient les Malgaches). On sait qu'il en est encore de même en beaucoup de pays: M: Lechaptois a retrouvé ces usages au centre de l'Afrique (Aux Rives du Tanga- nika, 1913, p. 146); etc.

de toakà [de rhum indigène] et soit un kirobô (1 fr. 25), soit un, deux ou trois ariarÿ [piastres] : c’est le hamaky volanü [pour annoncer sa décision d'entrer en ménage]; une semaine après, autre cadeau pareil, et enfin, quelques jours plus tard, troisième et dernier, qui scelle définitivement le mariage. Chez les Antam- bahoakä, qui vivent à l'écart des autres peuplades, le cadeau au beau-père consiste uniquement en riz et en {oakä [en rhum]. Chez les Antanosÿ, c'était un mouton que les lohavohitsä et les ontovÿ [les sujets libres et les soldats ou esclaves des chefs] avaient la coutume d’immoler pour consacrer leur mariage, mouton dont ils donnaient le vody ondrij à leurs beaux-parents, car on ne tuait de bœufs que pour les Roandriant ou

nobles, ou bien, comme partout à Madagascar, lorsque les futurs étaient parents à un degré prohibé (M,

0) Dans l'Anosÿ, «l’homme paye à ses futurs beaux- parents, pour avoir sa femme, une pelite dot qui les rémunère de l'avoir mise au monde et élevée» (R. P. Luis Maniaño, 1613, Coll. Ouvr. anciens de Madagascar, t. I], p. 7).— «Le mari d'ordinaire achète la femme, donnant pour elle à ses parents des bœufs ou autre chose» (cf. Abbé Nacquanr, 1650, Mém. Congrép. de la Mission, t. IX, p. 70). «A Fort-Dauphin, les hommes ne re- coivent rien des femmes qu'ils épousent: ils les achè- tent en quelque sorte par des cadeaux à leur père et à leur mère, ou à leur oncle si elles sont orphelines» (Barthélemy Hucow, 1818, Ms. Archives colon , Corresp. Madagascar, carton XI). “Quand un Madagascarois

veut se marier, il demande la fille à ses parents, et, pour l'obtenir, il leur donne des bœufs, des moutons, des manilles d'or et d'argent ou d’autres choses, selon ses moyens, cadeaux qu'on doit lui rendre si la femme vient à le quitter» (Soucuu ne Revxeront, Hist. des Indes, Leide , 1688, p. 184,). Sur la côte Ouest, «l’homme en se mariant donne à son futur beau-père, suivant ses moyens, une vache, un mouton, ou bien des couteaux, des sagayes. À cause de cette vache, la femme est comme l'esclave de son mari; en aucun cas, elle ne peut le quitter sans l'avoir reslituée» (R. P. Luis Marraxo, 1616, etR. P. d'Azeveno, 1617, Coll. Ouvr. anciens Madagascar, t. II, p. 226 et 245).

ETHNOGRAPHIE. 179

CéLéBrarion pu MARGE. À. Cuez Les Merixi. Après le lasam- body ondrÿ, c'est-à-dire après l'acceptation du vody ondrij par les parents de la jeune fille, et quand par conséquent toutes les formalités des fian- cailles étaient remplies, on réglait la question capitale des vintanü, des destins des deux futurs, et l’on faisait les cérémonies prescrites pour les accorder s'ils étaient contraires; puis on fixait le jour du fampakaram- badiÿ®), c'est-à-dire de la célébration du mariage, ainsi que le nombre, toujours impair, des mpaka vadÿ [de ceux qui viendraient prendre, cher- cher la jeune fille chez elle] et des mpanomé ou mpanatiträ vadÿ [de ceux qui la leur livreraient et qui la conduiraient à la demeure de son mari]. Dès ce moment, les futurs ne se voient plus jusqu'au jour du mariage.

Au jour fixé pour la cérémonie, les mpakä ou preneurs qui sont char- oés d'aller chercher la future, de mamoaka ny fofombadÿ | de faire sorur la fiancée | comme ils disent, se rendent en cortège au domicile du père et de la mère de la jeune fille ©; ils sont accompagnés d’un mpikabarÿ, d'un porte-paroles disert, et du marié, si c’est un andrianü des trois der- mères classes nobles, ou d’un hovä ou d’un esclave, mais sans le marié qui attend chez lui la venue de sa femme, si c'est un Andriantompokoin- drindrä ou un andrianü d'un plus haut rang encore, c’est-à-dire un noble ayant des vassaux menakelÿ. Is y trouvent assemblés tous les parents et amis de la future qui, avec leurs compliments, ont apporté des présents, des #sodranÿ | tt. : des souhaits, des bénédictions | comme ils disent, et ils prennent part au festin pantagruélique préparé en leur honneur et pour lequel on a abattu un grand nombre de bœufs, de moutons, de pores et de volailles, suivant les moyens de la famille. Le mpikabarÿ ou porte-paroles du marié fait à peu près le même discours qu’au premier Jiantranoanà, c'est-à-dire qu’à la visite pour demander le consentement ©, à quoi le mpikabarÿ ou le porte-paroles de la femme répond en des termes

(M) Dans les provinces autres que l’Ime- ®) Cette visite s'appelle manitsaka halam- rinä, on dit fanemgam-balÿ, motquialemême patanà | fouler l’âtre, le foyer l’on fait la sens que fampakaram-badÿ [litt. : qui fait cuisine.] monter chez soi, qui élève à soi une épouse |. 8) Voir plus haut, p. 172-173.

29.

180 MADAGASCAR.

analogues et termine en disant : «La porte est ouverte, vous pouvez emmener notre fille ».

Alors sont publiées les conventions ou clauses du contrat qui, étant énoncées devant témoins, ont force de loi; elles stipulent notamment que, si le mari vient à commettre certaines fautes, la femme repren- dra sa liberté ; que, si elle devient veuve, elle sera ou ne sera pas entin-dolohä, c’est-à-dire obligée d’épouser le frère de son mari dé- funt®; que, s'ils viennent à mourir ou sont poursuivis pour dettes, leurs enfants seront ampy muihirä, c'est-à-dire appartiendront à la famille de leur mére; que les biens, argent ou marchandises donnés comme douaire à la femme, le fehin-jazavavÿ | htt. : ce qui lie la jeune fille |, et que ceux qu'elle apporte en dot, le haren-jazavavÿ | hit. : les « propres » de la jeune fille], comprennent tels et tels objets; qu’elle aura droit au Jahatelon-tananü, au tiers des biens acquis par la communauté pendant le mariage), etc. .

Une fois les conventions matrimoniales établies, les mandataires du marié scellent définitivement le contrat en offrant aux parents de la femme le vody ondrÿ et en leur remettant les hajambolanü [les dons respec- tueux] qui valident les conventions, dons qu'ils déclarent indignes de ceux auxquels ils les offrent, mais dont la valeur est tout entière dans l'in- tention : «Certes, disent-ils, de beaux bœufs bien gras et de gros béliers seraient un cadeau plus présentable, mais nous suivons les coutumes de nos ancêtres et faisons ce que nous pouvons; il ne faut pas nous blä-

() Manuscrits hova de la Bibl. Grandidier).

® Le Code de 1881, qu'a promulgué Ranavalonà If, a édicté que cette ancienne coutume serait à l'avenir abolie, à moins que l'union ne convint aux deux intéressés.

6) Cette clause ne s’appliquait pas aux Andriamasinavalonä, ni aux nobles d’un plus haut rang, aux princes.

(4) Jadis, les plus riches Merinä don- naient avec la tête ou le quartier d’arrière du mouton 1 hirobo (1 fr. 25); aujourd'hui les plus pauvres ajoutent au morceau de viande traditionnel la pièce de 5 francs en- tière, et les gens à leur aise ne donnent jamais moins de trois de ces pièces et quel- quefois une dizaine.

() Misy lokam-panambadiana ataony izy mivady, fa manao ratsy loatra Ralehilahy, ka ataond’ Ravehivavy hoe : raha manao izany hianao, dia afaka aho, ka asiany vavaolombelona maro, ary manao mafy dia mafy Ralehilahy, raha mandikia ny teny nifanavany tamind’ Ravehivavy, ka raha mandikia ny nifanavana teo imasony olona Ralehilahy, dia izany koa no mahafaka ny vadin olona.

ETHNOGRAPHIE. 181

mer». Puis on salue les nouveaux mariés du souhait : Marena tokan-tranÿ ! [Que votre ménage soit prospère! ].

Pendant longtemps, dans l'imerinä, comme c'était encore le cas dans le reste de Madagascar avant notre conquête, la famille est intervenue seule dans la conclusion des mariages. Ce n’est qu'assez récemment que la déclaration devant le fokon-‘olonà [le chef de district] ou devant le mpiadidÿ [le gouverneur|, facultative jusqu'en 1881, s'est généralisée peu à peu. Dès la fin du xvmi° sièele, Andrianampoinimerinä avait édicté que «les princes du sang et les nobles devraient, lorsqu'ils se marie- raient, lui donner comme hommage-ige le hasinäl) d’une piastre, et qu'il en serait de même pour les hovä®) riches, qui devraient y ajouter le vody henä [le quartier d’arrière de droite avec la queue | des bœufs qu'ils tueraient à cette occasion; les gens du peuple n’avaient pas à donner ce hasin Andrianä. Cest seulement dans le kabarÿ, dans l'assemblée publique tenue en 1881 à Tananarive, à Andohalô, la reine Ranavalonä Il a, sur le conseil des missionnaires européens, promulgué le Code dit «des 305 articles», qu'il a été édicté qu'à l'avenir, le mariage ne sera Véri- table que s'il est enregistré dans les livres officiels), qu'autrement la femme n’est qu'une vazë, c'est-à-dire une coneubine, et que ceux qui cohabiteront avec une jeune fille sans l’épouser seront punis d’une amende de 50 piastres »(”.

Un grand repas, pendant lequel le maitre de maison ne cesse d'inviter les convives à manger abondamment, et qui était nommé jadis fitorian- dravinä®), à alors lieu); lorsqu'il s’agit du mariage de hauts personnages de la caste hovt, la viande qu'on y sert n’est pas euite comme d'ordinaire

@) Le hasinä était une offrande faite au souverain, soit pour reconnaitre sa souve- raineté, soit pour sceller un pacte ou con- clure un contrat. ®) On sait que les hovä sont les «libres».

8) Dès la promulgation de ce Code, les époux ont se faire inserire sur les Bo- kim-panjakanü, sur les registres du Gou- vernement, et payer une taxe de 1 sikaÿ (o fr. 60); ceux qui contrevenaient à cette

ù

obligation étaient punis d'une amende de cinq bœufs et de cinq piastres, dont le tiers était à la charge de la femme.

(4) Articles 53 et 55. Depuis notre conquête de Madagascar, l'inscription des mariages sur les registres de l'état civil est obligatoire et gratuite.

(6) Voir plus haut la notule a, p. 177.

(6) En 1882, à l’occasion du mariage de Rainiharovonÿ, le fils bien-aimé du Pre-

182 MADAGASCAR.

dans des vases quelconques, mais, à l'instar de leurs ancêtres indo- mélanésiens, dans des trous creusés en terre garnis de cailloux qu'on porte au rouge en y faisant flamber des fagots : elle y est déposée enve- loppée de feuilles et, le trou étant bouché, cuite à l’étuvée , À ce repas, pour la seule fois de leur vie, en témoignage de leur union, les mariés mangent du sosoa [de la soupe de riz], du miel et des toho mainü | de petits poissons grillés ou un morceau de viande avec la même cuiller, une cuiller en corne noire du pays, et dans la même assiette, assiette en terre également du pays), ou, suivant l'ancien usage, sur la même feuille de bananier. Le maître de maison bénit alors les nouveaux mariés, leur exprimant, au nom de leurs parents, les vœux qu'ils forment tous pour leur bonheur : Marena tokan-trano ! Mifanambina !| Que votre ménage soit uni! Portez-vous mutuellement bonheur! |, et il leur souhaite richesses, honneurs, longue vie et surtout une nombreuse postérité, afin qu'elle puisse leur donner aide et assistance dans ce monde et dans l’autre : Tsy hifanoli-bintana! Maroa fara, maroa dimby, hiteraka lahy, hiteraka vavy ! | Puissent vos destinées ne pas se contrarier! Puissiez-vous avoir de nom- breux enfants, de nombreux héritiers! Puissiez-vous mettre au monde beaucoup de garcons et beaucoup de filles! ].

Le repas terminé, le maitre de maison dépose le toloträ [le cadeau obligatoire |, c’est-à-dire un gros morceau de bœuf cru, sur une feuille

mier Ministre, il y eut à Amboditsirÿ, sa maison de campagne qui est à 5 kilomètres au nord de Tananarive, un repas homé- rique de mille personnes. Dans certains cas, ce sont les parents et amis qui font les frais du mariage : tsy vaky ravintolotra, comme ils disent [litt. : on leur a laissé leur toit de feuillages intact (on n’a pas touché à leurs biens) |.

Œ) Ce rite de la cuisson de la viande à l’'é- tuvée dans des trous creusés en terre a été encore pratiqué en 1875, au festin solennel donné par le Premier Ministre, à l'occasion du mariage de son fils Radiloferä.

®) Probablement en souvenir du temps

leurs ancêtres, les Vazimbä, étaient des pêcheurs.

5) Aujourd'hui, on se sert souvent d’as- siettes de faïence ou de porcelaine euro- péennes.

) Au lieu d'un morceau de bœuf, on donne souvent aujourd'hui une grosse vo- laille ou un confit d'oie, et, dans la no- blesse, on remplace le don en nature par une offrande d'argent. Quant aux mariés, ils ne se contentent plus actuellement comme cadeaux de noces d'un morceau de viande et de quelques piastres, 1l leur faut des meubles, des coffres el toutes sortes d'objets de luxe et de colifichets.

ETHNOGRAPHIE. 183

de banamier, devant chaque mpakü ou preneur, en remerciement de ses services, pour qu'il l'emporte chez lui et en fasse profiter sa famille,

Le mariage est dès lors consacré), et les parents livrent leur fille [mamoa-jazü | à son mari, à la demeure duquel on la conduit en cor- tège; en tête figurent les mpanatlrä ou livreurs; d'ordinaire, les mariés, les mpiwadÿ sont portés processionnellement sur un Jilanjanü | palan- quin malgache | couvert d'un dais que le père et la mère et les autres parents suivent en chantant et en battant des mains. On croit que, si le père et la mère n'accompagnaient pas leur fille dans la maison de son mari en témoignage de leur complet assentiment à son mariage, le ménage ne vivrait pas longtemps uni. C'est dans une pensée analogue que, dès le départ du cortège, la grand'mère de la mariée, la Rafotsibe [la toute blanche |, s'asseoit les jambes croisées au pied du poteau central de la maison et y demeure sans bouger jusqu'au moment elle suppose que les mariés sont arrivés chez eux, afin d'assurer la stabilité et la tran- quillité du ménage, et aussi, ajoute-t-on, pour inculquer à la nouvelle mariée l'idée qu'elle ne doit pas trop souvent s’absenter du domicile conjugal.

Quand le cortège est arrivé à la maison du mari, 1l fait trois fois le tour du valä ou petit mur qui l'enclôt, comme c’est assez souvent le cas en Imerinä, puis trois fois le tour de la maison, et enfin trois fois le tour du foyer : cette procession symbolique a pour but de resserrer les liens qui attachent la jeune femme à sa nouvelle demeure et de l’empécher de l'abandonner. On s’asseoit alors, et le mpikabarÿ, le porte-paroles du mari, fait le récit de la cérémonie du mariage pour les personnes qui n'y ont pas assisté, loue l’accueil courtois que le marié et ses compagnons ont reçu, l'excellence des mets du repas et les prévenances dont chacun a été l'objet, et 1l termine en adressant des remerciements chaleureux aux mpanatiträ, aux hvreurs, pour le concours qu'ils leur ont apporté. On prend alors un nouveau repas en commun au cours duquel, comme

(D Toutefois, il n'a tous ses effets que femme est latsa-pakä [lorsqu'elle à poussé lorsque des enfants en sont nés, lorsque la des racines |, comme disent les Merinà.

184 MADAGASCAR.

chez les parents de la mariée, les mariés mangent du miel et des petits poissons grillés avec la même cuiller et dans la même assiette. Entre temps, un des convives, pour symboliser l'union qui doit dorénavant régner entre les deux époux, les enveloppe dans un beau lamba de soie ou noue ensemble les bouts de leurs lambas que le mari dénoue à la fin, marquant ainsi quil a seul le droit de rompre leur union. Les mpanatträ, les livreurs, reçoivent alors des toloträ ou dons de vic- tuailles, comme les mpalkä, les preneurs, en ont reçu des parents de la femme. ,

La cérémonie est finie ® et les assistants prennent congé, en disant : Arahaba! nahazo tokan-trano [Salut à vous qui êtes maintenant en mé- nage |, à quoi les mariés répondent : Azon-tsaotrareo ! | Puissent vos sou- haits se réaliser! |, ou bien : Misaotra, manaraha ny sisa ! [Merci ! que les célibataires suivent notre exemple! |.

B. Cnez Les PEuPLADES AurRes que Les Merinä. Se marier, manam- badÿ, en Imerinä, se dit dans les autres provinces manambalÿ, ou bien mirai-bao, manake-bao | s'unir, s'approcher Fun de l'autre |.

Chez les peuplades autres que les Merinä, les cérémonies du mariage sont moins pompeuses et diffèrent par certains détails : les cadeaux aux beaux-parents comme ceux à la future sont naturellement moins nombreux et moins riches et ne consistent guère qu'en un ou plusieurs bœufs pour les parents, et pour la future, en un lamba et un akanjë | canezou] d'étoffe commune qu'accompagnent des colliers et bracelets de verroterie, quelque- fois des anneaux et des bagues de cuivre ou d'argent. Mais, dans toute l'île, au moment la jeune fille va quitter la maison paternelle, ses parents la bénissent, soit en l’aspergeant du bout des doigts avec quelques gouttes d'eau, soit, comme dans l’ancien temps, en projetant sur elle quelques

0 Ampifamatorina ny lamban’ny mpivady vao matokan-trano, hahamarin-tokantrano , comme ils disent.

® Pour cette cérémonie, les gens riches louent des chanteurs et des musiciens, et, dans ce cas, on organise des danses. Au-

jourd’hui, les mariages aux églises catho-

liques ou proteslantes sont fréquents; Île premier célébré selon les rites chrétiens à eu lieu en juin 1864 (Euus, Madagascar revisited, 1867, p. 411).

GB) Mifafy ranè mitsipy rando dans les provinces des côtes et muitso-dranÿ en Ime-

rinà.

ETHNOGRAPHIE. 185

souttes de salive! ou du sang d’une victime immolée à cet effet ? ; en même temps, ils appellent sur elle et son mari les bénédictions de Dieu et de leurs ancêtres, les suppliant de leur donner longue vie, bonheur, richesses et surtout une nombreuse postérité [ Maroa fara aman- dimby!| et demandant que leurs destinées s'accordent .

Chez les Sihanakä et les Bezanozanô, c'est avec une tige de roseau trempée dans de l’eau que l’homme le plus âgé de la famille asperge les époux. Chez les Betsimisarakä, dès que la jeune femme est arrivée chez son mari, les deux mères bénissent successivement le nouveau couple! et leur donnent les conseils que leur suggère leur expérience : la mère de la fille fait promettre à son gendre d’être bon pour sa femme, de ne pas la battre, de la bien nourrir et de lui faire une vie agréable; le mariage est dès lors conclu, et le marié donne d'ordinaire à la mére de sa femme, en remerciement des soins qu'elle lui a prodigués pendants on enfance, un veau ou un ou deux arary [une ou deux pièces de cinq francs |, et la mariée, à celle de son mari, un kirobÿ [soit 1 fr. 25 |).

Chez les peuplades agricoles, comme chez les Merinà, le futur, sauf sil est de race noble, va chercher lui-même sa future, car même coha- bitant avec lui depuis un temps plus ou moins long, elle a retourner chez ses parents avant la demande en mariage officielle. Chez les An- tankaranä et les Sakalavä, comme chez les autres peuplades pastorales, son fiancé attend chez son père, entouré de parents et d'amis; quand la jeune femme, que sa future belle-mère et les proches parents du futur sont allés chercher, arrive chez son futur beau-père accompagnée de sa mere, de ses parents et des femmes esclaves (aujourd'hui des servantes) de sa famille, vêtus de leurs plus beaux atours, ces dernières portant cha-

0) Voir dans le tome suivant le rôle que joue la salive dans la religion et la magie malgaches.

@ Mifafy ra [ils l'aspergent de sang].

#) Cette invocation est généralement in- terminable, le chef de famille énumérant les noms de tous leurs ancêtres les uns après les autres et se livrant à toutes sortes

ETHNOGRAPHIE.

de digressions ; il y en a qui durent deux et même trois heures.

1) Mifafy ranÿ | elles les aspergent d’eau |.

6) Dans l'Est, on appelle ce cadeau du gendre à sa belle-mère diafotakä; 1 corres- pond au solom-babenä des Merinä [c’est-à- dire aux remerciements pour avoir porté sa femme sur son dos lorsqu'elle était enfant |.

3!

IMPRIMENLE NATIONALE,

186 MADAGASCAR.

eune un sahafü ou van de bois contenant soit du riz, soit du maïs, elle va «modestement s'asseoir dans un coin de la case et attend patiemment que son futur vienne lui offrir une des cuisses d’un poulet cuit pour cette céré- monie; si elle l’accepte et la mange pendant que le futur mange l’autre"), le mariage est définitif, à condition toutefois que la femme devienne enceinte, car 1l n’a tous ses effets, n'est réel, que lorsque des enfants en sont nés : avant la naissance du premier, le mari, pour avoir des droits ncon- testables sur la femme et ses enfants, doit donner à ses beaux-parents un bœuf, et aux parents les plus proches, un cadeau d’étoffe ou de riz.

Au repas toujours copieux qui a lieu ensuite, repas composé de riz ou de maïs et de bœuf rôti | saly vandanü |, arrosé d’abondantes rasades de robok'anteli | d'hydromel | ou de toakà | de rhum |, les mariés, comme en Imerinä, afin de marquer leur union et leur affection, mangent pour la première et unique fois de leur vie dans le même plat”; le père et la mère de la mariée s’abstiennent généralement d'y prendre part.

Certaines fois, les nouveaux époux restent tout l'après-midi assis à côté l'un de l’autre, silencieux, tandis que les assistants continuent à manger, boire et caqueter [mihiratsä |, et ils ne se retirent que la nuit venue. D'autres fois, ils se rendent aussitôt après le repas chez eux, accompagnés de leurs parents, de leurs amis et de leurs serviteurs, tous chantant et dansant.

Chez les Bezanozand où, comme chez les Merinä, eest le futur qui va prendre la future chez elle, il est d'usage qu'avant de le suivre elle réunisse autour d'elle toutes les autres jeunes filles du village et rivalise de beauté, de charmes et de parures avec elles, qui ont aussi, pour la circonstance, revêtu leurs plus beaux atours : c'est l'ampitahanü, Vexhibi- lion, la comparaison.

Chez les Antimoronä, ce n'est, comme nous l'avons déjà dit, qu'après que les fiancés ont cohabité une semaine qu'on procède à la cérémonie du mariage : il est fort rare que, pendant ou après ce stage, la femme aban-

4) Vincent Noë, Recherches sur les Sa- @ A. Graxninier, 1867, Notes manu- kalaves, Bulletin de la Société de Géographie de scrites, p. b77. et Rev. A. Wazen, Antanan. Paris, 1843, p. 295. Annual, 1884, p. 53.

ETHNOGRAPHIE. 187

donne son fiancé, parce qu'elle trouverait très difiicilement un nouveau mari; ils demandent alors le consentement de leurs parents respectifs et leur bénédiction, puis le futur fait à ses beaux-parents les trois cadeaux rituels ; après le troisième cadeau, c’est-à-dire quinze jours après le consentement des parents, le mariage est définitivement conclu, et ce jour-là même, la femme, qui a selon l'usage réintégré le domicile pater- nel, s’en va chez son mari, escortée des parentes et amies qui portent son mobilier, soit vingt ou trente nattes pour tapisser le plancher et les murs de sa nouvelle demeure, un lot de nattes fines pour se coucher, quatre à cinq pamers de riz pilé, un coq, un miroir, une calebasse de graisse, une cuillère à pot, un gobelet pour puiser l'eau dans la jarre et un van de bois, tous ustensiles symboliques des occupations qui incombent aux ménagères malgaches. Arrivé à la maison nuptale, le cortège en fait trois fois le tour, comme le font aussi Les Merinä, puis, s’arrêtant devant la porte, tous saluent le mari et ses amis qui sont à l'intérieur et qui sortent, tandis que la femme et ses compagnes y pénètrent et, après y avoir déposé ce qu'elles apportent, mettent tout en ordre.

Quand, dans un village de lImoronä, il y a plusieurs jeunes filles à marier, leurs parents les mènent dans un village voisin se trouvent, au contraire, des jeunes gens célibataires et des veufs; ils les mettent en demeure de choisir parmi eux ceux qui leur agréent pour époux; or, dit le Rév. G. À. Shaw, les jeunes gens acceptent volontiers cette maniere de faire, et il parait que ce ne sont pas toujours les célibataires qui sont le plus demandés : les veufs qui ont une bonne réputation comme maris, et même parfois des hommes mariés, car 11 n°y a pas de déshonneur à ne pas être la seule femme d'un individu, leur sont souvent préférés. Une semaine est laissée à ces couples pour s'assurer qu'ils se conviennent, après quoi a lieu la cérémonie du mariage dont nous venons de parler.

Jadis, chez les Antanosÿ, on tuait beaucoup de bœufs à l'occasion du mariage des roandrianä ou nobles, et l'ombiusÿ ou prêtre devin, après leur avoir souhaité tous les biens temporels qu'ils pouvaient désirer,

0) Voir plus haut, p. 177, notule b. ®) Antanan. Annual, 1894, p. 207. 24.

188 MADAGASCAR.

lait ensemble les cheveux des deux époux, puis le mari mettait son genou sur celui de sa femme, ce qui terminait la cérémonie proprement dite [taha-bao (union qui commence)|; ensuite avaient lieu le festin, les chants et les danses qui en étaient l'accompagnement obligé, avec grand renfort d’antsivä | de conques marines | et d’hazolahÿ [de tambours |.

10° MARIAGES MANAMBADY-LOVA OU MITONDRA LOLOHÂ. Dans ces ma- riages, la veuve, faisant partie de l'héritage de son mari, ne recouvrait pas sa liberté lorsqu'il mourait, elle était vady lovä ou entin-dolohü et devenait de droit la femme de lainé des frères survivants ou de son héritier.

11° Mannaces remporatRes. Outre le fanambadanü marinü, le vrai ma- riage dont nous venons de parler, les Malgaches contractent des mariages temporaires [/anambadanü an-tsirakä (mariages contractés au bord de la mer, loin du pays), comme les appellent les Merinä, ou fanambadana misy Jeträ (mariages sous condition, avec restriction), comme les appellent les autres peuplades |.

Chez les Betsimisarakä, les Sakalavä, etc., le prétendant débattait avec la femme qu'il voulait épouser pour une ou plusieurs années la somme qu'il lui donnerait, et, l'accord établi, ils convoquaient leurs parents aux- quels ils donnaient une pièce d'argent [orim-batô M] pour valider leur mariage; à l'expiration du contrat, la femme avait le droit de reprendre sa liberté, mais, si l'accord se prolongeait, on remplissait les mêmes formalités que précédemment : les époux étaient des vady volambuu. Lorsqu'un enfant naissait de cette union à terme, le mari était obligé de donner à ses beaux-parents le vody ondrÿ ou fandeo, et le mariage devenait définitif.

Quand un Merinä allait vivre hors de sa province, allait commercer au loin, il se mariait temporairement, prenant une épouse «au bord de la mer» [vady an-tsirakä | comme il disait, qui était surtout une associée. Lors de la dissolution de ces sortes de communautés, les époux s'en parta-

0 Ce mot d'orim-batô signifie «pierre contrals entre clans comme entre parlicu- plantée en terre (pour commémorer un licrs, et on a conservé cette expression pour pacte, un traité)». C'était ainsi, en eflet, indiquer tout acte par lequel on conelut un qu'autrefois on donnait leur validilé aux accord, une convention.

ETHNOGRAPHIE. 189

veaient les acquêts [mizara mantä] par parts égales, argent, récoltes, croit des bestiaux, et non comme dans les mariages ordinaires après divorce. le mari prend les deux tiers et la femme un tiers seulement.

Lorsqu'un fonctionnaire élait envoyé hors de lImerinä, 1l emmenait toujours une concubine, une fsindry angangü, qui jouait le rôle d'épouse pendant son éloignement du domicile conjugal; il n'était pas rare que la femme légitime choisit elle-même cette tsindry parmi ses esclaves.

Telles sont les cérémonies qui consacraient le mariage et après les- quelles il produisait tous ses effets; mais les Malgaches ne se conten- taient pas toujours d’une seule femme. Nous allons maintenant exposer les usages relatifs à la polygamie.

19° Porxeamre 0. «Cest une prérogative des hommes | fanjakan- dehilahÿ | d'épouser plusieurs femmes, et personne ne peut les en empé-

9) La polyandrie a aussi existé à Madagascar, mais tout à fait exceptionnellement().

® Porxanprte. Mayeur raconte les faits suivants dont il a été le témoin pendant son voyage dans le nord de l'ile en 1774 : +La province du Cap d’Ambre, c’est-à-dire la pointe nord de Madagascar que limite le 14° parallèle, est très peu peuplée; son roi Lamboinä, en convoquant le ban et l’arrière-ban de ses sujets, ne pouvait réunir que 500 hommes en état de porter les armes. Ses sujets sont les descendants d'habitants de la province d’'Antangenä (partie du Boinä), qui, à la suite d’une guerre civile malheureuse, ont été chassés de leur pays natal et qu'un très petit nombre de femmes a suivis dans leur exil; cette rareté de femmes a fait que plusieurs frères en entretiennent une en commun, dont les enfants sont reconnus par tous. Le premier garcon dans ces unions ou associations est considéré comme l’héritier légitime» (Voyage dans le nord de Madagascar en 1774, Manuscrit du British Museum et Copie de la Bibl. Grandidier, p. 53, et Bulletin de l’Académie malgache, 1912, p. 135-136). L'équilibre entre les sexes s’est du reste rapidement rétabli, et il y a longtemps que ces usages ont disparu.

En Imerinä, la veuve entin-dolohä (c'est-à-dire, comme nous l’avons vu page 188 et comme nous le verrons au paragraphe du Veuvage, p. 239-242) élait non seulement de droit la femme du frère ainé de son mari défunt, mais aussi, du consentement de celui-ci, celle des autres frères, vady marolahÿ [litt. : l'épouse de beaucoup d'hommes] comme on disait; à la fin du xvm* siècle, Andrianampoinimerinä a mis fin à cette pralique en ordonnant que la veuve dont les frères du défunt voudraient jouir en commun recouvrerait de ce fait sa liberté et pourrait dès lors disposer de sa personne à son gré.

De tout temps et encore récemment, une femme malgache, sans avoir à proprement dire plusieurs maris, élait cependant obligée par les lilin-drazanä [par les lois des ancêtres] d'accepter dans le lit conjugal, en l'absence de son mari, les frères de sang de celui-ci, ainsi que ses beaux-frères et cousins par alliance, pour qui elle était tokam-baly, Vépouse commune (voir plus haut, p. 154-156, et plus loin, p. 318), et les indi- vidus surpris en flagrant délit d’adultère avaient la possibilité de racheter leur faute, de mahadyla vavü [d'arrêter les récriminations]|, en proposant au mari de partager ses charges de famille et de prendre pour eux deux la femme et les enfants, transaction, a dit Andrianampoinimerinä, que l’offensé est libre d'accepter ou de refuser (Juzex, Înstit. poli. et soc. de Madagascar, t. 1, p. 325).

Nous avons dit plus haut que les reines, à Madagascar, avaient toute liberté de prendre pour époux tels hommes qui leur agréaient et d'en changer suivant leur caprice, sans que personne pensàt à mal; il y en avait qui en prenaient plusieurs à Ja fois : le baron de Mackau, qui a visité la côte orientale à bord du Golo en 1818, parle d’une reine de celle région, la reine Tsibahanä, qui en avait quatre (Arch. Minist. Colonies), et l’un de nous a vu la reine du Ménabé, Naharovä, que suivaient deux époux.

190 MADAGASCAR.

cher, puisque moi, qui suis le maître, je leur reconnais ce droit», a dit, à la fin du &vnr siècle, Andrianampoinimerinä, le fondateur de la puis- sance merinà, dans son Æabarÿ au sujet du mariage. Et en effet, lorsque leurs moyens le leur permettaient, les Malgaches avaient d'ordinaire, jusque tout récemment, plusieurs femmes, ce qui, à leurs yeux, était un honneur; toutefois, dans les peuplades du Sud de l'ile, chez lesquelles la femme est moins considérée et moins bien traitée que dans le Centre et dans le Nord, les hommes en épousaient aussi plusieurs, mais, disaient- ils, « pour les faire travailler à leur profit».

Le nombre de ces épouses ne dépassait suère généralement deux ou trois; il n'était pas, du reste, limité, surtout pour les chefs de la plupart des peuplades ”; cependant, chez les Merinä, même pour les princes, il ne pouvait être supérieur à six ou sept, le souverain seul avait le privilège d'en avoir douze® : ces douze épouses, vady roa amby ny folë, comme on les appelait, et qui d’ailleurs n'étaient pas toujours au complet, étaient, chez les Merinä, un apanage de la royauté, de sorte que, lors

0) Il y a de ces chefs qui ont eu des harems bien garnis, contenant quelquelois jusqu'à 50 femmes et plus).

2 Jusqu'à Andriamasinavalonä, les rois du centre de l'ile n’ont jamais eu que trois ou quatre épouses, souvent deux seulement ; c’est lui qui, au commencement du xvin° siècle, a inauguré l'usage, pour les souve- rains merinä, d'en avoir douze, ce nombre

étant, aux yeux des Merinä, cabalistique, marquant le caractère parfait, complet, de tout ce qui se rapporte à la royauté : il y a les +douze rois», les + douze montagnes sacrées», ele.

6) Radamä I‘ n’en a, dit-on, jamais eu plus de sept, non compris bien entendu son kely soa, c'est-à-dire son harem de con- cubines.

® Chez les Antankaranä, en 1785, le chef Lamboinä en avait soixante (Benyowski et J. de la Salle); chez les Sakalavä du Nord-Ouest, le roi Tsimanatonä, en 1709, dix-huit, «toutes fort grasses, car ce roi les aime ainsi» (Le Sreur pe LA Menvenuce, Coll. Ouvr. anc. Madag., t. II, p. 620, note); chez les Sakalavä de l'Ouest, le roi de Sadia, au Ménabé, en 1617, qui était alors âgé de 90 ans en possédait douze, survi- vantes des trente qu'il avait eues dans le cours de son existence (R. P. Luis Marraxo, Coll. Ouvr. anc. Madag., t. I, p. 253, note); chez les Barä, le vieux chef Ramiebä, quarante, son neveu Inapakä, récemment décédé, de cinquante à soixante ; et Ivoalrä, dit-on, des centaines ; chez les Antanalä d’Ikongô, le roi Tsi- andraofanä, dix, en 1875; chez les Betsimisarakä, le chef de la côte au Sud de la baie d’Antongil, en 1663, vingt-quatre (Canpeau ou Saussaxe, Voy. à Madagascar), ete.

Quant aux chefs antimoronä, qui sont des descendants d’Arabes et qui ont conservé quelques-unes des mœurs de leurs ancêtres, ils entretiennent dans leurs harems quatre épouses légitimes de caste noble, ayant chacune sa maison (celle de la vadibé, de l'épouse principale, appelée fenovolà | litt. : qui est pleine d'argent | et les trois autres respectivement fenobarakà [litt. : qui est remplie de dignité], imarovahÿ [litt. : les mille lianes] et iakatà [litt. : les castagnettes]), et de nombreuses ankobà ou concubines de caste roturière réparties dans trois maisons (nommées respectivement itamainord, ambodivoambë et ambaravarankobä), qui entourent dans le rovt la maison du chef (Jumex, Inst. polit. et soc. Madag., t. 1, p. 46-47).

ETHNOGRAPHIE. 191

même que le souverain était une reine, celle-ci avait ses vady roa amby ny Jolë, dont le nom était cité dans tous les kabarÿ ou assemblées officielles comme l'un des grands corps de l'État ; à la mort de son père, le fils et successeur héritait de tout le sérail paternel, sa mére exceptée, vadyy lovä [épouses transmises par héritage | comme on les appelait, sérail auquel il ajoutait qui bon lui semblait.

Cet usage de la pluralité des femmes ( était la cause de discussions fré- quentes et de discorde dans les familles. Le nom par lequel les Malgaches désignent la polygamie, fampirafesanà, mot dont la racine est ràfy, c'est- à-dire +ennemie, adversaire », et qui signifie + ce qui engendre linimitié», est du reste suggestif; épouser plusieurs femmes, c'était mampirafy, Faire

(2

des rivales, des ennemies P), car les diverses épouses d’un même homme, si elles semblaient vivre en assez bonne intelligence entre elles), n'en passaient pas moins souvent leur temps à se Jalouser et à se quereller CO non par jalousie, mais pour des questions d'intérêt.

Chez les Merinä, quand un homme déjà marié voulait épouser une

nouvelle femme, après entente avec elle, il en demandait l'autorisation,

1) Usage qui avait pour but,comme l'on n’osent entrer sous peine de la vie), ce

peut penser, de donner une pleine satis- faction aux passions grossières des Mal- gaches et aussi à leur très vif désir d’avoir une nombreuse progéniture, mais il était également au destin, puisque, disent les Merinä : “Si une femme mariée allume deux chandelles dans la maison conjugale ou bien achète un poulet blanc, son mari prendra une seconde femme », etc.

7) «Les Malgaches ont pluralité de fem- mes suivant les moyens qu'ils ont de les nourrir (jusques à 20 et 25, enfermées dans un enclos de grands pieux, elles ont chacune leur pelite maison et les nègres

qu'ils appellent manpirafe, comme qui di- rait «faire des ennemies», car les femmes d’un seul mari s’entre-haïssent à mort et, par le mot mirafe, elles s'entrappellent “ennemies» sans pour cela s’entr'injurier» (Fcacourr, Hist. de Madag., 1661, p. 85).

(3) Le R. P. Luis Mariano dit : «Les femmes sont enchantées que leurs maris aient plusieurs épouses; elles sont heu- reuses de cette promiscuilé, parce que le service du ménage leur est plus léger» (Coll. Ouvr. anc. Madag.. , t. WE, p.252, note).

(1) Ampirafesinà, litt. : vivant en rivalité, comme elles disent (*).

“) A côté de proverbes qui font l'éloge de la polygamie, il en est qui font allusion aux querelles intestines qui en sont fréquemment la conséquence, comme les suivants : Ingahibe mampirafy, tonga telo vao latsa-bidy [Lorsqu'un pauvre homme épouse une deuxième femme et qu’ils sont trois dans la maison, tout va de mal en pis]; Mandefitra mana-mahitsy, toa vadibé [Avoir raison et être conspuée, voilà le sort de la première femme] (Covsixs, Ohabolana, n°1137 et 1579); Ny mpirafy tsy mfankaminy, fa tsy mifankatia [Les rivales ne se fréquentent pas, car elles ne s’aiment pas] (R. P. Cazver, Bull. Acad. Malg., 1903, p. 199), etc.

192 MADAGASCAR.

soit à la première, à la ramatoa [l'ainée |, soit plutôt à la vady kelÿ, à la dernière venue, s'il était déjà polygame, puis aux autres, leur offrant un un {ahä0), un cadeau pour acheter leur consentement.

Lorsque, ce qui était rare, une femme refusait son consentement, son mari n'avait pas d'autre moyen de passer outre que de divorcer ou de la répudier, de la suspendre de ses fonctions d'épouse [manantom-badi} | en lui donnant le {aha ralsÿ, cadeau injurieux qui consistait en une poignée d’étoupe, un bâton et un coq rouge, et par lequel son mari lui faisait connaître sa volonté de la laisser vieillir sans jamais lui donner l'autorisation de se remarier.

Quand les époux étaient tombés d'accord au sujet des compensations, ce qui n'allait pas sans de vives discussions et un âpre marchandage, le mari convoquait les parents de sa femme ou de ses femmes et le chef de sa famille, et les avisait de ses desseins et du tahä ou don qui était convenu avec la vadibé (la première femme) et les vadÿ masay (les femmes secon- daires )

Ce n'est qu'après ces préliminaires, souvent fort longs, qu'on faisait dans la forme ordinaire la demande en mariage aux parents de la future vady kelÿ | de la petite femme ou dernière en date. Le jour de son entrée dans le domicile conjugal | dans le tanolahÿ|, jour qui était fixé par la vady bé, on tuait un mouton, dont une moitié était portée au pére de

(0 Tahà, c'est-à-dire une compensation, la seconde s'appelait souvent la vady aivo, une indemnité, d'après le mot arabe qui la femme intermédiaire. La dernière venue signifie «sacrifice» “*). s'appelait toujours la vady kelÿ, la petite

®) Quand ïl n’y avait que trois femmes, femme.

© Rafotsy [+Chère et vénérable amie |, disait-il à la vady bé, par exemple, je vais te donner une jeune sœur, mais sois assurée que je n’en conlinuerai pas moins à te rendre heureuse. Je te donne comme tah, comme compensation, cinq piastres, c'est une forte somme.» La rafotsÿ commençait par s’indigner : «Je ne veux pas de rivale, dit-elle, divorcons!>, puis, après un long palabre pendant lequel le mari s’efforçait de la calmer, elle finissait d'ordinaire par céder, à la condition qu'il lui serait alloué une somme plus forte ou bien un ou plusieurs esclaves (0). L’entente faile avec la vady bé, avec la première femme, le mari enga- geait des pourparlers avec les autres afin de fixer le cadeau à leur faire ou, à mieux dire, l'indemnité à leur payer, le vidim-pandrianà [lit. : (le cadeau) pour acheter le (droit de disposer du) lit] ou l'eso-pan- drianü [litt. : (le cadeau) pour qu’elles quittent (momentanément) le lit], comme ïls disaient, indemnité pour obtenir leur consentement à ce que le teur de partager la couche nuptiale fût, pour chacune, retardé d’un jour.

() Quelquefois même. le tahä, la compensation, à la moitié de ses services, ou, si on le vendait, à consistait en un demi-esclave, c’est-à-dire dans le droit moitié de son prix.

ETHNOGRAPHIE. 193

la future et dont l'autre était donnée aux pères des anciennes, et les parents du mari allaient la chercher processionnellement, tandis que celui-ci lattendait aux côtés de sa vady bé, de sa première femme, tout le monde en habits de fête.

Lorsque le cortège était arrivé à la porte de la maison conjugale, la nouvelle venue saluait son mari ainsi que ses femmes, auxquelles elle disait : «Je ne viens pas ici en ennemie, je suis votre cadette, votre enfant, et Je suivrai vos avis » (1), à quoi la première des femmes répondait : « Voici notre mari devant qui nous sommes toutes égales. Ne crois pas que Je sois ton ennemie, Je suis ton ainée, Je suis {a mère, et tu peux compter sur moi», puis elle remerciait les assistants". Les mpalkü, ceux qui avaient été quérir la nouvelle mariée à son domicile et porté à ses parents les présents obligatoires, rendaient alors compte de leur mission, puis, après être restées assises quelque temps en face lune de l'autre"? et avoir mangé un peu de sosoa, de soupe de riz, les deux femmes faisaient servir un repas aux assistants qui se retiraient ensuite. Le mari passait la nuit, et dans certaines peuplades plusieurs nuits”, avec sa nouvelle femme.

Mais si un homme déjà marié prenait une nouvelle épouse sans en avoir préalablement informé ses femmes légitimes et sans leur avoir payé le tahä ou la compensation ordinaire, le oidim-pandriant ou l'indemnité d'usage, celle qui le surprenait en flagrant délit pouvait, à son gré, soit rompre les liens qui l’attachaient au coupable, soit demander des dommages-intérèêts, d'ordinaire 30 piastres.

(1)

Tsy avy ho rafy aho, Razoky, fa avy ho zandry ary ho zanaka, hahay manaraka anao.

2) Indro ny vadintsikia hampitouy antsikia, fa izaho tsy rafy nao, fa z0ky nao sy reny nao, raha mahay manaraka ahy hianao.

(3) Arahaba! nahatsindry kibo !

) Tahanä [après s'être exhibées], sui- vant l’expression malgache. On avait, en effet, l'usage de mampitahä, de mampa- fahita eo alatranÿ, e'est-à-dire de confronter le jour de ses noces la nouvelle épouse, la

ETUHNOGRAPHNIE.

vady kelÿ, avec la vady et les vady masay lorsqu'il y en avait, de les mettre en pré- sence les unes des autres revêlues de leurs plus beaux atours, établissant entre elles une sorte de concours public dans la cour de la maison.

(5) Chez les Sahavoay (peuplade du Sud- Est), par exemple, le mari doit consacrer les huit premiers jours tout entiers à la nouvelle femme qu'il vient d’épouser.

(6) En délit de tra-drafÿ [en commerce illicite |, comme ils disent.

29

IMPRIMERIE NATIONALE.

194 MADAGASCAR.

Andrianampoinimerinä a ordonné que les Merinä qui prendraient une nouvelle femme devraient lui donner en hommage | hasinä | une piastre, sans quoi le mariage ne serait pas valable. Radamä a élevé la taxe, pour chaque mariage, à 15 piastres, mais, pour célébrer cette céré- monie, il fournissait la poudre dont la fabrication était un monopole royal M.

Les diverses femmes d’un Merinä tantôt demeuraient dans la même maison, tantôt avaient chacune leur maison spéciale, suivant la fortune du mari; elles avaient un numéro d'ordre d’après la date de leur entrée dans la maison du mari [vady faharay, vady faharoa, vady fahatelé, ete. (épouse 1, épouse 2, 3, elc.)], sans que pour cela la ramatoa, la première en date, eût autorité sur ses rivales : chacune avait ses droits de propriété et autres, aussi bien définis que ceux de la première, et leurs enfants héritaient de leurs droits.

Chez les autres peuplades, le tahä, la comparaison entre la nouvelle épouse et la vadhbé, avait également lieu : assises en face l'une de l'autre au milieu de leurs parents et amis, elles se dévisageaient, se regardaient fixement, et les Salakavä croyaient que celle qui baissait les yeux la première aurait moins d'autorité sur son mari que ses rivales. Si, après un temps assez long, aucune n'avait baissé les yeux, on tendait entre elles un lamba et chacune s’en allait chez elle.

Dans ces ménages polygames, chaque femme avait sa maison, sa case particulière bâtie à côté de celles de ses partenaires dans le même vil- lage; chez les Betsileo, elles avaient même un valä, un petit hameau enclos d'une haie de nopals ou d’un petit mur, et ces valä étaient rangés autour de celui, plus important, qu'habitait leur maître et seigneur et résidait la vadibé, la première femme. Chez les Tsimihetÿ cepen- dant, comme chez les Merinä peu fortunés, elles vivaient sous le même toit, sous la direction de la plus âgée ?.

I y avait un «roulement» réoulier entre les diverses femmes, chacune

() Hasre, 1818 (Bulletin de l’Académie ® Guide de l'immigrant à Madagascar. malgache, 1903, p. 185-186). t. I, 1899, p. 377-

ETHNOGRAPHIE. 195

ayant sa nuit à tour de rôle, suivant son numéro d'entrée dans le ménage); mais elles étaient fort attentives à ce que leur mari commun ne passät pas plus de temps dans la case de leurs rivales que dans la leur, quil sortit le matin à la même heure de chacune des cases il avait couchéP), quil ne manpeât pas plus souvent chez lune que chez l’autre, qu'il fit les mêmes cadeaux à toutes, de sorte que le pauvre homme, tiraillé, écartelé par ses susceptibles épouses qui, pour les motifs les plus futiles, s'en allaient teziträ, fâchées, chez leurs parents, n'avait guère de tran- quiilité et passait son temps à courir d’un village à un autre pour faire réintégrer aux fugitives le domicile conjugal, car il n'était pas plutôt rentré en grâce auprès de l’une d'elles que c'était à recommencer avec une autre.

Les rois et les grands chefs n’observaient pas vis-à-vis de leurs femmes, comme les simples particuliers, la coutume du «roulement» quotidien; chacune d'elles ayant son village, ils leur consacraient d’une manière régulière, à tour de rôle, les uns un mois, les autres une semaine ou moins, pendant lesquels ils résidaient dans leurs villages respectifs. Lorsque ces femmes n'étaient pas toutes du même rang, c'était celle qui avait la plus haute origine qui était la vadibé, lors même qu'elle se fût mariée plus récemment que les autres : ainsi, chez les rois Antanosÿ qui épousaient indifféremment des femmes roandrianü et anakandrianà "), les roandrianü avaient toujours le pas sur les autres. Dans le Nord-Ouest, on donnait aux femmes des chefs du Boinà le nom de Bibi, mot souahili sigmifiant « dame», + maîtresse ».

La polygamie resta lévale jusqu'au règne de Ranavalonä IL. La pre-

M C'est ce qui se passe dans la plupart vement leurs nuits dans les cases de leurs

des pays de l'Orient. «Il est permis, est-il écrit dans le Koran (chap. xx, 49), d’épouser les femmes qu'on a dotées,... mais il faut qu'elles soient toutes satis- faites, que chacune reçoive ce qui la doit contenter.»

@ Les Barä ne vont pas, comme la plu- part des autres Malgaches, passer surcessi-

diverses femmes; ils habitent une maison indépendante leurs femmes se suc- cèdent, chacune à son tour, pendant un temps épal.

) Chez certaines peuplades Betsimisa- rakä, Antanosÿ, Betsileo, etc., les maris mangent d'ordinaire chez la vadibé.

(1) Voir le tome précédent, p. 208-209.

25.

196 MADAGASCAR.

muère tentative d'interdiction de cette coutume date de 1878; dans les instructions que Rainilaïarivonÿ adressa cette année-là aux Sakaïzambo- hlrä ou agents du gouvernement, il y avait un article, l'article 38, qui était ainsi conçu : «La polygamie n'est pas tolérée dans le royaume de Madagascar; s'il y a des hommes qui épousent plusieurs femmes, faites- leur des remontrances et, s'ils ne les écoutent pas, amenez-les au Palais pour qu'on les Juge : le polygame payera 1 losû | 2 fr. 50 | au Sakaizam- bohiträ qui l'aura amené au tribunal à Tananarive ». Mais c’est en 1881 quelle a été abolie officiellement, sinon effectivement : l'article 5o du Code merinä, promulgué cette même année, défend en effet d'avoir plu- sieurs femmes sous peine d'une amende de 10 bœufs et de 10 piastres et, à défaut de payement, d’un emprisonnement d'autant de jours qu'il y a de sikajÿ [o fr. 625 | dans la somme due; cette loi ne pouvait d’ail- leurs avoir d'effet que dans la partie de l'ile soumise aux Merinä, et elle n'y a même pas été striclement appliquée jusqu'au Jour de notre conquête de l'ile.

13° Manrace pes gscraves. La loi malgache interdisait le mariage entre gens libres et esclaves, qui étaient des vady fadÿ [htt. : qui ne pouvaient se marier entre eux |”, à moins que ces derniers ne fussent préalablement affranchis ; toute union de ce genre n'était qu'un coneubi- nage. Les ofliciers merimä qui allaient en expédition ou en service hors de lImerinä emmenaient souvent avec eux une esclave, une tsindry

[htt. : une esclave qui se couche aux côtés de son maitre | comme on

(M) «Les textes relatifs à l'interdiction de la polygamie sont restés indifférents à la grande masse des Malgaches, et le souverne- ment merinà a laissé aller les choses comme auparavant, sauf en des moments de crise financière où, accueillant avec empresse- ment toutes les dénonciations dictées soit par zèle religieux, soit par haine ou esprit de vengeance, les chefs frappaient d'amende, pour délit de polygamie, ceux qu'aucune in- fluence ne protégeait, tandis que de nom- breux dignitaires de la Cour et de hauts

fonctionnaires élaient notoirement poly- games» (Jouien, Revue de Madagascar , 1907, p. 106.)

® Au xvu* siècle, cependant. dit Fla- court, «les habitants de l'île de Sainte- Marie, les Zafy Borahä, ne répugnaient pas à donner leur fille en mariage à des esclaves, qu'ils traitaient du reste comme leurs enfants».

(3) Sur les côtes, on appelait valy sin- drand tsiampananinä les esclaves concu- bines de leurs maitres.

ETHNOGRAPHIE. 197

l'appelait, avec laquelle il cohabitait sans quil en résultât aucun lien légal entre eux : les enfants issus de ces unions naïssaient esclaves, à moins que le père ne les adoptät ou, ce qui était le cas ordinaire, qu'il n'affranchit la mere.

Chez les Merinä, le mariage entre esclaves n’était pas soumis à la for- malité du vody ondrÿ, ni, à la fin de la monarchie, à l'inscription : ils consacraient leur union en donnant à leurs maitres respectifs, sans le consentement desquels ils ne pouvaient se marier, le hasinä ou pièce d'argent qui la validait; mais d'ordinaire ils vivaient simplement en concubinage, car si les maîtres tenaient à ce que leurs esclaves femmes eussent des enfants, ils ne se souciaient pas de donner, en cas de sépa- ration, le tiers des biens de leurs esclaves hommes à leurs femmes ap- partenant à un autre maitre; aussi disait-on de leurs mariages : Mvady {sy to'inona, ary hisaraka amo hiany [se marier, pour un esclave, est la moindre des choses, car 11 peut se séparer le jour même de son mariage si cette idée lui passe par la tête |.

Lorsqu'une esclave mourait en couches ou lorsque son enfant était mort-né, le maitre de l’esclave père de l'enfant devait donner à celui de la femme une esclave pour la remplacer.

14° L'amour À Manaçascar. Les jugements qu'ont portés les auteurs anciens et ceux que portent encore les Européens sur les relations des deux sexes à Madagascar sont sévères et justes au point de vue de notre morale, mais, dans une certaine mesure, injustes à l'égard d'individus apparte- nant à une société fondée sur des conventions différentes des nôtres. Beaucoup de nos compatriotes croient que l'amour à Madagascar se réduit à un simple accouplement, qu'hommes et femmes sont plongés dans une sensualité grossière "; c’est une opinion fausse. Car, s'il est vrai qu'à Madagascar l'amour dans le mariage est rare, comme on peut le penser d’après les renseignements que nous avons donnés sur la manière dont se font les fiançailles, 1l n'est pas moins vrai qu'il v a des ménages unis

9) Euus, History of Madagascar, t. 1, galamment que les femmes malgaches sont >. 137. Souchu de Rennefort dit plus d’une «complexion amoureuse». F 7 F

198 MADAGASCAR.

et affectionnés, et que comme partout il y a des hommes qui souffrent pour une femme, et des femmes qui aiment leur mari ou leur amant d’un amour profond. Nombreux sont les exemples qu'on en pourrait donner : il n’est pas rare de voir un veuf ou une veuve manifester d’une ma- nière touchante la douleur que leur cause la mort de leur conjoint; on a vu des veuves demeurer des semaines et des mois à côté de la tombe de leur époux, gémissant et pleurant; on a vu des femmes betsimisa- rakä donner des preuves d'affection réelle et de dévouement méritoire aux colons qui les avaient épousées, etc. En réalité, beaucoup de femmes malgaches «scavent aimer», comme l'a écrit un aneien voyageur, et la meilleure preuve qu'on en puisse donner, c’est que nombre de colons, venus à Madagascar avec l'intention de retourner un Jour en Europe ou aux îles Maurice ou Bourbon, y sont restés toute leur vie avec la femme qu'ils y avaient épousée. Îl faut toutefois dire que les Malgaches, n'étant pas d'une nature démonstrative, ne dévoilent pas volontiers les secrets de leur cœur : il parait qu'en dépit de leurs sentiments intimes, les jeunes femmes en général, surtout au commencement de leur mariage, font montre d'indifférence à l'égard de leurs maris, ce qui n’est pas pour plaire aux intéressés!), et, lorsqu'elles souffrent du mal d'amour, elles ont la douleur passive et se livrent rarement à des manifestations exté- rieures.

Les Malgaches, hommes comme femmes, ne dédaignent pas de recourir aux bons offices des sorciers, les uns pour gagner l'amour d’une belle qui reste insensible à leurs assiduités ou pour ranimer celui d'une épouse qui veut se séparer, les autres pour s'attacher un époux volage ou faire la conquête d'un galant réfractaire à leurs charmes. Les mpilokalefont, comme on appelait les Antimoronä d'origine arabe qui s’en allaient par tout Madagascar vendant des amulettes, des talismans et des formules magiques à toutes fins, en avaient naturellement lo safosafoiny viavy | pour être caressé et aimé des femmes], fandraikitry valny tsy tiany | pour gar-

() Aussi les Merinä ont-ils formulé le mifono avona [C'est mal de cacher son précepte suivant : Tsy mety ny manao fitia amour sous des dehors hautains |.

LA

ETHNOGRAPHIE. 199

der une épouse qui veut s'en aller, ete. Dans certaines régions, notam- ment dans le Sud, les femmes convaineues d’user de sortilèges pour se faire aimer de leurs maris étaient mises à mort comme mpamosavÿ, comme sorcières.

Beaucoup de femmes sakalavä et même d'hommes avaient encore, à la fin du siècle dernier, la poitrine, les seins, surtout les bras, marbrés de cicatrices, preuves d'amour que les jeunes époux ou les amants aimaient à se donner, en se mordant au sang ou en se brûlant avec un fer rouge, ou bien en se tailladant la peau avec un couteau : ces stigmates indélé- biles, qui perpétuaient le souvenir de leurs ébats amoureux, étaient à leurs yeux très honorables, et l’un de nous a vu des querelles et des brouilleries dans un jeune ménage parce que la femme n'avait pas voulu se prêter à ce Jeu quelque peu douloureux.

Toutefois il n'en est pas de même partout; dans l'attachement des Mal- gaches du Sud, des Barä, des Antandroy et des Mahafalÿ, pour leurs femmes, qui ont, il est vrai, dans ces peuplades une situation infime, qui sont presque des esclaves, il n'y a ni affection réelle, n1 tendresse, il ny a que de la sensualité : pour eux, «la femme est une machine à plaisir, propre à faire des enfants, qu'ils renvoient lorsqu'elle a cessé de plaire». Chez les Betsileo, cependant plus avilisés, et l’on peut ajouter chez quelques Merinä qui, comme les Betsileo, sont très intéressés, + l’af- fection des femmes pour leurs maris dure tant qu'il y a du riz et des vivres à la maison, mais si la nourriture vient à manquer, la femme ne tarde pas à retourner dans sa famille » . Du reste, si l'amour dans les ménages malgaches est souvent absent, il en est de même de la confiance réci- proque entre époux.

15° La ripÉLITÉ À Mapagascar. Si la chasteté est une vertu rare à Madagascar, la fidélité conjugale ny est guère plus commune. En réalité, 1 y a peu de gens mariés fidèles lun à l’autre et peu d’époux qui ne songent pas à voir leur union brisée autrement que par la mort. Ce n'est guère dans le Sud-Est et dans le Sud que chez les nobles Antimoronä (Antionÿ,

0) Lieutenant Bührer et capitaine Vacher. (? Rév. J.-H. Harce, Ant. Ann., 1809, p. 328.

200 MADAGASCAR.

Zaliisimaité, etc.), chez leurs voisins les Antifasinä ou Zafisoronä, qui habitent Mahamaninä et les bords du Manambavä, et les Antisakä, et chez certains clans mahafalÿ", dans le centre, chez les Zanakantiträ (clan d’Ambodiranô)®, et dans le Nord-Est chez les Antivongë), que ladul- tère est un acte criminel et honteux, non toutefois qu'il y soit rare, comme le fait préjuger la coutume qu'ont les Antimoronä, lorsqu'ils reviennent de voyage, de soumettre leurs femmes au jugement de Dieu : quand ils arrivent, en eflet, 1ls ne se rendent pas de suite chez eux, ils vont chez

le chef de leur famille et font prévenir leur femme qui accourt aussitôt; | il ny a aucune manifestation de joie de part ni d'autre, aucune effu- sion de cœur, nulle accolade ni embrassement; le mari exige que sa

femme, en présence des parents et des amis, prête le serment qu'elle

0 Voir à l’Appendice les 38 et h1.

® Les Zanakantiträ ne se marient qu’en famille; ils sont réputés pour leur fidélité en ménage, el les divorces sont rares parmi eux.

1) L'Ivongÿ est la province comprise entre l'Anové, dont l'embouchure est par 16° 36 lat. Nord, et la Manankatafä, dont l’em- bouchure est par 17° 4’, province située en face de l'ile Sainte-Marie. Ses habitants sont, d'après le commandant Tralboux, des descendants d'immigrants arabes qui ont

fondé, vers la fin du x1v° ou le commence- ment du xv° siècle, une colonie en ces pa- rages et dont une branche, connue sous le nom d’Antitsimetô ou Zaftsimaïtô, s’est éta- blie dans le Sud-Est sur les bords du Ma- ütananä. «Les femmes de l’'Ambanivold (entre la côte Est et l’Ankay), a écrit Du- maine en 1790, ont des inclinations moins libertines que sur la côte; les liens du ma- riage y sont plus resserrés par les lois el par les coutumes... L'adultère y est sévère- ment puni (*).»

() On a prétendu (Guide de l’immigrant, 1899, p. 377) que la fidélité conjugale était remarquablement gardée par les Tsimihetÿ (qui sont, comme l’on sait, assez nombreux dans la région de Mandritsarä et entre Mandritsarä et la mer) et que le contraste était frappant entre leurs mœurs et celles des Merinä qui habitent le même pays. Ils ne méritent pas cet éloge, car le commandant Tralboux, à qui l’on doit une étude intéres- sante sur ce clan (Revue de Madagascar, mars 1903, p. 231 et 232), dit que, «tant que son enfant est à la mamelle, il est interdit (/adÿ) à une mère tsimihely d’avoir des relations avec un homme autre que son mari», ce qui n'implique pas une fidélité à toute épreuve parmi les femmes de ce clan, et que l’adultère n'est puni que d'une simple amende. Toutefois, dans certains cas, même dans les peuplades les mœurs sont les plus libres, chez les Merinä par exemple, qui sont du reste peut-être les seuls, les femmes, mariées ou non, s’engagent à rester fidèles à leur mari ou à leur amant pendant un certain temps. M. Carol raconte avoir assisté au diner d'adieu donné par la famille d’une jeune Hovä à un Européen qui avait épousé cette jeune fille à la mode du pays et qui s’en retournait en France pour une année; il lui avait proposé de l'emmener avec lui, mais celle-ci, après lui avoir déclaré, très triste, qu’elle ne saurait se résoudre à quitter la terre de ses ancêtres , l'avait mené devant son tombeau de famille : «Puisque tu dois revenir dans un an, lui avait- elle dit, je t'attendrai fidèlement, car tu es la chère moitié de moi-même. Si, au bout d'un an, tu n'es. pas revenu, je me considérerai comme libre des liens qui nous unissent et j'épouserai un des nôtres. J'en fais le serment ici, serment qu'on ne viole pas.» Ce serment prononcé sur le tombeau des ancêtres, serment sacré entre tous, a été maintes fois prononcé dans les mêmes conditions et toujours religieusement tenu.

ETHNOGRAPHIE. 201

lui a été fidèle pendant son absence et qu'elle subisse lordalie habi- tuelle : car, dit-il, «si tu n'as rien à te reprocher, tu es sûre de sorür de l'épreuve saine et sauve; mais, si tu as péché, que les crocodiles te dévorent!+ On conduit la femme au bord de la rivière voisine, les crocodiles pullulent et qu'elle doit traverser à la nage : si elle sort indemne de l'épreuve, son mari lui fait le cadeau qu'il lui rapporte de son voyage et fête son retour, la bouteille de rhum en main; mais, si elle refuse de se jeter à l’eau ou si elle est happée par un crocodile pendant la traversée, 1l la répudie, et dès lors elle vit dans l'opprobre, sans trouver homme qui veuille l'épouser . Nous ferons toutefois remarquer que le mari faisait un long voyage, un voyage dangereux, et que, suivant la croyance générale dans tout Madagascar, une femme qui commet l'adul- tère dans ces conditions est toujours accusée de sorcellerie, et par consé- quent criminelle au premier chef.

Partout ailleurs, l'adultère est un péché mignon, obligatoire même dans certains cas; mais il est toutefois plus ou moins grand suivant les circonstances et les individus, car le crime n’est pas dans l'acte même, mais, comme nous le verrons, dans les circonstances on le commet; même les Roandrianä ou nobles de PAnosÿ ©), qui sont cependant, comme les nobles Antimoronä, des descendants d’'immigrants arabes, +sils n'aiment pas qu'on leur parle de la lubricité de leurs filles et de leurs femmes, ne se fâchent pourtant pas qu'on passe le temps avec elles, pourvu qu'on en garde le secret».

16° La sacousre À Manacascar. « À Madagascar, les époux s'aiment sans arrière-pensée et les maris ne sont pas jaloux, écrivait Mayeur en 1789. S1 l’un d'eux manque à la foi conjugale, il n’est point obligé de faire réparation à l’autre; quelquefois même 1ls en plaisantent entre eux, et un mari qui, après plusieurs années de cohabitation avec sa femme, voit qu'elle n'a pas eu de galant pendant tout ce temps, lui en fait parfois

(1) Cf. Sxaw, The Arab element in South les Roandrianä AntanosŸ, les infidélités des

East Madagascar, Antan. Ann.,189h,p. 206. femmes ne font pas scandale, surtout si 2) Chez les Antambahoakä, qui sont, elles sont rémunérées. comme l’on sait, de la même souche que 8) Fracourr, Hist. de Madap., 1661, p. 87.

ETHNOGRAPHIE. 26

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202 MADAGASCAR.

le reproche : «Tu es heureuse, lui dit-il, que je F’aie épousée, puisque personne ne a recherchée depuis que tu es avec moi »".

Il est certain que très généralement les hommes ne sont pas jaloux et ont d'extrèmes complaisances pour leurs femmes; amants et maris ne semblent pas, en effet, connaitre le tourment de ce mal si commun chez nous : nous avons vu, en parlant de la polyandrie, ainsi qu'au para- oraphe des «Infidélités obligatoires ou autorisées» ©), que les femmes mariées étaient en diverses circonstances les «femmes de plusieurs maris», et que le mari en litre, le mari véritable, ne s'offusquait nul- lement de ces adultères qu'on pourrait qualifier de légaux. Et innom- brables étaient les Malgaches qui considéraient comme un des devoirs de l'hospitalité de prêter une de leurs femmes, la plus jeune et la plus jolie d'ordinaire, à l'hôte de passage qu'ils voulaient honorer. Radamä IT lui-même a maintes fois envoyé sa maitresse bien-aimée, Rasoamezÿ ©, passer une nuit avec des Européens pour qui il avait une estime par- üculière(.

Toutelois, si la grande masse du peuple malgache, à l'instar de ses ancêtres indo-mélanésiens, ne connaissait pas les tourments de la Jalousie, il y a eu quelques peuplades, d’origine sémitique il est vrai, chez les- quelles ce sentiment s'est montré autrefois dans toute sa force. Ainsi 1l parait qu'au xvrr siècle, sur la côte orientale, d’une part à l'ile de Sainte- Marie®) et à la baie d'Antongil® qu'habitaient des descendants d'émi- grants arabes, juifs et musulmans, d'autre part chez les Antambahoakä, d'origine arabe, et leurs voisins les Zafindriambelonä", les hommes étaient jaloux au delà de toute idée», «jusques à la fureur»; ces peu- plades ont bien changé de caractère depuis lors, car 11 n’y a pas aujour- d'hui, sous ce rapport, de différence entre elles et les autres Malgaches.

(M Voyages à Ancove en 1777 et en l'autre sexe » (Bull. Acad.malg.,1 913 ,p-290).

1785. Manuscer. British Museum et Copie Bibl. ® Voir p. 156-158 et 218.

Grandidier, p. 58 et 38. Chapelier dit ) Plus connue des Européens sous le de son côté, en 1803 : r Jamais la jalousie nom de «Marie».

n'a causé de chagrin aux Malgaches», et (4) Notamment avec Lambert, dit duc Hastie avoue, en 1817, «n'avoir pu décou- d'Imerinä, avee un neveu de Laborde, etc.

vrir aucune tendance de jalousie dans l'un ou 6-7) Voir à l’Appendice les 35-37.

ETHNOGRAPHIE. 203

Les Mahafalÿ semblent être les seuls qui aient conservé les habitudes de jalousie apportées par certains immigrants d'outre-mer.

Quant aux rois et aux chefs des diverses peuplades, les uns, ceux des Betsimisarakä (ou Zanamalatä), des Antanalä, de la plupart des tribus betsileo et sakalavä, des Merinà, laissaient leurs femmes sortir librement sans être voilées, les autres, ceux des Antimoronä (Antionÿ, Anakarä, Antitsimetô)®), des Antanosÿ (ou ZafindRaminia)®, des Mahafalÿ(®, des Barä®, des Betsileo de lIsandrä (ou Zafy Manarivô)", des Sakalavä du Ménabé( et du Boinä, des Antalaoträ du Nord-Ouest, les tenaient plus ou moins recluses ou ne les laissaient sortir que voilées et accom- pagnées, et tous ceux qui les rencontraient devaient, sous peine de puni- tions sévères, s'empresser de s'écarter de leur chemin. Les uns comme les autres faisaient sagayer tout individu convaincu d'un commerce illicite avec une de leurs femmes(9.

Si, d'ordinaire, la jalousie ne tourmente puère les hommes à Mada- oascar, elle ne tourmente pas davantage les femmes : + Comme je voyais souvent les femmes d’Andriampanolahä, le plus grand prince du Matita- nanàä, raconte Gauche en 1638, je m'enquis d'elles si elles n'avaient point de jalousie les unes contre les autres; elles me dirent que non, que, la coutume du pays étant d'obéir à leur seigneur, elles y obéissaient sans contredire » (1),

En effet, beaucoup de femmes malgaches ne connaissent pas la ja- lousie due à l'amour; il est vrai que, n'étant pas d'ordinaire sentimentales, elles n'éprouvent guère de ces émotions de lâme qui rendent les rela- tions entre époux et entre amants tout à la fois si douces et si ardentes, et qu'elles n’aspirent pas à entretenir avec eux un commerce spirituel et idéal; aussi sont-elles généralement pacifiques et ne se querellent-elles pas entre elles, à moins que quelque question d’amour-propre ou d'intérêt ne vienne à les séparer, ce qui n’est pas rare.

0-9) Voir à l'Appendice les 38-46. en 1777 (Mauuser. du British Museum et 09) «Mort pour quiconque aurait un Come Bibl. Grandidier, p. 59). commerce criminel avec une des femmes (1) Relations véritables et curieuses de Ma-

du roi d’Ancove | d'Îmerinä |», écrit Mayeur dagascar, 1659, p. 33.

204 MADAGASCAR.

17° Rapports conivGaux. Les Malgaches n'embrassent pas comme nous leurs femmes sur le front, sur les joues, sur les lèvres, pas plus du reste que leurs enfants; ils approchent leur nez du visage de la femme aimée ou de l'enfant chéri et font une forte aspiration, en un mot, ils les flairent, les sentent comme on sent une fleur"), moroka manoroka vady na zanakä, comme ils disent, tandis qu'«embrasser à l'européenne » se dit maitsenisirä «sucer, téter»°). Cette aspiration nasale, qui, à Madagas- car comme dans toute l'Océanie, remplace notre baiser, a pour principe une idée plus délicate que celle toute sensuelle d’où est venue la coutume de nos embrassements"® : l'air qui s’exhale sans cesse des lèvres est pour les Malgaches, comme pour les Océaniens, non seulement un signe de vie, mais une émanation de l'âme, son fofonä comme ils disent, son odeur, son parfum, et en mêlant les haleines, ils croient unir les âmes. Cet orokä ou aspiration nasale, sorte de reniflement, ne se pratique du reste à Madagascar que dans l'intimité, et jamais ou du moins rarement en public" : il est réservé aux mari et femme, aux amants, aux mères et petits enfants, mais un père qui embrasserait sa fille, un frère qui

claves et les inférieurs nilela-paladia, «é- chaient» la plante du pied de leurs mai-

(1) «Les deux amants se firent leurs adieux en frottant leurs nez l'un contre

l'autre el aspirant l'air comme quelqu'un qui prend une prise de tabac» (Adventures 0/ Robert Drury in Madagascar in 1726 , édit. 1807, p. 384, et Collect. Ouvr. anc. Mada- gascar, publiée par A. et G. Grandidier, t. IV, p. 348). Beaucoup d'insulaires océaniens ont le même usage (voir le tome précédent, p. 20). Certains ethnographes

pensent que ce genre de baiser, qui est une manière de saluer assez commune chez les peuples sauvages, a eu pour but, au début, de reconnaître les personnes à leur odeur(!).

®) Il en est qui commencent à nous imiter sous ce rapport comme sous tant d'autres, et nombreux sont aujourd'hui les Merinä qui se plaisent à baiser avec les lèvres les mains des Européens. Partout autrefois, en certaines occasions, les es-

tres, de leurs supérieurs, et les femmes et les enfants nilelak’ongotrà, +léchaient» le dessus du pied de leurs parents lorsque ceux-ci avaient échappé à un danger ou revenaient d'un long voyage, de la guerre. Ce salut de bienvenue se fait encore dans certaines parties de Madagascar : Drury le mentionne maintes fois dans son «Journal», et l'un de nous l'a souvent vu faire.

%) Voir A. Graxniier, «Madagascar et ses habitants», discours prononcé dans la séance publique annuelle des cinq Acadé- mies le 25 octobre 1886, Paris, {nstitut de France.

(4) L'un de nous, au cours de ses longs voyages à Madagascar, n’en a été témoin entre mari et femme qu'une seule fois, en pays mahafalÿ.

ETHNOGRAPHIE. 205

embrasserait sa sœur, seraient regardés comme coupables de relations incestueuses et tenus pour sorciers.

Les femmes malgaches ne sont pas coutumières de ces démonstra- tions d'amour, de ces douces caresses auxquelles nous attachons tant de prix. Le père de famille arrive-t-il après une absence, sa femme, ses enfants ne se portent pas au-devant de lui, la femme l'attend tranquille- ment dans sa case; et quand il arrive, elle ne se précipite pas vers lui, elle reste assise, attend qu'il soit assis lui-même, et alors seulement lui donne le velomä, le salamü, le bonjour. On lui apporte de l’eau pour laver sa figure, on lui sert à manger, puis on cause avec calme, comme si l'on s'était quitté quelques heures auparavant, sans questions empressées d’une part, mi longs récits ou explications de l'autre : 1l s'en est allé, le voici revenu, qu'a-t-on besoin d'en savoir plus?

Dans le lit conjugal, la femme couche toujours le long du mur, le long de la cloison, parce que, disent-ils, «le mari qui dormirait dans la ruelle serait dominé par sa femme»).

Les relations sexuelles ont lieu à toute époque chez les Merinä et chez les Antimoronä, jamais ou du moins rarement au moment des règles chez les Betsimisarakä et chez les Sakalavä. Pendant les derniers mois de sa grossesse, une femme merinä cesse tout rapport intime avec son mari; au terme qu'elle a choisi, elle se refuse, mais après avoir cherché elle- même une remplaçante momentanée, généralement sa plus jeune sœur lorsqu'elle en a une°.

Certaines superstitions ont cours au sujet des relations sexuelles; par exemple, les femmes betsimisarakä du Sud, comme nous l'avons dit, ne consentent Jamais à se donner en plein champ ou dans les bois, n1 dans une maison abandonnée à moins dy allumer le feu, car, disent-elles, elles ne pourraient pendant des heures se dégager des bras de leur partenaire.

Nous avons dit, au paragraphe de la bestialité, qu'il y avait des Mal- gaches, des nobles Antimoronä, qui, au retour d'un long voyage, ne

D Lehilahy manambady nefa mandry andefitra, resim-bavy. ®) D' Fonroynowr, Bull. de la Société de l’Internat, nov. 1910.

206 MADAGASCAR.

rentrent au domicile conjugal qu'après s'être purifiés par un accouplement avec une vache; il y en a d’autres au contraire, les Barä, qui, lorsqu'ils arrivent de voyage, avant de rentrer en contact avec leurs parents et amis, s’enferment quelques instants avec leur femme principale, et ce n'est qu'après avoir rempli leurs devoirs conjugaux et avoir tiré un coup de fusil sur le pas de la porte, afin que nul n’en ignore, que parents et amis accourent leur apporter leurs souhaits de bienvenue et leurs féliei- tations.

Quand lun des époux a offensé gravement l’autre, surtout dans le Sud et dans l'Ouest, notamment chez les Mahafalÿ, il est d'usage qu'il fasse le Bfalafà | htt. : qu'il chasse (loin de son conjoint l’offense)], c’est-à-dire qu'il tue un animal, bœuf, mouton ou volaille, suivant la gravité des cas, et qu'il mette un peu du sang de la victime sur la poitrine de la personne offensée, fâchée | fomangä, comme ils disent |.

Les Merinä ont un certain nombre de maximes dont ils considèrent la pratique comme utile au bonheur et à la tranquillité des ménages, notamment celles-ci : «Il ne convient pas que l'un des époux cache à l’autre ce qu'il pense de sa conduite, s'il ne veut pas souffrir de ne pas lui avoir indiqué les dangers auxquels l’exposaient ses actes!) (les époux sont solidaires et doivent se soutenir lun l'autre)»; «Les époux ne doivent rien faire sans prendre l'avis lun de l'autre), car, disent les Malgaches, «l'époux qui cache à son conjoint ses projets et ses actes est comme un voyageur qui, ayant à traverser une rivière, ne s'informe pas si elle est guéable et risque de se noyer ou d'être happé par les crocodiles», etc.

Il y a aussi certaines prescriptions que les Malgaches qui sont mariés doivent suivre sous peine de devenir à bref délai veufs ou veuves : ans, par exemple, les Merinä mariés ne doivent pas dormir dans le même Hit ou manger dans la même assiette avec un veuf ou avec une veuve ou manger leurs restes, se couper les ongles le mardi, présenter un plat à

0 Tsy mety ny misorom-bady an-trano fa Tsy mety ny manambady 1sy miera ny tena ihany no hotrany (Juuxex, Instit. polit. (Juzren, Instit. polit. et soc. de Madagascar,

et soc. de Madagascar, t. 1, p. 215). t 1; /p..2#0)7

ETHNOGRAPHIE. 207

quelqu'un en lui tournant le dos", nouer les franges d’un lamba, etc., sans quoi ils ne tarderont pas à perdre leur femme ou leur mari.

18° ConNDiTION DE LA FEMME MaRIÉE À Mapacascar. L'état social d’un pays est toujours en rapport avec la place qu'y occupe la femme; c’est ce qu'on constate également à Madagascar les peuplades les plus civilisées sont celles qui accordent aux femmes la place la plus élevée et la plus importante. Tandis que dans le Sud, notamment chez les ZafisoronäW,, chez les Barä, chez les Mahafalÿ et chez les Antandroy, qui sont les plus brutes de tous les Malgaches, les femmes sont ravalées presque au rang d'esclaves, chez les Betsimisarakä, chez les Betsileo, même chez les Sakalavä et surtout chez les Merinä, qui sont les plus civilisés de tous, elles sont bien traitées et elles exercent dans leur famille comme dans leur ménage une réelle influence.

Non pas qu'il y ait, même chez les Merinä, égalité entre les sexes, ce qui n'est pas plus possible à Madagascar qu'ailleurs à cause des fonctions dont la nature charge les femmes comme partout et qui leur imposent des devoirs spéciaux, mais elles y sont choyées!?, respectées dans la limite dés prérogatives que leur assignent les coutumes, comme il ressort des paroles qu'il est d'usage de prononcer lorsqu'on fait une demande en ma- rlage : Tsy hyfanantona, tsy hifanisy ratsy, fa hifanaa sy hifanome vonina- hitra | Soyez assurés que les époux vivront ensemble en paix, qu'ils ne se querelleront pas, qu'ils se respecteront et s’honoreront mutuellement® |. Voici, du reste, quelques maximes qui, bien qu’elles ne soient pas suivies

0) Excepté chez les Barä dont les femmes ne doivent pas regarder leurs maris pen- dant qu'ils mangent; elles les servent tou- jours en leur tournant le dos.

® HF. Sraxninc, Bull. de l'Acad. malo. 190/, p. 112-113.

3) Th.Lonn, Antan. Annual, 1892, p.473.

%) «Les Hovalahy (les Merinä) ont en général pour les femmes des manières com- plaisantes qu’elles s'efforcent de mériter par leur douceur et leur affabilité» (Maveur, Deuxième voyage dans l Ancove en 1785).

(5) Andrianampoinimerinä a recommandé d'une manière spéciale aux époux de vivre en paix et de ne pas attacher d'importance à leurs querelles, à leurs adim-pivadiÿ _ : «S'il y a entre vous, dit-il, une querelle le soir, faites en sorte que la réconciliation soit faite le matin, et si la querelle a lieu le malin, il est bon que la réconciliation soit faite le soir même» (Kabary d'Andria- nampoinimerinà à la fin du xvur° siècle, Juuten, /nstitutions politiques et sociales de Ma- dagascar, 1. T, p. 329).

208 MADAGASCAR.

à la lettre (excepté la dernière), montrent bien que la femme, au moins dans le centre de l'ile, et l’on peut ajouter, sur la côte orientale, est consi- dérée par son mari non comme une esclave, mais comme sa compagne, et est traitée avec égards : {ay manjo vady manjo tena [Un malheur pour un des époux est aussi un malheur pour l'autre!]; Vady mifanha- hita tenda | Des époux doivent se montrer leur gorge jusqu'au fond (ne pas avoir de secrets l'un pour l'autre) |; Ataovy toy ny tsipoy mifamelomu [ (Jeunes époux, disent les parents), imitez les perdrix qui s'entr'aident mutuellement®]; Toy ny ray aman-dreny : ny ray niteraka, ny ray niampofo, ka samy tiavo | Si ton père t'a engendré, ta mère t'a nourri et bercé sur son sein; à tous deux tu dois un égal amour], ele. Toutefois il en est d’autres qui indiquent nettement que la femme doit obéissance à son mari : Ny vady fanaraka | La femme doit suivre son mari |, et qu'il ne faut pas lui laisser la haute main dans le ménage : Misorom-badyy an- trano, ka ny lena hiany no hotrany [ Être trop indulgent pour sa femme, c'est faire le malheur du ménage |.

En effet, à Madagascar comme ailleurs, l'homme, dès qu'était accompli le rite du vody ondrÿ ou du tombom-poitsä, équivalent de la signatufe du contrat, devenait le {ompom-panambadianä, c'est-à-dire le maitre absolu : il avait autorité maritale pleine et entière sur sa femme, qui lui était dès lors, de droit et généralement de fait, subordonnée; aussi, lorsqu'il se laissait dominer, disait-on en le raillant : Afanjoana lahy, salakana vekivavy | Qu'il prenne la jupe, et que la femme mette la culotte à sa place |.

C’est surtout chez les Betsileo qu'on trouve des femmes fortes, n'admet- tant pas que leurs maris puissent leur être supérieurs en intelligence

0) G. Monpain, Bull. de l’Acad. malyache, (4) Tina, thd., 3993. 1905-1906, p. 56. (6) Jipem, abid., 2158.

2) Rev. W.-E. Cousins et J. Parrerr, Ny (6) Tineu, ibid., 1839. Car, suivant un Ohabolan' ny Ntaolo, 1885, 3591. de leurs dictons, malheur à la poule qui se

6) Tinew, ibid., 316. Les tsipoy met à chanter comme le coq la femme perdrix malgaches onl, comme les pigeons qui, dans le ménage, prend la place de chez nous, la réputation de s'aimer d’un l’homme) | Akohovavy maneno, ka lozainy ny amour tendre. vavany |.

ETHNOGRAPHIE. 209

ni en vigueur et ne craignant même pas d'en venir aux mains avec eux!”

Une fois mariée, la femme malgache était une sorte de bien meuble, entrant non seulement dans lexpropriation légale des biens du mari en cas de dettes ou de crime, mais pouvant même, en Îmerinä avant Andrianampoinimerinä, être au gré de son mari vendue) ou échangée contre une autre; elle n'était pas admise à porter plainte contre son mari en Justice, tandis que celui-ci avait à cet égard toute liberté d’ac- tion®). La polygamie et le divorce mettaient encore la femme malgache dans un état d'infériorité marquée, car l'homme non seulement pouvait épouser plusieurs femmes, mais 1l pouvait divorcer à peu près quand il voulait ; la femme n'avait pas la même facilité, et cependant, comme nous l'avons déja dit, elle avait, surtout chez les Merinäl® et les Betsimisarakà, voix au chapitre dans la famille et avait en somme une position privilégiée;

() Rev. J.-H. Huize, Antananarivo Annual, 1899, p. 337-

2) On appelait les maris qui vendaient leurs femmes lahy homam-badÿ [hommes mangeurs de femmes * |.

« © Il y avait en effet des maris qui tro- quaient leurs femmes, quand elles avaient cessé de leur plaire.

%) Andrianampoinimerinäà avait décrété, dès la fin du xvim° siècle, que la plainte d'une femme contre son mari n'était point recevable parce qu’elle pouvait être due à la rancune. L'article 20 du Code de Ranavalonä dit : «Est considérée comme nulle toute accusalion portée par une femme contre son mari, même si elle est divorcée et remariée».

(5) Dans certaines classes, la femme mal- traitée pouvait cependant se plaindre aux chefs, comme chez les Maroandrianä du dis- trict de TsiafahŸ, par exemple, mais ceux-ci

étaient enclins à déclarer que, si la femme avait été battue, c’est qu'elle l'avait mérité (Journal office. Madagascar, 15 mai 1897).

(5) «Dans nombre de proverbes merinä, on remarque un certain dédain pour la femme, qui cependant, comme mère et comme épouse, ne le mérite pas d'ordinaire. L'histoire, en effet, a conservé maints sou- venirs de la fermeté et de l'énergie que les femmes merinä ont montrées, poussantleurs maris aux combats et à une résistance hé- roïque, nolamment chez les Manisotrà chez lesquels AndrianamboatsimarofY s'était ré- fugié, ayant perdu par sa faiblesse et sa faute Tananarive, et dont les femmes l’en- hardirent à continuer la lutte qu'il était prêt à abandonner; il y a aussi et surtout la résistance d’Ambohijokÿ contre Andrianam- poinimerinä qui ne s'en empara qu'après maints assauts dans lesquels les femmes se montrèrent intrépides en paroles et en

® Ts la vendaient soit pour payer des dettes, soit à un autre homme qui désirait l’épouser, pourvu toute- fois qu'il fût de même caste, les deux tiers du prix de vente revenant au souverain, et l’autre tiers au mari. Dans le Kabarÿ tenu à Tananarive à la fin da xviu* siècle, Andrianampoinimerinä défendit formellement qu'un mari vendit sa femme comme esclave : «J'ai seul le droit de disposer de la liberté de mes sujets, dit-il. Quiconque contreviendra à mon ordre sera lui-même vendu comme esclave, et la vente qu’il aura faite de sa femme sera nulle» (cf. Juiex, Inst. polit. et soc. de Madagascar, t. Il, p. 214 ett. 1, p. 323).

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IMPRIMERIE NATIONALE.

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son mari lui devait aide et protection, ainsi que les moyens d'existence, tandis qu'elle s’occupait des travaux domestiques. D'ordinaire, l'homme se mettait seul à table avec ses amis, et la femme le servait, puis elle mangeait avec les jeunes enfants.

Si du centre de File, de llmerinä, est la population depuis longtemps la plus policée de Madagascar, nous passons dans l'extrême Sud, dans l’Androy qu'habitent les Malgaches les plus sauvages de toute l'ile, nous y trouverons la femme réduite à la condition la plus basse, à un véritable esclavage : +Nubile ou non, dit le capitaine Vacher", la jeune fille antandroy est cédée, le plus souvent contre ses goûts, à l’homme jeune ou vieux qui la demande à son père en échange d'un cadeau, et, quelle que soit la fortune du père, elle part avec une vache pour toute dot, livrée entièrement à son mari qui est dès lors seul juge de ses besoins et de ses actes et qui a sur elle, en certains cas, droit de vie et de mort : convaincue d’adultère (péché d'ordinaire bien vémiel à Madagascar), 11 peut la frapper à coups de poing, à coups de bâton, à coups de pierre, sans que personne puisse, le cas échéant, lui reprocher sa mort; toutefois elle ne peut être frappée à coups de pied, qui sont réservés aux esclaves et aux chiens, et, si son mari lui faisait une sem- blable offense, elle pouvait se réfugier chez son père qui, du reste, proi- tait de l’occasion pour satisfaire sa cupidité en demandant une indemnité au mari, auquel il la remettait ensuite.» La condition inférieure faite à la femme chez les Antandroy apparait dans tous les actes de leur vie),

actions; ce roi dit à cette occasion : « Que admise à cuire sa nourriture lors de celte

faire ? les femmes mêmes ont pris des «lances et des fusils!» Il n’en vint à bout que par la famine. .

«La femme merinä a donc, dans le ma- riage, sa part d'autorité légitime : mais il n'y en a pas moins, entre l'homme et elle, une grande différence de niveau social, et, malgré ses exemples de courage, elle est considérée comme une créalure faible et lâche puisqu'elle ne porte pas l'enfant qu'on va circoncire et qu'elle n’est même pas

cérémonie» (G. Monvaix, Bull. Acad. mal- gache, 1905-1906, p. 57).

() Revue de Madagascar, février 1904, p. 119-113, et Bulletin Acad. malgache , 1905-1906, p. 76.

2) «Dans la case, elle s’accroupit au pied du lit, laissant à son mari la place d'hon- neur à la tête ; il lui est interdit de se servir de sa cuiller el même de son assiette; tous les travaux, toutes les corvées lui incom- bent, etc.» (Cap. Vacuer.)

ETHNOGRAPHIE. 211

notamment dans Fexclusion de l'héritage de ses parents, car, füt-elle seule héritière, elle n'avait aucun droit sur leurs troupeaux de bœuls.

Moins misérable était la condition des femmes antanalä, antanosÿ et même barä, car, tout inférieure qu'elle fût encore à celle des femmes des peuplades agricoles, elles avaient le droit d'hériter, de posséder et de tester, et en aucun cas leurs maris ne pouvaient les mettre à mort.

Chez les Barà, le chef de famille était maître absolu chez lui; il avait le droit de battre ses femmes à sa guise, mais, sil les blessait ou s'il les frappait avec le pied, ce qui était une grave offense, il était tenu de re- cheter sa faute par le don d'une vache ou d’un bœuf, ou bien d'accepter le divorce s'il était réclamé par la femme maltraitée, et, si la mort s’en- suivait, de payer comme un criminel ordinaire une amende de 30 bœufs". Une femme barä qui quitte son mari, dit le Rév. R. Baron, «est souvent tuée par son père qui la Juge indigne de vivre».

Les femmes antanosÿ ont en général un meilleur sort que les femmes antandroy, mahafalÿ et barä, ce qui ne les empêche pas d’être quelque- fois, elles aussi, victimes des brutalités de leurs maris, comme en témoigne M. Tou, missionnaire norvégien ® : « Entrant un jour dans un village antanosŸ, j'entendis de grands cris. Je savais par expérience ce que c'était : un mari battait sa femme, et en effet je ne tardai pas à voir un homme qui trainait sa femme par les cheveux; il lui donna un dernier coup et elle s'enfuit en pleurant. La reine était là, j'allai la saluer et je lui exprimai mon étonnement de ce qu'elle n'avait rien fait pour mettre fin à cette scène honteuse. Oh! dit-elle avec un grand calme, c’est qu'elle aura ennuyé son mari, et, sil s'est mis en colère et l’a corrigée, il a bien fait.»

La femme malgache en se mariant, sauf chez les Merinä en certains cas que nous spécifierons tout à l'heure, ne rompait pas les liens qui lattachaient à sa famille : elle continuait à y compter, elle en gardait les Jadÿ croyances particulières qu'elle ne confondait pas avec celles de

(D Cap. Vacuer, Revue de Madagascar, (2 Bulletin trimestriel des Missions luthé- févr. 1904, p. 115. Du reste, un mari barä riennes à Madagascar, 9, 15 févr. 1900, vend souvent les faveurs de ses femmes. p- 18.

219 MADAGASCAR.

“12

son mari, elle y revenait vivre en cas de divorce, de veuvage ", elle était et d'ailleurs est encore enterrée dans le tombeau de ses parents, et non dans celui des parents de son mari ses enfants seuls avaient droit d’être ensevelis. Ghez les Merinä toutelois, quand une femme ayant des enfants issus de son mariage, une femme reny anakà [mère d'enfants |, suivant leurs termes, mourait avant ou après son mari sans l'avoir Jamais quitté, on l’ensevelissait à ses côtés, et tous deux étaient roulés dans le même linceul®; mais la femme décédée sans enfants de son mari, la femme fotsinantsÿ , était enterrée dans le tombeau de ses père et mère, à moins de conventions spéciales ou de l'adoption par son mari des enfants qu'elle avait eus avant son mariage”.

La femme malgache, surtout tant qu'elle n'avait pas d'enfants, lais- sait ses biens propres, ses bœufs lorsqu'elle en possédait, non pas entre les mains de son mari, mais entre celles du chef de sa famille, à qui elle remettait aussi au fur et à mesure ce qu'on lui donnait, ce qu'elle ga- gnaitP. En outre, elle avait d'ordinaire, en cas de divorce ou de veuvage, droit au fahatelontananü, c'est-à-dire au tiers de tous les produits du mé- nage, des biens acquis en communauté durant le mariage. ;

Étant données cette séparation de biens, cette opposition d'intérêts entre mari el femme, 1l n'est pas étonnant qu'il y ait, surtout chez les Merinà et les Betsileo qui sont les plus intéressés des Malgaches, peu de confiance mutuelle entre époux qui, en réalité, sont ridiculement soup- conneux l’un envers l’autre. Le Rév. John H. Haïle raconte que, lorsqu'un Betsileo s’absente de son logis, 1l ne laisse pas à sa femme la libre dispo-

sition des provisions du ménage, et qu'il lui remet souvent une si petite

() Comme en Germanie ancienne, ete. () Jucrex, fnstit. polit. et sociales de Mada-

(2) Si, devenue veuve, elle se remariait et n'avait pas d'enfants de ce nouveau ma- riage, elle conservait ce droit; elle le per- dait et devait être inhumée avec son second mari, si elle en avait.

6) Lit. : une simple lame de couteau

dépourvue de manche), qu’on ne tient par q P

conséquent pas bien en main, qui n’est un outil dont on ne peut pas se servir.

gascar, L. IT, p. 213.

6) [l'y avait même des femmes qui sous- trayaient peu à peu et en secret des objets appartenant à leur mari, objets qu'elles portaient ou faisaient porter par leurs es- claves chez leurs parents; on appelait les maris qui se laissaient ainsi berner mira- kitra an-karon-doa-body [ceux qui serrent leurs biens dans un panier sans fond |.

ETHNOGRAPHIE. 213

quantité de vivres qu'elle est obligée de se procurer le nécessaire d’une ma- nière quelconque; il y en a même qui usent de subterfuges pour s'assurer des habitudes économiques de leurs compagnes : un de ces maris, soup- connant sa femme de détourner du riz au détriment du ménage, enferma dans la huche une souris; revenant peu après, 1l trouva la bête partie, et eut beau jeu pour accuser qui de droit". Les Malgaches du Sud sont particulièrement méfiants, mais les plus méfiants de tous sont les Barä et les Antandroy qui poussent ce travers au delà de toute mesure; «entouré d'ennemis qui en veulent à sa vie et qui convoitent ses biens, l'Antandroy, dit le capitaine Vacher, se méfie de sa femme, de ses enfants, est toujours sur ses gardes et ment à tous instinctivement, même à sa femme » ©.

Les relations entre mari et femme dans la vie domestique sont soumises à des règles quasi protocolaires. Ils ne se donnent jamais de ces petits noms d'amilié, de ces petits noms tendres, dont nous sommes coutu- miers ; la femme, comme nous l'avons dit, appelle son mari tompokolahiÿ [mon maitre] ou rain-janakà | père des enfants |, et le mari appelle sa femme reny anakä [mère des enfants] ou ramatoa | l'ainée, la vieille] sil s'adresse à la première en date. Lorsque le mari est à la maison, sa femme étend à l'est du foyer une natte spéciale sur laquelle il a seul le droit de s'asseoir”. Quand ils sortent ensemble, ils ne marchent pas côte à côte, l’homme est toujours en avant. Les femmes ne mangent pas avec leurs maris, excepté le jour de leurs noces”, et c'est seulement lorsqu'ils ont fini quelles prennent leur repas); souvent ce sont elles qui les servent, lors même qu'ils ont des esclaves; d’autres, comme les femmes barä, s'accroupissent aux côtés de leurs maris, et avec une sorte d'éventail chassent les mouches et refroidissent les mets, tout en tournant

0) Antananarivo Annual, 1899, p. 328. (6) Cap. Vacuer, Revue de Madagascar, 2 Rev. de Madagascar, janv. 1904, p. 3. 2°seM. 1909, p. 33D. «Pourquoine mangez- 5) Les Bezanozand appellent cette natte vous pas avec vos femmes qui ont ainsi leur tambilahÿÿ, et si un autre que le mari s'en repas froid?», demandait le Rév. Nielsen à

sert, c'est un grand sujet de dispute. un chef barä. Parce que, lui répondit-il, (4) C'est là, en effet, comme nous l'avons elles sont nos esclaves, et, si elles ne veu- dit, un des rites de la célébration du ma- lent pas attendre, nous les matons en leur

riage malgache (voir pl. 87 et 88). donnant des coups sur la tête.»

21h MADAGASCAR.

la tête de manière à ne pas les regarder pendant qu'ils mangent. Chez les Antandroy, le mari a sa cuiller et son assiette personnelles dont ses femmes ne doivent se servir sous aucun prétexte (. Chez les Antanosÿ, mari et femme mangeaient ensemble s'ils étaient de même caste, mais un Roandrianä ne mangeait pas avec sa femme si elle était une Anakandrianä, de même d’ailleurs qu'une Roandrianä ayant épousé un Anakandrianä ne voulait souvent pas manger avec son mari ®); mais aujourd'hui, chez les Antanosÿ émigrés du moins, les repas ont lieu d'ordinaire en commun, les familles se groupant par deux ou trois sans distinction de sexe ni d’âgel). Chez les Betsileo, les divers membres d’une famille mangent les uns après les autres, d'abord le père avec les invités, s'il v en a, puis le fils ainé et successivement les autres fils, tous servis par les femmes qui, par res- pect, ont le bras nu et prennent leur repas les dernières ; quoique le dicton merinä fanambonim-bary anjaran’ ny lehilahy izany [la femme qui mange le dessus de la marmite de riz usurpe le droit de l’homme | montre qu'en Imerinä comme partout ailleurs à Madagascar les hommes doivent manger avant les femmes, on voit aujourd’hui assez souvent les femmes assises à la même table que leurs maris.

Mariées ou non, les femmes portent le même costume, sauf sur la côte Sud-Est les jeunes filles antanosÿ et antimoronä ont les cheveux coupés ras sur le sommet de la tête et portent sous les bras, enserrant leurs seins, une ceinture en natte de joné large de 6 à 10 centimètres ©. Toutefois, lorsque leurs maris sont partis à la guerre ou absents pour le service du souverain, les femmes, qui sont alors sacrées, auxquelles il est fadÿ, interdit, de toucher, portent quelque insigne indiquant leur inviolabilité momentanée : chez les Merinä, un collier de verroteries, d’anneaux d’ar- gent ou de cheveux tressés(°); chez les Sakalavä, une baguette à la main, ete.

(0) Cap. Vacuer, Revue de Madagascar, 1 sem. 1904, p. 116.

% B.Hucow, 1818, Arch. colon., Madag.

5) Cap. Vacuer, Revue de Madagascar, sem. 1903, p. 330.

0) H.Huce, Antan. Annnal, 1899 ,p. 329.

5) Rochon dit que «les femmes mariées

antanosŸÿ se reconnaissent à leurs cheveux tressés et liés en forme de bouquet sur le sommet de la tête, tandis ue les filles les laissent tomber négligemment sur leurs épaules » [?]( Voy. à Madag. en 1 708, p.37).

(6) Euus, History of Madagascar, 1838, il p-467:

ETHNOGRAPHIE. 215 À Madagascar, comme partout, hommes et femmes ont en général chacun leurs occupations bien définies, car, disent les Malgaches, 11 y a des travaux en dehors de la compétence et au-dessus des forces des femmes : Vehivaoy sy mahafaty lambo, amalo-masaka tsy afa-mandeha [Une femme n'est pas plus capable de tuer un sanglier qu'une anguille cuite de nager |. Aux hommes incombent les principaux travaux agricoles, la construction des maisons, l'élevage et la garde du bétail, le portage et, sur les côtes, la navigation et la grande pêche; les femmes ont, dans leur lot, d'abord l'élevage des enfants et les travaux du ménage, pilage et vannage du riz, cuisine, service des repas, puis le filage et le tissage des étoiles, le tressage des nattes, des paniers et des chapeaux, la fabri- cation des poteries, l'élevage des volailles, dans le centre la cueillette de l'herbe pour combustible, certains travaux de culture, la pêche des petits poissons dans les mares et les lagunes, le portage des paquets du ménage et quelquefois même des gros colis"). En général, les femmes travaillent plus que les hommes et Jusqu'à un âge plus avancé qu'eux, à l'exception, Jusqu'à notre prise de possession, de celles qui, possédant des esclaves, se reposaient sur elles de la plupart, sinon de tous les travaux manuels: Quant au commerce et à la métallurgie, ils étaient et même sont encore très peu développés : les Merinä seuls ont le goût et l'entente du com- merce, surtout les hommes, qui non seulement sur les marchés du centre de l'ile, mais comme colporteurs et commis voyageurs dans les diverses provinces, se livrent avec activité et âpreté à toutes sortes de négpoces; les femmes vendent aussi aux marchés, mais seulement les pro- duits de leurs travaux et de leurs cultures, nattes, chapeaux et autres menus objets, ainsi que des légumes et des fruits. La fabrication du fer et des outils rentre dans les occupations des hommes, mais ce sont des familles spéciales qui se livrent à ce travail, et elles ne sont pas nom- breuses.

Tandis que, chez les peuplades agricoles du Gentre et de l'Est, les

Tandis que les hommes portent tou- paquets sont attachés (mitakonä ou milanjà), jours les paquets avec un bao, un bâton, les femmes les portent sur la tête (milolohü) au milieu ou aux deux bouts duquel ces et quelquefois sur le dos (mambabÿ).

216 MADAGASCAR.

hommes travaillent aux champs avec plus ou moins d'ardeur suivant les régions, les bêchant, les irriguant ou les fumant, et procédant suivant les saisons aux semailles ou à la moisson, chez les peuplades pastorales de l'Ouest et du Sud qui sont plus indolentes et plus paresseuses, ils tra- vaillent aussi à la terre, toutefois sans grand entrain et seulement pen- dant peu de temps; mais leur vraie occupation, on peut dire leur passion, est l'élevage du bétail", occupation à laquelle ils joignaient, jusqu’à notre conquête, la maraude et surtout le vol des bœufs, parce que rien ne les arrétait quand ils pouvaient accroitre leurs troupeaux.

Chez les peuplades agricoles, les femmes aident les hommes dans les travaux des champs, arrachant les mauvaises herbes des rizières, repi- quant les ketsä ou jeunes plants de riz, transportant sur l'aire les gerbes coupées par les hommes et le grain, lorsqu'il est battu, au tranombarÿ, au grenier, ou au lava-barÿ, au silo, dans lesquels on le garde. Chez les peuplades pastorales du Sud, Barä, Antandroy, Mahafalÿ, les femmes sont, comme nous l'avons dit, réduites à un vrai servage et chargées de tous les travaux manuels, même les plus durs; ce sont elles qui cultivent les champs et qui portent les paquets.

Quoique la femme à Madagascar fût plus ou moins, mais toujours, subordonnée à l’homme, chez toutes les peuplades, hormis peut-être les Tanala Manambia, les princesses pouvaient prétendre au pouvoir suprême ; les souverains, rois ou reines, étaient en effet aux yeux des Malgaches des personnages sacrés, représentants de Dieu sur la terre, des fétiches vivants. [ls admettaient aussi des divinités femelles et croyaient que cer- taines femmes, à certains moments, devenaient le réceptacle de esprit des ancêtres, leur porte-paroles (Andriamandresÿ, etc).

19° Anuurère. La chasteté conjugale est à peu près inconnue aux Malgaches, qui n’attachent aucune honte à des actes qui, à leurs yeux, sont

U) Les Antandroy ne tolèrent pas que gens du village; on ne donne d'ordinaire les femmes s'occupent du bétail; elles ne à la femme antandroy qu'une vache et son sont même pas admises à traire les vaches. veau, cadeau «énorme» puisqu'elle n'a ni Du reste, fût-elle fille unique, lafemme pris, ni gardé, ni défendu les bœufs de son

antandroy n’a jamais droit au bétail laissé père (Cap. Vacuer, Revue Madag., sem. par ses parents : il est réparti entre les 1904, p.114).

ETHNOGRAPHIE. 217

tout naturels, qui, pour eux, sont de simples amusements inoffensifs(". En théorie, la femme mariée malgache ne peut se donner sans le consen- tement de son époux, ce qui est une conséquence du droit de propriété qu'il a sur elle, mais celui-ci a le devoir d'accorder, de par la coutume et de bon gré, son consentement à certaines catégories de personnes, comme nous l'avons dit, et ce consentement 1l le vend aux autres quand l’occasion s’en présente, aussi bien quand il aime sa femme que lorsqu'elle lui est indifférente ; disons toutefois que, d'ordinaire, celle-ci se passe de l’auto- risation maritale. En réalité, comme le dit Flacourt, «entre ceux qui sont mariés, l'adultère est seulement réputé un larcin qui n'a rien d'ignominieux» et qui ne tire pas à conséquence.

Cette idée que la grande majorité des Malgaches se fait de l’adultère tient à leur conception du mariage dont le but principal, sinon le seul, est, comme nous l'avons dit, d’avoir des enfants pour perpétuer le culte de la famille, peu importe que ces enfants soient naturels, légitimes ou adultérins.

Comment, d'ailleurs, les Malgaches pourraient-ils prendre l'adultère au tragique puisqu'ils sont persuadés que certains actes, en appa- rence très inoflensifs et accomplis involontairement par un des époux, l’amènent inévitablement à être infidèle à son conjoint : de sorte que la faute, si faute 11 y a, est indépendante de sa volonté et qu'on aurait mau- vaise grâce à la lui reprocher. Ainsi, par exemple, il est admis que la femme qui, voyant le lait sur le feu écumer et déborder de la marmite, pousse un ei”, ou bien qui, en se regardant dans un miroir, se met à rire, sera forcément infidèle à son mari), ete.

I n°y avait pas dans la langue malgache de mot pour exprimer l'idée d’adultère, si bien que, dans la première édition de la Bible malgache,

() On sait que cette vertu a été longtemps inconnue chez beaucoup de peuples. Le Mahabarata, la fameuse épopée sanscrite, ne dit-il pas : « Ce n’étail pas jadis un crime d'être infidèle à son époux, c'était même un devoir; cette coutume existe encore chez les Kourous du Nord : car toutes les femelles

ETHNOGRAPIIIE.

sont communes sur la terre, les femmes comme les vaches »? (Giraun-TeuLow, L’ori- gine de la famille).

(2) Manakora ronono mandroatra raha vehi- vavy, misinta-dava.

%) Mihomehy mizaha fitaratra ; alain-olom- bady.

28

IMPRIMENIE NATIONALE,

218 MADAGASCAR.

les Anglais ont employé celui de mampisinta-badÿ, Nitt. : désunir des gens mariés. Aujourd'hui, on se sert des périphrases : maka vadin’ olonü ou mandrani-badin olont ou manabodo vadin olonü [litt. : prendre le mari, ou entretenir, ravir la femme d'autrui |, ou encore mankalraträ [litt. : sur- prendre en flagrant délit], manamatÿ | avoir un commerce illégitime |, et plus généralement : mandeha amy ny vady n'olonü [aller avec le mari ou la femme d'autrui |. Dans fe Sud-Ouest, on dit d’une personne convaineue d'adultère, prise en flagrant délit, qu'elle est vambä [litt. : découverte|: pour le mari, le coupable est le rafilahÿ, ennemi, et la femme qui par son inconduite rend la vie commune impossible est une akohovavy ma- nenô, C'est-à-dire que, toute poule qu'elle est, elle chante comme si elle élait le coq.

En réalité, à Madagascar, pour les femmes mariées, le mari à part, les hommes se divisaient en quatre catégories : leurs parents ou alliés au degré prohibé, avec qui toutes relations charnelles sont interdites); les parents et alliés et les frères de sang de leur mari, auxquels elles ont le devoir de se livrer s'ils le demandent, soit lorsque le mari est au loin, soit même lorsqu'il est présent, étant pour eux des tokam-balÿ, des femmes communes”, et auxquels s'ajoutent les hôtes de passage qu'on veut honorer; les autres personnes de même caste ou de même rang, avec qui les relations, tout en étant illégitimes et pouvant donner heu à un recours légal, sont le plus souvent considérées comme de peu de gra- vité; les personnes de classes inférieures et les esclaves, avec lesquels toute relation est considérée et punie comme criminelle.

Du peu de cas que font les Malgaches de la virginité et de la chasteté, il s'ensuit que les infidélités conjugales étaient d'ordinaire à Madagascar considérées comme des fautes légères, vénielles, de simples peccadilles ”, et que par conséquent il existait partout une grande licence de mœurs;

M Noir p.147-149.— % Noir p. 154-156 et 209. (#) On peut même dire actes dignes d’éloges dans certains cas (°).

«Pour les femmes malgaches, ce n’est pas un vice de traiter l'amour avec d’aulres hommes qu'avec leurs maris. .... Il y a pourtant, à Madagascar comme partout, de la vertu et l'on y trouve des femmes aussi retenues que parmi les peuples les plus civilisés (!). Les maris ne sont pas sans contribuer quelquefois à leurs débordements. En voici un exemple entre beaucoup d'autres que je pourrais citer : un indigène, et

ETHNOGRAPHIE. 219

maris et femmes ne se faisaient pas faute en effet, les uns et les autres, de manquer à la foi conjugale.

Toutefois, en cas de flagrant délit, la coutume autorisait le meurtre de la femme et de son complice, surtout du complice, dont on dit alors qu'il est maty soa, qu'il a eu une belle mort; mais les Malgaches, n’ayant pas l'humeur jalouse, ont très rarement de ces emportements qui, dans d’autres pays, entrainent tant d'hommes à tuer leur rival® : ils préfèrent, ce qui est d'un meilleur rapport, lui faire payer une indemnité pour avoir usé de leur chose, de leur bien, ou quelquefois répudier la femme

I fallait toutefois que le voly henä ou le vody ondriÿ eût consacré le mariage pour que la vengeance fût légale ©).

2) M. H. Berthier, administrateur en chef des Colonies, dit n'avoir eu connais- sance, au cours de son long séjour à Mada- gascar, que d'un seul cas de ce genre : un Tanalä, rentrant chez lui à l’improviste et

en 1869, alors qu'il était au Ménabé, à l'embouchure du Manambolô, un Sakalavä tua un de ses amis dont il avait surpris les relations amoureuses avec sa femme.

(5) Le D' Catat a assisté à Tsivorÿ, en 1990, à un grand kabarÿ ou procès in- tenté par un Manambia à un Antanosÿ qui lui avait enlevé sa femme, et que le mari,

trouvant sa femme en conversation crimi- nelle avec un borizand merinà [un porteur de paquets}, le tua d'un coup de hache; et

escorlé de ses parents et amis tous armés, venait réclamer; après de longs palabres, la femme fut rendue et le ravisseur paya

l'un de nous, pendant ses cinq années de

une petite somme au mari qui fut ainsi voyage, n'en a aussi conou qu'un exemple :

consolé de son infortune.

non des moindres, d’un village situé près de ma résidence avait trois femmes ; il se plaignait souvent à June d'elles qu'elle ne lui fit gagner ni argent, ni marchandises. Elle eut beau lui dire que c'était à cause de la passion qu’elle avait pour lui, cet homme intéressé n’en continua pas moins ses reproches, si bien qu’elle se décida à la fin à le contenter, et, au relour d’une fête, elle lui donna la liste des amants qu'elle avait racolés, liste longue. Ge fut à lui alors de se faire payer» (François Manrin, Mémoires sur l'établissement des Colonies françaises aux Indes Orientales, Arch. Nation. et Copie Bibl. Grandidier, p+ 329).

* Toutefois, chez les Merinä , lorsqu'un homme marié introduisait une concubine sous le toit conjugal et était surpris en flagrant délit par une de ses femmes légitimes, celle-ci, la tra-drafy [celle qu’a touchée, qu’a blessée l'ennemi] comme on l'appelle, est fondée, si elle veut, à rompre son mariage ou à réclamer des dom- mages-intérêls ( Juzten, Înstit. polit. et soc. de Madagascar, t. W, p. 207-208). D'autre part, si une femme avait quitté son mari pour aller vivre avec un amant, elle devait, sous peine de punitions sévères, revenir passer dans la maison conjugale la nuit qui précédait le fandroanä ou premier jour de l'année, nuit qu'à cause de cette obligation on appelait l'ahn-dratsÿ, la mauvaise nuit. Chez les Sukalavä, la femme qui a surpris son mari avec une autre femme dans le lit conjugal a le droit de s'en aller tezitst [en colère], comme ils disent, dans sa famille et de divorcer, et elle ne consent d’ordinaire à revenir chez son mari que si celui-ci lui envoie, comme hifalifä [pour faire disparaitre la mésintelligence], comme indemnité, une pièce d’or et quelques étoffes et objels divers; avant de réintégrer le domicile conjugal, elle exige en outre le sacrifice d’un bœuf dont son mari lui met un peu de sang au creux de l'estomac, afin qu'elle ne soit pas attaquée de la maladie anabokant | qui enlève la force, la vie], lui disant : Tsy vou! [Puisses-tu n’éprouver aucun malheur du fait de ma faute! ]. Malgré Ja grande licence de mœurs qui règne par tout Madagascar, il y a cependant des femmes qui aiment réellement leur mari et qui Liennent à ce qu'il leur soit fidèle : ainsi, lorsqu'une Sakalavä a des doutes et veut savoir si son mari l'a trompée, elle lui fait jurer qu’il n’a rien à se reprocher, en lui faisant boire du ranom-bolament, de l'eau d’or, de l’eau dans laquelle trempe une pièce d’or,

28.

220 MADAGASCAR.

coupable en gardant par devers eux ses acquêts"®. Parfois, comme chez les Sakalavä, le mari fait au haut du bras de sa femme qu'il a surprise en conversation criminelle une forte brûlure, pensant par ce moyen bien à tort du reste, dit-on s'assurer sa fidélité pour l'avenir.

En général, l'adultére commis avec des personnes de même caste et de même rang était sinon licite, au moins exeusable et le plus souvent toléré; mais quand c'étaient des personnes de castes différentes qui nouaïent des relations coupables, elles étaient plus ou moins sévèrement punies : en Imerinä, une femme noble ou une femme libre qui avait commerce avec un esclave était vendue, et avec le prix de la vente on achetait du manioc ou tout autre aliment qu'on distribuait aux membres de son clan; mais depuis 1881, la condamnation à l'esclavage a été remplacée par un empri- sonnement de huit mois pour l’homme et de quatre mois pour la femme, sans préjudice des peines consacrées par l'usage dans chaque caste inté- ressée, peines qui consistaient quelquefois dans l'expulsion du clan, mais d'ordinaire en une amende d’un ou de plusieurs bœufs que la femme coupable faisait tuer pour en distribuer la viande à ses parents.

Entre gens de même caste, l'adultère est souvent puni de la seule peine du talon, quoique cette peine ne soit pas toujours applicable, lorsque, par exemple, la femme du rival est vieille ou peu avenante; quelquefois le mari donnait à sa femme qu'il surprenait en flagrant délit

siette de l'amant de sa femme ou après s'être servi de son lamba, et mourüût, car sa mort élait, dans ce cas, attribuée à un sort jeté sur lui par son rival.

I y a, chez les Sakalavä, une maladie caractérisée par le gonflement du ventre, l'anabokanä [maladie faisant perdre les forces, enlevant la vigueur |, qui, dans leur croyance, est due à un ensorcellement; on accusait naturellement l'amant d’avoir jeté

(1) Quelquefois, comme chez les Betsi- misarakä par exemple, la femme adultère était condamnée à vivre jusqu’à son dernier jour avec l’homme qu'elle avait trompé [tsy mety afakà (il ne convient pas qu'elle s'échappe, qu'elle devienne libre)], n'ayant plus le rang d’épouse ni aucun droit sur les acquêts de la communauté, ravalée à la condition de concubine esclave : on l'appelle alors vady dilk:ä , épouse qu'on enjambe, par-

dessus laquelle on passe.

2) Art. 53 du deuxième Code de Rana- valonä Il, dit des «305 articles».

8) I ne fallait pas toutefois que le mari tombât malade après avoir mangé dans l’as-

un sort sur le mari de sa maitresse au moyen des aliments servis dans son assielte ou au moyen de son lamba, et la famille du mort le faisait condamner sévèrement en

kabarÿ.

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ETANOGRAPHIE. 221

d'adultère une correction corporelle), mais, le plus souvent, le cou- pable s'excusait en disant au mari : «Cent excuses! Mille excuses, mon frère aîné (ou mon frère cadet, suivant leur âge respectif)! J'ai eu tort d'agir en cachette et d'oublier que nos femmes sont les femmes de deux frères (par conséquent sacrées)! Je me traine à vos pieds», et d'ordi- naire le mari acceptait ces excuses et prenait à son tour la femme de celui à qui il pardonnait; autrement il déposait une plainte devant le Jokon' olonä, l'assemblée des notables, qui condamnait les coupables à une amende.

C'est l’homme qui en payait toujours la plus forte part, d'ordinaire les deux tiers, mais le mari exigeait quelquefois que la femme coupable se purifiât avant de rentrer en grâce : et pour cela, trempant son doigt dans le sans d'une vache ou d’un veau, qu'il n'était pas du reste nécessaire d'immoler, il en marquait la poitrine de sa femme. Généralement, 1l s'en- tendait avec son rival sur le montant de l'indemnité que, dans le Nord, on appelle aritsä [guérison] et mampanaritsä [qui guérit, qui permet de supporter un mal avec patience]. Chez les Merinä, lorsque les deux amants sont surpris au lit, le mari s'empare des vêtements de son rival!

D Nanandalilaly ny vady an-katrarana (R. P. Cazver, Bulletin Académie malgache, 1903, p. 218), litt. : Le mari peut frapper rudement, sans la tuer toutefois, sa femme prise en flagrant délit d’adultère. Chez les Antandroy, peuplade plus sanvage que les autres, le mari, comme nous l'avons dit, avait le droit de frapper sa femme coupable à coups de bâton ou à coups de pierre jus- qu'à ce que la mort s’ensuivit (voir plus haut, p. 210).

®) Halady zato! Halady arivo! razoky (ou razandry), fa natao ho takona ka diso tokoa, Ja vadin ny mpirahalahy ny antsika, ka mifona sy mandady ©).

(3) Manenda-dambä, comme ils disent. Dans ce cas, il perd tout recours légal contre les deux amants, et l'affaire est terminée (Jun, Instit. polit. et soc. de Madagascar, t. IT, p. 202). La femme a les mêmes droits à l'égard de la complice de son mari qu’elle surprend en flagrant délit.

#) Mayeur dit en 1777 : «Lorsqu'une femme hova est surprise en flagrant délit, le galant seul est puni et doit payer une amende d’un bœuf, à moins qu'il ne dise au mari dès que celui-ci l’aperçoit : «Halady, tom- «poko [ Excusez-moi, mon maitre !]; ainsi, avec un peu de présence d’esprit, il évite l'amende» (Voyage à Madagascar, Manuscrit du British Museum, Fonds Farquhar, et Copie Bibl. Grandidier, p. 39). Lorsque l'un de nous était à Tananarive en 1870, un homme convaincu d’adultère avec une femme de sa caste était pas- sible d’une amende de 50 piastres (250 francs), mais celte amende était moindre s’il s’excusait et disait : «Par- donnez-moi, mais je croyais que vous ne le sauriez pas». Un jour, l’un d’eux, traduit devant les juges par un mari mécontent, l'apostropha, lui reprochant sa manière de faire : «Vous agissez mal à mon égard, lui dit-il. Pourquoi ne pas m'avoir informé que vous connaissiez mes relations avec votre femme ? Nous aurions arrangé l'affaire entre nous».

299 MADAGASCAR.

ou bien il fait tuer un bœuf dont le prix est payé, les deux tiers par l'homme et un tiers par la femme. Chez les Betsimisarakä, le mari sagaye un ou deux bœufs dans le premier troupeau qu'il rencontre, et lorsque le propriétaire vient lui en réclamer le prix, il reconnait que c’est bien lui qui les à tués, mais que c’est à sa femme et à son amant qu'il incombe de les payer!

C'est, du reste, le taux ordinaire de l'amende, qui cependant, en cer- lains cas, lorsque par exemple la femme, abandonnant la maison conJu- gale, s’en est allée vivre avec son amant, monte à cinq et même à dix bœuls et plus, faute de quoi le mari délaissé a le droit de tuer à la sagave

tous les bœufs de son rival ainsi que ceux du père de sa femme ©),

M «Ce n'est pas une faute pour les femmes de Ghallemboulou | de Fénerive ] de traiter l'amour avec d'autres hommes que leurs maris; leurs coutumes ont quelque chose d'assez particulier à cet égard : un homme qui a connu la femme d’un autre est obligé de payer au mari une somme à proportion de ce qu'elle lui a coûté [en dons et cadeaux |, soit d'ordinaire le quart ou même le tiers (*). Les femmes le décla- rent d’elles-mêmes à leurs maris, et c’est à eux à se faire payer; si l'homme accusé nie avoir rien fait, 1l est cité avec la femme devant les anciens du village; celle-ci conte toutes les circonstances de l’action, comme elle ferait un récit bien honnête, et si l'homme persiste à nier, on lui fait boire un breuvage fait avec un fruit presque comme la Macheville des Indes occidentales et capable de faire crever l’homme le plus fort; s'il résiste, 11 est déclaré innocent et mis hors de cause» (Francois Mari, Mém. sur l'établissement des Colonies françaises aux Indes orientales, 1668, Manuscr. Arch. nationales, T* 1169, et Copie Bibl. Gran- didier, p. 327). En 1785, Mayeur dut payer, chez les Betanimenä, une amende de

» piastres à un mari qui avait surpris sa femme avec un de ses maromitä, un de ses serviteurs, afin de laver l’affront conformé- ment à l'usage.

® «Chez les Antandroy, l'homme qui entretient des relations avec la femme d’un égal paye une amende de vingt têtes de bé- tail» (Drunv's Adventures during fifieen years of captivity in Madagascar, 1729, et traduct. française in Collect. Ouvr. anc. Madagascar, UN p222) «Chez les Bezanozand, dit Dumaine, une jeune femme à qui son mari avait donné un douaire de plus de vingt piastres et qu'il avait abandonnée de- puis plus d'un an, ayant vécu pendant mon séjour à Fiadanä avec un de mes compa- gnons qui l'avait obtenue de sa mère, ce mari, ayant appris la chose, vint avec une soixantaine de parents et d'amis, tous ar- més, faire à ce sujet un procès à sa belle- mère qui fut condamnée à une amende de cinq bœufs, après quoi la bande s'en fut chez elle fort satisfaite, laissant la femme continuer à vivre tranquillement avec nous» ( Voyage au pays d’Ancaye en 1790, in Ann. Voy. Malte-Brun, t. XI, 1810, p. 189- 186).

(C'est ce que dit aussi Du Bois pour le Sud-Est en 1674 (Voy. aux iles Dauphine, ete., p. 119).

ETHNOGRAPHIE. 293

Le Code de Ranavalonä [°° de 1898 (art. 13) condamnait l'amant d'une femme mariée (manabodo vadin’ olonä | celui qui a enlevé la femme d'un homme |), si tous deux étaient de même caste, à une amende d'un bœuf et de 5 piastres; mais si le mari abandonnait sa femme à son rival, l'amende était portée à 29 piastres et demie, à partager entre lui et la rene". Radamä II (en 1862, art. 10) et Rasoherinä (en 1863, art. 10) ont maintenu cette pénalité ; Ranavalonä II l'a portée, en 1868 (art. 94), à »0 piastres, les deux tiers à la charge de l’homme, un tiers à celle de la femme, et en 1881 (art. 58) à 100 piastres.

Nous verrons plus loin les lois très sévères établies par Andrianampoi- nimerinä contre ceux qui commettaient l’adultère avec la femme d'un soldat en cours d'expédition, lois qu'il a du reste adoucies vers la fin de son règne; le widim-bavÿ [ou le prix de la femme | à payer a été fixé à 90 piastres, et les coupables devaient en outre tuer pour les membres de la famille un bœuf, dont les deux tiers étaient payés par l’homme et un tiers par la femme. Il admettait toutefois que les intéressés s'enten- dissent entre eux comme ils le jugeraient bon, par exemple que le cou- pable arrêtät les poursuites, nahalady vavä comme ils disaient, en con- venant avec le mari de prendre la femme et les enfants de compte à demi avec lui et de partager les charges du ménage, transaction qui était par- faitement légale.

Toutefois l'adultère, péché mignon et sans gravité d'ordinaire! jours plus grave cependant quand il avait lieu entre personnes de caste et de rang différents, devenait un crime qui entrainait des peines sévères,

2

tou

D D'une manière générale, les peines et amendes infligées en [merinà élaient diminuées d'environ moitié, et même plus, lorsque les crimes ou délits avaient lieu en dehors de l’[merinä (Code de Ranavalonä [r°, 1828, Bull. Acad. malg., 1907, p. 21).

? I y a cependant quelques peuplades qui ne traitent pas l’adultère avec l’indif- férence habituelle aux autres Maloaches et chez lesquelles la femme qui se conduit mal sans avoir à se plaindre de son mari est

honnie; ce sont celles qui habitent la côte Sud-Est entre 21° 30'et 23° 15° de latitude Sud (où se sont établis au xvi siècle des immigrants tant indiens qu'arabes, les Anti- moronà, les Zafisoronà, les Antifasinàä, les Antisakä [ZaramanampŸÿ, Zarafanilihanà, ele. |, et les Antandroy). Le Rév. Shaw, qui a résidé dans cette région de 1887 à 1889, a vu sagayer à Tangainonÿ une femme zafi- soronä qui avait été convaincue d’adultère et en a vu deux autres recourir au suicide parce

224 MADAGASCAR.

souvent l'esclavage et même la mort, lorsqu'il était commis avec la femme d’un roi, d'un prince ou d'un grand du pays!?, à moins que le cou- pable ne fût de la même caste, du même rang; quant aux rois, princes et grands, ils avaient ou plutôt ils s’arrogeaient le droit de s'emparer de

qu'elles avaient été prises en flagrant délit). Ajoutons que les femmes malgaches qu'épou- sentles Antalaoträ, les Soahily et les Indiens établis en grand nombre sur la côte Nord- Ouest, sont tenues sévèrement, ce qui ne les empêche pas toutefois de commettre l'adultère assez souvent lorsque leur sei- gneur et maitre est absent, imitant leurs sœurs de l’Extrême-Orient et comme elles se livrant aux esclaves chargés de les surveiller afin de s'assurer leur complicité; mais quand le mari vient à avoir vent de leur trahison, il fait amarrer l'esclave soupçonné et, après l'avoir confessé, le vend ou le fait tuer.

0) «L’Antandroy qui entretient des rela- tions avec la femme de son supérieur cst condamné à payer trente bœufs et, en outre, des bêches et des verroteries; si c’est avec la femme d’un roi ou d’un prince, il est puni de mort» (Drury, 1720, Coll. Ouvr. anc. de Madag. publiée par A. et G. Grandi- dier, p. 222). «A Ankove | dans l'Îme- rinä |, écrivait Mayeur en 1777. il y a peine de mort contre quiconque entretiendrait un commerce illicite avec une des femmes du roi», et le Code de Ranavalonä ["°, de 1828, punissait de la peine capitale le manera vadin Andrianä ou l'excitation à la débauche des femmes des chefs : cet article était encore maintenu dans celui de Raso-

herinä, en 1 863 ; il condamnait aussi le hovt ou libre qui séduisait l'épouse d'un Euro- péen à être garrotlé et à mourir de faim : l'Eu- ropécen était alors, en effet, assimilé à un andrianä ou noble. Il en était à peu près de même dans tout Madagascar. Chez les Anta- nosÿ, par exemple, +les entreprises galantes contre les femmes des Roandrianä étaient punies de l'esclavage» (ne Monave, 1770, Archives coloniales, Corr. Madagascar), et en- core en 1868, lorsque l’un de nous a fait visite à leur roi RazomanerŸ, la femme d'un Roandrianà surprise avec un homme d'une caste inférieure à celle de son mari était punie de mort ainsi que son complice. Chez les Barä, les biens du coupable étaient con- fisqués, et même, chez les Barabé, était puni de mort tout homme qui convoitait la femme d'un chef; Ramiebä et Inapakä, qui les gou- vernaient lorsque nous avons pris Madagas- car, élaient d’une jalousie féroce et ils ont impitoyablement fait tuer plusieurs guer- riers qui s'étaient permis de regarder à tra- vers les palanques entourant leur harem (cf. Journal offic. Madag. , 9 août 1898 , p. 2270). Chez les Sakalavä, le fihitsä ou soldat qui entretenait des relations avec la femme d’un chef était condamné à avoir la main tran- chée, main qu'on exposait dans son village afin que nul n'en ignorât.

Dellon dit que, dans les pays de Ghallemboule [de Fénerive] et d’Antongil, «les hommes sont jaloux de leurs femmes jusqu'à la fureur et qu'on punit de mort les libertines, que la mort est imposée à celles qui sont surprises dans quelque infidélité» (Nouv. Relat. d’un voyage aux Indes Orientales, 1669, p. 29 et 41). François Martin, qui a séjourné trois années sur cette côte (de 1665 à 1668), aflirm® au contraire et on peut l'en croire que les femmes y ont des mœurs fort libres, comme partout ailleurs à Madagascar. L’assertion de Houtman (1595, Coll. Ouvr. anc. Madag., 1. T, p. 197) et de Mandelslo (1639, loc. cit., t. IL, p. 489), qu'à Saint-Auguslin +la fidélité des femmes était à toute épreuve» et que el'adultère était puni de mort», est erronée; la vérité est que les femmes se tenaient à l'écart des Européens, autant par crainte de gens avec lesquels elles n'avaient encore jamais eu de contact que par crainte d’etre traîtreusement enlevées pour être vendues comme esclaves.

ETHNOGRAPHIE.

19

295

toute femme de leurs sujets qui leur plaisait, l’enlevant à son mari, à sa famille, sans que eeux-c1 pussent non seulement s’y opposer, mais encore se plaindre

L'adultère prenait aussi en certains cas une grande gravité, non pas à cause de l'acte lui-même, mais à cause des circonstances ou du moment dans lesquels on Dans tout Madagascar, toutes les fois qu'un homme partait en guerrel !, était en fanompoant , c'est-à-dire en corvée

pour le service de son seigneur, de son souverain®), ou bien entreprenait

(M Ramboasalamä, qui, jusqu'à la nais- sance du prince Rakotô (Radamä IT), était l'héritier présomptif de la reine Ranava- lonä [®, ne se faisait pas faute d'envoyer ses esclaves arracher du lit conjugal, au milieu de la nuit, une femme quil lui prenait tout d’un coup la fantaisie de pos- séder, et le mari ne pouvait se prévaloir de ce fankatraranä, de ce flagrant délit d'adultère, pour répudier sa femme. En- core tout récemment, à la veille de notre prise de possession de Madagascar, les fils du Premier Ministre RainilaiarivonŸ agis- saient de même.

croyant fermement que, dans ce cas, leur mari y serait tué ou blessé» (Hist. de Mada-

gascar, 1661, p. 98)

| Chez les Sakalavä, les Betsileo, ete., quand un homme se blessait gravement en construisant une maison pour le roi, sa femme était, de ce fait, convaincue de lui avoir élé infidèle pendant son travail et était mise à mort : l’un de nous a vu en 1869 au Ménabé condamner à mort la femme d'un Sakalavä qui s'était blessé en travaillant à l'une des maisons encloses dans l'enceinte du roi Toerà. Chez les Merinä, 1l suffisait qu'un des corvéables, occupé dans le Palais

2) «Les femmes, dit Flacourt, dont les maris sont à la guerre, quoique très portées à la volupté, ne voudraient pour rien au monde avoir à faire à un autre homme,

du souverain, se plaignit de l'infidélité de sa femme pour que, si elle étail prouvée, le souverain la fit vendre; ses parents, du reste, pouvaient la racheter.

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Au débat du règne d’Andrianampoinimerinä, un soldat qui, revenant d'expédition, surprenait sa femme eu flagrant délit d’adultère [vady ankatraranü], avait le droit de tuer son rival, parce que, disait le roi à ses sujets : «Je ne puis admettre qu'on vous prenne vos femmes pendant qu’au prix de grandes faligues et de dangers de toutes sortes vous m'aidez à agrandir mon royaume et à aflermir mon autorité. Que la mort soil donc le châtiment des coupables!» Si les coupables n'étaient pas pris en flagrant délit, ils élaient condamnés a étre vendus comme esclaves ou à payer la somme qu’aurait produite leur vente (Juzien, Instit. polit. et soc. de Madag., t. 1, p. 323). Plus tard, lorsque son pouvoir fut solidement assis, ce prince n’autorisa plus la mise à mort de l'homme pris en flagrant délit : il fixa à 50 piastres l'amende, le vidim-bavÿ [le prix de la femme] comme on l’appelait, que le coupable avait à payer à moins que le mari ne modért ses exigences. Les Codes de Ranavalonä 1, du 27 AdijadYÿ 1898 (art. 11), de Radamä If, du 12 Alahasalÿ 1862 (art. 9), de Rasoherinä, du 26 Adaorë 1863 (art. 11), et de Ranavalonä Il, du 18 Alakarabô 1868 (art. 70), aussi bien que du 29 mars 1881, contiennent (ous les mêmes prohibitions et les mêmes sanctions, et tous édiclent que, si le mari meurt en cours d’ expédition, les coupables seront vendus comme esclaves ou, depuis Rasoherinä, marqués et mis aux fers à perpétuité et leurs biens confisqués. Le Code de Ranavalonä IT, du 9 mars 1881, a porté de 50 à 100 piastres le taux de l'amende des coupables, les deux tiers à la charge de l'homme et l'autre tiers à la charge de la femme, dont une partie est pour le souverain et l’autre pour le mari.

On retrouve des coutumes semblables dans certaines îles de l'Océanie, les femmes sont «labouées» comme à Madagascar quand les maris sont en expédition.

ETINOGRAPHIE. 29

INPRIMLNIE NATIONALE.

296 MADAGASCAR.

un voyage lointain et dangereux!), sa femme ou ses femmes entraient

en retraite, mfadÿ, gardaient la continence, et leur personne devenait

Jadibé, sacrée, inviolable, parce que, dans ces diverses circonstances, la

chasteté de l'épouse, considérée d'ordinaire comme de peu de prix, était

à leurs yeux le palladium, la sauvegarde du mari contre les dangers aux-

quels il était exposé? ; celles qui étaient convaincues d’avoir eu, pendant

son absence, des relations avec un amant étaient considérées comme

coupables du crime de sorcellerie, et les deux coupables étaient con-

damnés à une forte amende, ou mis aux fers pendant un temps plus ou

moins long, ou vendus comme esclaves et souvent même mis à mort si

0) «Les Betsimisarakä jeûnent et obser- vent la continence pendant plusieurs jours avant de partir à la pêche de la baleine; la femme de celui qui est chargé de lancer le harpon doit, pendant l'absence de son mari, vivre dans la solitude, ne parlant à personne, jeünant et chaste. Si le mari manque plusieurs baleines de suite, il ac- cuse sa femme de se mal conduire et sou- vent la répudie» (De Vaux, 1750, Man. Bibl. Muséum dhist. naturelle et Copie Bibl. Grandidier, p. 77). Quand les Sakalavä du Ménabé, du Mailakä et du Marahä s'en allaient dans des régions désertes cueillir les feuilles du palmier «rafiar, d'où l’on üre les fibres dont les femmes font maints tissus, comme le voyage est assez long et n'étail pas sans quelque danger à cause des bandes de pillards qui infestaient le pays et aussi parce qu'il s'agissait d'un produit des- üné aux femmes, celles-ci devaient observer scrupuleusement la continence, sinon elles étaient traitées de mpamosavÿ, de sorcières, et étaient accusées de chercher à faire périr leurs maris. Il en était de même chez les Merinä, quand un mari partait pour un long voyage d’affaires : la femme portait certains ornements qui indiquaient que sa personne était sacrée ; loutelois, pour ne pas la condamner à une trop longue et trop

dure continence, 11 lui donnait souvent le sao-dranto [le divorce (momentané) pour cause de commerce |, c’est-à-dire la per- mission de vivre maritalement pendant son absence avec un autre homme qu'il indi- quail; à son retour, il décidait s'il acceptait pour siens les enfants nés pendant son ab- sence de cette union temporaire, ou s’il en laissait la charge à leurs auteurs. Chez les AntanosŸ, il est de règle que, lorsqu'un mari dont la femme est enceinte part pour un long voyage, celle-ci choisisse un homme pour vivre maritalement avec elle pendant son absence (voir p. 250, note 4).

2) Quoique les anciens et la plupart des peuples n'aient pas préconisé d’une ma- nière générale le renoncement aux plaisirs de la chair, il y avait des cas la conti- nence était ou obligatoire, ou tout au moins considérée comme agréable à la Divinité et propitiatoire; les Hindous, par exemple, comme les Malgaches lors de certaines céré- monies, ne procédaient aux actes qu'ils considéraient comme sacrés, aux sacrifices. qu'après s'être purifiés, ainsi que leurs femmes, pendant un temps plus ou moins long, par le jeûne et la continence conju- gale et par un bain, sous peine que l'acte, le sacrifice n'eussent aucune valeur et ne produisissent aucun résultat.

ETHNOGRAPHIE. 297

le mari périssait dans le cours de son expédition, et leurs biens étaient confisqués.

Lorsque les femmes mariées sont ainsi en retraite, elles portent une marque distinctive qui fait connaître à tous qu'elles sont tenues de garder une continence absolue. Les Sakalavä, les Antanosÿ, les Merinä, etc., portaient à la main, lorsqu'elles sortaient, une petite baguette qu'elles appuyaient sur leur épaule, elles ne devaient point s'oindre le corps d'huile ni toucher le poteau central de la maison : elles étaient, comme on disait, mtan-tehinä | qui tiennent un bâton | ou mitsabÿ [qui veillent ce que leur mari n'ait pas d'accident) |, par conséquent intangibles, sacrées; et matin et soir, pendant l'absence de leurs maris, elles se réunissaient sur la place publique et chantaient des sortes de litanies pour appeler sur eux la protection de Dieu et de leurs ancêtres: les femmes merinà portaient en outre autour du cou, lorsque leurs maris étaient à la guerre, un étroit ruban ou une tresse de cheveux que maintenait quelquefois une agrafe d'or, et, lorsqu'ils étaient en voyage, une chainette d'argent ou un coller de certaines perles de verre.

Il y a encore d’autres cas les femmes doivent observer la continence, par exemple lorsque leur pére ou leur mère sont gravement malades), lorsqu'elles sont enceintes, parce qu'elles croient qu'alors l'enfant mour- rait dans leur sein), ou tant que leur enfant est à la mamelle, parce qu'il prendrait la maladie nommée lambavÿ" et succomberait 5.

L’adultère commis par un homme libre avec la femme d’un esclave

1) Sakalavä de l'Ouest et du Sud. (Le tambavÿ «carreau» des créoles

(2) Sakalavä, ete. est un engorgement des glandes mésentéri-

5) Betsimisarakä(®), Sakalavä , ete. H n’en ques ; on donne ce nom, du reste, à diverses est pas de même des femmes Antanosÿ maladies des petits enfants.

P P e Lee E SUR comme nous l'avons dit à la fin de la note 1 (5) Les Tsimihetÿ (Cap. Trazsoux, Revue de la page précédente. de Madagascar, mars 1903, p. 931). Pa & 9

® «Les grandes déclarations des femmes au sujet des infidélités qu’elles ont commises avec l’un et avec l'autre ont principalement lieu quand elles sont en travail pour accoucher ; les matrones qui sont auprès d'elles les pressent de déclarer ce qu’elles ont fait. Elles croient du reste fermement qu’elles n’accoucheraient pas heureusement si elles n’en faisaient pas la confession publique sans rien omettre : il yen a qui donnent de belles listes d'amants à leur mari, et les Français mariés avec des femmes malgaches se seraient volontiers passés de ces déclarations» (François Mannix, Mém. sur l'établissement des Colonies francaises aux Indes Orien- fales, 1668, Manuscrit des Archives nationales, T* 1169, et Copie Bibl. Grandidier, p. 327).

20.

998 MADAGASCAR.

était passible, chez les Sakalavä, d'une amende de «vingt marchan- dises »!), parce qu'il ne s'était pas respecté et qu'il s'exposait à être insulté par le mari; et chez les Antanosÿ, dit Flacourt, +ladultère commis par un esclave avec la femme d'un autre esclave est passible d'un sazÿ ou amende dont la moitié est pour le mari et l’autre moitié pour Île maitre ».

20° [NSTABILITÉ DU MARIAGE MALGACHE. SA DISSOLUTION. RÉPUDIATION. De ce qui précède 1l ressort que, comme dit un proverbe merinä, ny Janambadiana tsy nafehy, fa nahandrotra, le lien conjugal n'est pas un lien fortement serré : autrement dit, c'est un nœud coulant que les époux des- serrent avec la plus grande facilité. En effet, les ménages ont peu de stabilité et des incidents futiles suffisent à en rompre les liens”, malgré le dicton populaire qui conseille de ne les point briser”. Il y a même des peuplades, comme les Betsimisarakä et d’autres, chez lesquelles les futurs, en faisant les conventions matrimoniales, prévoient le cas il y aurait incompatibihité d'humeur entre eux, ils deviendraient, comme ils disent, disakü, fatigués, las l'un de l'autre, et se réservent dans ce cas le droit de se séparer à l'amiable", en prononçant la formule suivante, prise bien entendu dans un sens figuré : Boka Ikoto tsy leon Ilkala, boka Ikala tsy leon Ihoto [Si Ikotù (le mari) devient lépreux, la vie ne sera pas

0 C'est-à-dire de vingt objets de traite.

®) Car, disent les Malgaches, «quand un taureau reste trop longtemps couché sur le même côté, 1l est fatigué, et il se retourne de l'autre côté» (9).

Ataovy toy ny lamban’ akoho ny fa- nambadiana : faty no hisarahana [Faites du

mariage ce que les poules font de leur vêtement (de leurs plumes), qu'elles ne quittent que lorsqu'elles sont mortes |.

(1) Dans ce cas, la femme doit rendre le jamonä, le présent qui a été fait par le futur aux parents de la future au moment du mariage et qui a consacré l'accord.

(«Les hommes de Sadia [du Ménabé] sont plutôt accouplés que mariés avec leurs femmes ; ils se marieut toujours sous la condition tacite que chacun des époux pourra en chercher et en prendre un autre dès que cela lui agréera. Aussi tous les jours, sans motifs plausibles, y a-L-il des séparations et des répudiations qni ont lieu sans bruit et sans regrets, car, pourvu que le mari récupère la vache ou l’objet avec lesquels il a acheté sa femme, lout se passe le mieux du monde» (R. P. Luis Manraxo, Missaô a Sadia [ Ménabé] no anno de 1616, Coll. Ouvr. anc. Madag., publiée par A. et G. Grandidier, t. Il, p.234 et 252, note). «Lorsque, à la baïe de Saint-Auguslin, un mari à assez de sa femme, il a le droit de la quitter, et de même la femme peut aban- donner son mari, à la condition que l’un rende à l’autre ce qu'il en a recu» (J. Braxk, 1663, Coll. Ouvr. anc. Madag., t. UE, p. 310). «A Ghallemboule Fénerive), quand une femme abandonne son mari, ses parents sont obligés de rendre ce qu'ils ont recu» (François Mari, 1668, Mém. sur l'établ. des Colonies françaises, Man. des Arch. nat. et Copie Bibl. Grandidier, p. 327).

ETHNOGRAPHIE. 229

tenable pour /kalà (la femme), et, si fkalü devient lépreuse, la vie ne sera pas tenable pour flot |.

Les Maloaches, du reste, ne pouvaient s'étonner du peu de stabilité de leurs ménages, puisque, à leur idée, sans parler de lincompatibilité d'hu- meur des conjoints et de leur inconstance naturelle, une foule d'actes plus ou moins involontaires amenaient inévitablement la rupture de leur union, tels qu'amener sa fiancée chez soi par un temps pluvieux"), ou franchir le seuil de la chambre nuptiale du pied droit”, sortir du feu de la maison conjugale, ou aller visiter ses parents pendant la première semaine du mariage", manger dans des assiettes autres que des assiettes de terre, ou bien encore l'anxiété et l'agitation de la belle-mère au moment de la cérémonie, etc.

En réalité, les ménages n’ont de stabilité, de tranquillité, que lorsque les intérêts des époux sont tellement unis qu'ils ne pourraient se sé- parer sans qu'il en résultât un préjudice considérable pour les deux, ce qui n'a lieu qu'après une union déjà longue, lorsqu'ils ont vieilli en- semble. Toutefois, sur la côte orientale, lorsque le mari et la femme se lient par le /ati-dra ou serment du sang, ils ne peuvent plus se sé- parer et, après la mort de l’un d'eux, l'autre ne peut plus se remarier sous peine d’encourir la colère de Dieu et de ses ancêtres.

Il y avait un mois pendant lequel, chez certaines peuplades, on ne changeait pas de femme : c'était, chez les Sakalavä, le mois de Volam- padinä (correspondant au mois de Sakavé des Malgaches du Sud-Est et

0 Mampaka-bady avy orana, tsy raikitra (mahabe ranomaso | fait couler beaucoup de larmes|).

2) Raha ny tonpotra havanana no mandia ny tokonana voalohany, (sy marina ny tokan- trano [le ménage ne durera pas |.

3) Mamoaka afo anatinny herinandro , maha-tsy tamantokantrano.

(9) Mamangy havana anatin ny herinandro , 1sy tamana [le ménage sera instable |.

9 Tsy mihinana aminny vilia tanimanga 1sy mahatsara fanambadiana.

(6) Mihetsiketsika ny renin-jaza eo ampa- naovana ny fanambadiana, muükorontana ny Janambadiana (H. TJ. Sranoine, Les Fady mal- gaches, Bull. Acad. malo., 1904, p. 110).

() En effet, après quelques années de ma- riage, le partage des biens des époux qui, chez les Merinä, étaient mis en commun, devenait difhcile, car ils s'étaient accrus ou avaient diminué, les rizières n’avaient plus la même valeur, le nombre des bœufs et des esclaves avait changé, etc. Dès lors, les époux ne pouvaient se séparer.

230 MADAGASCAR.

au mois d’Alohotsÿ des Merinä, c’est-à-dire au Ramadan des musulmans), mois de privations et de tabous.

Personne, pas même le souverain (?, ne peut casser un mariage, si ce n'est le mari, le mari seul : Tsy musy mahafa-badin'olona, na ny Mpan- jaka aza, comme l'a proclamé Andrianampoinimerinä lui-même à la fin du xvm siècle. Ce principe a de tout temps dominé les rapports des époux

à Madagascar : en effet, le mari avait le droit de renvoyer sa femme

suivant son bon plaisir”), sans la consulter), et de sa propre volonté, sans avoir besoin du concours d'aucune autorité, excepté chez les Merinä ©); toutefois, si la femme ne peut pas divorcer à son gré, elle peut se séparer de lui, mais sans avoir le droit de se remarier.

La dissolution du mariage avait lieu tantôt par une séparation amiable, tantôt par une répudiation ou un divorce en due forme prononcés par le mari qui trouvait toutes sortes de raisons pour rompre le mariage lorsque la femme ne lui plaisait plus(, ou, ce qui était le cas le plus fréquent, parce qu'elle était stérile ®. Quant à la femme, elle ne pouvait réclamer le

divorce qu'en de rares cas, dans des cas graves; autrement, si elle avait à

0) Exceplé pour crime de haute trahison [meloka be vava |.

(2) Car, disent-ils, Kibo tsy tia tsy asesika [Quand l'amour est parti, on ne peut pas le faire revenir de force]. Toutefois, il y a au moins un clan dans l’Imerinä, celui des Zanakantiträ, dont les membres ne se marient guère qu'entre eux et qui sont ré- putés pour leur fidélité en ménage; chez eux, les divorces sont rares.

(3) Toutefois, dans le Sud-Est, un mari ne pouvait renvoyer une femme qu'il venait d’épouser avant huit jours ou même un mois de mariage, sans lui faire un affront qui était toujours puni; et chez les Zafisoronä, tant que la femme divorcée n'avait pas enlevé sa natte, celle sur laquelle elle couchait, son mari ne pouvait se remarier sous peine de lui payer une amende d’un bœuf, et, s'il refusait, toutes les femmes du village pre- naient sa maison d'assaut et s'emparaient

de tout ce qu’elles y trouvaient (Th. Lor», Antan. Annual, 1892, p. 475).

(1) «Les Sakalavä ont le droit de répu- dier leurs femmes, même sans motif, et on doit leur rendre la vache qu’ils ont donnée en se mariant» (R. P. Luis Marrao, 1616, Coll. Ouvr. anc. Madagascar, t. W, p. 225).

(5) Andrianampoinimerinä, dès la fin du xvun* siècle, a exigé que la répudiation fül faite non seulement devant les parents de la femme, mais devant le fokon'olonä ou assem- blée des notables.

(6) Ny vady hariam-be tsiny [A la femme qu'on veut chasser on trouve beaucoup de défauts | (Rev. W.E. Cousins et J. Parrerr, Ny Ohabolana, 2459).

(7) Toutefois, l'épouse stérile amenait souvent dans le lit conjugal une proche pa- rente, sœur, cousine ou autre, pour qu'en son lieu et place elle donnât un enfant à son mari, enfant qu'elle adoptait.

ETHNOGRAPHIE. 231

se plandre de son mari, lorsque par exemple il commettait à son égard des passe-droits, la négligeant au profit de ses rivales; ou bien, sil avait des dettes, pour ne pas être comprise dans la vente de ses biens meubles et immeubles; ou encore lorsqu'il voulait la donner en échange à un autre homme, elle pouvait se retirer chez ses parents, en emportant les effets qui lui appartenaient, mais sans que pour cela, même après beau- coup d'années de séparation”, le mariage fût dissous, sans qu'elle püt se remarier à moins d'en obtenir l'autorisation expresse du roi du pays ©.

Lorsque l'abandon du foyer conjugal était à des causes de peu de gravité, à une dispute, ete., il n'était pas rare que le mari cherchât à rentrer en grâce auprès de son épouse, en lui faisant amende honorable, en lui donnant en preuve de repentir un cadeau, pièce de toile, lamba, bœuf ou quelques piastres : ce que les Sakalavä appellent hfilafikä ou plutôt mamfilafikä, c'est-à-dire se secouer pour chasser un mauvais sou- venir, comme un chien qui sort de l'eau, par exemple, se secoue pour se débarrasser de l’eau dont son poil est tout humide; il n’est pas en effet dans les usages maloaches de recourir à des menaces ou à des sévices pour ramener sa femme au domicile conjugal, car, disent les Merinä, lanam-pamono mpanambitambÿ [il convient que la main qui a frappé, caresse |).

La femme qui avait fui son mari, vavy misintakä suivant lexpres- sion des Merinä, ou la femme en colère, vavy teatsä comme disent les Sakalavä, lorsqu'elle prolongeait son absence, soit que le mari ne lui fit

1

Sauf toutefois chez les Tsimihetÿ, la femme, après être restée une année en- lière chez ses parents, reconquiert sa pleine liberté (Cap. Trazsoux, Revue de Madagas- car, Mars 1903, p. 232).

®) Chez les Barä, comme chez d’autres peuplades du Sud et de l'Ouest, il arrivait quelquefois que les femmes d’un roi, aussi bien que celles de ses sujets du reste, mé- contentes de leur seigneur et maitre, se sauvaient chez un roi voisin qui les prenait sous sa protection et ne les rendait que si

la ville elles s'étaient réfugiées venait à être prise. (8) Si la femme, qui est du reste tenue

_de mener dans sa retraite une conduite

régulière, refuse de réintégrer la maison conjugale qu'elle a désertée, pour la déei- der, mampody vadij comme disent les Mal- gaches, ils se servent de la racine d’une plante, l’ampodÿ ou ampolÿ, à laquelle üls attribuent une vertu magique à cause de la similitude de son nom avec l'acte du retour au bercail,

232 MADAGASCAR.

pas d’avances, soit qu'elle les refusät®), était dans la situation de vady ahantonü vehivavy mihantonä ®, de femme en suspens, que personne ne pouvait épouser et avec laquelle personne ne pouvait même nouer de relations, sous peine d’amende(Ÿ et de poursuites, tant que le mari ne donnait pas son autorisation : en tout cas, si des enfants naissaient pen- dant cette séparation de corps, ils appartenaient au mari). Quelquefois cette suspension était définitive, mettant à tout jamais la femme dans l'impossibilité de se remarier, par exemple quand ses torts étaient notoi- rement très graves ; le mari lui signifiait alors son verdict en lui envoyant des mandataires qui lui remettaient de sa part le {aha ratsÿ, le mauvais cadeau : une poignée de vieux chiffons gris (hotÿ) ou de vieux morceaux de lamba sarikä, un bâton (fehinä) et un coq rouge (ahkoholahimenü), avec la modeste somme de 2 eranambatrÿ et demi, soit environ 17 centimes, ce qui signifiait que, ses cheveux fussent-ils tout gris comme les chiffons ou comme les morceaux de lamba sarikä°, que, fût-elle si décrépite qu'elle ne pourrait plus marcher sans s'appuyer sur le tehinä, elle n'aurait jamais en rien sa suflisance et qu'elle ne pourrait satisfaire ses désirs, étant donnés les quelques centimes que lui envoyait son mar,

0) Chez les Merinà, lorsqu'une femme 4) Chez les Merinä, le taux de l'amende

s'obstinait à ne pas réintégrer le domicile conjugal et que son mari, prenant une autre femme, ne lui payait pas le tahà [la compensation | ou le vidim-pandrianà | Vachat du lit] réglementaire, elle étail tra-drafij atteinte, blessée par une ennemie, par une rivale] et par conséquent divorcée de droit, libre, à moins qu'elle ne préférät rentrer malgré tout chez son mari, auquel cas il lui fallait payer une somme de 29 piastres

et demie.

®) Les Antanosÿ les appellent karà [litt. : mises à sec |.

(3) Comme dans certaines îles de l'Océa- nie, à Pogghi, près de Sumatra, à Nouka- hiva, etc., les femmes mariées peuvent en certains cas se retirer chez leurs parents, mais sans avoir le droit de se remarier.

infligée à l'amant d'une femme séparée de son mari, mais non divorcée, était fixé à 5o piastres, moitié pour le souverain, moi- tié pour le mari.

®) Chez les Antifasinä, lorsque la femme qui vivait ainsi séparée de son mari deve- nait mère, celui-ci apportait une brassée de bois dans la maison qu'elle habitait, pour entretenir le feu pendant qu'elle était souf- frante : il affirmait de cette manière ses droits de père.

(6) Raha tsy fotsy toy 240 ny volonao, mbola vadiko hianao, fa tsy afaka.

(Na dia mamjoko aza hianao, mbola vadiko.

(8) Ary ny vola latsa-paheniny dia ohatra ami ny tsy ampy, ka toa maniry an-dravehivavy tsy hahita ny ampy sy ny lavorary.

ETHNOGRAPHIE. 9233

dont le veto était définitif, comme l'indiquait l'envoi de l'ahoholahimenà ". Chez les Merinä, toute vavy misintakà, toute femme qui s'était retirée chez ses parents, devait revenir passer au domicile conjugal, son mari y fût-l présent ou non, la nuit du fandroanä, du premier de l'an, appelée à cause de cela laln-dralsÿ, la mauvaise nuit, la nuit douloureuse ; «les unes, dit M. Julien, causent et devisent avec leurs maris, comme si elles n'avaient cessé d’être dans les meilleurs termes avec lui, et s'enfuient au premier chant du coq; d'autres, dominées par la haine ou par l'orgueil, gardent le silence, refusent de toucher à aucun mets et ne veulent pas se dévêtir, se couchant roulées dans leur lamba » ©). Au temps de la monarchie merinà, toute femme mysintakä qui n'observait pas l'usage de l'alindratsÿ pouvait, si le mari le voulait, être appréhendée, amenée chez lui de force et condamnée à des peines plus ou moins graves, peines qui allaient quelquefois jusqu'à la perte de la liberté : on la vendait alors comme esclave pour avoir privé sciemment son mari du plaisir du /androanà); mais, le plus souvent, les femmes qui venaient passer la nuit chez leur mari et qui se conduisaient correctement se réconciliaient avec lui. Quant à la femme répudiée, elle rentrait dans sa famille et le mari ou un mandataire ® venait affirmer, en présence de ses parents, sa volonté en prononçant, apres quelques mots de politesse et d’excuses et des remerciements pour le passé, la formule consacrée : «Que tu prennes un mari blanc ou un mari noir, venant de l'Est ou de l'Ouest, du Sud ou

9) Quand les Malgaches construisaient une maison ou faisaient un ouvrage qu'ils voulaient durable, ils tuaient un coq rouge qu'ils enterraient au pied du poteau central de la maison à pied d'œuvre. Quelquefois, au lieu d'un coq rouge, c'était un coq noir.

@) Institutions politiques et sociales de Ma- dagascar, t. 1, p. 201.

5) Manary fandroana ny lahy.

( Cest surtout sur ses frères qu’une

elle trouvera appui et protection quand les autres lui manqueront; mivoaka manambolo, miditra manambolo [a femme quitte (la mai- son paternelle) emportant le parfum (de son frère), elle y rentre et y retrouve ce parfum | (R.P.Caccer, Bull. Acad.malg., 1903, p.139.

6) Le mandataire, en parlant à la femme répudiée, ne disait pas : Je suis envoyé par «votre mari», mais par «votre frère», pour bien spécifier que les relations conju-

sœur dans l’aflliction se repose, car, comme disent les Merinä, fara vady anadahÿ, le frère est le dernier mari de sa sœur divor- cée, c'est-à-dire l’homme auprès duquel

ETIUNOGRAPHIE.

gales étaient rompues à tout jamais, et le el LU \ LU C mari, en s'adressant à elle, l'appelait souvent anabavÿ «ma sœur», au lieu de {ompokovavÿ «madame». 30

IMPRIMERIE NATIONALE.

234 MADAGASCAR.

du Nord, de loin ou de près, sois heureuse!» 0), et il ajoutait qu'il ne pré- tendait rien retenir” des biens qu’elle avait acquis pendant la vie com- mune, à quoi ses parents répondaient : « Nous vous remercions de quitter notre fille en bons termes, 1l ne convient pas en effet qu'un mari el une femme continuent à vivre ensemble lorsqu'ils ne s'accordent plus; vous agissez loyalement. Que Dieu vous bénisse!»

Après cette formalité, que les Malgaches appellent misao-badij mitsio- drano vadÿ [remercier sa femme (litt. : la bénir) | ou manpito val [éloigner sa femme], les deux époux deviennent complètement étrangers l’un à

ne nous est pas possible de vivre en bonne intelligence, il y a des routes qui vont au Nord, à l'Est, au Sud et à l'Ouest, prends l'une d'elles et va-t'en chercher fortune ail- leurs. Si mon père veut l'épouser, si un de mes fils veut l'épouser et qu'il ne soit pas ton fils, tu peux les prendre pour mari, car tu es libre. Je te bénis.» Souvent il ne se donnait pas la peine de faire ce discours, il se contentail de briser la grande jarre à eau qui est dans toutes les maisons betsileo et qui, avec les marmites et les assiettes, est le seul apport de la femme à la commu- naulé, ou même il la renvoyait tout simple-

() Ka dia manana zara, hianao, na ho Jfotsy, na ho mainty, na ho atsinanana, na ho andrefana , na ho atsimo, na ho avaratra, na ho lavitra, na ho akaiky ! Chez les Saka- lavä, le mari dit plus brutalement : « Que tu le maries avec un homme de l'Est ou de l'Ouest, du Sud ou du Nord, peu m'importe, car, à partir de ce moment, tu n'es plus ma femme | fa tsy valiko koa]! Et les Barà y mettent encore moins de formes, se conten- tant de dire aux parents de la femme qu'ils répudient : «Voici votre fille, je vous la rends, reprenez-la»; ils lui donnent généra- lement un bœuf à titre d'indemnité. Chez

les Betsimisarakä, la formule ordinaire était: Je te quitte, prends un autre mari, si bon te semble; je ne dirai rien à l'homme que

ment chez ses parents, marquant ainsi sa volonté de divorcer. Chez les AntanosŸÿ, une femme répudiée devait payer un dédit

de sept bœufs pour avoir le droit de se remarier.

®) On lui rendait alors, à moins de con- ventions contraires, ses biens personnels, plus le fahatelon’tananà ou le tiers des acquêts.

8) IL y a, disent les mpanandrà , les astro- logues malgaches, de bons et de mauvais jours pour répudier sa femme (*).

tu choisiras, quelles que soient sa couleur et sa siluation», puis il l’'aspergeait de quelques gouttes d'eau [namafy rand]|, et elle était libre. Chez les Betsileo, le mari qui voulait répudier sa femme invitait ses parents à un repas à la fin duquel, s’adres- sant à elle, il lui tenait ce discours : «Je l'ai prise pour ma femme, mais, comme il

® Celles qu'on répudie sous les vintant ou destins d’Alahamadÿ, d'Adaord, d’Adizaozä (c’est-à-dire des sept premiers jours du mois lunaire), d'Adimizanä (des 15°, 16° et 17°), d’Adijadÿ et d’Adal (des 22°, 23°, 24°, 25° et 26°), reviendront vite chez leur mari. Toutefois les femmes répudiées sous les vintanà d’Adaorô et d’AdijadY réintégreront bien le domicile conjugal une fois, mais, si elles sont répudiées une seconde fois, elles ne reviendront plus. Au contraire, parlent pour toujours celles qu’on répudie sous les vintanä d’Asorotanÿ, d’Alahasaty et d’Asombolä (soit de la seconde semaine du mois), d'Alakarabô (des 18° et 19° jours) d’Alakaosÿ (des 20° et 21°) et d’Alohotsÿ (des 27° et 28°). Le mari de la femme répudiée sous le vintanä d’Asombolä tombera malade, et la femme au contraire fera un bon et heureux mariage.

ETHNOGRAPHIE. 235

l'autre. L'homme, toutefois, avait douze jours pour revenir sur sa décision, et pendant ces douze jours la femme ne pouvait se marier; si, avant l'expiration de ce délai, il s'en repentait, 1l allait la trouver et lui disait : +11 me peinerait trop de te perdre, je ne te donne pas ta liberté, tu es toujours ma femme et je suis toujours ton mari», et 1l la ramenait chez lui ©).

Les Roandrianä ou seigneurs antanosÿ, lorsqu'ils répudiaient une de leurs femmes qui était d’une caste inférieure à la leur, l’envoyaient passer une nuit avec l’esclave préposé à la cuisine, après quoi elle pouvait se remarier à son gré : mais, tant que cette formalité n'avait pas été remplie, tout homme qui aurait eu des relations avec elle aurait été, ainsi qu'elle- même, passible de la peine de mort. [en était de même ailleurs, dans le Fiherenanä, par exemple".

Il y a des répudiations faites sous certaines conditions qui, si elles viennent à être enfreintes, remettent la femme sous la dépendance de son ancien mari : par exemple, de ne pas se remarier sans son consentement

9) Cependant chez les Zafisoronä (sur la côte Sud-Est), même après une répudiation en due forme, la femme avait besoin, avant chacun des mariages successifs qu'elle pou- vait contracter, pour qu'ils fussent régu- liers, d'obtenir le consentement, non de ses parents, mais de son premier mari; elle était même, parail-il, tenue de revenir avec lui, s'il le voulait. Chez les Antimoronà, une femme divorcée ne peut aussi se rema- rier qu'avec l'autorisation de son mari, et généralement il ne lui est pas facile d’en trouver un nouveau.

2 Les Merinä appelaient vady tra-neninà

le mari qui reprenait sa femme avant que les douze jours qui suivaient la répudia- tion fussent écoulés. Mais, une fois le délai légal passé, il fallait qu'il épousät de nou- veau, suivant les rites ordinaires, la femme qu'il avait répudiée, s'il voulait reprendre avec elle les anciennes relations.

(3) Pour les femmes de leur caste, les Roandrianä faisaient simplement avertir à son d’antsivä, de conque, que leur mariage avec telle princesse est rompu.

(1) C'était à Tsimalô qu'incombait cette fonction, lorsque l'un de nous est venu à la côte Sud-Ouest de Madagascar (*).

® Tsimalo, qui était le chef de la baie de Saint-Augustin, était le petit-fils d’un nommé Razatsä, un des serviteurs du roi du Fiherenanä préposés à la cuisine, qui avait sauvé son maitre dans les conditions suivantes : le capitaine d’un navire anglais en relâche à Saint-Augustin lui ayant offert une livre sterling en échange d’un beau bœuf, ce roï refusa disant que cette petite pièce était tout au plus bonne à mettre dans le vodiÿ [dans le derrière] de son animal, et en effet il s’amusa à l’y introduire. Le capitaine, tout furieux qu'il füt, ne dit rien, mais, lorsque le roi vint à bord quelque temps après, il l'appréhenda et le mit aux fers avec l'intention de l'emmener et de le vendre comme esclave. Razatsä s’entremit pour obtenir sa liberté contre une

honnête rançon et, en souvenir de ce bienfait, sa famille, celle des Tentembolä, a une situation privilégiée à Saint-Augustin.

236 MADAGASCAR.

ou sous la clause mananton-jazä, qui réserve à l'ancien mari un ou plu- sieurs des enfants à naître du nouveau mariage : ces arrangements faits avant la répudiation s'appelaient chez les Merinä hadin-drand, litt. : un fossé plein d’eau (qu'on ne devait ni ne pouvait franchir).

Quant à la femme, elle n'avait le droit de divorcer qu'en de rares cas, lorsque, par exemple, le mari épousait une autre femme sans lui faire le {ahä ou cadeau d'usage en cette circonstance; chez quelques peu- plades (Sakalavä, Barä, Mahafalÿ, etc.), elle était même déchue de tout droit à cet égard, quels que fussent ses griefs". Quant aux reines et princesses, elles avaient plein droit de répudier leurs époux pris dans une classe inférieure à la leur, dés qu'ils avaient cessé de plaire, droit sans réciprocité pour les maris, et elles ne se faisaient pas faute de suivre leurs caprices, d'autant que leurs enfants, quel que füt le père, suivaient la condition de leur mere.

Lorsque le mariage était dissous, le mari avait le droit de garder les enfants qui en étaient issus, mais ceux en bas âge étaient laissés aux soins de leur mère; 1l y avait toujours, d'ordinaire, une entente amiable à ce sujet.

Nous avons dit plus haut que les enfants des femmes vivant séparées de leurs maris, mais non répudiées, appartenaient à ces derniers : « Si celles qui sont divorcées, pendant qu'elles sont hors d'avec lui, viennent à en avoir d'un autre homme, ces enfants sont réputés appartenir au mari, jusqu'à ce qu'elles se soient remariées avec son consentement, et qu'elles lui aient rendu le {ahä ou douaire qu'il a payé lorsqu'il l'a prise en ma- riage » Ÿ. Les enfants d’une veuve non remariée, quel que soit le nombre de mois et même d'années écoulés depuis la mort du mari, sont réputés

les enfants) de ce mari et appartiennent à ses héritiers.

0) Chez les Zafisoronä (côte S.-E.), une ®) Fracourr, Histoire de Madagascar, 1661, femme qui, se querellant avec son mari, p. 104. s'écriait : Je suis une chienne si je con- (3) C'est grâce à cette fiction que le fils tinue à vivre avec vous», était de suite de Ranavalonä [°, le prince Rakotô ou Ra- pudiée, mais tous les hommes de la tribu damä Il, quoique douze mois après la juraient solennellement de ne jamais l’'épou- mort de Radamä [°, a été regardé comme

ser (Th. Lorp, Antan. Ann., 1892, p. 473). son fils.

ETHNOGRAPHIE. 237

Les inconvénients de ces fréquentes répudiations ont été dès longtemps reconnus par les Malgaches, comme le montrent les maximes suivantes :

Nahoana no masao-bady voky ka mampaka-bady noana ? ny mosary ho anolona, ka alain-ko an-tena | Pourquoi quitter une épouse déjà rassasiée et satisfaite, pour en prendre une autre affamée et pleine de désirs? |;

Tsy melty raha angolangolaim-bady kely ka manary ny efa mhary |[Hne convient pas qu'une Jeune épouse, par ses cajoleries, fasse répudier celle avec qui on a longtemps peiné pour amasser ses biens );

Tsy mety raha tatry ny akanga tsara soratra ka manary ny akoho taman- trano | ne faut pas chasser la vieille poule qui est attachée à la maison, pour une pintade au beau plumage qui est volage et ne s'attache à rien |;

Zanakolona tsy vadina toa soa; tia vao, manary kolokolo | La femme du voisin parait toujours avoir toutes les qualités, et, par amour du chan- gement, on laisse perdre le regain (on abandonne la proie pour l'ombre) |;

Misao-bady tanora, manome zara ny sasany | Répudier une femme encore Jeune, c’est faire le bonheur d’un autre], ete. ".

À la fin du x siècle, Andrianampoinimerinä a exigé que le misao- badÿ, la répudiation, eût dorénavant lieu publiquement, ofliciellement; les époux étaient tenus, sous peine de nullité, de comparaitre devant le Jokon'oiont, l'assemblée des anciens, et leurs parents.

Le Code de 1881, qu'a promulgué Ranavalonä IL, a mis fin, officielle- ment du moins, à cette antique coutume de la répudiation : «Il n’est pas permis de répudier sa femme», dit l'article 56, qui ajoutait que, s'il existait des motifs assez graves pour que la séparation des époux s'imposät, le mari comme la femme pourraient porter plainte devant l'autorité, et l'article 57 infligeait une amende de 100 piastres à tout individu qui épousait clandestinement une femme non réellement divorcée. etordonnait le retour immédiat de la femme chez son mari léoitime. Les frais assez considérables qu'a dès lors entraînés toute demande de divorce, soit 33 piastres, les ont rendus plus rares, quoique ces lois n'aient guere été appliquées. Depuis notre occupation de Madagascar et les lois que nous

% Juuren, Institutions politiques et sociales de Madagascar, t. , p. 220-990.

238 MADAGASCAR.

avons édictées, grâce aussi aux prédications religieuses , il y a déjà une amélioration dans la moralité publique, aussi utile pour le bien des familles que pour la paix des ménages.

21° Brexs pes époux. À Madagascar, les époux n'ont pas coutume de mettre leurs biens en commun; chacun possède en propre ceux qui lui viennent de ses parents ainsi que ceux qui lui échoient par succession et par donation ©, et ils n'héritent pas l'un de l’autre, {sy mandova vadÿ * : le survivant prend seulement sa part de la communauté, à moins de donations ou de conventions spéciales.

Les biens mobiliers de la femme, les fironsom-behivavÿ, suivant l'ex- pression des Merinä, au moins tant qu'elle n’a pas d'enfants, sont au fur et à mesure confiés à ses parents et gérés par eux; les règlements de compte se trouvaient ainsi facilités et de pénibles discussions évitées, en cas de séparation ou de répudiation qui étaient si fréquentes à Madagascar. Le plus souvent, lorsqu'il y a des enfants, les époux les laissent en commun (us

(1) Dès 1862, les missionnaires, tant ca- tholiques que protestants, se sont efforcés de créer dans TImerinä un mouvement d'opinion publique contre le divorce, mou- vement qui a eu quelque succès à partir de 1868 : le premier exemple en a été donné en 1867 par Victoire Rasoamanarivô, petite-fille de Rainihard (qui fut pendant vingt ans premier ministre et favori de Ranavalonä 1") et femme de Radriakä, fils du premier ministre RainilaiarivonŸ : elle réussit par ses prières à faire revenir la reine Rasoherinä et son beau-père Raini- laiarivonŸÿ sur leur décision d'annuler, sui- vant les lois du pays, son mariage : «Le ma- riage chrétien est indissoluble, leur dit-elle ; l'Eglisele consacre et le bénit pourtoujours».

®) Tels que le tahà vidim-pandriant , c'est-à-dire l'indemnité que donnait un poly- game à ses épouses lorsqu'il en prenait une nouvelle, l’hfikifikä des Sakalavä pour ob- tenir qu'une épouse «en colère» réintègre le domicile conjugal, etc.

6) À moins qu'ils ne se soient adoptés réciproquement, car, devenant alors héri- üers l’un de l’autre au même titre que les enfants issus du ménage, le survivant a la possession totale des biens de son conjoint, s'ils n'ont d'enfants ni l’un ni l’autre, ou, en cas contraire, une part égale à celle de ces derniers.

(1) Dans les mariages temporaires dont nous avons parlé plus haut, le fanambadiana an-tsirakà | litt. : le mariage fait (momentané- ment par les Merinä) au bord de la mer |, le fanambadiana misy fetrà [litt. : le mariage conclu pour un temps limité | ou le fanam- badiana volam-bitä [le mariage conclu pour une durée convenue |, le régime adopté est celui du mizara mantä, c’est-à-dire de la séparation des biens acquis pendant la vie commune, régime les moissons, le croit du bétail, les gains commerciaux, etc., sont partagés au fur et à mesure, par parts égales, entre les époux ou plutôt entre les associés.

ETHNOGRAPHIE. 239

quoiqu'ils restent la propriété personnelle de chacun d'eux; dans ce cas, le mari prend la gestion de ceux de sa femme, mais avec son autorisation, etil n'en peut pas plus disposer, à moins de conventions spéciales, que des intérêts ou des produits qu'ils donnent.

En ce qui concerne les biens acquis en commun pendant le mariage ", les acquèêts, ils sont, lors de sa dissolution par séparation amiable, répu- diation ou mort de l’un des époux, partagés tantôt en trois parts égales, kilay telo an-dalanä ? comme disent les Merinä, dont deux reviennent au mari ou à ses héritiers, et une, le /ahatelon'tananà ), à la femme ou à ses héritiers (Betsimisarakä, Ranomenä, Bezanozand , Merinä Ô)), tantôt en deux parts égales (Sakalavä, Sihanakä), taniôt dévolus au mari seul (Betsileo Ÿ, Tsimihetÿ, Barä, Antifasinä, Zafisoronä, Mahafalÿ).

22° Des veuves. L'inépalité du traitement des deux sexes était encore plus marquée pour les veuves que pour les femmes mariées : elles ne pouvaient pas en effet quitter le deuil, et par conséquent se remarier, sans en obtenir l'autorisation des parents de son mari, qui ne la donnaient pas d'ordinaire avant une année ou même un temps plus long, tandis que, pour les veufs, il ny avait pas de délai légal. Il y avait même dans

0) Ne sont pas compris dans ces biens les gains réalisés par le mari dans les fonctions publiques, ni le butin rapporté des expédi- tions militaires ou des razzias.

? Litt.: trois fagots au bord de la route (c’est-à-dire les biens qui entretiennent la vie d’une famille, comme un fagot alimente le foyer de la maison).

) Litt.: le tiers qu’on saisit.

4) N'étant pas sûres que les héritiers de leurs maris leur remettront honnêtement et intégralement leur fahatelontananä, les femmes bezanozanô détournent, dit-on, à leur profit, du riz et d’autres provisions qu'elles vendent pour s'acheter des vête- ments et des colifichets.

5) Toutefois, dans les quatre premières classes de la noblesse merinä. les héritiers des maris gardent tous les biens acquis

en commun et ne donnent à leurs veuves que ce qu'ils veulent bien leur abandonner. Andrianampoinimerinä a ordonné que, lorsqu'un mariage était fait contre le gré des parents, les acquêts fussent, lors de sa dissolution, partagés en parts égales, à moins toutelois qu'elle n’eût pour cause la mauvaise conduite de la femme.

(6) La femme betsileo n’a le droit d’em- porter, en dehors de ses biens personnels, lors de la dissolution du mariage, qu'un seul de chacun des pots et ustensiles de ménage (Rév. J. H. Haize, Antan. Annual, 1899; p. 32).

(7) Alahelom-behivavy, ka ranomaso no

Jiahina | Une femme en deuil ne doit avoir

d’autre occupation que de pleurer]. Le Rév. J. Pearse a vu un Merinä se remarier quinze jours après la mort de sa femme, et

210 MADAGASCAR.

certaines peuplades d'étranges et cruels usages : ainsi, chez les Betsimi- sarakä, la veuve devait coucher avec le mort tant que durait l'exposition du corps; et chez les Sihanakä, le jour des funérailles, vêtue de ses plus beaux lambas et parée de tous ses bijoux d'argent et autres, elle restait assise au milieu de la chambre mortuaire jusqu’au retour des parents, qui alors l’apostrophaient en termes grossiers et la maltraitaient, lui reprochant d'être la cause de la mort de son mari, son vntanü ou destin ayant été plus fort que le sien et lui ayant été fatal; puis, se jetant sur elle, ils lui enlevaient ses beaux vêtements et arrachaient brutalement les bijoux de ses oreilles, de son cou, de ses bras et de ses chevilles, ils lui mettaient les cheveux en désordre et l'enveloppaient d'une natte grossière qu'elle devait conserver jusqu'au soir; 11 lui était interdit d'adresser la parole à qui que ce fût; le soir venu, on lui donnait, pour se vêtir, un lamba grossier, et pour manger, une cuiller à manche cassé et un plat de bois ébréché.

La veuve faisait partie de l'héritage de son mari, de sorte qu'après sa mort elle ne recouvrait pas sa liberté : comme chez les Hébreux et chez tant d’autres peuples, elle était vady lov | femme qu'on a par héritage] ou, suivant l'expression des Merinä, vady entin-dolohà | femme dont on a la charge ©]; elle devenait de droit la femme de Fainé des frères survivants, qui, chez les Antisakä par exemple, pouvait la prendre le jour même si le

un ami du veuf qui était absent lors de la mort, arrivant à la maison mortuaire, y trouva une nouvelle femme occupant déjà la place de la défunte : c’élaient donc non pas des compliments de condoléances, mais des félicitations qu'il lui fallait faire (Anta- nanarivo Annual, 1899; p. 273). Chez les Antimoronä, le veuf vit dans la retraite pen- dant une ou même quelquefois pendant deux semaines; au bout de ce temps, les parents de la défunte lui amènent une de ses sœurs ou de ses proches parentes pour la rempla- cer, afin que les enfants et les biens ne passent pas en des mains étrangères (Rev. G. A. Smaw, Antan. Annual., 1894, p. 210).

0) « Lorsque deux frères vivront ensemble el que l’un d'eux sera mort sans enfants, la femme du mort n'en épousera point d'autre que le frère de son mari qui la prendra pour femme et suscitera des en- fants à son frère, et il donnera le nom de son frère à l'ainé des fils qu'il aura d'elle afin que le nom de son père ne se perde point dans Israël... et, s’il ne la veut point épouser, elle lui crachera au visage» (Deu- téronome, chap. xxv, 5-9).

2) Litt. : qu’on porte sur sa tête, comme on porte un paquet. Épouser la veuve de son frère, c'est mitondra lolohà.

ETHNOGRAPHIE. 241

cœur lui en disait, ou. à défaut de frère, d’un neveu ou d’un cousin, et chez certaines peuplades (Zafisoronä, Antandroy, Bezanozand ©, Merinä autrefois, ete.), de leur beau-fils , conséquence de leur organisation sociale, de leur division en classes, l’on jugeait sinon indispensable, au moins très désirable, la concentration des biens dans le même groupe, dans la même famille; d'autre part, si l'un de ses membres mourait sans postérité, maty mas comme ils disent, il était important de faire en sorte que sa veuve eût des enfants, qui, nés de ces sortes d’unions, étaient, comme jadis dans le royaume d'Israël, réputés pour enfants du mort et appelés à continuer sa famille, mamelo-masd. Si le frère aîné du défunt ne voulait pas de sa veuve, il devait la répudier en due forme pour qu'elle eût le droit de se remarier. Toutefois, lorsqu'il y avait plusieurs frères, l'usage s'était établi qu'elle pouvait choisir celui avec lequel elle préférait vivre et qui était tenu de l’accepter pour femme, quitte à la répudier ensuite. À la fin du xvrr' siècle, Andrianampoinimerinä a décrété que +si le beau- frère veut faire de la veuve de son frère la femme de ses autres frères, vady maro lahi [la femme de plusieurs hommes], elle serait par cela même libre de disposer à son gré de sa personne sans avoir besoin d'être répudiée répuliérement »”.

Ce fut toujours pour les femmes une source de préoccupations et de soucis d'être destinées, en cas de veuvage, à passer du mari à son frère ou à son héritier, et la coutume s'était peu à peu établie chez les Merinä de stipuler d'ordinaire, au moment du mariage, que la future ne serait

0) On appelait lova 1sy mifindrà [litt. : héritage qui ne change pas de mains] le mariage de deux proches parents qui con- servait dans la famille les propriétés héré- ditaires (°).

(2) Dictionnaire manuscrit du Chev. de

Froberville, British Museum, Fonds Farquhar. () Les fils pouvaient, en eflet, épouser les veuves de leur père, à l'exclusion bien entendu de leur mère. (1) G. Jun, /nstit. polit. et soc. de Mada- gascar, t. IE, p. 204.

0 () + Voici la loi qui a été établie par le Seigneur au sujet des filles de Salphaad (un des princes d'Israël) : Elles se marieront à qui elles voudront, peurvu que ce soit à des hommes de leur tribu, afin que l'héritage des enfants d'Israël ne se confonde point en passant d’une tribu à une autre. Tous les hommes prendront des femmes de leur tribu et de leur famille, et toutes les femmes prendront des maris de leur tribu afin que les mêmes héritages demeurent toujours dans les familles el que les tribus ne soient point mélées les unes avec les autres, mais qu’elles demeurent toujours séparées entre elles» (Nombres, chap. xxxv1, 6-11).

ETINOGRAPITIE. 31

IMPRIMENIE NATIONALE.

242 MADAGASCAR.

pas entin-dolohä si elle devenait veuve; le mari, dans ses dispositions testa- mentaires, pouvait du reste faire valablement cette stipulation ®. Ce n’est qu'en 1881 que Ranavalonä IL a mis fin à cette antique coutume : « Les mariages, a-t-elle dit, ne seront plus obligatoires entre beaux-frères et belles-sœurs, si telle n’est pas la volonté des intéressés ».

Une veuve ne pouvait pas se remarier avant que la période de deuil (les parents du défunt la fixaient à leur gré; elle était d'ordinaire d’une année, quelquefois moins et quelquefois plus) fût écoulée et que le chef de famille l'eût purifiée par le fa/y rand ou aspersion d’eau. Pen- dant tout ce temps, elle ne devait pas coucher dans un lit, ne pas porter de vêtements élégants ou même propres , ni jeter le lamba sur ses épaules, qui devaient toujours être à nu", ni porter des vêtements cousus, ni mettre de chaussures, ni se regarder dans un miroir, ni tresser ses cheveux), ni les enduire de graisse ou d'huile, ni se baigner, mi se laver excepté le bout des doigts, ni filer de la soie ?), ni manger dans des assieltes de faïence ou de porcelaine avec des cuillers de métal, mais dans des plats de bois ou de terre avec des cuillers en corne; elle devait se tenir à l'écart du monde, ne prendre part à aucune fête et, à l'époque du Jandroanà, commémorer le mort; un veuf, pendant le temps du deuil,

mari ou de leur femme; à la mort d'en- fants, ils se contentaient de ne plus tresser

0) G. Juuen, Jnstit. polit. et soc. de Mada- gascar, t. {, p. 3922.

®) En Imerinä, une veuve qui se remariait avant une année révolue (excepté avec un de ses beaux-frères) perdait tout droit au respect.

) On ne doit pas les laver au savon. H y a des veuves (sakalavä, etc.) qui ne portent que des lambas déchirés, en loques.

(4) Tsy manao tafy sisikä, comme üls disent.

5) En réalité, le grand deuil aurait con- sisté à avoir la tête complètement rasée, mais les lois somptuaires réservaient ce témoignagne de douleur à la mort des sou- verains, considérés comme les pères et les maitres de leurs sujets. Cependant les Anti- moronà se rasaient la tête à la mort de leur

leurs cheveux et de ne plus se peigner.

(5) Chez certaines peuplades, chez les Antanosÿ par exemple, lorsque les héritiers du défunt trouvent que le deuil de la veuve a assez duré, ils convoquent les membres de leur famille et leur disent : # Voilà long- temps que notre parent est mort et, comme sa veuve n'a que sa figure pour gagner sa vie, laissons-la chercher un mari», et ils se rendent tous en procession chez elle, por- tant avec eux de la graisse de bœuf ou de l'huile de ricin dont ils enduisent ses che- veux, puis il la bénissent; elle est dès lors libre de se remarier.

0) Tsy mampandihy ampelt.

(8) Tsy mamoy ny (ne pas l'oublier).

ETHNOGRAPHIE: 243 devait également suivre la plupart de ces prescriptions (M: ceux qui ne les suivaient pas montraient par cela même qu'ils étaient heureux de la mort de leur conjoint . La veuve devait en outre n'avoir de relations avec aucun homme : tout individu surpris avec elle en conversation criminelle pendant le deuil était considéré comme mpamosavÿ ou mpamorikä, c'est-à-dire comme sorcier ayant tué le mari par ses maléfices, et il était pillé, sinon tué avec sa complice. Cependant, chez les Betsileo, lors des orgies inter- minables qui accompagnent les funérailles des personnes riches, pendant lesquelles les femmes ne sont plus tenues à la fidélité conjugale et pra- tiquent l'amour libre, les veuves, comme les autres femmes, se livraient à la débauche la plus effrénée, croyant, si elles n’agissaient pas de la sorte, qu'elles ne trouveraient pas à se remarier à la fin de leur deuil ©.

Chez les Merinä, la femme reny anakà (c'est-à-dire celle qui avait eu des enfants de son mari et qui avait vécu avec lui jusqu'à sa mort) avait le droit de continuer à habiter dans la maison conjugale et d'être enterrée aux côtés de son époux, roulée dans le même linceul, tandis que la femme Jotsimantsÿ | litt. : lame qui n’est pas emmanchée (c’est-à-dire sans en- fants)| devait, le deuil fini, se retirer chez ses parents, emportant ses biens propres et le fahatelon-tananü ou le tiers de ses acquêts pendant la communauté, et elle n'avait pas place dans le tombeau de son mari.

S 3. LES ENFANTS.

Féconprré, sréraré. Mourir sans postérité est pour les Malgaches le plus grand des malheurs, car qui les protégera dans leur vieillesse, qui les pleurera et les enterrera lorsqu'ils mourront, qui surtout leur rendra le culte nécessaire à leur bonheur futur (®? Aussi les hommes préfèrent-1ls souvent épouser une femme déja mère, qui a fait ses preuves, ou même

(1) Chez les Merinä, un veuf ne portait croient que, s'ils n'ont pas de fils, les obla- pas de chapeau et ne se coupait pas les tions mortuaires qui les nourrissent dans cheveux. l'autre monde venant à leur manquer, ils

2 Faly maty vady, raha manao izany. seront très malheureux et dépériront défini-

3) J.H. Huice, Antan. Ann., 1900,p. 15. tivement (V. Henry, La Magie dans l'Inde

4) Comme les Malgaches, les Hindous antique, p. 137).

So

244 MADAGASCAR.

une femme enceinte. Toutes les femmes ont, par conséquent, le plus ardent désir d’avoir des enfants, désir souvent déçu à leur grand désespoir, car, quoique la race malgache soit naturellement prolifique, la stérilité n’en est pas moins commune à Madagascar; les statistiques établies depuis notre conquête montre qu'il ny a guère plus d'un enfant par femme adulte : un quart des femmes n’en ont pas, soit parce qu'elles sont stériles, soit à cause de nombreux avortements auxquels donnent lieu leurs tares physiologiques Ÿ. Être une vady Jotsinantsÿ [une lame de couteau sans manche | suivant l'expression des Merinä, être par conséquent une femme inutile, bonne à rien, leur crée une situation pénible et humiliante(”; la

(1) Les femmes malgaches sont naturel- lement fécondes, surtout les femmes anti- moronä et sakalavä vezô ), qui ont souvent 10, 12 et même 15 enfants(b). Sur la côte orientale, les femmes betsimisarakä, qui avaient un bon nombre d'enfants jusqu’au milieu du xix° siècle, sont depuis devenues moins prolifiques à cause des boissons al- cooliques plus ou moins frelatées dont elles font abus dans leurs fêtes : en 1818, le baron de Mackau n’estimait pas à plus de 3 à 4 le nombre d'enfants qu'avaient les femmes de Tintingue, et un vieux colon de Tamatave, M. Dupuy, l'estimait en 1890 à 5 ou 6. Dansle centre, les femmes tsimihelÿ et les femmes betsileo semblent plus fé- condes que les femmes merinä, qui sont cependant très prolifiques, dit le Fon- toynont(®), malgré les maladies vénériennes dont la plupart sont atteintes, malgré les lésions galeuses si fréquentes dans les ré- gions anale et vulvaire, malgré les pous- sières du sol ou saletés qui pénètrent dans leurs organes sexuels par suite de leur habitude de se tenir constamment accrou- pies sur les (alons, malgré l'usage si peu

hygiénique de la torsade de /onozorû ou moelle de souchet, de jonc, au moment des règles. Malheureusement, la mortalité in- fantile, sans parler des infanticides par superstition qui étaient si nombreux il y a encore peu de temps, et d’autres causes enlevaient un grand nombre de ces enfants, de telle sorte que la population ne s’accrois- sait pas.

2) «En Imerinä, il y a une proportion de ménages sans enfants beaucoup plus grande que dans les pays plus civilisés» (Euus, History of Madagascar, 1838).

3) Voir le tome précédent, p. 323-333 (Dépopulation de Madagascar) et p. 333-340 (Natalité et fécondité).

4) «Ah! oui, si les pleurs étaient des enfants. la femme stérile aurait une famille très nombreuse», dit un des chants funé- raires malgaches. +Une femme stérile est déshonorée dans l’Ankove», écrivait Mayeur en 1785 (Wan. British Museum, Fonds Farquhar, et Copie Bibl. Grandidier, p. 39), et M. Charnay a dit en 1862 : « La stérilité est un affront pour la femme betsimisarakä ».

() Les Antimoronä et les Sakalavä vezô (ou de la côte) vivent beaucoup de poisson : est-ce à cetle cause qu'il faut attribuer le petit nombre de femmes stériles qu’on trouve parmi eux et le grand nombre d'enfants qu'ils ont? Les Sakalavä masikoro (ou de l’intérieur) qui ne mangent pas de poisson sont moins prolifiques que leurs frères des côtes. ©) A. Grandidier (1866), Grevé (1880), Shaw (1890), ete. () Bulletin de la Société d'Internat, nov. 1910.

ETHNOGRAPHIE. 245

plus grande offense qu'on puisse faire à une jeune Malgache est de lui souhaiter de «n'avoir jamais d'enfants pour veiller sur ses vieux jours et pour l’ensevelir», ou, si elle est enceinte, de « mourir avant de mettre au monde l'enfant qu'elle porte dans son sein», tandis que, si l’on veut lui être agréable, on lui souhaite d'en avoir beaucoup | Maroa fara aman- dimbÿ!], et une femme nouvellement accouchée à qui l'on apporte des félicitations a coutume de répondre : + Puissiez-vous, vous aussi, avoir des enfants!» | Mba mananü ! |

Nous avons exposé dans le tome précédent"! les causes de cette stéri- lité si grande dans une population naturellement prolifique : licence des mœurs”, abus des plaisirs charnels auxquels se livrent sans retenue la plupart des filles dès l'âge de 11 à 12 ans, unions trop précoces, unions consanguines, vie pauvre et misérable amenant surtout dans la région centrale une prompte déchéance organique, épidémies diverses, tares physiologiques, syphilis, paludisme, ivrognerie, pratiques fâcheuses des sages-femmes et des ombiasÿ ou médecins indigènes.

Lorsqu'une femme merinä, dit le D'RanaivôP), n’est pas enceinte après quelque temps de mariage, elle consulte le mpisikidÿ ou devin, puis la sage-femme. Le mpisikidy, après avoir tiré le sikidÿ, la bonne aventure), lui indique lesquels des Vazimbä® ou des ancêtres de sa famille sont mécontents d'elle, et quelle offrande, quel sacrifice elle doit leur faire pour

() Cf. p. 323-340. avorte : les habitants des hauts plateaux

® On cite parmi les Merinä un clan d’'Ambodirand, les Zanakantiträ, dont Îles femmes sont réputées pour leur bonne con- duite et qui sont fécondes.

5) +Les jouissances précoces et le liber- tinage effréné des femmes semblent nuire à la fécondité, les conceptions étant loin d'être en proportion des rapprochements» (D° Foucrioy, médecin du navire de guerre le Golo, 1818 la côte Nord-Est], Man. Arch. Colon., Fonds Madagascar).

() «Une femme merinä qui s’en va ha- biler la côte est considérée comme perdue pour sa famille; elle n’engendre plus ou elle

sont très sujets aux fièvres paludéennes qui règnent sur les côtes et qui arrêtent en eux les sources de la vie.»

(5) Pratiques et croyances des Malgaches relatives aux accouchements. Paris, Thèse de médecine, Juill. 1902.

(6) Voir au volume suivant, au livre de la Religion.

(7) Premiers occupants de l’Imerinä dont descendent les Merinä de la caste «hovä» et dont les tombes ou soi-disant monuments funéraires sont l'objet d'une vénération et d’une crainte particulières. Voir au volume suivant, au livre de la Religion.

216 MADAGASCAR.

calmer leur colère, car on croit généralement que les rapports sexuels ne sont nullement indispensables et que la conception est l'œuvre de Dieu et des ancêtres : après avoir prié et oint de graisse mêlée à du miel le fasam-bazimbä | le tombeau présumé d'un Vazimbä |" ou le fasan ny nlaolÿ [le tombeau des ancêtres], la femme en quête d'enfant rapporte chez elle un peu de cette graisse dont elle se fait masser le ventre, tou- jours vers le nombril, «afin d'y accumuler les humeurs qui constitueront les diverses parties du corps de l'enfant». Quant à la sage-femme, après avoir examiné, palpé et massé la plaignante, elle lui prescrit tantôt un purgalif, tantôt un régime consistant à boire une décoction de plantes di- verses, à se gaver de riz et à ingurgiter du bouillon de cervelle de bœuf assaisonné de gingembre, le tout, dit-elle, pour chauffer le fitoeran-jazü [la demeure de lenfant], l'utérus; tantôt d'avaler tout vivant un tohô, poisson gros comme le petit doigt, qui, s'il continue à vivre, deviendra le fœtus, mais qui, s'il meurt, produira une hydropisie.

Chez les Betsileo, quand un ménage ne voit pas venir d'enfants, 1l consulte le mpanandrô ou astrologue : celui-ci commence ‘par constater que les deux époux sont mal appariés, que la conjonction des astres qui

(0) Certaines pierres Vatomasinà | pierres sacrées | sont, de même, censées donner aux femmes toute la fécondité désirable. À 19 ki- lomètres au sud de Tananarive, 11 en est une nommée Vato bevohokä [la Pierre en- ceinte |, qui, amincie à ses deux extrémités, est renflée en son milieu et dont la surface noirätre, toute suintante de graisse, atteste qu'elle a de nombreuses clientes. Non moins nombreuses sont celles qui se rendent en pèlerinage au Tsangam-baton-dRafarà , situé à Ambatomenä au milieu d’autres pierres levées; ce cénotaphe , qui a aujourd'hui, au dire des Malgaches, le pouvoir de rendre fécondes les femmes stériles, a été élevé en 1910 à la mémoire de Rafarä, habile ma- trone morte au moment de l'insurrection contre nos armes et dont le corps n’a pas été retrouvé : + La femme qui désire un enfant,

ayant plongé son index dans de la graisse de bœuf, frotte le pourtour de la pierre ainsi qu'un trou qui existe dans le milieu, en faisant le vœu, si elle devient mere, de lui apporter une pièce de monnaie ou un mor- ceau d’étoffe » (D' Vital Roserr, Bull. Soc. des Sc. médicales de Madagascar, 1911, sem., p. 6, avec planche). Il y en a partout, çà et là, de semblables que non seulement les sappliantes enduisent de graisse, mais elles font des sacrifices de volailles.

® Si à la suite de ces prières la femme devient mère, l'ancêtre qu'elle a invoqué est considéré comme le vrai père de l'en- fant, ce dont personne ne doute. IL est admis à Madagascar qu'un mari mort re- vient parfois auprès de sa veuve pendant la nuit pour lui procréer un enfant, lequel est reconnu légilime.

ETHNOGRAPHIE. 217 ont présidé à leur naissance n'était pas propice à leur union, mais il finit invariablement par les assurer que tout s'arrangera s'ils suivent ponctuel- lement ses prescriptions : par exemple, ils devront monter au sommet d'une montagne solitaire et, la femme s'étant baignée dans un torrent et s'étant enduit le corps de oraisse devant son mari, celui-ci, pour écarter le mauvais sort qui les poursuit, lui passera sept fois sur la figure les pattes d’une poule grasse, qui, aussi bien que les poussins auxquels elle donnera naissance, ne doit pas être tuée avant que la femme devienne mère (1,

Outre les ordonnances des spécialistes, il y a des pratiques popu- laires auxquelles la plupart des femmes attachent une pleine for, telles que : de mélanger à leurs aliments des drogues échauffantes (horwrikà ou feuilles d'Arum, anamalahô ou feuilles de Spilanthe, sakamalao ou gingembre, etc.) pour réchauffer la matrice; de prendre sans être vue dans la maison d'une femme nouvellement accouchée un kiozä ou mor- ceau de viande fumée, ou de recevoir, comme chez les Bezanozand, un morceau de la délivre, qui «ont la vertu de rendre enceinte la femme qui les mange»; de s'emparer de la canne à sucre qui, lors de la céré- monie de la circoncision, est attachée à la porte de l'enfant qu'on cr- concit; d'assister à la première coupe de cheveux d’un enfant, parce que, après une invocation à Dieu et aux ancêtres, chaque personne présente recoit une boulette de riz dans l'une desquelles se trouvent des cheveux de l'enfant avec un petit morceau de bosse de bœuf, boulette précieuse entre toutes puisque «celui ou celle qui la mangeront auront bientôt l'enfant désiré»; de s'emparer, lors de la première sortie d'une femme nouvellement accouchée, du /ofÿ ou sorte de poinçon qui sert de démé- loir et qu'en ce jour elle laisse dans ses cheveux, ainsi que du petit mor- ceau de bœuf que porte en cette circonstance le nouveau-né; de se coucher dans le lit ou sur la natte d’une femme qui vient d’accoucher, dans la

%) Le Rév. J. H. Haïle a constaté que quelque divinité secondaire, appelant sa beaucoup de ces volailles atteignent un âge bénédiction sur un régime de bananes, fort avancé (Antananarivo Annual, 1900, akondro vokaträ, dont elles mangent ensuite p. 11). Il en est d’autres qui invoquent tous les fruits, ete.

218 MADAGASCAR.

croyance qu'elles deviendront enceintes par contagion; de pifler, de pincer les enfants d'autrui qu'elles rencontrent en un lieu désert, parce qu’elles croient devenir mères à leur tour en les faisant pleurer; de boire d'é- normes quantités d'eau Jusqu'à ce que la malheureuse soumise à cette sorte de «question» soit gonflée au point de n’en plus pouvoir, ete.

Chez les Antimoronä et autres descendants d’immigrants arabes, les femmes qui craignent d'être stériles portent sur la poitrine un talisman composé d'un bout de papier sur lequel ont été écrits tant bien que mal quelques versets du Koran ou de leur livre sacré, le Sora-bé, et qui, roulé et exposé à la fumée d'une gomme aromatique qu'on fait brûler pen- dant qu'un vieillard fait une invocation pour que le désir de la femme soit exaucé, est ensuite entouré de cire et orné de perles de verreU.

Toutes ces pratiques superstitieuses et enfantines montrent à quel point les femmes malgaches ont l'ardent désir d’être mères, désir qui toutefois, nous devons le dire, semble moindre depuis quelques années, le contact des Européens ayant eu sous ce rapport une influence funeste.

Les Malgaches attribuent la stérilité non seulement à la colère de Dieu et des ancêtres, mais aussi à l’accomplissement de certains actes : ainsi, disent les Merinä, «n'enfantera pas la femme qui mangera sur le cou- vercle d’une marmite, qui travaillera le samedi, qui mangera des œufs couvés, mais stériles, ou bien des fruits pendant le mois d’Alakaosÿ, qu'on frappera avec la cuiller à pot ou avec un roseau», ete.)

() Les femmes stériles se livrent souvent à des pratiques qu'elles estiment divina- loires et grâce auxquelles elles croient ap- prendre si elles auront des enfants, telles que : de consulter certaines pierres sacrées, dans une petite cavité ou sur l’étroit som- met desquelles elles jettent d’une certaine distance un nombre déterminé de petits cailloux qui, s'ils entrent dans la cavité ou s'ils restent sur le sommet, leur donnent toute confiance dans l'avenir: de fermer les yeux, étant à quelques mètres d’une pierre levée, et, marchant sur elle à l’aveugle, de

tächer de la toucher, etc. Il est des femmes qui, se trouvant en présence d’un tout pelit enfant, lui posent cette question : ‘x Dis- moi, petit, aurai-je des enfants?» et, Si le «petit» sourit, semblant répondre «oui», elles le comblent de caresses, ne doutant pas que leur désir ne soit promptement exaucé.

2) Mihinana ambony takatra , manao zavatra asabotsy, mihinana lamokan’ atody, mihinam- boankazo Alakaosy, kapohina sotrobe na volo- tara, tsy makazo zaza (Sraxoié, Les Fady malgaches, Bull. Acad. malgache, 1904, p- 113).

ETHNOGRAPHIE. 219 Grossesse. Pendant les dix lunaisons que dure leur grossesse, les femmes malgaches sont, partout du moins elles sont respectées et jouissent d’une certaine autorité, comme c’est d’ailleurs le cas le plus général, l’objet de soins et d’attentions qui, il est vrai, s'adressent plus à l'enfant qu'à la mère; en effet, il est fadÿ, c’est-à-dire 1l n’est pas permis, lorsqu'elles sont, comme disent les Merinä, ratsy ainü, de contrecarrer les idées même extravagantes, les envies plus ou moins étranges qui viennent hanter leur cerveau, et on les gave, à leur demande, des ali- ments qu'elles convoitent, car on pense que leurs envies sont l'expression du désir, du besoin qu'a l'enfant d’avoir en abondance certains aliments utiles à son parfait développement!; d'après les aliments dont elles manifestent le désir, les Merinä diagnostiquent l'avenir de l'enfant : envient-elles une aile de poulet, c’est qu'il sera d’un caractère faible; désirent-elles de la viande de pore, c'est qu'il sera modeste et sans ambi- tion, mais sil s’agit de viande de mouton, c’est qu'il sera un homme fort et heureux dans ses entreprises, ete. Il en est qui réclament de plus bizarres aliments, tels que du tamfotsÿ, ou terre argileuse blanche avec laquelle on recrépit les maisons en Imerinä, des œufs pourris, etc.; pendant qu'elle était enceinte de Zomanerÿ, qui s’est rendu célèbre par sa cruauté et avec qui l’un de nous a contracté en 1866 l'alliance du sang, la femme du grand roi des Antanosÿ eut l'envie de manger du requin, et le roi fit ouvrir le ventre d'une de ses sujettes qui était égale- ment enceinte et, avec le fœtus, fit appâter un requin que mangea la reine,

Beaucoup de femmes n’annonçaient pas leur grossesse tant qu'elle n'était pas apparente, parce que, craignant d'appeler sur elles l'attention des mpamosavÿ ou sorciers et d'être victimes de leurs maléfices, aux- quels étaient attribués les avortements, elles ne faisaient part de l'heu-

(D) Dans les familles merinä, il est l'excès des aliments dont elle a envie; cet

d'usage de donner une fête au moment une femme enceinte manifeste sa première envie : on invite les parents et les amis à un festin la femme se rassasie jusqu'à

ETHNOGRADHIE.

excès lui cause d'ordinaire une indiges- tion; mais, à ses yeux comme à ceux des convives, c'est la preuve que l'effet désiré est obtenu.

39

IMANIMERIE NATIONALE,

250 MADAGASCAR.

reuse nouvelle qu'après le cinquième ou le sixième mois lunaire, quel- quefois même après le septième (,

À Madagascar, sauf dans lmerinä dont nous parlerons plus loin ®), les sages-femmes étaient des femmes quelconques, des voisines qui avaient eu beaucoup d'enfants et les conseils qu’elles donnaient à leurs clientes ne reposaient que sur des préjugés populaires : ainsi, par exemple, dans l'Ouest, outre que les femmes enceintes devaient, pendant les derniers mois de leur grossesse, vivre dans la pénitence, ne plus porter ni bijoux, ni beaux vêtements, et ne pas tromper leur mari, elles leur suspendaient au cou un petit coléoptère, le maty velonà [litt. : qui est mort et qui vit], ainsi nommé parce que, quoique restant immobile pendant longtemps comme sil était mort, il est cependant vivant) et, par analogie, est censé porter bonheur au fœtus tant qu'il est confiné dans l'utérus: ou bien elles leur attachaient sur la poitrine une queue d’anguille, parce que, ce pois- son glissant facilement entre les doigts, par sympathie l'enfant glissera de même lorsqu'il naîtra, ete. Le mari d’une femme enceinte ne porte pas le sadia, ou toile que les hommes enroulent autour de la ceinture et

Œ) A.

voyage en pays sakalava ,et D' Vizzerre, Bull.

Granpinier. Notes manuscrites de

Acad. malgache, 1903. p. 194. On sait que les Hindous cherchent à changer la physionomie des femmes enceintes pour les rendre méconnaissables aux démons qui les gueltent, car + mille démons rôdent autour de la future mère, invisibles et formidables, lascifs, gloutons et cruels, qui dévoreront l'enfant s'ils pénètrent dans le corps de la femme, qui sont experts dans l'art de pro- voquer les avortements ou d'infliger au petit être toutes sortes d'infirmités et de diffor- mités» (V. Hexny, La Magie dans l'Inde an- tique, p. 1h).

(2) Les Tsimihetÿ et probablement tous les habitants du centre ont des usages ana- logues à ceux des Merinä (Teny soa, 1908, pret)

(1 Chez les Barä, dit-on, il n'y a pas de sages-femmes, ce sont, paraît-il, le mari

et les fils aînés qui font le nécessaire. Chez les Sakalavä du Nord-Ouest, il y avait des maris qui se plaisaient à aider leurs femmes à mettre au Jour leur enfant; Andriantsolÿ, le roi du Boinä en 1810, était célèbre pour son adresse à accoucher ses nombreuses femmes (Vincent Noëz, Recherches sur les Sa- kalaves, 1843, p. 53).

4) Chez certaines peuplades cependant, comme chez les Antanosÿ par exemple, quand le mari d'une femme enceinte devait s'absenter pour un long temps, il choisissait quelqu'un qui le remplaçait et vivait avec elle pendant son absence, sans quoi «lae- couchement eût élé laborieux» (voir p. 225, note 1).

) Ce petit coléoptère est un Brachycerus. L'accouchement fini, la femme l'enfermait soigneusement dans une calebasse et ne le jetait que lorsque, sa tête s'étant détachée du corselet, il était indubitablement mort.

ETHNOGRAPHIE. .251

passent entre les jambes, de la même manière qu'en temps ordinaire : au lieu d'en laisser les extrémités pendantes, lune par devant, l'autre par derrière, 1l les rejette sur l'épaule.

Pendant les derniers mois de leur grossesse, beaucoup de femmes malgaches, sakalavä, merinä, antanosÿ, ete., cessent toute cohabitation intime avec leur mari, et, au terme qu'elles ont choisi, ordinairement après le sixième mois(), comme nous l’avons dit plus haut, elles se refusent; mais, lorsque leur mari est monogame, elles choisissent une femme, leur plus jeune sœur si elles en ont une, pour les remplacer momentanément comme épouse.

Dans lImerimä??, les sages-femmes n'étaient pas, comme celles dont nous venons de parler, des femmes quelconques : c'étaient des femmes expérimentées, dont c'était le métier quelles avaient appris avec leur mère et qu'à leur tour elles apprenaient à leurs filles Ÿ : on allait souvent les chercher assez loin et plusieurs jours à l'avance. Elles étaient tenues de se rendre à tout appel, sans s'occuper si leurs clientes étaient en me- sure de les rémunérer ; le prix d'un accouchement était du reste peu élevé, puisqu'il était invariablement fixé à un voument | o fr. 20 environ | et à une aiguille pour que l'enfant ne naquit pas aveugle ; il est vrai qu'il n'était pas défendu d'ajouter à ce prix officiel un hasin-tananü, une somme

M) C'est vers cette même époque que, chez les Sakalavä de l'Ouest, le chef de famille adresse à Dieu et à ses ancètres une prière pour que l'enfant soit bien constitué et ait une vie longue et heureuse, prière accompagnée du sacrifice d’un bœuf et sui- vie d'une aspersion d'eau sur les époux (Dr Carrrow et F. Guénor. Les Idées reli- gieuses des Antimenä, Revue de Madagascar, sem. 1909, p. 1b8).

2) Ranavô, Pratiques des Malgaches relatives aux acecouchements, Thèse de mé- decime, Paris, 19c2.

5) La sage-femme merinä qui a une fille l'emmène avec elle pour qu'elle assiste aux opérations, et la jeune Maloache, qui est

toujours une bonne observatrice, ne tarde pas à acquérir les connaissances spéciales à ce métier. Il y en a qui commencent à l'exercer dès l’âge de 12 ans; il est vrai qu'il n’est pas rare qu'elles-mêmes soient déjà mères à cet âge et que, par consé- quent, elles méritent à double titre le nom de renin-jazä | mères d'enfants].

(4) Pour les esclaves, le tarif était doublé, car leurs maîtres pouvaient bien rémunérer plus largement celle qui augmentait leur avoir d’un petit esclave.

5) Tsy manome fanjaitra ny renin-jaza, mahajamba zaza [Quand on ne donne pas une aiguille à la sage-femme, l'enfant nait aveugle |.

32.

252 MADAGASCAR.

d'argent", et même un présent d'une valeur plus ou moins grande ©). On avait en elles la plus grande confiance; quand elles commettaient une erreur avaient un insuccès, ce n'était pas à leur ignorance et à leur maladresse qu'on les attribuait, mais aux mpamosavÿ, aux sorciers ou sorcières, qui, voulant du mal à leurs clientes, leur avaient jeté un sort. Quoique leur vrai nom soit mpampivelont | lit. : celles qui font vivre] ou mpamelonä [litt. : celles qui donnent la vie], celui qu'on leur donne plus communément, renin-jazà |litt.: la mère de l'enfant] prouve la re- connaissance qu'on à pour elles.

Les sages-femmes merinä ne pratiquaient ni l’auscultation, ni le tou- cher; leur exploration se réduisait à une inspection générale et à la pal- pation pour se rendre compte surtout de la température de l'abdomen,

NP ; - qui «est plus élevée si l'utérus est gravide», et aussi de linclinaison de l'utérus afin de pronostiquer le sexe du fœtus, car, sil est tourné vers la

, , 2 y RCE gauche c’est que l'enfant est du sexe masculin, et du sexe féminin au cas contraire ». Une hémorragie survenant dans le courant du dernier mois était pour elles une preuve certaine que l'enfant à venir était un garçon, parce que {sy omby uoeranà, le logement du fœtus était trop petit et qu'il avait l'agrandir.

Dès la grossesse reconnue, la femme devait se faire masser, d'abord à intervalles plus ou moins longs pendant les sept premiers mois « pour pou- voir supporter la fatigue et le malaise qu'engendre son état et pour favoriser le développement de l'utérus», puis tous les jours à partir du huitième mois « pour faciliter la descente du fœtus et préparer sa sortie » ; toutefois beaucoup de femmes ne recouraient pas au massage pendant les premiers mois, parce que la prernière séance de massage était toujours suivie d'une fête de famille l’on annoncait aux parents et aux amis l’heureuse nou-

É Ï

(0 Tsy manome vola ny renin-jaza, maha- Jarofy zaza | Quand on ne donne pas de l'argent à la sage-femme, l'enfant est ma- ladif].

® Chez les Betsimisarakä, le prix, au milieu du xix° siècle, était plus élevé: ils donnaient d'ordinaire un kirobô [1 fr. 25],

un poulet et quelques livres de riz, mais seulement en cas de réussite. Quant aux Sakalavä du Nord-Ouest, ils payent comme arrhes | fehin-tananà (pour lier les mains) | soit 1 voamenä [o fr. 20], soit 1 siajÿ [o fr. 60], plus 1 piastre huit jours après l'accouchement, si l'enfant vit.

ETHNOGRAPHIE. 253

velle, et que, comme nous l'avons dit, elles craignaient, si leur état venait à être connu de tous, d'être victimes des maléfices des mpamosavÿ, des sorciers ou sorcières qui pouvaient en profiter pour leur jeter un sort.

Le régime que prescrivent les sages-femmes à leurs clientes est le sui- vant : se lever de bonne heure + pour prévenir le développement exagéré du placenta et son adhérence au moment de l’accouchement, ainsi que les torsions du cordon >; piler tous les matins du riz pour le décortiquer, «afin de bien fixer le fœtus dans l'utérus par les mouvements de haut en bas qu'on fait en se livrant à cet exercice» (): manger beaucoup de viande grasse avec des léguines verts et du riz, «afin d'entretenir dans le corps la chaleur nécessaire à l'existence de l'enfant», souvent de la peau de poulet et du vorivorinlkenà | de la panse du bœuf], «afin que les enveloppes «fœtales soient solides, et des pieds de porc, afin que l'enfant ait de «jolis pieds»; prendre beaucoup de bouillon de bœuf, «afin d'éliminer les tares qu'a la mère et qu'elle pourrait transmettre à son enfant», boire beaucoup d’eau fraîche, «afin d'empêcher la formation d'humeurs sébacées qui nuiraïent à la santé de l'enfant», enfin, dès que la femme se sent indisposée ou est malade, manger du riz cuit avec des feuilles de isorokonangaträ | de la plante des revenants, des fantômes |. Certains vêtements ou certaines formes de vêtements ne se portent pas pendant la grossesse.

Outre ce régime auquel les femmes enceintes étaient astreintes, elles avaient à respecter une multitude de fadÿ, c'est-à-dire à s'abstenir de certains aliments et à sinterdire certains actes, sous peine de voir arriver malheur à elles ou à leur enfant; ainsi elles ne devaient pas manger de tsindrahakà | de nèpe ou scorpion d’eau], ni de pattes de crabe, + parce que leur enfant aurait les mains difformes », ni de tararakü | d'oi- seau de nuit] «parce qu'il aurait de gros yeux», ni de menamasd | de petit échassier| ou de pattes d'oiseaux en général et surtout de pattes d'oie ou de canard «parce qu'il n'aurait pas de mollets et qu'il aurait de

%) Chez les AntanosŸ, «elle doit tous les mandées » (D' Rasonxson, Bull. Acad. malo. , jours faire quelque travail fatigant; la mar- 1908, p. 179). che et la péche sont particulièrement recom- ®) Espèce de Cassia (C. occidentalis L).

254 MADAGASCAR.

vilains pieds ou les doigts palmés», ni de piment rouge + parce qu'il aurait les cheveux roux», ni de muür?s ou de framboises “parce qu'il aurait des taches de vin», ni de blanc d'œuf + parce qu'il serait bobÿ, albinos, ou mipentimpentinà, pie, ni de fodÿ [de moineau malgache | + parce qu'il serait d’un naturel querelleur », ni d'oreilles de mouton + parce qu'il serait peureux», ni de mosavin-lienà [de glande de bœuf] « parce qu'il tomberait malade», ni de riz ni de viande pendant le mois d'Ala- kKaosÿ qui est le dernier mois de l’année lunaire malgache + parce que le destin de ce mois est nuisible aux parents». Enfin, si la future mère fait un cadeau, elle doit donner non pas un seul objet, mais deux à la fois, «sous peine que son enfant soit borgne » ; elle ne doit pas se disputer avec quelqu'un de laïd + parce qu'il serait laid lui-même», ni accepter de nourriture des mains d’une personne étrangère “qui pourrait ensorceler l'enfant», ni se moquer des personnes infirmes «de peur de mettre au monde un enfant ayant la difformité du malheureux dont elle se serait moquée » , ni franchir soit une corde qui se trouve par terre «parce que l'enfant aurait un smä ou bec-de-lièvre», soit un pilon à riz «parce qu'il aurait les jambes arquées», soit une hache déposée sur le sol « parce qu'il serait bingô, pied-bot», ni attacher dans un des coins de son lamba un morceau de gingembre + parce qu'il aurait six doigts aux mains», ni Casser une gourde parce qu'il aurait une grande fontanelle antérieure (ce que les mères malgaches jugent dangereux)», ete.

Telles sont les prescriptions que les femmes malgaches devaient suivre pour mener à bon terme leur grossesse et pour que l'enfant naquit beau el vigoureux; nous verrons plus loin les précautions qu'on devait prendre pour éviter des complications en cas d’accouchements laborieux.

Il y avait des recettes pour faciliter la délivrance; en effet, l'enfant sort vite et facilement : «si son père enjambe le corps de la femme ou frappe son ventre avec le bout de son salak [ de l’étoffe dont les hommes se ceignent les reins et qu'ils passent entre leurs jambes, qui est par conséquent la culotte malgache |»: «si les assistants mettent leur lamba

9 Voir p. 51-b2. Les Malgaches sont en effet bienveillants et charitables les uns envers les autres.

ETHNOGRAPHTIE. 255

sur leur tête»; «si l'on frappe les murs de la maison à coups de pilon ; +si l’on décroche les objets pendus au mur, etc.

D'autres avaient la vertu de donner force et santé à l'enfant: pour obtenir l'effet désiré, il suffisait tout simplement de «s'asseoir les Jambes croisées», de + manger des patates ou du sosoa | de la soupe au riz | ou des mets très salés»); et, pour avoir un garçon, il n'y avait qu'a s’efforcer, à l'époque de la circonaision, d'obtenir du mpamorà, de l'opérateur, qu'il donnât à la femme enceinte un morceau de viande.

Le Fontoynont ® a constaté que, au moins dans l'Imerinä, les gros- sesses extra-utérines sont fréquentes; il les attribue à ce que la femme malgache, qui est très prolifique, pratique le coït et en abuse de tres bonne heure. Il en a rencontré deux qui étaient gémellaires, une uni- latérale et l'autre avec un fœtus dans chacune des trompes.

Avortement. Malgré la vie dure et pénible à laquelle sont as- treintes la plupart des femmes enceintes à Madagascar, malgré le peu de soins intelligents qu'elles prennent d'elles, malgré aussi les mau- vaises conditions hypiéniques dans lesquelles elle vivent d'ordinaire, les avortements © sont rares. Il n’y en avait presque jamais de volontaires | d'alazazü, de suppression d’enfants|”, tout enfant étant accueilli avec

9 Mais, d'autre part, la femme qui mange beaucoup de sel, comme nous le verrons plus loin, «aura un accouchement laborieux ».

2) Bull. de la Soc. de l’Internat, nov. 1910.

5) Vaky mantä |s'ouvrant avant que le fruit soit mür| ou afa-jazà |disjointe de son enfant], suivant que la femme faisait une fausse couche d’un enfant ayant moins ou plus de six mois.

#) Cependant Flacourt dit : «Si la fille d'un Roandrianä, avant d’être mariée, se joue avec un nègre, comme toutes le font, elle se fait avorter» (Hist. de Madagascar, 1661, p. 93), et lun de nous a constaté que souvent les femmes antanosÿ se fai- saient avorter soit lorsque, ayant eu plu- sieurs enfants nés tous un jour fadÿ, un

jour néfaste, el par conséquent mis à mort, elle ne voulait pas courir de nouveau cette mauvaise chance, persuadée que son mal- heureux sort ne lui permettrait jamais de mettre au monde un enfant dans de bonnes conditions, soit lorsque, allaitant son enfant nouveau-né, elle redevenait enceinte, car il était fadÿ. interdit, de nourrir deux en- fants en même temps: alors elles buvaient une tisane faite avec une certaine liane qui les débarrassait du fœtus. Nous citerons encore les Sakalavä masikorô (surtout les Voroneokä, les Ambolavä et les Vazimbä) qui ont la coutume de faire avorter les filles qui deviennent enceintes trop jeunes: les plantes avec lesquelles les Sakalavä font les décoctions abortives sont les katrä, les vololô (les jeunes pousses de bananiers?),

956 MADAGASCAR.

joie par la mère et par la famille, qu'il fût légitime ou non, mais la syphilis et le paludisme qui sévit si sévèrement depuis quelque temps en Imerinä et d’autres tares physiologiques en occasionnent assez souvent aujourd'hui: depuis quelques années ils ont pris un développement qu'on cherche avec succès à enrayer.

Si les sages-femmes et les mpisildÿ, ou diseurs de bonne aventure ne donnaient pas à leur clientes de prescriptions judicieuses, se con- tentant de leur recommander des remèdes empiriques plus ou moins bizarres, mais sans grand effet, il y avait, il y a encore toute une série d'actes qui, chez beaucoup de peuplades malgaches, sont fadÿ"), interdits

les ingaitsingaitsä, ele. Du reste, l'avor- tement n’était nullement criminel; il élait parfaitement licite jusqu'en 1881, année où, sur le conseil des missionnaires euro- péens, la reine a ordonné «que toute femme se faisant avorter serait mise en prison pen- dant deux ans, hors les cas les jours de la mère seraient en danger» (art. 64 et 65).

0 A ces fadÿ, qui sont de vraies pres- criptions hygiéniques, s'en joignent d’autres qui menacent d’avortement |d’afa-jazà | celles qui manqueront de charité envers leurs semblables, comme celui qui dit : « Avorte- ront les femmes enceintes qui se moquent de celles qui ont le malheur d’avorter», ou encore celles qui, dans l’état d'impureté lé- gale dans lequel étaient censées les femmes enceintes, souilleraient de leur présence le cortège des hommes allant chercher l'eau sacrée pour la cérémonie de la circoncision ou qui, lors de la fête du manala volon-jazà [première coupe de cheveux d’un enfant],

prendraient de ses cheveux , ou qui aideraient une femme à accoucher, ou encore qui en- treraient dans un lapä [maison se trai- tent les affaires publiques], etc.

Enfin il y en a qui proviennent d'idées superstitieuses, tels que : de sortir la nuit parce qu’elles peuvent être effleurées par des revenants(*), de puiser de Peau à midi ou au coucher du soleil, de prendre leurs repas près du foyer d'une maison étrangère, de jeter leur lamba en écharpe sur les épaules, d'avoir envie de ce qu’elles possèdent déjà, etc., ou qui sont fondés sur certaines ana- logies, tels que de cueillir une jeune tige de roseau en la pinçant, d'arracher de jeunes pousses d'herbe symbole du jeune âge] en les faisant glisser entre les doigts, de manger un poussin mort dans sa coquille, de se servir d'objets de vannerie inachevés, d'entrer dans une maison est un mort | parce que le mort saisirait l'enfant |(?), de rester le dos au soleil (ce qui dessécherait le placenta)".

() Seranin-javaträ seranin-dolë «Car c'est la nuit que les esprits malfaisants sortent de leurs repaires.» Dans le cas la femme enceinte est obligée de sortir la nuit, elle doit se frotter le corps d'un peu de suie; à la fin de sa grossesse, elle doit aussi éviter de balayer la case elle habite du Nord au Sud, «parce qu’on ouvre ainsi le chemin aux sorciers et aux méchants esprits», et de prendre froid r parce que les fantémes, les revenants la suivraient et pourraient causer un malheur».

@®) Quand ce mort était son parent proche, une femme enceinte pouvait y entrer, mais elle devait en entrant frapper du pied le seuil de la porte [mandona tokonanä] et dire: 0 mort, je suis enceinte ! », afin qu’il ne lui fasse point de mal, à elle ou à son enfant.

(9 Voir H. J. Sraninc, Les Fady malgaches, Bull. Acad. malgache, 1904, p. 113 et suiv.

ETHNOGRAPHIE. 957

par la coutume aux femmes enceintes sous peine de voir arriver malheur à elle ou à leur enfant et qui ont certainement un excellent effet sur la marche de la grossesse, notamment : de courir trop fort, de sauter un fossé, de se fatiouer en travaillant, de monter sur une échelle, d’arracher des jones, de porter en même temps deux jarres d’eau, de soulever une pierre, de nager en se baignant, de descendre dans un silo de riz, de pêcher des poissons à la nasse, de ramasser des sauterelles, etc., exercices ou occu- pations qui nécessitent des efforts vigoureux ou prolongés, ou bien de se coucher aussitôt après le repas, de boire de l’eau de riz mal cuite, de boire du rhum, ete. Il était défendu de les frapper, même avec un roseau, et de leur causer une frayeur soudaine.

!°° Accoucmemexr. + À Madagascar, écrivait Rondeaux en 1813, l'ac- couchement est l’œuvre de la nature, tout l'art des Malgaches consistant à la contrarier dans ses opérations. Pour peu qu'une femme en travail tarde à accoucher, d’autres femmes lui pressent fortement le ventre, croyant de cette manière hâter sa délivrance», et le D” Foullioy, médecin- major du Golo, disait en 1818: «Sur la côte orientale de Madagascar, les accouchements sont faciles, prompts et exempts des périls si redou- tables auxquels sont exposées les femmes européennes ».

En effet, à Madagascar, l'accouchement est bien une opération ou plutôt une fonction que la nature se charge d'accomplir au mieux des intérêts de la mere et de l'enfant M: certes les sages-femmes cherchent à s'acquitter consciencieusement de leur täche, mais, comme elles n’ont aucune notion d'anatomie n1 d'obstétrique, leurs pratiques opératoires sont parfois plus nuisibles qu'utiles, ou tout au moins elles sont inutiles; les noms qu'on

leur donnait assez souvent de mpanindrÿ, de mpanotrà © [htt. : celles qui

1%) «La facilité avec laquelle les femmes malgaches accouchent est inconcevable ; je crois que le peu de soin qu’elles ont de se ménager fait sur elles plus d'effet que toutes les précautions dont on use envers nos dames européennes, car, aussitôt qu'elles sont délivrées, elles vont se baigner avec leurs enfants dans la rivière... .. Telle

ETIINOGRAPUIE,

femme accouchée le matin reprendra dans l'après-midi ses occupations ordinaires» (Carpzau pu Saussav, Voy. de Madagascar en 1063, p.253).

® Des racines {sindrÿ et oträ [action de frotter, de presser, de comprimer] (voir le Dictionn. malwache-français du R. P. Wes- BER, 1003, p. b06). On les appelait aussi

33

IMPRIMERIE NATIONALE.

258 MADAGASCAR.

pressent les intestins pour les vider, qui massent, qui frictionnent |, con- curremment avec ceux de mpamelonä, de mpampivelonü, de renin-jazü [hit : celles qui font vivre, qui sont les mères des enfants |, montrent qu'elles avaient l'habitude, lorsque la nature était trop lente à leur gré, « de presser fortement le ventre de la femme en couches», ce qui n’était pas une pratique très judicieuse : le but était d’expulser l'enfant et de bien placer sa têtel”; mais, quoi qu'il en füt, les cas de décès survenant à la suite de couches étaient fort rares.

Dès que commençaient les douleurs de l’enfantement, les hommes, même le mari, quittaient la maison, car, seules, les femmes devaient assister et prendre part à l'accouchement. Toutefois, dans la peuplade des Barä, ce sont, dit-on, le mari et les fils ainés qui opéraient, toute femme ou fille étant exclue de la maison pendant ce temps; dans le Boinä, nous l'avons dit plus haut, quelques maris se plaisaient à accoucher leurs femmes.

La femme qui accouche est, aux yeux des Malgaches, en état d'impu- reté® et on lui fait subir une sorte de purification. Dans le Sud de Madagas- car, les Antandroy et les Mahafalÿ, et dans l'Ouest, beaucoup de Sakalavä ne permettent pas aux femmes d’accoucher dans la maison Ÿ; au moment

bas, et, si le travail n’avançail pas. on fai- sait mettre la femme sur le ventre et on la

mpahavanonà | celles qui mènent à bonne fin (l'accouchement) ]. M. Ferrand dit que,

chezles Antambahoakä, la sage-femme, pen- dant tout le temps de son ministère, doit n'avoir aucun vêtement ou du moins être à demi nue (Les Musulmans à Madagascar, partie, p. 21).

(0) «Chez les Annamites, la sage-femme se livre pendant l'accouchement à des ma- nœuvres externes sur le ventre, comprimant, refoulant le fœtus dont, sans s’en douter, elle change fréquemment la position» (D' A. Hacen, Annales d'hygiène et de médecine colo- niales, trim. 1904, p. 615). Il en est de même un peu partout: le massage était en effet pour ainsi dire général au moment de l’accouchement ; on pensait faciliter l’ex- pulsion du fœtus en pressant de haut en

foulait aux pieds.

() En Nouvelle-Zélande, une femme en couches est tabouée. On sait qu'autre- fois, en Grèce, une femme était en état d'impureté pendant 33 ou 66 jours, suivant qu'elle avait donné le jour à un garçon à une fille, et qu'à Athènes quiconque tou- chait une accouchée ne pouvait approcher les autels. Chez les Israélites, la période d'impureté était de 7 jours pour un garçon et de 1h jours pour une fille, etc.

(3) En Annam, les femmes font leurs cou- ches dans des huttes temporaires elles sont reléguées pendant treize jours (ef. D' Hacex, Annales d'hygiène et de médec. colon. . 1904, p. 616).

ETIINOGRAPHIE. 259

critique, elles doivent aller mettre au monde leur enfant dans la brousse voisine ou sous quelque arbre des environs, soit en pleine campagne, soit dans une pauvre hutte de fortune bâtie à la diable, et elles ne rentrent qu'après leur complète délivrance : cette même coutume existe dans quel- ques fanulles merinä et chez certains Betsimisarakä, comme ceux de l'ile de Sainte-Marie. Chez les peuplades du Nord-Ouest, de l'Est et du Centre, les femmes accouchent dans la maison, mais on construit pour la circon- stance au milieu même de la chambre, sinon toujours, au moins d’ordi- naire, une alcôve ou plutôt une petite chambre, une sorte de cage close de nattes de toutes parts sauf du côté regardant le foyer, le kombiÿ ou kompÿ comme l'appellent les Merinä®, les Sihanakä et les Betsimisarakä (), la mère et l'enfant, aïnsi que nous le verrons plus loin, doivent passer une semaine au moins : 1l n’est pas douteux que cet isolement de la femme en mal d'enfant dans une sorte de boîte hermétiquement close ne réponde à la même idée, part laquelle, dans des régions plus clémentes, moins froides ou moins humides que celles du Centre et de l'Est, on l'envoie faire ses couches en dehors de la maison afin qu'elle ne la souille pas. yaenfin

(4)

chez lesquelles les maris expédient leurs femmes, lors-

des peuplades

qu'elles sont au terme de leur grossesse, chez leur mère ou, si elles l'ont

9) La plupart des Betsimisarakä, les Tsimihetÿ, les Sihanakä, les Bezanozand, les Ranomenä, les Antanalä, la plupart des Merinä et les Betsileo.

comme chez les Merinä, tantôt à l'Est, comme chez les Sihanakä(®). Les Antimo- ronä, qui appellent cette alcôve hiverd, la construisent à certains jours qui sont de bon

2) Les Merinä disent mifanä [lilt. : se chauffer | pour «accoucher», à cause de la coutume qu'ils ont d'entretenir nuit et jour du feu à côté des femmes en mal d'enfant, qu'on appelle mpifanä [litt. : celles qui se chauffent |.

8) Le kombÿ ne mesure guère plus de 1 m. de long sur o m. 70 de large, et est placé à o m. 50 du foyer, tantôt à l'Ouest,

augure, notamment sous les destins d’Asoro- tanŸ et d’Adalÿ; si on la construisait un jour néfaste , il en résulterait des malheurs (Mss. arabico-malgaches de la Bibliothèque Gran- didier, trad. du petit Sorabé, p. 11).

") Beaucoup de familles antanosÿ et sa- kalavä, Lant du Boinä et du Ménabé que du Fiherenanà (D° Rasonxson, Bulletin Acad. malgache, 1908, p. 179).

() Dans toute l'Indo-Chine, les femmes en couches sont lenues pendant quarante jours dans des chambres bien closes, couchées sur un lit sous lequel sont placés des réchauds remplis de charbons ardents (Annamites) ou à 60 centimètres duquel est un feu allumé (Siamoises, Laotiennes, Birmanes, Malaises, etc.). C'est un

rite de purification.

33.

260 MADAGASCAR.

perdue, chez leur parente maternelle la plus proche, d'où elles ne re- viennent chez elles que guéries; en tout cas, avant de reprendre leur vie normale, elles doivent se baigner et se purifier.

Pendant le travail, on fait mettre la femme à genoux (les genoux écartés), accroupie sur ses talons dont l'un soutient la région anale, excepté chez les Betsimisarakä, au moins ceux du Nord-Est de l'ile de Sainte-Marie, chez lesquels la femme est étendue sur le dos, les jambes écartées et les genoux ployés ?.

D'ordinaire, l'accouchement se fait vite et bien, par la seule nature, mais, lorsqu'il est compliqué et difficile [raha mamahana zaza ankibo (quand l'enfant se cramponne au ventre) ou raha mahamafy ny fitera- hana (quand lenfantement est pénible) |, les sages-femmes, qui n'ont aucune idée exacte de l'anatomie des organes maternels, ni des posi- tons du fœtus, n'ont par conséquent aucune notion des manœuvres et opérations qu'il serait utile de faire, et, dans les cas de présentations vicieuses qu'elles nomment d’après les parties du fœtus en vue : zanak- ombiÿ [accouchement comme les veaux], lorsque c’est la main qui sort la première et qui est la présentation la plus redoutée, et zaza mravonü [enfant fier |, lorsque c'est le pied qui apparaît d'abord (ce qui est un

0) On sait que c’est cette position, l'une des plus naturelles du reste, pour faciliter l'expulsion de ce qui est contenu dans les viscères, qui est adoptée dans beaucoup de pays.

® Voir à lAppendice, 47, la des- cription détaillée de l'accouchement d’une Betsimisarakä, d’une Merinä et d’une Sa- kalavä.

8) Le détroit supérieur du bassin des femmes maloache sest moins développé que chez les Européennes. Le D" Villette, direc- teur de la maternité d'Isorakä à Tanana- rive, qui a pris 432 mensurations, a trouvé que son diamètre antéro-postérieur ou pro- monto-pubien variait d'ordinaire de 9 cen- timètres et demi à 10, tandis qu'il est en moyenne de 12 dans la race blanche, et

que les diamètres bis-iliaque et bis-épineux étaient, chez les Merinä, respectivement de o m.235 et o m. 213 au lieu de o m. 240 et de o m. 280; il pense que les accouche- ments laborieux seraient beaucoup plus fréquents en Imerinä si les femmes n’accou- chaient pas très souvent avant terme par suile de causes diverses, paludisme, sy- philis, excès de rapports sexuels, fatigues inhérentes à leur vie, etc. Bull. de l'Aca- démie malgache, 1903, p. 194-195, et Bull. de la Soc. des sciences médicales de Madagascar, 1910, p. 89). Nous devons toutefois faire remarquer que les deux premières de ces causes, qui sont peut-être Îles plus elli- cientes, sont toutes récentes en Imerinä et que la race merinä est d’une taille notable- ment inférieure à la race européenne.

ETHNOGRAPHIE. 261

présage de puissance et de richesse), etc., elles laissent le plus souvent l'expulsion s'opérer d'elle-même ", se contentant, lorsque la femme en mal d'enfant fait des eflorts, d’en faire elle-même et d’ordonner à toutes les femmes présentes d'en faire également et de déboutonner ou de des- serrer leurs vêtements « parce que cela facilitera la délivrance » ©’; entre temps, elles font appel à Dieu, aux divinités et aux ancêtres, les priant de lui accorder leur aide et leur protection : Taho, ry Razana ! tahio, ry An- driamaniträ ! tahio, Andriananahary ! Tgnorants des causes anatomiques ou physiologiques qui rendent les accouchements laborieux, les Malgaches les attribuent soit à certains actes plus ou moins volontaires, qui n'ont d’ail- leurs aucun rapport avec l'accouchement, soit à certaines fautes, qui n’en

ont pas davantage, à la transgression d'usages ancestraux, ete. F).

1) Chez les Sakalavä, cependant, lorsque l'enfant vient les pieds en avant, la sage- femme le tire tout simplement par les pieds, ce qui amène sa mort; quelquefois, elle coupe les bras avec un rasoir.

2) En Imerinä, la sage-femme intervient quelquefois d’une manière plus directe, non sans une certaine brutalité qui occasionne souvent des déchirures; si la poche des eaux n'est pas rompue, elle la crève avec ses ongles, et si elle est éclaboussée au visage par le liquide, elle a droit à une indemnité : comme jadis en Europe, les Maloaches con- sidèrent que l'enfant, s'il naît coiffé des membranes, deviendra riche (D" Ranaivô).

5) C'est ainsi, par exemple, qu'ils pré- tendent que «le placenta se desséchera et restera adhérent à l'utérus [ maharaikitra ny ahiträ |, si la femme reste couchée tard le malin ou s’asseoit le dos au soleil»; que

a

«la poche des eaux ne crèvera pas [tsy mahavaky saronä], si le mari garde son chapeau sur la tête pendant le travail»; que «l'enfant ne sortira pas [ manahona ny zazà |, si la femme s'asseoil sur le pas de la porte ou si, pendant qu'elle est en tra- vail, quelqu'un s’accroupit à l'entrée de la maison»); que «le fœtus deviendra trop gros [mamahy zaza an-kibô |, si la femme mange trop de sel ou boit du lait»; que «le cordon ombilical sera embrouillé [ misadika ny tadim-poitran-jazà |, si elle saute par-dessus une corde ou par-dessus une citrouille, ou si elle se sert comme oreiller d’un salakà (culotte malgache)» (); «qu'elle fait entrer des sorciers dans sa maison | idiran’ny mpa- mosavÿ |, si elle la balaye vers le Sud»; «qu’elle mourra en couches [mahafaty renÿ], si elle mange de la viande d’une vache morte en vélant», etc.

+ Boutonner son vétement», avoir les mains liées derrière le dos», «passer par-dessus des racines»,

ctrop mâcher ses aliments», «dépendre des objets», «suspendre un vase plein d'eau ou de riz blanc», parler en accouchant» (chez les Merinä), etc., empéchent également l'enfant de sortir (H.-J. Sraxnive, Les Fady malgaches, Bull. Acad. Maly., 1904, p. 117-119). Chez les Sakalavä, on ne devait pas laisser une sagaye auprès d'une femme en mal d'enfant.

® Le cordon ombilical s’embrouillera également «si un homme portant le salakä passe par-dessus la femme», «si la femme rejette sur l'épaule droite le bout de son lamba, qu’on laisse pendre d'ordinaire sur l'épaule gauche», etc.

262 MADAGASCAR.

Les Antanosÿ croient qu'une femme n'aurait pas l'accouchement heureux et facile si, pendant les premiers mois de sa grossesse, elle n'avait com- merce avec un homme ; aussi, lorsque le mari s’absentait pour longtemps, prenait-elle, comme nous lavons dil, un remplaçant.

Le sikidÿ, ou divination à laquelle les Malgaches ont toujours recours lorsque l'accouchement est long et laborieux, leur indique quelle en est la cause : tantôt c'est que l'enfant attend son père [miandry ray ny zazü| el ne veut naître que si celui-ci est présent et le bémit; tantôt c’est que le mari ou la femme ont transgressé quelqu'un des usages de la famille, no- tamment ont commis un inceste, entretenu des relations avec des parents Jadyÿ, avec des parents à un degré prohibé, ou bien c’est un ancêtre dont les mânes | l'ambiroa, le lolÿ], ayant envie de liqueurs ou de viande de bœuf, demandent que leurs descendants leur fassent des libations ou un sacrifice, ce qu'on s'empresse de leur promettre et de faire. Dans le premier cas, le mari vient jeter quelques gouttes d’eau sur le ventre de sa femme ou saute par-dessus sa tête, ordonnant en même temps à l'enfant de naître +s'il est bien son enfant» | Mandehana soa aman-tsara ! lsy musy andrasana, fa izaho rain-jaza], et il sort précipitamment de la maison; si l'enfant ne nait toujours pas, la sage-femme et les parentes qui sont présentes pressent la femme de déclarer quel est le père de l’en- fant, et celle-ci, qui généralement n’a pas gardé à son mari une fidélité à toute épreuve, énumère une série, d'ordinaire assez longue, de noms d'hommes qui, appelés à son chevet les uns après les autres, l’asper- gent en disant : «Si tu es mon enfant, sors!»; celui qui a fait la der- nière aspersion avant la naissance est réputé le père ; si malgré tout, la délivrance n'arrive pas, on en conclut que quelques méchants esprits, quelques revenants y mettent obstacle, et on fait bouillir certaines plantes

0 Voir à lAppendice, A8. La confession publique et à haute voix que les Malgaches doivent faire de leur faute pour faciliter l'accouchement est pratiquée égale- ment chez beaucoup de peuples, non seule- ment en Asie et en Océanie (voir le volume précédent, p. 33), mais aussi en Afrique;

Ms Lechaptois, missionnaire sur les rives du Tanganika, écrit : « Si un accouchement est laborieux, la femme ou son mari doi- vent, pour que la délivrance soit heureuse, faire une confession publique et générale de leurs plus lourdes fautes» (Aux rives du

Tanganika, 1913, p. 137).

ETHNOGRAPHIE. 263

appropriées dans de l'eau avec laquelle on exorcise la malade, ou bien on brüle à l'entrée de ses organes génitaux des cheveux dont l'odeur combat leur influence néfaste. Dans le second cas, celui qu'accuse le sidÿ, à coup à peu près sûr étant donnée la liberté des mœurs à Madagascar, doit faire la confession publique et à haute voix” des relations /adibé, c’est-à-dire incestueuses ou tout au moins fadyÿ, illicites, qu'il a eues avec des parents ou des alliés au degré prohibé, et offrir, en expiation de sa faute et suivant sa gravité, soit une volaille, soit un bœuf, que le chef de famille immole en priant Dieu et les ancêtres de pardonner au coupable, qu'une aspersion d’eau bénite |{sipiranÿ] lave ensuite de son péché ,

Aussitôt que le petit Malgache est né, la sage-femme, après avoir enlevé avec le doigt les mucosités et le sang qui le couvrent, lui met, chez les Merinä, un peu de sel sur la langue «afin quil n'ait pas une vie misérable», et en outre, si c’est un garçon, un peu de sang sur le front afin de le rendre invulnérable», puis elle coupe le cordon ombi- lical | foiträ ou foitsä] d'ordinaire avec un morceau de bambou effilé ou avec un couteau sur un 2020r0 {sy voa lsaikà | sur un jonc nouvellement

0) On croit aussi qu'on active le travail en jetant par-dessus le toit de a maison

(8) Chez les Sakalavä, le mari coupable de relations incestueuses mel en outre un

une navette de tisserand qui doit retomber de l’autre côté.

2 Chez les AntanosŸ, cependant, c’est à une femme de confiance, qui n'a pas de mari, que les femmes dont l'accouchement est laborieux font la confession de leurs pé- chés. «Les femmes qui sont près d’accou- cher, a écrit Flacourt en 1658, invoquent la Vierge Marie, la priant d'obtenir de Dieu qu’elles accouchent avec peu de douleur, et elles se confessent à une femme confidente des péchés qu'elles ont commis depuis leurs dernières couches, en lui nommant les hommes avec qui elles ont eu à faire, ce qui est facilement su par les autres femmes auxquelles la confidente ne se peut tenir de

les révéler (Hist. Madag., 1661, p. 59).

peu de tanifotsÿ, d'argile blanche, au creux de l'estomac de sa femme, ou bien lui frappe le ventre avec le pan de son lamba, trempé préalablement dans l’eau, en disant : «Bien que je f'aie trompé avec un fadibé, que ma faute ne te porte pas malheur!» Chez les Antanosÿ, le mari reste à la porte de la maison, et c’estun autre homme qu'il envoie à sa place auprès de sa femme pour la frapper avec son lamba. Le D' Rajohn- son dit que, chez les Antandroy, le mari doit faire un soront [une prière accompa- gnée d’un sacrifice ou d’une offrande] sur le ventre de sa femme, non seulement si, pendant sa grossesse, il a eu des relations avec une parente fadÿ, mais même avec une femme quelconque.

264 MADAGASCAR.

cueilli|, le lie avec du rafia ou quelque filament végétal et le saupoudre de bois vermoulu et pulvérisé ; 11 y a des Malgaches, comme certains Betsi- misarakä, les Betsileo, etc., qui attendent, pour faire l'opération, que le placenta soit expulsé, de sorte que quelquefois l'enfant reste attaché à sa mère pendant deux et trois Jours, ce qui ne l'empêche pas du reste de têter : on coupe le cordon à environ une dizaine de centimetres du nom- bril ®), On enterre le placenta soit dans la maison ou à côté, soit dans le tombeau des ancêtres, ou encore, comme dans le Sud, on le porte au pays d'où sont venus les ancêtres de la famille, si elle a émigré récem- ment®. Les Sakalavä l'enterrent toujours en dehors de la maison, au Nord, si c’est un garcon, et au Sud, si c'est une fille ; souvent le père en garde un petit morceau enveloppé dans de la toile, qu'il porte comme une sorte de gris-gris. Quant aux Merinä, ils l'enveloppent d'herbes vertes, lorsqu'il est desséché et tombé, et le donnent à manger à un bœuf, car «l'enfant deviendrait idiot si les esprits malfaisants qui flottent dans l'air s’en emparaient», ou bien ils l'enterrent dans la maison, en même temps que l’arrière-faix et le zoz0r0 tsy voa Isaikä, au sud du foyer et à

r

l’ouest du poteau sud, dans un trou profond d'environ o m. 50 qu'ils

recouvrent d'une grosse pierre ou de pros cailloux ().

() Litt. : un jonc que n’a piqué aucune aiguille; car les Merinä cousent les jones pour en faire des toitures, et ils croyaient que, s'ils s'étaient servis de jones percés par une aiguille pour y poser le cordon ombi- lical qu'ils voulaient couper, la blessure se serait envenimée.

2) Chez les Merinà, on fait sur le cordon ombilical deux ligatures entre lesquelles est faite la section avec un couteau qu'on a eu soin de mettre quelque temps à côté d’une cruche pleine d’eau fraiche «afin qu'il se dessèche et tombe rapidement » (D'Ranarvô, Pratiques et croyances des Malgaches rela- tives aux accouchements, Thèse de médecine, Paris, avril 1902).

8) «Les Antanosÿ mettent autour du cou de leurs enfants leur cordon ombilical après

qu'ils l'ont coupé, pensant ainsi attirer le bonheur sur eux: c'est ce que j'ai vu et ce que m'ont dit les indigènes» (R. P. Navar- RETE, 1671, Collect. Ouvr. anc. Madagascar. t. IL, p. 350). Voir à l'Appendice, A9.

) C'estle père qui doit porter lui-même l'objet, en regardant droit devant lui, sans tourner la tête ni à droite, ni à gauche, sous peine que l'enfant louche [njolà |, et l'enterrer la «tête» en haut. Chez les Tsi- mihetÿ, c'est un étranger, et non le père, qui remplit cette mission.

5) Quelques-uns cependant l'enterrent en dehors de la maison, et alors au pied du mur, du côté Est.

(6) Plus les cailloux sont gros, plus fort et plus vigoureux sera l'enfant. Voir à l'Appendice , 50.

ETHNOGRAPHIE. 265

Quand un enfant naissait avant terme chez les Tsimihetÿ, on le bai- onait avec l'odibé, eau froide ont macéré des feuilles de nénuphar et de courge auxquelles on a mêlé de la terre prise à un nid de +sphex» ou mouche maconne. Tous les individus qui ont été soignés de cette manière ajoutent «bé» | grand] à leur nom : Ikotobé, Ikalobé, ete. W.

Lorsqu'une femme mourait en couches ou des suites, l'enfant était enterré avec elle ©; ayant coûté la vie à sa mère, il devait l’accompagner dans le tombeau. Quelques pères, plus humains, lui faisaient grâce, à la condition qu'une personne étrangère à sa famille consentit à l’adopter.

Après avoir coupé le cordon ombilical, le premier soin de la sage- femme est de laver l'enfant, d'ordinaire avec de l'eau tiède, d'abord la tête, puis le corps, en faisant bien attention de ne pas mouiller le cordon, puis, avant de le remettre entre les mains d’une autre femme, chez les Merinä, elle l'élève au-dessus de sa tête en disant : + Exauce ma prière, ô mon Dieu! fais que cet enfant soit fort et puissant!» ou elle pousse simplement trois cris de joie. La femme à qui il est confié enduit tout son corps de graisse Ÿ «qui le rendra brave», mais qui, en attendant, comme le dit le Ranaivô, «lui sert de maillot». Une voisine qui allaite est aussitôt invitée à mampindrana ronononÿ | à lui prêter son lait], ce qu'elle fait jusqu’à ce que la mère le puisse nourrir elle-même (.

Si le nouveau-né est en état de mort apparente, après avoir nettoyé les narines et la bouche et avant de sectionner le cordon, la sage-femme tâche de leranimer, en le fouettantet tirant légèrement à plusieurs reprises le cordon du nombril vers le placenta « pour exciter la vie qui, disent les Maloaches, siège au nombril même», et, si le placenta est déjà sorti, elle verse sur

0) Cap. Tracsoux, Rev. de Madar., mars 1903, p. 290.

(2) De Valgny, dans un Mémoire de 1767 (Manuscrit des Arch. Minist. Colonies), dit : «À Fort-Dauphin, les enfants donties mères meurent ou souffrent beaucoup en les mel- tantau monde sont mis à mort en naissant».

1) Chez les Sakalavä, on ne graisse que le sommet de la tête.

ETHNOGRAPHIE,

(1) Ces remplaçantes ou nourrices tempo- raires, d'occasion, participent aux repas de la famille et se font donner, pour elles et pour leur propre enfant, momentanément privé du lait maternel. les meilleurs mor- ceaux de bœuf et de poulet. Ces enfants sont dès lors considérés comme parents et, s'ils sont de sexe différent, ils ne pourront pas se marier ensemble plus tard.

34

IMPRIMERIE NATIONALE.

266 MADAGASCAR.

sa face utérine de l'eau chaude «qui, cheminant dans l'intérieur du cor- don, réchauffera le sang fœtal et excitera la vie». Elle fait aussi craquer un petit bout de bambou à l'oreille de l'enfant, pour le tirer de sa torpeur, et elle en brûle un morceau sous son nez pour que la fumée le fasse éter- nuer; mais, si, après tous ces traitements, 1l ne s’éveille pas, même pous- sàt-1l quelques soupirs (qui cependant sont des essais de respiration), elle déclare qu'il ne vivra pas et que c'est fini.

Les enfants mort-nés, zaza mbola ranÿ, comme les appellent les Merinä, lorsqu'ils sont encore informes, ou arifadij, sont ensevelis au sud de la maison; lorsqu'ils ont tous leurs membres bien formés, ils sont admis dans le tombeau de famille. Chez les Sakalavä, ils sont les uns et les autres, d'ordinaire, enterrés au pied de l'hazomanmitsä de famille, du poteau se font les prières; si on les ensevelissait ailleurs, «leurs mères n'auraient plus jamais d'enfants». On dit que certaines Betsimisarakä les déposent sur la branche d’un arbre situé au bord d’une rivière ".

Beaucoup de Malgaches croient que les femmes accouchent d'enfants mort-nés lorsque, pendant leur grossesse ou du moins pendant les der- nières semaines, elles ont eu des relations avec un autre homme que leur mari.

Un dicton merinä dit qu'une femme enceinte qui portera sur sa tête deux cruches posées l’une sur l'autre [ kitondra rano mifanongoa | ou qui mangera des fruits, des légumes jumeaux, c’est-à-dire doubles, accouplés [hilinana hanina kambanü |, mettra au monde des jumeaux |zaza ham- banü |. Bien reçus chez certaines peuplades ?, pourvu qu'ils ne naquis- sent pas un jour néfaste ou qu'ils ne fussent pas de sexe différent, car,

( Progrès de l’Imerina, 17 avril 1888. tanosÿ ; Andrianä (Nobles) des quatre der- (2) Antankaranä; Betsimisarakä; Olo- nières classes, Hovä (Libres) et Andevô (Es- maintÿ et Andevô (Libres et Esclaves) an- claves) merinä (*; Sakalavä (), ete.

() Andrianampoinimerinä a toujours montré de la sympathie pour les femmes fécondes, qui augmenlaient plus que les autres le nombre de ses sujets; il n’est donc pas étonnant qu'il ait rendu une ordonnance portant qu'il ferait remettre à litre de récompense une somme de 3 piastres et une vache laitière aux femmes met- tant au monde trois jumeaux ou plus [any olona izay manao kamban-telo noho miakatra] (G. Juxiex, Inst. polit. et soc. de Madagascar, L. 11, p. 91), excepté à celles appartenant aux trois premieres classes de la noblesse.

@) Chez quelques-uns, cependant, on les tuait : le R. P. Piras a vu, en 1853, la reine de Baly, dont la fille venait d’accoucher de deux jumeaux, prendre ses deux petits-fils et les enterrer dans la forêt.

ETHNOGRAPHIE. 267

“pour qu'un frère et une sœur cohabitent dans la même chambre pen- dant neuf mois, il faut qu'ils soient mpamosavÿ, sorciers, possédés du démon » 0, les jumeaux étaient au contraire honnis chez d’autres et 1m- pitoyablement mis à mort® ou tout au moins rejetés de leur famille , parce qu'on croyait qu'ils attenteraient plus tard à la vie de leurs parents, ou, s'ils étaient les fils de nobles seigneurs, dans la crainte qu'ils ne missent par leur rivalité le désordre dans le pays.

Reconnarssaxce DE L'ENFANT. La reconnaissance d’un enfant par le mari de la femme, par son père réel ou putatif, n’a pas lieu de la même manière dans tout Madagascar : chez les peuplades de l'Ouest et du Sud, Sakalavä , Sihanakä, Betsileo de l'Ouest, Barä, Antandroy et Mahafalÿ, le chef de la famille paternelle érige, pendant la grossesse de

d) [ls étaient au contraire les bienvenus dans certaines familles betsimisarakà ().

2) [ en est de même des animaux: lors- qu'une vache met bas deux veaux, on les tue (AntanosŸ).

ses femmes, il peut de même reconnaitre ceux d’une femme mariée à un autre, qu'il ait ou non entretenu des relations avec elle, mais seulement si son mari refuse de reconnaitre ses enfants» (V. Noër, Bulletin

3) Antambahoakä (P; Roandrianä (No- bles) antanosŸ; Andrianä (Nobles) merinä des trois premières classes (‘), etc.

“) «Le mariage, chez les Sakalavä du Boinä, n’entraine pas de droit la paternité

du mari; il peut à sa volonté ou reconnaître

de la Société Géogr. de Paris, t. XX, 1843, p- 297). Au Ménabé, on peut recon- naître un enfant, lors même qu'on n’a eu aucun commerce avec la mère, mais avant la naissance; après il est trop tard, car l’en- fant d’une femme non mariée une fois né,

ou renier tous les enfants que lui donnent fait définitivement partie de la famille de

Dans ces familles, lorsque les jumeaux étaient de sexe contraire, on ne les tuait pas, on les mariait au contraire, car +ceux que Dieu a unis dans le sein de leur mère ne doivent pas être séparés sur la terre».

Chez les Antambahoakä, dit M. Ferrand (Les Musulmans à Madagascar, partie, p. 21), à la nais- sance de jumeaux, le père et la mère quittent la maison le mpamosavy, le sorcier, vient les étrangler, puis ils y rentrent et pleurent leur mort; d’autres fois, on les jette dans un marécage ils s’enlisent et périssent. Cette coutume barbare existait encore lorsque nous avons pris possession de Madagascar, et Radavidrä, le dernier gouverneur hovä de Mananjarÿ, ne s'y opposait pas, mais il faisait ensuite payer une forte somme aux parenls, sous peine d’être poursuivis en justice.

? Andrianampoimimerinä a prescrit que «les jumeaux nés de membres de la famille royale et leur mère fussent à jamais expulsés de Tananarive et des douze collines sacrées, afin que le royaume ne püt pas etre revendiqué par deux souverains, car {sy mely ny manao andrian-droa manjaka aminny tany, na ombalahy roa am-pahitra [il ne faut pas plus mettre deux souverains à la tête d’un pays que deux taureaux dans un même parc]». Les ompomenakelj ou seigneurs feudataires, c’est-à-dire les Zanakandriamasinavalonä, ont adopté la même mesure, et, raconte le Journal officiel de Madagascar du 20 mai 1897, il y a quelques années, une Zanakandriamasinavalonä qui possédait le fief d’Andramasinä, ayant mis au monde deux jumeaux, dut quitter son fief, étant jugée indigne de continuer à souverner ses anciens vassaux; elle fut reléguée à 10 kilo- mètres de là, à Ambohitrombv.

34.

268 MADAGASCAR.

sa femme, un hazomanitsä | hit. : un «arbre odorant»]!, poteau commé- moratif teint du sang d'un bœuf ou d'un mouton offert en sacrifice à Dieu et aux ancêtres pour leur annoncer la naissance prochaine d’un membre de leur famille ®; chez celles de l'Est et du Centre, qui ne reconnaissent leurs enfants qu'après leur naissance et qui n'érigent pas d'hazomanitsä , les unes, les Betsimisarakä, les Bezanozand et les Antanalä, adressent une prière à Dieu et à leurs ancêtres en sacrifiant un bœuf ou une volaille dont ils font cuire la viande Ÿ ou en déposant à leur intention une calebasse de loakä (de rhum indigène), d’autres, les Antimoronä, les Ranomenà, les

cette femme (°).-— Chez les Sakalavä, le ma- riage ne suffit pas pour donner au mari un droit absolu sur sa femme et les enfants à venir, il faut encore qu'avant la naissance du premier enfant il fasse présent d'un bœuf à ses beaux-parents, et à chacun des proches parents de sa femme, quatre mè- tres d'étoile on un grand sac de riz; s'il manque à remplir cette obligation, il n’est pas considéré comme le père de l'enfant. lequel appartient alors à ses grands-pa- rents maternels.

0 On dit aussi hazomanga | litt. : l'arbre bleu , l'arbre excellent ] (?).

2) Chez les Barä, il est d'usage que le mari et le père de la femme tuent chacun un bœuf. Les gens pauvres se contentent d'une offrande d'aliments quelconques pour avertir Dieu et leurs ancêtres qu'il va leur naïître un enfant.

8) Une petite portion seulement de cette viande était déposée sous un arbre; le reste était consommé sur place par les assistants en une sorle de communion propitiatoire.

(2) «J'ai connu, dit Douliot, un créole dont la maitre se a mis au monde une fille qu’on a nommée Soniakô; il avait l'intention de la reconnaitre si elle avait du sang de blanc dans les veines, mais un nommé Tsilé, moins rigoriste, la reconnut avaut sa naissance, et, comme peu après il épousa une autre femme, c’est à celle-ci que Soniakô donne le nom de mère, tandis que sa mère véritable est mariée à un traitant arabe. Tsilé a un autre enfant adopté de la même manière, Hamotsé, qui n’est pas non plus son enfant ni celui de sa femme actuelle : Hamotsé et Soniakô sont considérés comme frère et sœur» (Bull. Soc. Géog. Paris, 1893, p. 352).

?) L'hazomanitsä est un pieu pointu, haut de 2 mètres environ, dont on a enlevé l'écorce sur les deux tiers supérieurs, et qu'on plante dans l'est de la maison du chef de famille, du ES ee dont nous parlerons au livre de la Religion. La victime, bœuf ou mouton, que donne le mari, est amenée devant l’hazo- manitsä, la tête tournée vers l'Est; après avoir attaché ses quatre pattes ensemble, le tompohazomanitst Jui arrache le poil du bout de la queue qu'il brûle devant sa tête, puis, se plaçant à Ouest, il lui frappe sur le ventre avec le couteau de famille affecté aux sacrifices, en adressant une invocation à Dieu, et à ses ancêtres : « Voici un bœuf que le mari vous offre, à mon Dieu, pour que sa femme enceinte ait des couches heureuses et que son enfant ne soit pas difforme. Je m'adresse aussi à vous, à nos ancêtres, pour vous prévenir que cet enfant qui va naître est bien notre enfant et qu'ila droit à être enseveli dans le cimetière de notre famille; bénissez-le et faites qu'il ait une longue vie, une vie heureuse!» La prière finie, on sacrifie la victime et l’on teint avec son sang la partie de l’hazomanitsä dépourvue d’écorce, à l'exception de l’extrêéme pointe à laquelle on met un morceau de la peau du fanon; puis on la découpe en morceaux : après avoir déposé la tête au pied de l’hazo- manitsä et brûlé du suif, du jaborä, dans de petits vases de terre, on fait cuire dans une grande marmite du foie, des morceaux de loupe, d'épaule, d’omoplate et de filet dont on offre les prémices à Dieu et aux ancètres en répétant l’invocation précédente et que se partagent ensuite les assistants. Le ompohazomanitsà a droit au vody henä, au quartier d’arrière avec la queue, mais, s’il est absent et trop éloigné pour qu’on le lui fasse parvenir, quoique remplacé par un autre membre de la famille, on lui envoie tout de même un présent, deux brasses de toile par exemple.

ETHNOGRAPHIE. 269

Antifasinà (0, les Antanosÿ, les Betsileo de l'Est, considèrent que la céré- monie du vody ondrÿ qui scelle le mariage suffit pour lépitimer les enfants: enfin les Merinà faisaient jusqu'en 1881, à la naissance de cha- cun de leurs enfants, le husin Andrianü, c'est-à-dire donnaient au Sou- verain ou à son représentant une pièce d'argent, sorte d'enregistrement qu'a remplacé depuis 1881 et surtout depuis 1895 l'inscription des nais- sances sur les registres de l'état civil ?.

Les reines et les princesses malgaches, lorsqu'elles n'avaient pas pour époux quelque roi ou prince, étaient, comme nous l'avons dit, libres de donner cours à toutes leurs fantaisies; lorsqu'elles devenaient enceintes, ce n'était point l’homme auquel elles avaient accordé plus ou moins long- temps leurs faveurs qui était réputé le père, c'était le roi, le chef de leur famille, qui faisait la cérémonie de la reconnaissance : l'hazomänitsä, dans ce cas, était plus élevé que celui des particuliers et, quand on l'érigeait, l'antsivä ou conque royale sonnait et l’on tirait des salves de coups de fusil.

Quant aux esclaves, jusqu'à leur libération, ils n'avaient pas à recon- naïtre leurs enfants qui appartenaient de droit au maitre de la mére.

Ixraxricnes. Aussitôt que l'enfant était né, on interrogeait la sage-femme pour savoir s'il était bien né, conformément aux usages, pas sur le ventre [ {sy manohokü|, pas sur le côté [1sy mandriranü], ni avec des dents, ni les bras croisés, ete.; puis le père se hâtait de consulter le mpanandrÿ, V'astrologue, le mpanazarÿ, le devin, ou le mpisikidÿ, le diseur de bonne aventure, afin de savoir quel était son vntanü, sa des- tinée, et on décidait si l’on devait le laisser vivre ou le mettre à mort. Car, maloré le prand amour qu'ont toujours eu les Malgaches pour les enfants

D Lorsqu'un mari et une femme vivent séparés, si la femme devient enceinte et que le mari veuille reconnaître cet enfant tout putatif qu'il est, il n’a qu'à apporter dans la case vit sa femme les fagots de bois nécessaires pour entretenir le feu pendant ses couches.

2) Quelquefois le Souverain imposait de sa propre autorité, à un mari ou plutôt à un

ex-mari la reconnaissance d'enfants que sa femme ou plutôt son ex-femme avait eus depuis leur séparation; ainsi, Rasoherinä a décrété un beau jour que tous les enfants de Rasoaray [sœur du tout-puissant premier ministre RainilaiarivonŸ |, une douzaine en- viron, seraient les enfants de Rainimaha- ray, qui cependant l'avait quittée peu après l'avoir épousée pour prendre sa sœur.

270 MADAGASCAR.

et leur très vif désir d’avoir une famille nombreuse, les infanticides rituels étaient très fréquents à Madagascar par suite des idées superstitieuses qui y avaient cours. «De toutes les superstitions que pratiquent les nations les plus barbares du monde, dit Flacourt®, celle par laquelle la nation malgache rejette, délaisse et abandonne cruellement ses enfants est la plus impie et abominable : elle se pratique de beaucoup de façons, tellement que je ne‘m'étonne pas si cette île, la plus grande et la plus fertile du monde, n'est pas plus peuplée, d'autant que, dès le ventre de la mère ou dès la naissance, ces pauvres innocentes créatures sont con- damnées à perdre le jour avant de Favoir vu et sont sujettes aux folles fantaisies et superstitions des Ombiasses ou Ompisikiles qui conseillent aux pèrés d'abandonner leurs enfants loin du village, dans les broussailles, à linjure du temps, du froid, et à la voracité des chiens, des cochons ou autres bêtes, de sorte qu'ils sont quelquefois une journée à se plaindre et à crier et meurent de froid ou de faim ou sont cruellement dévorés. »

Les Malgaches, en effet, mettaient à mort les enfants dont la nais- sance avait causé la mort de leur mère, ceux qui étaient lozä, c’est-à-dire qui n'étaient pas conformés comme les enfants ordinaires, et ceux qui naissaient un Jour néfaste, sous une mauvaise étoile, toutes les qualités morales et autres dépendant de l'astre sous l'influence duquel on nait; les uns et les autres ne pouvaient, d’après leurs croyances, que porter malheur à leur famille.

La mère mourait-elle en accouchant ou des suites de ses couches, le nouveau-né, auteur de cette mort, pour expier son crime, était enterré vivant avec celle qui lui avait donné le jour, «souriant, dit le R. P. Piras,

0) Voir à lAppendice, 51. I en était de même autrefois dans beaucoup d'autres pays, même civilisés. « En Grèce et à Rome, l'exposition des nouveau-nés était fréquente, elle avait lieu pour vices con- génitaux pour des raisons religieuses; l'enfant exposé n'était pas toujours voué à la mort, car des personnes charitables le recueillaient parfois. L'exercice de ce droit a été tôt réglementé et finalement

prohibé, mais la prohibition n'est pas par- venue à supprimer complètement une ha- bitude aussi invétérée» (George Conniz, Nouveau Recueil de l'histoire du droit français et étranger, 1897). Le droit pour les pa- rents de tuer les nouveau-nés existait dans beaucoup d'îles de l'Océanie Taiti, elc.), en Afrique, etc.

@) Histoire de Madagascar, 1661, p. 91.

(8) Voir à l'Appendice, 52.

ETHNOGRAPHIE. 271

qui a assisté à ce triste spectacle à Balÿ en 18530), à l’homme qui le dépose dans le cercueil aux côtés de sa mère et approchant avidement ses lèvres des mamelles, hélas! taries pour toujours, puis pleurant, pas long- temps, car on jette de suite de la terre sur la mère et l'enfant». On met- tait aussi à mort l'enfant, « pour le punir de sa méchanceté qui avec l’âge n'eût pu que croitre», lorsque sa mère avait eu une grossesse pémble ou tombait gravement malade pendant qu'elle le nourrissait.

Étaient lozt, considérés comme devant faire le malheur de leur famille, les enfants mal venus, qui avaient quelque vice congénmital ou qui pré- sentaient quelque caractère extraordinaire, qui, en un mot, n'étaient pas comme les autres; le plus souvent ils étaient mis à mort, soit étranglés, soit enterrés vivants, tels, par exemple, ceux qui avaient quelque diffor- mité, qui étaient contrefaits® ou hydrocéphales, qui naissaient aveu- oles Ÿ ou avec des dents) ou les bras croisés, ou bien dont les premières dents poussaient à la mâchoire supérieure, ceux qui éternuaient en naissant), etc.

Presque tous les Malgaches®” admettent que, pour mettre au monde un enfant, 1l y a de bons et de mauvais jours, andro tsara vintanü et andro ralsy mahery vintanä. Dans certaines peuplades , chaque famille a ses Jours mauvais, qui lui sont particuliers, jours anniversaires d’événe- ments malheureux survenus à quelque ancêtre vénéré ou à un de leurs chefs; chez d’autres ®, c’est le tonon andrd, le san-andrd, le destin du jour et de l'heure auxquels a lieu la naissance, le bien ou le mal qu'ils apportent avec eux, quil s’agit de reconnaitre, de démêler, et, pour

0) R. P. ne La Vaissière, Hist. de Mada- gascar, t. Ï, p. 220.

2-6) Noir à l’Appendice, 53-57.

() Les Bezanozanô, les Vorimd, les Betsimasarakä au sud du Mangorô, les Ra- nomenä, les Betsileo, les Antisakä, ainsi que les rois Sakalavä (Andrivolä et Maro- serananä), n'ont pas cependant, dit-on, de jours considérés comme néfastes pour la

ED Voir à l’Appendice, 58-69.

naissance de leurs enfants, ou tout au moins ils se contentent de les exorciser, le cas échéant, et ne les mettent pas à mort.

(8) Antankaranà (‘), Betsimisarakà (P), An- timoronà et Antanosÿ (, Antandroy (*, Ma- hafalÿ (, Sakalavä (N°), Vazimbäà.

(%) Betsimisarakà (8), Antimoronä et An- tanosŸÿ ("), Antanalä(), Tsimihetÿ Ü), Siha- nakä, Merinä (©), Barä.

©

ND)

72 MADAGASCAR.

Le

cette recherche, ils ont recours au mpanandrë, à l'astrologue, à celui qui, sachant distinguer les jours fastes et les jours néfastes, peut tirer l'horo- scope du nouveau-né, dire s'il est sous une bonne ou une mauvaise étoile, ou au mpisikidÿ, au devin qui dit la bonne aventure et découvre le passé, le présent et l'avenir au moyen du skidÿ ou combinaison de figures faites censément au hasard avec du sable ou des graines, mais en réalité, eroit-on, sous l'influence des astres.

Au point de vue astrologique, les Malgaches, à l'instar des Arabes et d'autres, considèrent chaque trimestre de l’année lunaire! comme doué de qualités spéciales, ayant chacun son vintanü, son destin particulier : chaque trimestre comprend un renvintanä grand destin, qui est son premier mois, et deux zana-bintanä ou petits destins, qui sont les deux mois suivants; l’année compte done quatre grands destins et huit petits, qui ne sont autres que les douze constellations du Zodiaque. De même, les mois comptent chacun douze destins portant les mêmes noms et ayant les mêmes qualités que ceux de l’année, seulement chacun des rem- vintanä comprend trois jours, nommés respectivement chez les Merinä vavä [bouche], vontÿ [ milieu | et vodÿ [arrière], et chacun des zana-

bintanä, deux, nommés vavü et vodÿ\ :

0) L'année malgache lunaire comprend 354 jours, 12 mois de 28 jours et 18 jours intercalaires, soit 1 jour entre chaque mois comme son vintanä, plus 1 jour à chacun des quatre trimestres, à chacun des quatre renivintanà , et 2 à la fin de l’année (qui a par conséquent 11 jours un quart d: moins que l’année solaire et qui est à très peu près l’année lunaire, étant égale à très peu près à 12 révolutions synodiques de la lune [354 j. 8 b. 48 m. 35 s.])

®) Les destins des mois et ceux des jours ayant les mêmes noms, on les distingue en faisant suivre ces noms, pour les pre- miers, de x0 mitondra volant, et, pour les seconds, de no mitonona andro. Noir Fomba Janandroana atao ny mpanandro tamy ny andro tany aloha cla (R. P. Cazver, Tantara ny An-

2 de 1 (a, on représente ces douze destins

driana eto Madagascar, t.1,1908,p. 20-38).

8) Chez d’autres peuplades, on dit Johà [tête |, vonto [ milieu | et farà | dernier ].

(4) Les astrologues antimoronä ct anta- nosÿ donnent à chacun des 28 jours du mois lunaire un nom particulier, celui des 28 mansions lunaires des Arabes, comme l'indique Flacourt (Hist. de Madap., 1661, p. 174). Voir au lome suivant le paragraphe de l'Astrologie. Les noms des A renivin- tanä servent encore à désigner les diverses parties du jour (Alahamadÿ, du lever du soleil à midi; Asorotanÿ, de midi à 6 heures du soir; Adimizanà, de 6 heures du soir à minuit; Adijadÿ, de minuit à 6 heures du matin); ces quarts de jours se subdivisent chacun en 3 parties de 2 heures, dénom- mées respectivement comme les jours du

ETHNOGRAPHIE. 273

au moyen d'un rectangle!) ou, chez certaines peuplades®, d’un carré orienté Nord-Sud, dont les angles, assimilés aux remvintanü, sont par

conséquent orientés respectivement Nord-Est, Sud-Est, Sud-Ouest et

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(Le Sagittaire) 9€ mois

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Nord-Ouest, les zana-bintanä étant placés deux par deux sur les quatre faces, Est, Sud, Ouest et Nord; les maisons sont en général construites

sur ce plan qui correspond à peu près par les angles et les murs aux dif-

férentes positions du soleil pendant le cours de l’année.

mois vavä, vonto et vody. Ges heures, comme l'observe le R. P. Ariaz (Vingt ans à Ma- dagascar, p. 275-278), ont chacune leur influence particulière sur la destinée, sur l'avenir des enfants, suivant l'heure de leur naissance : qui naïtra à minuit, disent les Malgaches, sera sorcier; au chant du coq, sera actif et vigilant; à l’aurore, lorsque hommes et animaux vont au travail, sera prodigue ; le matin, lorsque le soleil s'élève au-dessus de l'horizon, s’élèvera comme lui et aura une belle carrière; à midi, lorsque le soleil illumine et féconde le pays, sera riche; dans l’après-midi, perdra sa fortune; au coucher du soleil, quand chacun rentre chez soi et ramène le bétail au parce, sera

ETHNOGRADPHIE.

un riche propriétaire; au commencement de la nuit, à l'heure du souper, sera fort et aura une excellente santé, et, à l'heure du coucher, sera paresseux. Mais, pour for- muler un horoscope, il ne suffit pas de con- naître l'heure de la naissance, il y a à tenir compte d’une foule d’autres données qui ag- gravent, modifient en partie ou annihilent son influence, car les destins du mois et de l'heure, ainsi que divers phénomènes astrono- miques et météorologiques (comèles, étoiles filantes, etc., foudre, pluie, etc.), doivent être pris concurremment en considération.

(1) Merinä, Sihanakä, Betsileo, etc.

2) Antanosÿ, Barä, MahafalŸ, etc.

3) Alahamadÿ, destin bon pour les sou-

35

IMPRIMERIE NATIONALE,

274 MADAGASCAR.

Les vintanä ou destins qui sont opposés [mamhô |, c'est-à-dire ceux qui sont aux deux extrémités de la même diagonale, se combattent, se blessent, comme disent les Malgaches | m/andraträ |.

Or, à Madagascar, on admet (suivant une conception qui a prévalu longtemps dans beaucoup de pays et que l'on constate encore dans quel- ques-uns) que les astres ont une action tant physiologique que psycholo- pique sur les destinées des individus, que les êtres nés sous leur influence, tantôt bienfaisante, tantôt néfaste et fatale, ressentent les effets de leurs qualités spéciales, et qu'au moment ils prennent vie, leur destinée est écrite au ciel et dès lors fixée à jamais. On conçoit par conséquent qu'il est important de déméler les circonstances astronomiques qui entou- rent la naissance d’un enfant, de tirer son horoscope, et, si cet horoscope lui présage une destinée malheureuse, de prendre les mesures nécessaires pour en anmihiler ou en combattre les effets.

Étaient réputés très mauvais pour venir au monde les vintanä (des- tins) suivants :

a. D'AlakaosŸ, surtout du premier des trois jours soumis chaque mois à son influence, du var’ Alakaosy, comme l'indique lapophtegme Vaw’Ala- kaosÿ, ka raha tsy manoto olona, manoto tena | Si celui qui naît le premier

que ce soit, el Alohotsÿ [le Ramadan des Mu-

verains, les princes et les nobles, trop sulmans|, destin d’inconstance, léger, pro-

lourd pour les simples particuliers; Adaord,

destin bon, sauf au point de vue de la foudre et des incendies; Adizaozä, bon destin, excepté, si l'on est pauvre, pour construire ou se marier; Asorotanÿ, destin fort et dur, propice aux constructions; Alahasatÿ, des- tin de sorcier; Asombolä, destin propice à qui cherche la fortune (volä, de l'argent); Adimizanä, destin qui donne une longue vie, pourvu qu'on porte toujours sur soi une mizanà petite balance; Alakarabô, destin excellent; Alakaosÿ, destin fort et indomp- table, bon pour les princes, très mauvais pour le vulgaire; Adijadÿ, destin raide, pro- pice au mariage; Adalo, destin de pleurs ct de deuil, mauvais pour entreprendre quoi

pice à la construction des maisons | mois pendant lequel les maladies sont plus fré- quentes et les blessures plus dangereuses | (R. P. Amar, Lettres de Vals, avril 1879, p. 46-47, et Vingt ans à Madagascar, 1885, P274-270);

Le roi Ralambô, le fondateur de la mo- narchie merinàä, étant le du mois d’Alahamadÿ (ou Schoual des Arabes), ce mois, qui, dans le calendrier arabe, est le dixième, a été considéré en Imerinä comme le premier (au lieu d’Asorotanÿ qui correspond au Moharem des Musulmans).

M N'y avait-il pas encore un astrologue officiel à la cour de Louis XIV?

ETHNOGRAPHIE. 275

des trois jours du destin d’Alakaosÿ n'est pas le fléau de sa famille, 1l devient son propre bourreau |;

b. D'Alahasatÿ, le plus redouté de tous, parce que l'enfant le pre- mier des deux Jours qui sont chaque mois sous son influence, surtout aux environs de minuit, était fatalement un sorcier [ Alahasaty angaha no vintana, ka mamosavy], mais, dit le R. P. Callet, on le laissait vivre, parce que, si on le mettait à mort, c'était peine perdue, car l'enfant qui venait après lui héritait de sa destinée, «la destinée de sorcier devant suivre son cours sans interruption»; une fois grand, il quittait ses parents et allait elle le menait®);

c. D’Asombolä, pour les princes et princesses merinä qui, nés sous ce destin [aminny andro hatsinanan’ny volana Asombola|, étaient exelus de la famille royale (parce que c’est sous ce destin qu'Ambohimangä fut emporté d'assaut par les ennemis le jour une princesse y mettait au monde un enfant)";

d. D’Alahamadÿ, pour les Merinä, parce que c'est une destinée forte et puissante, une destinée de souverain, de roi | andro n’Andriana Alaha- mady |, et qu'il est dangereux de lavoir quand on ne doit pas régner, «le va Alahamadÿ, le premier jour du mois d'Alahamady, étant le Jour de naissance et par conséquent le vintanü du roi Ralambô, le fondateur de la monarchie mermä, et aussi du grand roi Andrianampoinimerinà ».

Lorsque l’horoscope révélait un destin inexorable, excepté dans le cas du destin d’Alahasatÿ, on mettait le nouveau-né à mort sans rémission, car fatalement il ne pouvait être que mauvais fils, mauvais esclave, sor- cier, assassin, etc., mais 1l y avait des destins moins inéluctables que l'on pouvait fléchir, apaiser par des prières, par des exorcismes, par des sacri- fices ou des offrandes, et dont nous parlerons tout à l'heure.

L'enfant sous un destin fatal ( était mis à mort soit en le jetant

1 Noir Walagasy Customs par le Rév. W. fant dont le destin est grand et puissant,

E. Cousins, Tananarive, 1876, p. 33. mais qui doit nuire à ses parents, à ses chefs, 2 Bull. de Acad. malgache, 1903, p.115. à ses maîtres. Pour les princes et princesses () G. Juciex, Instit. soc. et polit. de Mada- merinä nés mahery vintanä, on ne les met- gascar, t. IL, p. 80. tait pas à mort, mais ils étaient exclus de la

(0) Mahery vintana, ka manoto tompo, en- famille royale et perdaient leurs titres.

39.

276 MADAGASCAR.

dans la brousse 1l devenait la proie des fauves, des chiens errants et des insectes ), soit en le déposant dans un nid de termites ou fourmis blanches), soit en l'enterrant vivant ) et, chez quelques peuplades , en enfonçant ensuite à plusieurs reprises un bâton pointu dans la petite fosse une fois comblée, soit en le plongeant, la face en bas, dans un saha/ä [van ou grand plateau creux en bois] plein d'eau, soit en l'exposant sur un farafarü | petit tréteau | ou sur la plage au moment de la basse marée, ou bien au bord d’un fleuve .

Il y avait cependant des parents qui, dans le cas de vintana maherÿ, avant de mettre leur enfant à mort, le soumettaient à l'épreuve des bœufs | hitsahin'ny ombÿ | : ls le déposaient par terre à la porte de leur village ou d’un pare à bœufs, et ils faisaient passer sur lui un troupeau de bœufs, après avoir prononcé linvocation suivante : «Si tu dois porter dommage à tes parents, meurs !'sinon, vis et sois le bienvenu parmi nous >; s'il n'avait été touché par le pied d'aucun des animaux, on considérait son destin primitif comme annihilé, et on le gardait, on l’élevait, en lui donnant le nom de Ratsimandresÿ [celui qui ne combat pas (ses pa- rents )|, mais, s'il avait été atteint même par un seul d’entre eux, on le tuait

() Les Antankaranä, avant d’abandon- ner l'enfant en plein bois, faisaient tomber sur sa poitrine quelques gouttes du suc lai- teux d’une euphorbe ou autre plante simi- laire (Hirpesranpr, Zeitschr. d. Gesells. für Erdkunde, 1880, p. 266).

(2) Notamment les Antanalä, les Barà (qui appellent nebù les enfants nouveau- nés qu'ils mellent à mort), les Sakalavä à l'ouest de la chaîne du Bongolavä (d’Anka- vandrä, elc.).

(3) Chez les Merinä, on enterrait les en- fants nés sous un mauvais destin au sud de la maison de leurs parents, qui est la par- tie réservée à ce qui est de mauvais augure, et le père et la mère frottaient un peu de terre rouge sur leur lamba, qu'ils secouaient ensuite pour se débarrasser de la souillure contractée au contact de l'enfant maudit

(cf. Ecus, History of Madagascar, 1838, t. 1, p.158). Quand les Antanosÿ enter- raient un nouveau-né dont le destin était réputé très mauvais, ils coupaient le cou d’un rat au-dessus du ventre de la mère sur lequel ils laissaient tomber le sang pour la purifier.

() Certains clans sakalavä (Voroneokà, Ambolavä, Vazimbä), avant de mettre le nouveau-né dans la fosse, le cousent dans un fisia [ panier ou cabas] ou l'enveloppent dans un lamba.

6) Antimoronä, Merinä, etc. Alainy ny sahafa, ka fenoina rano, dia ahohoka eo ny zaza, dia üiranny rano ny vavany, dia maty velivety foana ny zaza.

(6) Betsimisarakä, elc.

(7) Sakalavä du Nord-Ouest, Betsimisa- rakä, etc.

ETHNOGRAPHIE. 277

sans rémission ). Quand un enfant sortait victorieux de cette épreuve re- doutable, ses parents, pour être plus sûrs qu'il ne pourrait leur nuire, lui coupaient une phalange d’un doigt, car le destin que Dieu avait daigné changer, dont il avait enlevé la nuisance, n’en restait pas moins très fort et, bien qu'épuré, pouvait être encore dangereux pour toute la famille : en mutilant un doigt, on ouvrait au trop-plein de cette force une issue, et il n'y avait plus rien à craindre; on donnait en outre à l'enfant un nom expressif en vertu duquel, si sa destinée venait un jour à être en opposi- tion avec celles de son père ou de sa mère, elle ne pourrait les dominer. Rainilaïarivonÿ, le puissant premier ministre de Madagascar, qui était sous le destin néfaste entre tous d'Alakaosÿ, avait subi victorieusement l'épreuve des bœufs, et en outre on lui avait coupé les bouts de l'index et du doigt médian de la main gauche, comme l'a constaté l’un de nous et comme l'ont vu tous ceux qui l'ont approché; son cas était bien fait pour : affermir dans l'esprit des Malgaches la croyance que «le destin d’Alakaosÿ est fort et indomptable entre tous ».

Quand un enfant naïssait sous un vintanä ou destin opposé à celui de ses parents ou de son maître, uafandraträ comme ils disent | destins qui se blessent, qui se combattent |°, on le mettait souvent à mort, surtout lorsque c'était l'enfant d’une esclave .

Lorsque le vintanü sous lequel naïît un enfant n'est pas réputé imexo- rable, on le conjure, on écarte son influence funeste | manala vintanü | au moyen d’exorcismes et de cérémonies réglées par les ombiasÿ, par les devins, exorcismes et cérémonies variables non seulement suivant les peuplades, mais souvent aussi selon la fantusie de l’ombiasÿ. Ainsi, par exemple, les Antanosÿ tantôt creusent une petite fosse ils dépo-

0) Voir à l’Appendice, 69.

2 Voir la figure p. 273. Sont op- posés, sont ennemis, mifaniho vintant, les destins suivants : Alahamadÿ et Adimizanà; Adaorô et Alakarabô; Adizaozä et AlakaosŸ; Asorotanÿ et Adijadÿ; Alahasatÿ et Adalô; Asombolä et AlohotsŸ.

5) En ce qui concerne le Souverain,

l'enfant d'une de ses esclaves, d’une tan- donakä comme d’une olomaintÿ, était étouflé non seulement, par exemple, s'il naissait sous le vintanà d'Adimizanà , celui sous lequel était l'Andriamanjakä , le Souverain, étant AlahamadŸ, mais aussi s’il naissait sous le même destin, c'est-à-dire sous celui d'Alaha- mad.

278 MADAGASCAR.

sent le nouveau-né qu'ils recouvrent d'une couche de charbon de bois et sur lequel ils laissent couler le sang d’un bœuf qu'ils sacrifient à cette occasion, puis ils le lavent; tantôt ils l’enferment pendant une demi- journée dans une cage à poules. Dans certains clans du Sud-Est, on immole un bœuf avec le sang duquel on frotte le front et le derrière des oreilles de l'enfant; puis sa mère, le prenant dans ses bras, passe avec lui au travers d’une sorte de cerceau formé avec une lanière de la peau de la victime. Chez les Barä ”, on creuse dans la berge d’une rivière une petite galerie par laquelle on fait passer l'enfant qui, arrivé au bout, est reçu par son père au moment il va tomber dans l’eau, et une partie du bœuf qu'on sacrilie pendant cette cérémonie est enterrée dans la susdite galerie. Les Antanalä plongent l'enfant dans une eau ont infusé diverses plantes, en prononçant une invocation, et on enterre l'eau avec les divers ingrédients qui ont été employés pour cet exorcisme”. Les Merinä écartent les mauvais vintanä, les mauvais destins, au moyen d'objets divers, de faditrä qu'ils exècrent et rejettent, et qui sont censés les emporter loin de l'enfant, ou, quand celui-ci naît sous le destin d’Adaorô et qu'il apporte avec lui un sort d'incendiaire, ses parents construisent une petite case en mottes de terre, couverte en chaume, dans laquelle la mère s’asseoit avec son enfant, puis, mettant le feu au chaume, ils font sauver rapidement l’en- fant et sa mère et laissent brûler la maisonnette, ce qui assure le père, la mère et l'enfant contre tout incendie à venir. Pour rendre inoffensifs les enfants nés sous le destin d’Asorotanÿ®, il suflit de leur donner quel- qu'un des noms suivants : Tsimanosikä |Gelui qui ne met pas dehors (ses parents)], Tsimanihô [Celui qui n’a pas un destin contraire celui de ses parents)], Malemisahä [Champ doux?| ou Zanakolonä [Celui qui est fils de quelqu'un]: on n’a pour eux ni considération, ni estime, lors même qu'ils occupent une certaine situation; leur nom suffit pour faire con- naître à tous la tare indélébile dont leur naissance les a marqués pour

(D) Rév. J. Nrezsex-Lunn, Norske Missions- ) Voir à l'Appendice, 68...

tikende, 1887. () R, P. Amrvaz, Vingt ans à Madagascar, ®) Noir à l’Appendice , 66, la description 1885, p. 279.

détaillée de cet exorcisme. 6) Asorotanÿ, «destin fort et dur».

ETHNOGRAPHIE. 279

toujours), etc. Un gros volume ne suflirait pas pour raconter toutes les cérémonies étranges que prescrivent, au hasard de leur imagination et de leur fantaisie, les ombiasÿ.

Soins À La MÈRE. Après s'être occupée de l'enfant, pendant qu'on consulte l’astrologue ou le diseur de bonne aventure, la sage-femme pense à la mère et s'assure d’abord que le placenta et les membranes sont bien sortis, car les lambeaux ou morceaux qui resteraient « monteraient vers le cœur et elle deviendrait folle ou aveugle, ou bien elle mourrait», et, s'ils ne sont pas tous sortis, elle lui fait prendre une décoction de racines fraiches de gingembre et d’indigotier, ce dernier, pour être efficace, ne devant avoir qu'une seule racine et avoir été arraché par le mari d'un seul coup”, puis elle a recours à diverses manœuvres plus ou moins ration- nelles, massant le ventre, irritant la gorge pour la faire vomir, etc.

Quand enfin la mère est délivrée, on la lave, suivant les traditions de la famille, soit à l'eau chaude dans laquelle on fait souvent bouillir les feuilles de certaines plantes, soit à l’eau froide), et celles qui accouchent dans la brousse, comme les Malgaches du Sud, se réinstallent chez elles dans une alcôve ou petite chambre entourée de nattes. On les couche sur un lit ou plutôt sur un matelas très court elles doivent se tenir les cuisses repliées sur le ventre et les talons appuyés sur lorifice vaginal, pendant huit jours chez les Merinä et plus longtemps chez certaines peu- plades®; ce n’est qu'après ce laps de temps qu'elles reprennent leur lit ordinaire.

Pendant cette relégation, lorsqu'elles sont obligées de sortir, elles s’en- veloppent dans une grande étoffe, se couvrant souvent la tête entièrement

1 Dr Raxaivô, Pratiques et croyances des Malsaches relatives aux accouchements, Thèse de médecine, Paris, juill. 1902.

2 J1 y a encore d’autres formules, par exemple : faire macérer dans de l’eau fraiche des feuilles mortes de tsilo herÿ (Solanum erythracanthum), ramassées sur le sol, trem- per dans ce liquide la manche d’une che- mise et une clef, et le faire boire à la paliente, ou encore ramasser par terre des

feuilles mortes de ricin et du figuier voarà (Ficus trichophlebia), les faire bouillir et donner la décoclion à la malade, etc.

6) Voir à l'Appendice, 70.

(4) Noir à l'Appendice, 71. Pour faciliter, disent-ils, l'écoulement sanguin, car, «si le sang séjournait dans la matrice, il s’y formerait des caillots qui produiraient des tranchées utérines». Voir à l’Appendice, 72, la note du D' Ranaivd.

280 MADAGASCAR.

et portant à la main quelque objet, couteau et chiffon allumé(), comme les Betsimisarakä, les Ranomenä, les Antanalä, ete., ou un tison embrasé, comme les Antambahoakà, ete., ou bien une branche de certaines plantes, de sanatrÿ (Cassia lœvisala) par exemple, comme les Sakalavä, ete., afin d’écarter les mauvais esprits, les revenants qui rôdent autour d’elles tant qu'elles n'ont pas pris le bain lustral pour se purifier ; et les per- sonnes qui veulent leur rendre visite doivent d'abord, disent les Merinä, miseran-a/5, passer rapidement sur le feu pour chasser les mauvais esprits qui, sans cette précaution, entreraient avec elles.

Que les femmes accouchent dans une maison ou dans la brousse, on entretient nuit et Jour auprès d'elles, quelle que soit la saison, un grand feu, non pas de peur que la mére et l'enfant ne souffrent du froid, mais pour éviter le pia [les coliques après l'accouchement |" et surtout pour écarter les Zavaträ, les Angalr, les Lol, c’est-à-dire les méchants esprits ou revenants qui sont censés rôder constamment autour d'eux pendant cette période dangereuse) : la mère et l'enfant sont littéralement cuits et enfumés pendant huit jours, ne pouvant pendant ce temps sortir de cette

M) En Annam, on met un morceau de charbon de bois allumé devant la porte de la maison il y a un nouveau-né (D° Hacen, Annales d'hyg. et de médec. colon. , 1904, p. 616).

2) On sait que le feu est, comme l'eau, un des principaux facteurs magiques.

(3) «La femme d'un chef des Matatanes | duMatitananä | venant à accoucher lorsque jy étais, relate Cauche, une autre lui servit de bonne femme | de sage-femme |, laquelle seule entra dans la maison, ferma toutes les portes, fit une tendue | tenture] de nattes autour du foyer, proche lequel était le lit de la gisante, qui ne consistait qu'en deux nattes, entre lesquelles et quelques draps de coton elle se couchait» (Caucre, Relat. Voy. à Madagascar, 1638, p. 33). Chez les Annamites comme chez les Mal- gaches, «les femmes près d’accoucher se

retirent dans une maison préparée à cet effet, et sous leur lit on entretient un feu continu» (D' A. Hacex, Ann. d'hyg. et de médec. colon. , 1904, p. 615-617). Voir p. 259, notule a.

"Les Betsileo emploient comme oli-pia, comme remède à ces coliques, du vulgaire kaolin qu'ils nomment siravazü.

6) Les Hindous également regardent les femmes enceintes comme exposées à des dan- gers exceptionnels (voir p. 250, note 1). Des craintes superslitieuses analogues hantent, du reste, les cerveaux de la plupart des êtres humains; encore aujourd’hui en Allemagne, par exemple, n'emploie-t-on pas, curieuse- ment combinés avec l'esprit chrétien, d'in- nombrables rites magiques «pour protéger les nouveau-nés contre les mauvais esprits dont ils pourraient subir l'influence né- faste» (Elard Hugo Meyer, Deutsche Volks- kunde | Mœurs populaires de l'Allemagne |.

ETHNOGRAPHIE. 281

étuve. Le bois est d'ordinaire fourni par les parents et les amis : chez les Sakalavä, les visiteurs apportent chacun leur fagot, et les Merinä don- nent ou envoient une petite pièce d'argent pour acheter du hitay hazd, autrement dit, le bois de chauffage ©.

Lorsqu'une femme tombe malade à la suite de ses couches, elle appelle le mpisikidÿ diseur de bonne aventure, qui lui ordonne tantôt quelque tisane de feuilles, tantôt des bains ou plutôt des lavages avec des décoc- tions de certaines plantes, y ajoutant des prescriptions plus ou moins bizarres, telles que de marquer de traits à la craie les vases l’on fait bouillir eau des tisanes ou des bains, de ne manger que des viandes préalablement séchées au feu, de s'abstenir de poisson frais, de ne pas regarder le soleil se lever ou se coucher, de ne pas fixer ses regards sur un objet que quelqu'un porte sur ses épaules, etc.

RÉJOUISSANCES À LA NAISSANCE D'UN ENFANT. À la naissance d’un enfant, les parents et les amis apportent au père leurs félicitations, plus chaleureuses d'ordinaire pour un garçon que pour une fille, et ils y joignent de petits cadeaux tels que vêtements, aliments, argent, etc. «Salut à vous à qui Dieu vient de donner un enfant! dit-on chez les Merinä | Arahaba, nomen Andriamanitra ny fara Vous êtes bénis de Dieu! aussi nous vous apportons un peu d'argent pour acheter des cre- vettes®) pour la mère. » + Que Dieu vous donne une longue vie, répond le père, et qu'il vous protège contre les sorciers, qu'il vous accorde à vous aussi des enfants! Ne croyez pas que ce soient les cadeaux, l'argent que

0) Il y a cependant, notamment dans le Boinä (et jadis dans le Sud-Est [voir la note 1, page 297 |), quelques familles qui ne suivent pas cet usage et chez lesquelles la jeune mère, aussitôt délivrée, va avec ses assistantes se baigner soit à la mer, soit dans la rivière voisine, et continue à prendre ce bain froid tous les matins.

? Les Sakalavä donnent le nom de za- belÿ et les Betsileo celui de mpihaminä aux nouvelles accouchées pendant les huit jours qui suivent leur délivrance. Quand, pour ses

ETIINOGRAPHIE.

besoins, une femme zabelÿ est obligée de sortir, elle s’enveloppe dans un grand lamba de toile, se couvrant même la figure , et porte sur la tête un tantÿ, c'est-à-dire une petite corbeille carrée.

6) Le premier repas de l’accouchée con- siste en riz très cuit et en bouillon de cre- veltes, en ro-patsä, qui a la réputation de faire monter le lait : ce repas, très copieux, le solon-jazà [itt. : qui prend la place de l'enfant], comme on l'appelle, est censé remplir le vide laissé par le nouveau-né.

36

IMPRIMERIE NATIONALE.

282 MADAGASCAR.

vous nous apportez qui réjouissent notre cœur, c'est votre visite qui nous fait plaisir, nous vous en remercions et prions Dieu de vous bénir». Aucun des visiteurs ne demande à voir ni la mère ni l'enfant, ce serait contraire aux convenances; 1ls s'asseoient, s'enquiérent du sexe et de la santé du nouveau-né et se retirent après quelques minutes de conversation, les femmes emportant de la viande de bœuf séchée, cadeau du père (W.

À la naissance d'un prince ou d'une princesse merinä, la population tout entière se livrait jadis à des saturnales se donnait cours la licence la plus effrénée, les esclaves et les maîtres vivaient en pleine promis- euité, Tananarive n'était plus qu'un vaste lieu de débauche : c'était l'andro 1sy matÿ, le jour l'on ne condamnait point à mort, tout était permis. La dernière de ces fêtes licencieuses a eu lieu à l’occasion de la naissance de la fille de Radamä I; Hastie en fit honte au roi, qui, soucieux d'avoir un bon renom en Europe, donna l'ordre de ne plus les tolérer à l'avenir, et en effet elles ne se renouvelèrent plus.

Dans les peuplades qui sont restées indépendantes des Merinä jusqu’à notre conquête, on trait beaucoup de coups de fusil®), on battait du tam- bour, on buvait du rhum ou de la betsabetsä, on se livrait à toutes sortes de réjouissances, les riches tuant un ou plusieurs bœufs, les pauvres ex- terminant leurs volailles; mais les coups de fusil et le bruit étaient tout autant pour effrayer et chasser les mauvais esprits qui rôdaient autour de la jeune mère et de son enfant que pour manifester leur Joie, plus grande d'ordinaire, comme nous l'avons dit, lorsque c'était un garçon que lorsque c'était une fille P.

Arrarremexr. Le nouveau-né est mis au sein quelques heures

0 SraxninG , The Children of Madap. p.27.

® Chez certaines peuplades, les Antan- droy, les Sakalavä, elc., on ne tirait de coups de fusil qu’à la naissance des garçons. «Un nouveau-né exige quelquefois 1,000 et 2,000 coups de fusil» (Benvowskr, 1774).

(5) Chez les Sakalavä du Nord et chez les TsimihetŸÿ, aussitôt la mère installée auprès du feu traditionnel, on altachait au poteau central de la maison, à l'andribé qui est la

place d'honneur, un veriverÿ [ou navette |, un vatriträ | ou règle plate d’ébène qui sert à battre la trame en tissant |, sur lequel on trace six lignes transversales blanches avec du tanifotsÿ [de la craie ], et de petits sobikä [ou corbeilles] à moitié tressés, attributs féminins qui doivent, pense-t-on, empêcher les mauvais esprits d'approcher de la mère (Danrouau, Bulletin de l'Académie malæache, 1908, p. 106).

ETHNOGRAPHIE. 285

après la délivrance et n’est sevré d'ordinaire qu'à un an et demi ou deux ans, et même plus tard, car, lorsqu'il ne survient pas une nouvelle . A s. . e , D A

orossesse, on le laisse têter tant qu'il veut, si bien que c'est lui-même qui se sèvre : l'un de nous a vu plusieurs fois des enfants âgés de six à huit ans qui venaient journellement réclamer leur pitance, leur + petite

à leur mère); ê fois, à Tulé fait pl leUX goutte», à leur mère®; et même une fois, à Tuléar, ce fait plus curieux

D] © A Q) D 9? L f22\] \ S encore d'une jeune fille âgée d'une douzaine d'années, déjà mère, allaï- tant son enfant pendant qu’elle-même têtait sa mére)! Dés le troisième mois, on leur donne soit du sosoa, du riz à l’eau, soit du maïs bouilli, et même quelquefois de la viande (”.

Les princesses et les reines ou femmes de roi, au moins chez les Za- findRaminia, ne nourrissaient pas toujours leurs enfants; elles les con- fiaient à des femmes qui les élevaient, mais qui devaient donner le leur à quelque amie charitable, et, si elles n’en trouvaient pas, s'en défaire en l’enterrant.

Tant que les mères allaitent leurs enfants, elles sont tenues de prendre maintes précautions et d'observer certaines prescriptions, certaines ab- stinences, variables du reste suivant les peuplades et même suivant les

9 Chez les Merinä, pendant les pre- qu’elle ne soit trop âgée; pour être capable

mières heures, comme nous l'avons dit plus haut, page 265, une voisine, qui allaite, «prête son lait» au nouveau-né jusqu’à ce que la mère puisse nourrir elle-même.

(2} Aux Hes Carolines, en Australie et dans beaucoup de pays, les mères allaitent également fort tard, jusqu’à quatre et cinq ans.

@) «Il est des plantes qui ont la vertu de faire venir le lait à des femmes de plus de soixante ans; aussi voyons-nous fréquem- ment des grand’mères allaiter les enfants de leurs enfants» (Abbé Bourpase, Fort- Dauphin, 1654, Mém. Congrég. de la Mis- sion, t. IX, p. 200). «Dans le Nord- Ouest, c’est très souvent la grand’mère qui devient la nourrice de l'enfant un jour né- faste el abandonné par ses parents, à moins

de remplir cette fonction, elle avale force bouillons d’anamalahô | Spilanthes acmella |, de saonjo mamÿ | Colocasia antiquorum] et de tsivakia petites crevettes séchées au so- leil, bouillons qui provoquent une sécrétion lactée très abondante et qui sont obliga- toires pour toutes les jeunes mères. Les Sa- kalava du Nord-Ouest prétendent que cer- tains fanafodÿ, certains remèdes, amènent une sécrétion lactée dans les seins des femmes qui n'ont pas eu d'enfants, notamment une décoction de hasinä | Dracæna angustifolia et Dr. æyphophylla | une tisane de racine de bambou pilée, infusée dans de l’eau prise dans les entre-nœuds des jeunes pousses de la même plante» (Danpouau, Bull. Acad. mals., 1909, p. 169). (0) Voir à l’Appendice, 72. 36.

284 MADAGASCAR.

familles, telles que de garder la chasteté pendant qu'elles nourrissent, de porter certaines amulettes, notamment lol trambonü | contre le tambavÿ ou «carreau» des enfants |, de s'abstenir de certains aliments, de ne pas entrer dans une case se trouve un mort, de ne pas avoir de relations avec un autre homme que leur mari, etc.

10° SOINS DONNÉS AUX NOUVEAU-NÉS, On n'emmaillote pas les nou- veau-nés, qui sont laissés sans langes ni vêtements d'aucune sorte, à l’état de nature, au moins pendant les premiers mois Jusqu'à ce qu'ils restent assis tout seuls; car, «si on habillait un enfant à la mamelle, il ne grandirait pas»: on se contente, pour tout maillot, de les graisser deux fois par jour afin de +rendre leur peau souple et de permettre aux os et aux organes internes de se développer librement».

Presque toutes les Malgaches, qui ne se séparent jamais de leurs jeunes enfants, les portent non pas dans les bras comme les Euro- péennes, mais andaka-mosinä comme ils disent, dans le ereux du dos, cest-à-dire entre le dos et le lamba, ou quelquefois, comme dans le Sud- Est", entre le dos et une large ceinture de jonc, lamba ou ceinture qui forment une sorte de poche le bébé, quoique fortement serré, est commodément assis, étendant ses petites jambes de chaque côté du corps de sa mère. Les femmes, qui ont par conséquent les bras libres, vont, viennent, travaillent aux champs avec ce fardeau dont elles ne semblent pas incommodées, et l'enfant, lui non plus, ne parait pas s'en mal trou- ver; dans le Sud-Est, les AntanosŸ, les Antanalä et les Barä ont la coutume de s'attacher au cou, par un cordon, une petite natte carrée de o m. 5o de côté, le helÿ ou le londÿ, qui, couvrant le haut du dos, abrite la tête de leur enfant contre le soleil et la pluie.

Chez les Merinä, aux fêtes, les enfants devenus grands présentent à leur mère le /o/o-damosinü, le «souvenir du dos», cadeau en recon- naissance des soins assidus qu’elle leur a donnés pendant leur petite enfance.

Les femmes sihanakä et tsimihetÿ portent leurs enfants différemment,

() Antisakà.

ETHNOGRAPHTE. 285

non pas sur le dos, mais, comme les Indiennes, à califourchon sur la hanche, un peu en avant.

Quant aux hommes, c’est à califourchon sur lépaule qu'ils les portent [zaza antsohorinü antsangorinä, comme ils disent], ceux-ci se tenant droits et s'appuyant sur la tête de leur père.

Pendant les huit premiers jours, la femme nouvellement accouchée reçoit chaque jour les soins de la sage-femme qui la frictionne et la masse ; sa nourriture se compose presque uniquement, chez les Merinä et chez les Sakalavä du Nord-Ouest du moins, de sosoa ou soupe de riz, de bouillon de poulet et de crevettes, de kilozü ou viande séchée, mais d'aucun lécume vert. Ce n’est qu'après ces huit jours écoulés, pendant lesquels elle est censée en retraite ainsi que son enfant et, comme nous venons de le dire, condamnée à rester auprès d’un feu ardent, qu’elle se purifie en prenant un bain au Jour propice fixé par le devin et que, revêtant ses plus beaux atours, se parant de ses bijoux et escortée de ses proches pa- rents vêtus eux aussi de leurs habits de fête"), elle fait de grand matin sa première sortie® [voaka itanÿ mamoaka zaza vao], qui consiste à faire trois fois le tour de la maison, sa grand’mère ou sa mère marchant devant elle avec l'enfant ou le portant quelquefois elle-même, et ses parents la suivant en criant et en chantant); un grand festin termine la fête : c'est la présentation de l'enfant à sa famille dont 1l fait dés lors partie, et la mère reprend sa vie et ses occupations, gardant toutefois la chasteté pendant un temps plus ou moins long, d'ordinaire pendant cinq mois.

Chez les Merinä, si c’est un garçon, un homme ayant encore son père et sa mère [velondray sy renÿ] le porte sur son dos, enveloppé dans un

Œ) Voir à lAppendice, 73.

2) Dans l'Inde, la première sortie d’un enfant, la collation du nom, la première coupe de cheveux, le premier essai d’ali- mentation solide donnent lieu à des rites de bon augure (Hexry, La Magie dans l'Inde antique, p.83); c'est ce qui a lieu également à Madagascar.

(5) Chez les Sakalavä du Nord-Ouest, un des frères de la mère marche en avant, ja- dis une sagaye et aujourd'hui un bâton à la main , frappant le sol en comptant de 1 à 7 et prononçant des invocations pour appeler sur le nouveau-né les bénédictions de Dieu et des ancêtres et écarter les maladies et les mauvais destins.

286 MADAGASCAR.

lamba de soie rouge, et dit, en passant la porte ® : «Que cet enfant ait une longue vie! c’est pour prendre la part du soleil à laquelle il a droit qu'il sort aujourd’hui, et non pas seulement pour se promener, pour s'a- muser; puisse-t-1l s'élever facilement, ne pas être malheureux!» °, puis il le mène au parc à bœufs, ensuite à la porte de la ville ou du village, suivi d'hommes ayant à la main une hache, un coutelas, un bouclier, “afin de lui donner de la force et du courage». Les filles ne sont por- tées qu'à l'entrée de la ville ou du village par une femme ayant aussi son père et sa mère, toujours attachées sur le dos dans un lamba rouge et suivies par une autre femme portant un panier ©.

Ce n'est qu'après cetle sortie que, chez les Onjatsÿ de lAnkaranä, chez les Antambahoakä, les Betsimisarakä , les Antanalà, les Sakalavà, les Betsileo, ete., on lave le linge sale et les langes de la mère et de l'enfant, et qu'on enterre ou brüle” divers objets qui ont servi à la mère, comme par exemple les feuilles sur lesquelles mangent les femmes de la côte orientale, les produits des évacuations du nouveau-né, qu'on a eu soin de ramasser dans un vase, ete.; l'eau de lavage est jetée dans un trou qu’on creuse sous le lit. On procède aussi d'ordinaire à la purification de la mère, de celles qui ont assisté à l'accouchement, enfin de la maison!

Les Onjatsÿ de lAnkaranä, qui sont des descendants d’immigrants arabes, exorcisent leurs enfants nouveau-nés en les exposant quelque temps sur un tas de fumier ?.

11° MALADIES CONGÉNITALES DES JEUNES ENFANTS MALGACHES. La mortalité infantile est grande à Madagascar, les mariages sont généralement très précoces et les parents non seulement sont souvent atteints de mala-

(1) Autrefois, chez les Merinä, avant de sortir le nouveau-né de la maison. on le

1) Chez les Annamites, quand la femme, après les treize jours passés dans la case

faisait passer deux fois au-dessus du feu (Ecus, History of Madagascar, t. 1, 1838, p. 152). ®) Ho tratrantitra! hijery ny anjara maso- androny anie ; tsy hilongolongo foana, tsy han- dehandeha foana; ho mora tezana, tsy harofy ! (8) Voir aussi à l'Appendice, 73.

temporaire dans laquelle elle a accouché, la quitte, on brûle les effets qui lui ont servi (D° Hacen, Ann. d’hyg. et de médec. colon. , 1904, p. 616). - (5-0) Voir à l'Appendice, 5h et 75. () Voir dans le tome précédent la notule, p- 12/4.

ETHNOGRAPHIE. 287

dies mauvaises{) dont ils transmettent le germe à leurs enfants, mais manquent des notions les plus élémentaires d'hygiène. Ce n'est pas qu'ils n'aiment leurs enfants et ne les entourent de soins empressés (?, mais ces soins sont inintelligents et vont souvent à l'encontre de leur but. Ainsi, en Imerinä, l'enfant est amené au moins une fois par semaine à quelque vieille mpamosavÿ sorcière, qui lui fait avaler un breuvage d'herbes amères, et, dès qu'il a trois mois, cette médecine nauséabonde lui est administrée régulièrement quatre fois par semaine, le lundi, le mercredi, le vendredi et le samedi, médecine dont la composition varie

suivant le but qu'on se propose, par exemple de le faire maigrir s'il est

oros et gras”, de le faire engraisser s’il est maigre, ete. P.

9) Syphilis, lèpre et maladies cutanées, paludisme, tares d'origine alcoolique.

2 Les enfants malgaches souffrent et meurent : par suite de l'extrême saleté qui règne dans les cases, surtout du centre de l'ile, et de la promiscuilé malsaine dans la- quelle vivent, souvent dans une seule et mème pièce, tous les membres d'une fa- mille avec les animaux domestiques, quel- quefois, comme c’est l'habitude en Imerinä, avec les cochons; par suite de l'incurie avec laquelle ils laissent les «tout petits» com- plètement nus sous la pluie, en plein soleil ou à la bise du matin sur les hauts plateaux; par suite de nourriture indigeste, riz, mais, haricots plus ou moins cuits, qu'on leur fait avaler et de l'eau assez souvent prise dans des marigots pestilenticls qu’on leur fait boire.» Depuis notre prise de possession de Madagascar, la situation sous ce rapport n'a cessé de s'améliorer grâce aux généreux et utiles efforts du général Gallieni qui. comprenant l'importance considérable de cette question, a institué, dès son arrivée à Tananarive en 1896, des services d’assis- tance médicale et de protection sanitaire (notamment pour l'inspection médicale des femmes enceintes et des enfants en bas âge),

des écoles de sages-femmes indigènes, des maternités et des dispensaires municipaux, qui ont déjà produit les meilleurs résultats.

(8) Les mères malgaches sont en effet pleines d'attentions pour leurs nourrissons et sont touchantes par les soins qu'elles en prennent; «elles ne sont satisfaites, dit un médecin malgache, le D' Ranaivô. que lorsqu'elles leur ont trouvé quelque maladie et qu’elles les soignent en conséquence».

1) L'enfant gros et gras, qui a un bon appétit, qui mange beaucoup et qui a en réalité une santé parfaite, n'a, dit la sage- femme, que l'aloboträ, ombre de la santé, et on le masse, on lui fait boire des tisanes amères; ce traitement, généralement, Île fortifie et augmente son appétit, en sorte que, l'enfant devenant encore plus vigou- reux, l'angoisse de la mère va croissant, et elle recourt à de nouvelles consultations, à de nouveaux régimes, et finalement on le pince au sang, on le fait souffrir, et alors il dépérit, et la mère est enfin soulagée de ses craintes (D' Raxarvô).

5) H. EF. Srannie, The Children of Mada- gascar, 1887, p. 115. La mère trouve- telle que les os de son nourrisson sont mbola ran [litt.: encore de l’eau], mous,

288 MADAGASCAR.

D'une manière générale, les Maloaches ne veulent pas qu'on embrasse leurs enfants; ils croient que, si la personne qui les embrasse a une maladie, elle la leur donnera ou que, si elle a de mauvaises intentions, elle leur jettera un sort.

Depuis qu'il y a des médecins à Madagascar, les femmes malgaches leur accordent une grande confiance; elles ont dans la médecine la même foi que dans les amulettes, ayant plutôt l'idée de prévenir, d’empécher les maladies que de les guérir.

La plupart des enfants malgaches sont afligés de hernies ombilicales, dues au manque d'hygiène et de connaissances, hernies qui, du reste, dis- paraissent vers l’âge de 8 à 10 ans; ils ont souvent l'abdomen gros, très développé, ce qui vient de la nourriture, indigeste pour ces petits êtres, qui leur est donnée trop tôt : riz, manioc, patates mal cuites, viande, fruits verts, etc. Beaucoup sont rachitiques, et il y avait autrefois au moins un assez grand nombre de sourds-muets, mais pas d’aveugles de naissance.

Le tambavÿ, maladie mal définie qui semble provenir d’un mauvais fonctionnement de l'appareil digestif et qui a quelque analogie avec le cearreau»(Ü, le farasisä, éruption cutanée et autres maux dus au Leti ou syphilis héréditaire, le {azÿ ou fièvre paludéenne, la nendrä ou va- riole, ete., sont des maladies communes pendant la première enfance : on masse les petits malades tous les jours et on leur fait prendre diverses

on prend un pilon et un maillet (outils qui symbolisent la force puisqu'ils brisent , qu'ils enfoncent), de la fiente de rat (animal dont les os sont réputés très solides puisqu'il peut tomber de haut sans en ressentir de mal) et un pelit panier à riz (fait avec la pellicule épidermique du papyrus ou souchet et qui peut être jeté au loin sans se briser), et on plonge ces objets dans de l’eau bouillante dont l'enfant boit quelques gorgées et dont on frotte ses membres. Veut-on que ses ge- noux grossissent, on fait un nœud à une corde qu'on brûle ensuite. Dans l'Ouest, il y a des mères qui, pour guérir les maux de tête de leurs enfants, mitrontrokä anakä,

c'est-à-dire sucent leur nez et y font ensuite couler du lait de leurs mamelles (R. P. Wes- 8er, Dict. malo. français, 1853, p.703).

(0) Parmi les remèdes qu'on emploie comme préservalifs du tambavÿ, outre les infusions de plantes et d'herbes diverses qu'on administre en les accompagnant de souhaits de bonne santé et de parfaite crois- sance, il en est qui sont bizarres; nous citerons, entre autres, les suivants : inci- nérer une grosse araignée et faire avaler à l'enfant ses cendres mêlées à de l'eau; pren- dre un crabe qui a toutes ses patles el le faire bouillir avec des racines de jonc pour en faire une potion et des fumigations.

ETHNOGRAPHIE. 289

infusions considérées comme préservatrices de la santé. Tout comme les paysannes d'Europe, les mères malgaches se gardent bien d'enlever la gourme, le falombin-dohü | litt. : la bouse de vache qui est sur la tête] «qui préserve la tête de leurs nourrissons contre le froid et contre le soleil», et, comme elles encore, elles adressent à leurs enfants le souhait Velomü | Continue à vivre! |, lorsqu'ils éternuent.

Si pendant leur sommeil elles les entendent crier en rêvant, elles pro- jettent sur eux un peu de salive, mutsipy rorä comme disent les Merinä, + pour chasser le méchant Esprit qui les trouble si malencontreusement ». Quant à l'enfant qui rend son lait ou qui a des renvois, il est, aux yeux des Maloaches, en parfaite santé et deviendra beau et vigoureux.

19° SUPERSTITIONS RELATIVES À LA SANTÉ ET À L'AVENIR DES ENFANTS. Il y a une foule d'actes fadÿ, c'est-à-dire d'actes que les parents ou Îles tout jeunes enfants ne doivent pas faire sous peine de voir ceux-ci rester chétifs, tomber malades, avoir divers vices ou défauts, être malheu- reux, mourir ou perdre leurs parents avant l'âge ou être en butte à la persécution des mauvais esprits. Nous n’en citerons que quelques-uns, car ils sont fort nombreux et varient suivant les clans et même suivant les familles et les individus :

Les enfants seront chétifs, croient les Merinä, si quelqu'un enjambe leur corps, si l’on mesure leur taille, si l'on vanne du riz à côté d'eux, ete.;

Ils seront maladifs, si on les berce sur les genoux, si la marmite bout l’eau pour leur bain se casse, si on les sort de grand matin (ils auront la méningite), si on les frappe sur la tête (ils auront la teigne), si on les chatouille (ils auront le carreau ou obstruction des intestins), s'ils arra- chent les ailes et les pattes d’une mouche (ils auront les yeux châssieux), si on les embrasse souvent (ils s'enrhumeront), si on les embrasse sur l'oreille (ils deviendront sourds), s'ils mangent de la viande crue et des légumes verts ou si on lave leurs langes aussitôt qu'ils les ont souillés (ils

1) La salive joue un rôle important dans (2) Voir les « Fady malgaches », par H. J. la religion malgache. Voir p. 184 et, dans SraxnixG (Antan. Annual, 1883, p. 62- le volume suivant, le paragraphe relatif à la 8o,et Bull. Acad. malgache, 1904, p. 129- magie. 163).

ETIINOGRAPIIE. 37

IMPRIMERIE NAMONALE.

290 MADAGASCAR.

auront mal au ventre), si leur cordon ombilical est mangé par une vache qui a perdu son veau (ils auront la syphilis), s'ils se regardent dans un miroir ou s'ils portent soit un salakä [culotte malgache], soit un cha- peau | vêtements des hommes faits | (la plaie, lorsqu'on les circoncira, ne se guérira pas), etc. ;

Ils auront des vices ou des défauts, si on les laisse regarder tuer un animal (ils commettront des meurtres), si on les frappe sur la tête (ils seront têtus), si on les laisse regarder servir le riz (ils seront gourmands), si on leur coupe les ongles la nuit (ils seront inconsidérés, imprudents), s'ils mangent des grenouilles (ils seront bêtes) ou des écrevisses (ils par- leront dificilement), si on leur tire la langue (ils auront une mauvaise prononciation), si on leur embrasse les mains (ils deviendront égoistes), si leur cordon ombilical est mangé par un cheval (ils seront raides, guindés) ou par un mouton (ils seront bavards), ete.;

Ils seront malheureux, si leurs mères, pendant qu'elles les nourrissent, rennent certains aliments"), si on les laisse manger le croupion du poulet

_——

morceau réservé exclusivement aux orands-parents), si, avant d’avoir

‘âge d'homme, ils entrent dans une maison 11 y a un mort ou assistent

: = ANDRE x ra à la cérémonie de la circoncision, etc. ; Ils deviendront orphelins, si la première coupe de leurs cheveux a été

faite par un homme n'ayant plus ni son père, ni sa mére, ete., et ils cau- seront la mort de leurs parents, s'ils frappent les murs de la maison avec les pieds, ete. ;

Ils mourront jeunes, s'ils mangent dans l'assiette de leur père (ce qui est un manque de respect), s'ils plantent des arbres (surtout des arbres d'espèces importées, tels que des manguiers, des lilas du Gap), s'ils s’as- seoient deux sur un mortier à riz, s'ils regardent couler le sang moins d'être nobles), etc. ;

Ils seront pourchassés par les mauvais esprits, si on les qualifie de

0) [neleurest même pas permisdecuire rissait son enfant, de cuire un œuf chez elle, ces aliments dans leur maison. M” Kathleen parce qu'il lui était interdit (/«dÿ) d'en man- P. Mackay, missionnaire à Madagascar, s'est ger elle-même (Chron. Lond. Miss. Society, vu refuser, par une femme sihanakä quinour- Oct. 1890, p. 319).

ETHNOGRAPHIE. 291

«jolis enfants», d'enfants forts et vigoureux», car, en leur donnant ces doux noms, on attirera sur eux l'attention de ces mauvais esprits qui accourront dans le but de leur nuire; aussi a-t-on soin, lorsqu'on leur parle, comme nous le disons au paragraphe de la collation des noms!?, de les appeler « vilains enfants», « petits chiens», « petits cochons ». Souvent même on leur donnait dans ce même but, pendant toute leur enfance, un nom malsonnant : c'est ainsi que la petite princesse, fille adoptive de la reine Rasoherinä, a porté jusqu'à sa nubilité le nom de Ravoantay [litt. : M°e Graine d’excrément, M": Bousier |.

Il y a, d'autre part, des actes, des prescriptions, qui, d’après les croyances des parents malgaches, favorisent le développement de leurs enfants, sont propices à leur santé et à leur bonheur, tels que de leur faire manger du menaranä ou Anhinga (Plotus), oiseau palmipède qui excelle à nager contre le courant et qui doit les rendre vigoureux et leur aturer les faveurs du Souverain, de donner la première place dans leur cœur à celui qui, dormant à côté de ses frères et sœurs, msondro- mandrÿ, à la tête le plus haut, ce qui est, disent-ils, la preuve qu'il est le meilleur et le plus capable de tous et que, dans l'intérêt de la famille, c'est lui qu'il faut favoriser, etc.

13° Dérormarions eraniques. Chez les Sakalavä du Nord-Ouest et de l'Ouest”, ainsi que chez les Onjatsÿ de l’Ankaranä (descendants de matelots arabes venus à Madagascar vers le ou le x1° siècle), qui ont une esthétique spéciale et n'aiment pas les têtes bombées par derrière, les masaso lohä comme ils disent, on aplatit le derrière de la tête des nouveau-nés en comprimant l'occiput contre un morceau de bois tendre capitonné avec l’ouate soyeuse du pamba ou Fromager et maintenu par des brides attachées sur le front; dans l’ouest de l’île, au Ménabé, les femmes se servent non plus d’un morceau de bois, mais d'un oreiller [ondanü elanü| rempli de sable, légèrement creux, et, lorsqu'elles bercent leur enfant, elles ont soin de faire reposer sa tête non pas sur

D Voir plus loin. p. 299 et 300-302. Ouv. anc. Madagascar, t. IV, p. 362), l'ont ® Les Vazimbä de l'Ouest, qui avaient aujourd’hui abandonnée. jadis celte même coutume (Darurv, Collect. (3) Voir p. 8, note 1.

37-

292 MADAGASCAR.

le bras ou dans le creux de la main, mais toujours sur les doigts bien tendus : au bout de deux ou trois mois, la boîte cranienne a pris la forme voulue D).

14° Premier RIRE DE L'ENFANT. Âu premier grand éclat de rire de l'enfant [foy hehÿ comme disent les Merinä|, il est d'usage qu'on lui fasse un cadeau qu'ils appellent aussi foy hehÿ : si c'est son père ou sa mère qui l'ont fait rire et qu'ils soient riches, ils lui donnent un esclave, un bœuf ou de l'argent; si c'est un esclave de la famille, cet esclave devient sa propriété; si c’est un étranger, celui-ci d'ordinaire lui fait pré- sent d’une volaille ou de quelque autre objet. Pour les gens pauvres, le cadeau consiste en brèdes, en herbes potagères.

15° Première pevririon. Chez les Merinä, lorsque apparaît la pre- mière dent à la mâchoire inférieure d’un enfant, les parents lui met- tent au cou, dans les familles riches, une chaine d'argent, et dans les familles pauvres, un collier de verroteries, le tanty nifÿ comme ils disent, qui doit faciliter le travail de la dentition.

Quand la première dent de lait [at] tombe, l'enfant la jette par- dessus le toit de la maison de ses parents en disant : «J’échange cette mauvaise dent contre une bonne » .

16° De ra cours pes cheveux, er cure Des Kokô®. La première coupe

0) On trouve à Madagascar de nombreux il en était de même si l'enfant naissait avec individus qui ont le corps ou la face tatoués des dents : jadis on le mettait à mort, ou

par incision, mais ce ne sont pas des Mal- tout au moins on l’abandonnait à qui vou- gaches, qui ne se font pas d’incisions sur lait le prendre. le corps [de fatiträ], ce sont d'anciens es- (1) [1 existe dans quelques comtés d’An- claves africains. gleterre une coutume analogue.

®) Chez les Betsileo, quand les parents 5) Nous avons déjà dit, p. 285 (note 2),

donnaient un bœuf à un de leurs enfants, que, dans l'Inde, la première coupe des che- ils faisaient manger à l'animal une poignée veux donnait lieu à une cérémonie rituelle,

d'herbe étaient mélangés quelqües che- à un rite de bon augure : c'est à l'âge de veux de cet enfant : le bœuf devenait dès 3 ans que les prêtres hindous conféraient lors sa propriété inaliénable. aux enfants le «sacrement de la taille des

6) Nous avons dit plus haut, p. 271;que cheveux» (V. Henry, La Magie dans l'Inde an- dans tout Madagascar, lorsque les dents tique, p. 83). Dans l'Afrique du Nord, on perçaient d’abord à la mächoire supérieure, retrouve celte même cérémonie, qui est c'était un mauvais présage pour les parents; d'origine fort ancienne, etc.

ETHNOGRAPHIE. 293

de cheveux d'un enfant à Madagascar, le fanalam-bolë fanala-maro- mananà, est une cérémonie religieuse, une sorte de sacrement ou d’ac-

tion de grâces, dont les rites différent plus ou moins dans les diverses

peuplades et même dans les divers clans, mais qui est toujours accom-

pagnée d'invocations et de prières à Dieu et aux ancêtres de la famille

et de fêtes auxquelles prennent part tous les parents et amis; tantôt elle

a lieu peu après la naissance Î, tantôt lorsque l'enfant a de 3 à 6 mois ©),

et même, chez quelques peuplades F, lorsqu'il a de 3 à 5 ou 6 ans et plus. Tandis que, chez ces dernières, on ne fait pas de distinction entre

les cheveux de droite ou de gauche, chez les autres, ceux qu’on coupe sur

le côté gauche sont considérés comme /aditrä, c’est-à-dire comme exor-

cisant l'enfant, comme conjurant les maux qui le menacent, et sont soi-

gneusement enterrés ou jetés dans un cours d’eau ou déposés au loin dans

quelque endroit désert, car 1l importe qu'un sorcier ne puisse pas s’en

emparer et composer quelque philtre dans le but de lui nuire; ceux

que l’on coupe sur le côté droit sont au contraire destinés à être offerts

comme soronü à Dieu et aux ancêtres, pour obtenir grâce auprès d'eux,

pour avoir leur faveur, et l'eau mêlée de miel dans laquelle on les plonge

avant de les brüler ou de les jeter est bue par lun ou quelques-uns des

grands-parents de l'enfant (®.

Voici le récit de cette cérémonie telle que la célèbrent les Merinà : cest du troisième au sixième ou septième mois après la naissance qu'ils font le /analam-bolÿ ou la première coupe de cheveux d’un enfant, pourvu, sil n'est pas l’ainé, que les parents n'aient pas perdu l'enfant qui l'a précédé ®). Au jour propice que fixe le mpisikidÿ ou devin, en

(1) Betsimisarakà, etc.

2 Merinà(®), Antiboinä, Tsimihetÿ, etc. (5) Sakalavä de l'Ouest et du Sud-Ouest

et certaines familles Antankaranä, Antanalä,

Betsileo, Barä, Antandroy, Mahafalÿ, etc. 4) La plupart des Malgaches coupent

d'abord la mèche de cheveux de gauche;

chez les Tsimihetÿ, les Antandronä et les Sakalavä du Nord-Ouest, c’est la mèche droite qu’on enlève la première.

(6) IL en est cependant qui consultent à ce sujet le mpisikidÿ, et qui, si la réponse est bonne, coupent les cheveux, mais sans célébrer cette opération par une fête.

® Parce que, dit le Ranaivo (Thèse de médecine, Paris. juillet 1902), «l'enfant entre alors dans la vie commune et que, dès ce moment, il mange les mêmes aliments que les grandes personnes».

294 MADAGASCAR.

présence de toute la famille, la femme qui doit tenir l'enfant sur ses genoux, revêtue d'un lamba de soie, et l’homme velon-dray sy renÿ [ayant son père et sa mêre vivants | qui doit couper les cheveux s’asseoient tous deux au nord du foyer avec l'enfant; on apporte du riz ainsi qu'une bosse de zébu et des songes, le tout bien cuit, et l'on en fait sept parts égales ® qu'on dispose sur un sahafä | van ou plateau concave de bois ?] placé à l'est du foyer.

Alors un homme {sy velon-dray sy renÿ [qui a perdu son père et sa mére | coupe avec de mauvais ciseaux tenus de la main gauche une mèche de cheveux au-dessus de l'oreille gauche ), en disant : «Voici la sonia ratsÿ [la mêche de cheveux mauvaise | qui donnerait des maladies à cet enfant, qui atrerait sur lui des malheurs, je l'enlève », et, l'introduisant dans la tige creuse d’un roseau, il la jette au loin comme faditrä, comme exor- cisme, ainsi que les ciseaux qui ont servi à cette opération". L'homme velon-dray sy renÿ [qui a encore son père et sa mère vivants], vêtu d’un beau lamba de soie, coupe alors avec des ciseaux tenus de la main droite, au-dessus de l'oreille droite, sept pincées ou mèches de cheveux, les sonia soa, les bonnes mèches, en disant : «Je vous offre ces prémisses à vous, mon Dieu, et à vous, nos ancêtres. Donnez à cet enfant une longue vie, qu'il soit fort, qu'il soit heureux, qu'il soit riche, qu'il fasse honneur à sa famille! ®)> et il met une méche de cheveux dans chacune des parts de manger.

On fait avaler à l'enfant une de ces parts, seranin-tenda ny zazü : c'est la premiére fois qu'il mange du riz®), puis on lève le plateau sur lequel sont les autres parts, et aussitôt les filles et les femmes, qui sont assemblées tout autour et qui n’attendent que ce signal, se jettent dessus et courent manger dehors ce qu'elles ont pu attraper, car, tant qu'elles sont dans la maison, on peut leur ravir de force ce qu’elles ont à la main : les filles

0) Quelquefois on en fait quatorze et 0) Dans l'Inde, comme nous l'avons déjà plus. dit p. 285, note 2, le premier éssai d'ali- 2) Van en bois de famelomanà [litt. : bois mentation solide, qui avait lieu au sixième de vie] (Rumer nepalensis). mois, était également un prétexte à un rite 84) Voir à l'Appendice, n°° 76 et 77. de bon augure (V. Hevry. La Magie dans

5%) Voir à l'Appendice, 78 et 79. l'Inde antique, p. 83).

ETHNOGRAPHIE. 295

et les femmes qui ont réussi à prendre et à avaler une de ces bouchées contenant quelques cheveux de la sonia soa sont convaincues qu'elles de- viendront bientôt mères

On achève alors la coupe, et le festin a lieu : la mère et l'enfant sont à la place d'honneur; la mère prend une cuillerée de riz et un petit morceau de viande grasse, qu'elle mâche bien, et en donne à trois reprises à l'enfant, en disant : « Puisses-tu ne jamais manquer de riz ni de viande! Puisses-tu être fort et puissant ! Mon Dieu, et vous tous, Esprits tutélaires qui êtes auprès de Dieu, exaucez mes vœux!»

Tous les convives, au premier rang desquels est la femme qui a « prêté son lait» au nouveau-né les premiers jours après sa naissance ), se mettent alors à manger, et, lorsqu'ils ont fini, ils se rendent à la cam- pagne la mère coupe un bananier portant un régime de fruits et cinq ou sept cannes à sucre |fari-maolà, les cannes folles | qu'elle lie en- semble et qu'elle plante en terre; les esclaves de la famille se les disputent et cherchent à se les arracher les uns aux autres. Il n’est pas rare qu'a l'occasion de cette cérémonie on fasse à l'enfant des cadeaux plus ou moins importants, hasinjazü *).

Quant aux Betsimisarakä, ils procèdent à la cérémonie de la première coupe de cheveux des enfants peu après leur naissance, le jour de leur première sortie, et le chef de famille, en émettant des souhaits pour le bonheur et la longue vie du nouveau-né, dépose ces cheveux dans une calebasse ou dans un bol plein de toakà | de rhum malgache |, que boivent les proches parents, père, mère, oncles et tantes; quant aux cheveux qui restent au fond de la calebasse, la mère les garde dans sa ceinture jus- qu'au jour ils se perdent.

On coupe ensuite les cheveux des enfants de temps en temps, sans aucune cérémonie, jusqu à l’âge de sept à huit ans, époque à laquelle on les laisse pousser.

Les indigènes du Sud et de l'Ouest, à l'exception des Roandrianä anta-

0) Voir à l’Appendice, 80. 6) Notes de voyage d'A. Graxoinier (1869) 2 Viavy nampindrana rononony (voir plus et Manuscrits hova (1870) de la Bibl. Gran-

haut, p. 265). didier, p. 109 et 179-180.

296 MADAGASCAR.

nosÿ!” et des nobles antimoronä qui sont des descendants d'immigrants arabes, ont généralement l'habitude de vouer leurs jeunes enfants, les uns aux Kokÿ ou Bibÿ°), lutins ou farfadets qu'ils regardent comme préposés par Dieu à leur garde, les autres aux Lolë mânes de leurs ancêtres : el pour obtenir que ces sortes d’anges gardiens les protègent, leur conservent une bonne santé, ils ne leur coupent pas les cheveux dans les premiers mois de leur existence comme les Merinä et les Bet- simisarakä, ils les laissent au contraire pousser pendant une année au moins, et souvent pendant deux et même trois ans sans y toucher), sans les peigner, de sorte qu'ils s'emmêlent, se feutrent, formant de grosses mèches sales et graisseuses qu'ils prétendent tressées par ces far- fadets"® ou par les mânes des ancêtres, mèches qui sont «d'autant plus

M) Les Antanosÿ ont bien, eux aussi, le culte des Kokô ou, comme ils disent, des

doit procéder à la coupe, qui n’a lieu que lorsqu'une ou deux des boules graisseuses

Kokolampÿ ®) [des Kokô invisibles] qui sont les dieux ou plutôt les protecteurs des enfants; c'est à eux que les femmes qui veulent avoir des enfants s'adressent, ce sont eux qu'invoquent les mères qui ont des enfants malades, leur apportant comme ex-voto, sous un des arbres qu'ils sont cen- sés habiter, de petits fagots, des perles de verre, elc.; mais ils ne laissent pas pousser les cheveux de leurs enfants comme les peuplades voisines. Les Antambahoakä, qui sont de la même famille que les Roandri- anä antanosŸÿ et qui habitent sur la côte orientale entre Mahelä et Mananjarÿ, ont cependant pris les usages des peuplades indigènes; comme celles-ci, tsy mandran- dranä, is ne tressent pas les cheveux des enfants, ils les laissent s’emméler, et lors- que est venu le jour le chef de famille

(a

se sont détachées d’elles-mêmes, après la libation habituelle de toakä ou de betsa- betsä [de rhum] et les prières sacramen- telles, les cheveux sont gardés dans la mai- son jusqu’au lendemain, et alors seulement, après leur avoir fait toucher la tête de l’en- fant, on les jette.

% Voir dans le volume suivant, au cha- pitre des Divinités secondaires.

8) D'ordinaire dans l'Ouest, à l’âge d’un an ou de deux ans, on rase les cheveux des enfants sur le front, mais sans toucher au sommet ni à l'arrière de la tête.

(Les Malgaches croient que ces farfa- dets ou dieux des enfants sont des nains ayant des cheveux tombant jusqu'aux talons et collés les uns aux autres par de la graisse. Il n’est pas sans intérêt de rapprocher des hokô malgaches le kokù de certaines

! «Les Coucoulampous [ Kokolampy] sont des Esprits ou Démons qui sont d’une nature au-dessous de l’Angélique, invisibles aux hommes, mais corporels, habitant dans les lieux les plus solitaires, se rendant visibles quand il veulent à ceux pour qui ils ont de l’amitié; ils sont mâles et femelles, se marient entre eux, procréent des enfants, meurent au bout d'un long espace de temps, mangent indifféremment de toutes sortes d'animaux et d'insectes sans crainte qu'ils nuisent à leur corps. . .Ils savent la vertu de toutes sortes d'herbes propres à la guérison des maladies, savent les choses futures et en avertissent les hommes et les femmes qu'ils affectionnent. Je crois que ces Coucoulampou sont comme les Lutins qui s'adonnent à servir certaines familles» (Fzacourr, Hist. de Madagascar, 1661, p- 55).

ETHNOGRAPHIE. 297

longues et plus grosses qu'ils en sont plus aimés » : les enfants, tant qu'ils ont cette tignasse malpropre et dépoûtante, {sy randranimä [qu'on ne coiffe pas] comme on les appelle d’une manière générale, portent, chez les uns (, le même nom de hokÿ que la prétendue divinité à laquelle ils sont voués, chez d’autres, celui de talin-drahà | (dont les cheveux sont) tressés par les farfadets|®, de saronan-drahà ou de rangoim-bby [coiffés, tressés par les farfadets | et de randramin-dolÿ ou de r'angoin- dolÿ [tressés par les mânes des ancètres |". Nous indiquerons plus loin, au Livre de la Religion, les cérémonies du culte que rendent aux Kohô et aux Esprits les mères des enfants afin qu'ils leur soient propices et les protègent, et nous ne parlerons ici que de celle de la coupe de cheveux, qui est généralement faite par le père ou par la mére, quelquefois, comme chez les Antisakä, par le chef : on commence par une libation de lait ® ou de toalä [de rhum indigène | sur la tête de l'enfant avec une action de grâces et des prières à Dieu, aux divinités secondaires et aux ancêtres, puis, après avoir enlevé les grosses tresses ou pelotes grais- seuses, on tond tous les cheveux qu'on enterre au pied d'un arbre ou que l'on jette dans un torrent.

Les Antankaranä, quoique n'ayant pas le culte des Koko, laissent souvent cependant les cheveux du sommet de la tête des jeunes enfants

peuplades mélanésiennes de l'Océanie, des Fijiens, par exemple : aux îles Fiji, tant qu'un enfant a le kokô (éruption cutanée qui atteint tout Fijien en bas âge et qui passe pour donner la santé et activer la crois- sance), il est «tabou», formellement inter-

nozand, Ranomenä, Antanalä, Sahafatranà, Antambahoakä, Zafisoronä, Antifasinä et Antisakä, toutes peuplades de l'Est. Les Bezanozanô ne coupaient pas les cheveux de leurs enfants, ils laissaient les tresses tomber d’elles-mêmes.

dit de lui couper les cheveux, quelles que soient leur longueur et leur saleté (R. P.

IT,“ 6°-fasc.

Emm. Roucrer, Anthropos, t. 1907, p- 996).

1) Sakalavä, Vazimbä du Ménabé, Ma- hafalÿ et Antandroy.

2) Barä.

3) Betsimisarakä du Sud (Vorimo), Beza-

(1) Betsileo.

(5) Betsimisarakä du Sud (Vorimô) (), Zañsoronä et Antifasinä, Antisakà (qui met- tent en outre sur le sommet de la tête de l'enfant un peu du sang de la victime qu’ils immolent à cette occasion en remerciement de la protection qu'ils lui ont accordée).

(6) Antanalä et Ranomenà.

6) J1 y en a qui joignent une libation de toakà à la libation de lait et d’autres qui, comme les Bezanozanÿ , laissent les boules graisseuses se détacher d’elles-mêmes et qui ne font alors ni prières, ni libations.

ETINOGRAPHIE.

38

IMPRIMENIE NATIONALE.

298 MADAGASCAR.

s'emméler jusqu'au moment on les leur coupe (/. Quant aux Sakalavä du Nord-Ouest ou Antiboinä et aux Antandronä ?, ainsi qu'aux Tsimi- hetÿ®), ils coupent les cheveux des enfants, comme nous l'avons dit plus haut”, quelques mois après leur naissance.

Chez les Betsileo, c'est le Hovä ou chef qui préside à la cérémonie de la coupe des cheveux des enfants des zanakandrianä ou nobles et des olompotsÿ libres; ayant un bœuf étendu à ses pieds, dont la tête est tournée vers l'Est, il met sur lui un peu de poudre du bois de l'hazoma- niträ ou poteau sacré de la famille qu'il a préalablement râpé, puis, s’a- dressant aux lolÿ, à ses ancêtres, il les prévient que l'enfant randranin-dolÿ [ dont ils ont tressé les cheveux] est maintenant d'âge à ce qu'on les lui coupe et 1l les remercie de lavoir protégé dans le passé et les prie de lui continuer leurs bons offices dans l'avenir; pendant cette invocation, le père et la mère, aussi tournés vers l'Est et tenant des deux mains une pièce de cinq francs qu'ils élèvent vers le ciel, répétent la même prière. Le Hovü sacrifie alors le bœuf, et ensuite coupe les cheveux. Pour les esclaves, c'était leur maître qui faisait la cérémonie.

Les descendants d'immigrants arabes qui habitent les bords du Mati- tananä et du Faraonÿ, ne font pas pour couper les cheveux de leurs en- fants les mêmes cérémonies que les peuplades indigènes; ils leur rasent la tête plus moins complètement au jour que fixe le mpanandr, l’astrologue © : leurs enfants tantôt portent une tonsure à l'arrière de la tête jusqu'à ce qu'ils se marient ou, du moins, tant qu'ils sont sous la tutelle de leur parents, et tantôt ont sur le haut de la tête une bande de cheveux, large d’un doigt, qui va d'une oreille à l’autre, sorte de cimier transversal.

17° Des Noms Donxés aux Enranrs. Les Malgaches n'ayant pas, comme nous l'avons dit, de noms de famille, ceux par lesquels on les

(3) Voir à l’Appendice, n°° 81-83.

(4) Voir p. 293.

6) Suivant qu'on coupe les cheveux à l'un des trois vintanà | destin | du feu (AlahamadY. Alahasatÿ ou AlakaosŸÿ), des trois vintanà de la terre (Adaord, Asombolä et Adijadÿ).

des trois vintanä du vent (Adizaozàä, Adi- mizanä et Adalô) ou des trois vintant de l'eau (Asorotanÿ, Alakarabô et Alohotsÿ), on les brûle, on les enterre ou bien on les jette soit au vent, soit à l’eau. Voir à l'Appendice, 84.

ETHNOGRAPHIE. 299

désigne sont des noms individuels, qu'ils sont libres de changer quand celui qu'ils portent ne leur convient plus, faculté dont ils n’usent que pour des raisons d'ordre sentimental ou religieux; il ny a pas d'époque déterminée à ce sujet : pendant les premières années, on se contente sou- vent de les appeler des noms génériques Kotÿ ou Botÿ | petit garçon |, Ketakà Kalë, Kalà | petite file], que du reste ils gardent quelque- fois toute leur vie en le faisant précéder de la particule Ra et en V ajoutant souvent une épithète caractéristique, telle que menü «rouge», mavô «clair», soa «bon», ete. ou on les désigne sous un nom d'animal tel que Amboa| chien |, Lambÿ | cochon |, etc., jusqu’à l'âge de 7 ou 8 ans), âge auquel leurs parents leur donnent leur vrai nom, sacrifiant au jour propice, suivant leurs moyens, un bœuf, un bélier ou un coq rouge et adressant à Dieu une prière pour lui annoncer que leur enfant change de nom et lui demander que ce nouveau nom lui donne bonheur et longue vie ®. Comme beaucoup de ces noms sont très répandus, il est souvent difficile de démêler de qui l'on parle; il y a en effet d'innombrables Rasoa [Le bon garçon], Rafarä [La dernière venue], Raïvë ou Ranaivô [Le cadet], Rakotÿ | Le garcon |, Ranord | La bienheureuse |, Razafÿ [Le des- cendant|, ÆRavelÿ [Le vivant], Rainisoa [Le père du bon enfant|, Rai- nikotü | Le père du garçon], Andriamard | Le maitre de beaucoup], ete. ce qui amène de la confusion : on obvie, dans une certaine mesure, à cet inconvénient en mentionnant à la suite le nom du père, du mari,

%) Chez les Sakalavä, les petits enfants s'appellent généralement tsaikÿ, naikÿ et surtout kaikÿ, qui est le même nom que celui dont se servent les habitants des iles Sandwich (Grande Encyclopédie, p. 1156). Les Antifiherenanä disent d'ordinaire Azä [pour Zazä] et Liakà.

® L'ainé des garçons s'appelle andria- matoa, le cadet andrianaivo ou rnaiwô, Île dernier rafaralahÿ, Yaïnée des filles rama- loa, la cadette raivô, la dernière rafara- vavÿ. On donne aussi, chez les Merinä, le nom de fara ainà [litt. : le dernier effort,

la dernière vie donnée] au dernier enfant d'une femme, et celui de aizanä à un enfant dont la mère redevient enceinte. Miolo-nond [litt. : qui têtent le même sein |, ce sont les frères et sœurs de lait.

5) Non pas, comme le dit l'abbé Nac- quart, en 1650, parce que «jusqu'à cet âge les Malgaches tiennent plus de la bête que de l'homme», mais par suile d’une idée superstilieuse dont nous parlerons plus loin, p. 301-302.

(Voir à lAppendice, 85, la prière qu'on prononce lors de cette cérémonie.

38.

300 MADAGASCAR.

du frère, d’un enfant, du village natal, etc., ou la profession, le rang. Ces noms, qui sont précédés chez beaucoup de peuplades, au moins ceux des personnes d'un certain rang, des préfixes Z, Ra ou Andrianü !), ces deux derniers plus respectueux, plus honorifiques”, ont toujours un sens, une signification en rapport soit avec le physique de la personne © ou avec le milieu dans lequel elle vit, soit avec les circonstances de sa naissancel* ou de son existence, soit avec les prédictions faites par l'ombiasÿ ou l’astrologue à sa naissance; ils sont souvent d'une longueur extraordinaire, compre- nant quelquefois cinq ou six radicaux et comptant 30 lettres et plus : Andriantsimatoviaminandriandelibé, le nom du roi de la dynastie merinä (1680-1695), veut dire «Le Seigneur qui ne ressemble pas au grand Seigneur mâle»; l'épouse principale de Radamä [*, Rabodon Andrianam- poinimerimä, est «La petite-fille du Seigneur qui est le bien-aimé de lImermä», et les diverses reines Ranavalonä sont «Celles qui ont été pliées, serrées [navalonü| (jusqu'à ce qu'on les ait tirées de leur fourreau pour en faire des reines)»; la reine Rasoherma est «La chrysalide [sohermä| (qui de chenille devient papillon)»; le premier ministre de Ranavalonä 1°, Aavoninahitranionÿ, est « La fleur de l'herbe du fleuve»; le prince falahirÿ est + Une chose précieuse qu'on garde avec soin», un «trésor », ete.)

Lorsque des parents ont perdu un ou plusieurs de leurs enfants, ils

danä, Aandriamparanÿ, M. Farä, et Rafarà, Mr Fara, etc.

H) Chez les Tanalä, il ny a que les chefs qui font précéder leurs noms de ces

prélixes. Les Sakalavä ne mettent jamais ni Ba, ni Andrianä devant les noms des per- sonnes vivantes; Andrianä précède toujours le fitahianä [litt. : qui est comblé des béné- dictions (de Dieu)] nom posthume de leurs rois, auxquels il est réservé.

® Voir dans le volume précédent, p. 136 (note 5), 191 (notule a) et 644 (no- tule 164). En Imerinä, le préfixe Ra s'applique aux noms des deux sexes, tandis que celui d’Andrianä est réservé aux noms des hommes : ainsi l'on dit Randriamia- danä, M. Miadanä, et Ramiadanàä , M"° Mia-

() Par exemple, Ralesokä [M'° au nez camard], Aapatsä [| Mi: Crevette (qui est mignonne)], AÆabakô [M' qui a un joli corps |, silakä | M" (qui est mince comme un) éclat de pierre], ete.

() Par exemple, {lalanä [qui est sur la grand'route], Bevalalä [né au moment du passage d’une nuée de sauterelles |, Belo- hataonä [né au printemps], lefaträ [le qua- trième enfant |, etc.

5) Voir à l'Appendice, 86, les noms donnés par les astrologues aux enfants me- rinä suivant leur vintanä, leur destin.

ETHNOGRAPHIE. 301

ont coutume de donner à ceux qu'ils ont ensuite, au moins pendant leurs premières années, un nom d'animal ou un nom ienominieux , malsonnant, dans le but de conjurer le sort qui a été néfaste à leur ainé, d'en éloi- gner les méchants Esprits, car 1ls croient que les méchants Esprits laisse- ront tranquille un enfant pour lequel ses parents n’ont aucune estime ni aucune considération puisqu'ils lui donnent un vilain nom : ainsi il en est qu'on appelle Rabibÿ [M. Bête], Ramboamboä | M. le Petit Chien], Ramambä | M. Crocodile |, Ravoalavi [M. Rat}, Rakisoakisoa [M. le Petit Cochon], Ratotozÿ [M"° Souris], ete., ou bien Ravoantay [M"° Bousier |, Balokalokä | M": Auge à porés], Ratavÿ [M. Boîte aux ordures], Raÿi- ringà | M. Tas de décombres|, Rabezezikä [M. Tas de fumier], Rabetay [M. Beaucoup d'excréments], Rafoanü [M. Personne], Ratsiratsÿ [M. le Vilain|, ete.

Dans une famille 11 n°y a que des garçons, si l'un d'eux vient à mourir, on donne au premier enfant qui naît après ce malheur, s'il est du sexe mas- culin, le nom bizarre de Ketadahyÿ | ht. : Petite fille mâle |; s'il n’y a au con- traire que des filles, la nouvelle venue prendra le nom de Lahy amboa hetakä [htt. : Chien fille]. Quelquefois même, des parents craintifs, dans le but

% Le Rév. L. Vig raconte qu'un Mal- gacbe luthérien qui avait perdu son premier enfant en ayant un second auquel il donna naturellement un nom chrétien, ses amis païens qui vinrent, suivant l'usage, le féli- citer de cet heureux événement se gardè-

rent d'appeler le nouveau-né de ce nom chrétien, mais lui demandèrent : Manao ahoana Ramboa? [Comment va le Chien? (Nordisk Missionstidsskrift, juin 1903, et Bull. Missions luthériennes à Madagascar, 15 nov.

1903, p. 264) (1).

® Il en est de même en Annam où, dit M. Charles Prêtre, «l'enfant est un trésor que les Démons con- voitent; il faut donc en détourner leur attention, les tromper. Aussi ne le glorifie-t-on pas dans les paroles qu'on lui adresse; tous, plus ou moins, nous avons été appelés par nos nourrices «mon bijou», «mon trésor»; l'en- fant annamite, au contraire, est toujours désigné par une appellation méprisante afin d’en dégoûter les Démons» (La femme et l'enfant au pays d’Annam, L’Asie française, mai 1919, p. 173). «Les «ma» ou mânes en peine, Esprits malins, sont la (erreur des parents annamites, qui, de peur qu'ils ne se saisissent des enfants en bas âge, donnent à ceux-ci des noms bizarres : «chi», le pou; «cày», le chien; «det», l’avorton; «xin», le mendiant, etc., afin de tromper le «ma», qui, s'il entendait appeler l'enfant d’un beau nom : +xuan», le printemps ; «täo», l'aurore; «hoa», la concorde, etc. (noms qu'ils portent dans la suite), aurait son attention attirée sur lui et pourrait, séduit par ses grâces, s’en saisir, c’est-à-dire le rendre malade et le faire mourir» (R. P. Cadière, Philosophie populaire annamite, L’Anthropos, t. IT, fasc., 1907, p. 964-965).

Il est à remarquer que «cet usage d'employer des mots grossiers, injurieux, comme un moyen de capter la fortune ou comme un prophylactique du mauvais œil», existait chez les Grecs (Frazer, Pausanas’s Description of Greece), etc. Dans l'Inde, «où la collation du nom a lieu au 10° ou 12° jour, on donne à l'enfant deux noms, dont l’un reste secret, connu des parents seuls : ainsi, les sorciers malintentionnés ne pourront diriger contre lui aucune imprécation efficace, car. connaître le nom de quelqu'un, c'est avoir prise sur lui»

(V. Hexer, La Magie dans l'Inde antique, p. 82). :

302 MADAGASCAR.

de dépister les Esprits malins, se plaisent à appeler leur enfant, sil est chétif, rachitique, Rasalamä, le Bienheureux, le Fort, et au contraire, s'il est vigoureux, bien portant, Rantimatimü, le Vila | hitt. : qui a la tête d'une maque (d'un singe) |, ou de tout autre qualificatif du même genre, et non pas Aanurijariyà, le Beau, l'Élégant. car, dans leur idée, par une sorte d'homéopathie morale, le mal chasse le mal. Du reste, le nom des enfants devant toujours être double sous peine de laisser la porte ouverte aux sortilèges, car ce qui est double est plus fort, on ne dira pas seulement Ramboa [le Chien |, mais Ramboalahÿj [le Chien mâle |.

Les noms des gens du peuple sont souvent bizarres; on trouve des Ratsimatorÿ | M. qui ne dort pas], des Ratsimilazavaträ [M. qui n’a be- soin de rien |, ete., et le Rév. Stribling raconte que, appelant un de ses porteurs dont le nom était Ratsimangetahetà | M. qui n’a Jamais soif], il reçut la réponse que ce porteur n'était pas la, ayant été boire), Sur les côtes Est et Sud-Est et quelquefois dans le Centre, il y a des Malgaches qui prennent des noms bibliques ©; celui d'/sakä (Isaac) est et surtout

(M) Antananarivo Annual, 1890, p. 213. grandes pluies |, {lahy vorÿ [le Boulot], etc. Chez les Antandroy, le premier nom Si les Antandroy s’en tiennent d'ordinaire à est donné par l’astrologue d’après l'état des ce second nom, les Antanalà (*), lorsqu'ils astres au moment de la naissance : /maka, sont adultes, s'en choisissent un autre à Hahy, Imiha, Idamy, Isambo, 1soja laly, signification prétentieuse, tel que Tsimivonÿ

noms bibliques ou musulmans que les pa- [Celui qui ne se cache pas], /mahavaträ rents chanyent lorsque l'enfant commence | Celui qui est infatigable |, /sarobonoy | Qui à marcher; ce nouveau nom rappelle d'or- est difhicile à tuer |, etc. Mais lorsqu'il sur-

dinaire, suivant l'usage malgache, quelque vient quelque maladie ou quelque malheur, circonstance ayant accompagné la naissance le sorcier, qu'ils ne manquent jamais de con- de l'enfant ou encore quelque caractéris- sulter dans ce cas, leur impose parfois des tique physique, telles que /nofindrazanä noms moins sonores, à signification mysti- [Qu'un songe a annoncé à sa grand'mère], que, tels que Zvombelà [VAmulette vivante |, Rahaliotsä [le Coucou coureur (oiseau dont Ramamÿ [le Doux], etc. Il en est auxquels sa mère a eu envie pendant sa grossesse)], on donne des noms peu flaiteurs au grand Ramandriakä {[(Qui est né) pendant les chagrin de ceux qu'ils stigmatisent [ Voaitint ,

() Les Antanalä d'Ikongô donnent aux nouveau-nés les noms de Idama, Isoza, Imosa, Isambo, Ihasa, Tbobä, Imonja, Imoha, Tjo, Iharo, Imara ou labila, si ce sont des garcons, et ceux de Jhaova, Isiza, Imasy, Isana, ltema, lvola, Imÿa, Imoma, Imaho, Ivaha, Ikajy ou Inoro, si ce sont des filles, l’un de ces noms étant respectivement attribué à l'enfant selon qu'il naît le 1°, ou jour du mois lunaire, le ou 5°, le ou 7°, le 8°, ou 10°, le 11° ou 12°, le 13° ou 14°, le 15°, 16° ou 17°, le 18° ou 19°, le 20° ou 31°, le 22°, 23° ou 24°, le 25° ou 26°, ou le 27° ou 28° (Cap. Anar pu Pic, Bull. Acad. Malg., 1912, p. 264-265.).

ETHNOGRAPHIE. 303

autrefois était commun chez les Belsimisarakä, et l'une des femmes de Tamsimalô, en 1751, s'appelait Rachel (De Valgny). Le R. P. Nacquart a constaté qu'il y avait dans le Sud-Est, en 1650, des individus portant les noms de Aalÿ (Elie), de Ramosä (Moïse) et d’autres prophètes Juifs, ainsi que de Rahovü (Eve), de Ramaria (Marie), ete. Radamä (Adam) est un nom qui se retrouve dans l'Imerinä ainsi que dans le Sud-Est”. Les Malgaches, comme jadis les Juifs, attachaient une telle impor- tance à être pères ou mères de famille, que, dans certaines castes au moins, ce n'était pas, comme chez nous, les enfants qui portaient le nom de leur père, mais les pères et les mères qui prenaient celui d’un de leurs enfants, l'anaran-jazü, le plus souvent de l’ainé, ou, s'ils n'en avaient pas et qu'ils en adoptaient un, de cet enfant adoptif, changeant leur nom en celui de «père ou mère d’un tel ou d'une telle», surnom honorifique qui leur faisait perdre leur nom primitif, le tena-anaranà donné par leur père et leur mère : Rakotô et Rasalamä ont-ils un fils nommé par exemple Mavë, ls s'appellent désormais Aammavd et Renimavd ; ont-ils une fille nommée Ketakä, is s'appellent Ramketakä et Remketalä ©). Cet usage, qui est général en Imerinä dans la caste des « Hovä» ou libres, mais non dans celle des « Andrianä » ou nobles!" existe aussi chez les Betsimisarakä

le Sale, Rabohü , le Fier, etc.] (Gap. Vacuer, Fev. Mad., févr. 1904, p.107-109).— «Les AntanosŸ, dit le Rév. Tou, ont douze noms sacrés pour les garçons et pour les filles, que l'on donne en considération de la date de leur naissance. Les noms masculins sont incontestablement des noms bibliques : Idamy, Imosa, Imara, Imaka (Bull. nussions luthér. de Madagascar, 1900, p. 15).

‘1 Voir à l'Appendice, 87.

2 Cet usage de prendre le nom de son fils existe aussi chez les Arabes et chez les Javans, ainsi que chez les Masaï (Merker, 1904, p. 59), chezles Wabamba (Bull. Soc. Géogr. Bel, 1908, p. 186-190), etc. (”).

(5) Le premier ministre de la reine Ra- navalonä l*, qui appartenait à la caste des Hovä, ayant eu un fils Hard, s’est depuis appelé Rainihard [le père de Hard], et ce eHarô», ayant eu un fils VoninahitranionŸ, s’est depuis appelé Rainivoninahitranion , [le père de Voninahitranionÿ]. Le pre- mier ministre qui gouvernait Madagascar lorsque nous en avons pris possession , et qui était le frère du précédent, s'appelait, comme l’on sait, Rainilaiarivonÿ, le père de LaiarivonŸ.

(4) Les Andrianä de lImerinä ne pren- nent jamais le nom de leur enfant, sauf quelquefois ceux de la ou dernière classe.

©) On peut dire, d’une manière générale, que, dans les sociétés primilives, la situation morale et sociale d’un homme augmentant par la naissance d’un enfant, il changeait souvent son nom en +Père-d'un-tel» (Crawzer, The mystic Rose, p. 428-435; Wevsrer, Primitive Societies, New York, 1907, p. 90, ete.).

304 MADAGASCAR.

Ranomenä, chefs et libres", et plus ou moins chez d'autres peuplades

maloaches : chez les nn , chez les Bezanozand (®), chez les Siha-

nakä () , chez les Barä ), chez Léo Betsileo (9, chez les Antanosÿ et chez les Anfiboïna | ge

Depuis la diffusion du christianisme dans le Centre, beaucoup de noms de saints ou de noms tirés des Écritures se sont naturalisés : Rajonü (de Jonas) et ajaonimä (de John ou de Jean), Rasamoelä (de Samuel), liadamelà (de Daniel), Rajosefà (de Joseph}, ete. Il en est qui font pré- céder leur nom malgache du nom du saint sous lequel ils ont été bap- usés : Jean Rainisoa, Joseph Andrianaivoravelonä, ete. H y en a même qui prennent le nom d’un des Européens qu'ils ont eu l’occasion de fréquen- ter; nous avons connu un Aah/foredÿ, un Rajaonisaonmü, un Raobimsao- noms dérivant d'Alfred, de Johnson et de Robinson. En certaines provinces de Madagascar ou plutôt dans certaines fa-

ninü, ete.,

milles, il est fadÿ, interdit, de prononcer son propre nom sous peine d'encourir de grands malheurs : le Rev. Grainge raconte que, causant avec un vieux Sakalavä du Nord-Ouest et lui ayant demandé son nom, celui-ci l'invita à le demander à lun de ses esclaves. Du reste, le nom des chefs ne doit pas être prononcé à la légère et les Européens qui prononcaient couramment le nom du souverain dans les banquets offerts par les Merinä étaient respectueusement, mais vite rappelés aux convenances malgaches.

Les mots qui entrent dans la composition du nom d’un Malgache sont

! Notes de voyage d'A. Grandidier, 1869.

? À, Grandidier, 1869.

6) En 1785, au deuxième passage de Mayeur chez les Bezanozand, le chef de Fia- sinä s'appelait Rainimar.

(1) Le vieux chef de Mahakarÿ, Fihan- droa, élait quelquefois appelé, en 1869, Rainisoa.

(5) Le lieutenant du roi barä Ratsitoharä s'appelait Rainivindä, et le chef des Ian- tsantsä (d'Ivohibé, au sud d'’Ambohiman- drosd) était un nommé Rainibahä.

5) Chez les Betsileo, les chefs comme les libres changent de nom lorsqu'ils ont un

enfant (A. Grandidier, 186Q). Le roi Rama- roarivè, qui régnait ayant la conquête me- rinà, a pris le nom de RainidRatsarä lors- qu'il a eu une fille Ratsarä.

7 Chez les Antanosÿ, on dit Taban... au lieu de Raini..., IabandRakazä au lieu de RainidRakazä.

(5) M. Bénévent dit que, dans le nord- ouest de Madagascar, dans le Boinä, «lors- qu'un enfant reçoit un nom, ce nom de- vient, précédé de Rai- ou Reni-, celui du père ou de la mère» (Étude sur le Boinä, Notes, Reconnaissances et Explorations , 1897;

sem., p. A9).

ETHNOGRAPHIE. 305

taboués après sa mort et, comme nous l'avons dit dans le volume pré- cédent (note p. 7), sont remplacés par des mots forgés pour l’occasion. 18° De LA PUISSANCE PATERNELLE À MaDaGascar. SITUATION RESPECTIVE DES ENFANTS LÉGITIMES ET NATURELS. À Madagascar, la puissance paternelle est à peu près absolue. En effet, les enfants appartiennent, pour ainsi dire, corps et âme au père quem nupliæ demonstrant, comme disent les jurisconsultes, à celui qui a accompli les formalités du mariage confor- mément à la coutume malgache; néanmoins, en cas de divorce, cas fréquent et qui d'ordinaire n’engendre aucune animosité ni rancune entre les anciens époux, les pères laissent les tout Jeunes enfants à la garde de leur mére et les autres libres de choisir celui de leurs parents avec qui ils préfèrent rester. Ceux-ci sont toutefois, d’après la coutume malgache, si bien la propriété du mari seul, qu'il peut non seulement les enlever à leur mère quand il veut et les garder près de lui, mais même les donner à une parente quelconque qui les adopte et à qui ils appar- üennent dorénavant. Le droit du père allait non pas Jusqu'à vendre ses enfants comme esclaves, au moins sans une absolue nécessité ®), car l'ar- sent provenant de cette vente eût été maudit et eût attiré sur lui et sa famille toutes sortes de malheurs, mais jusqu’à les donner en garantie)

9 Tant le que père et la mère sont vi- vants, leurs enfants, eussent-1ls des cheveux blancs, sont appelés ankizÿ, du même nom que les jeunes enfants, ankizy madinikä, et les adolescents, ankizy efa lehibé.

2) Aïnsi, par exemple, il y avait des Ma- hafalÿ qui, pendant les années de grande disette, si fréquentes et si terribles dans le sud-ouest de Madagascar, vendaient leurs enfants pour se procurer des vivres, et, chez les Merinä, les parents étaient auto- risés à se débarrasser de ceux qui étaient désobéissants et irrespectueux (nanohi-dray aman-dreny) : + Les enfants qui ne suivront pas les conseils de leurs père et mère et qui répondront par de mauvais procédés aux soins et bienfaits qu'ils en ont reçus seront vendus comme esclaves, et le prix

ETHNOGRAPHIE.,

de la vente sera partagé entre le Souve- rain et les parents. Jamais je n’admet- trai que les enfants que vous avez nourris, auxquels vous vous êtes dévoués et au profit de qui vous avez amassé des biens pour assurer leur bonheur futur, vous payent d'ingralitude, vous méprisent ou se refusent à écouler vos sages conseils. De tels enfants sont indignes d'égards, débarrassez-vous- en, vendez-les comme esclaves» (Ordon- nance d'Andrianampoinimerinä de la fin du xvin° siècle, Institutions politiques et so- ciales de Madagascar, par G. Joux, t. Ï, p. 204-305).

(5) Manankin’olonä manankim-bola n°o- lonä, disent les Merinä. En même temps que ses enfants, on donnait comme cau- üon ses femmes et ses esclaves.

39

IMPRIMERIE NATIONALE.

306 MADAGASCAR.

d’un emprunt ou, en cas de détresse, à s'engager avec eux et ses femmes chez une personne riche pour lui rendre les services d'esclaves pendant un certain temps en échange de la nourriture et d’une somme d'argent gagée sur leurs personnes, somme qu'il devait rendre à un Jour fixé sous peme de devenir définitivement, lui et les siens, esclaves de S ‘éancier). Ajoutons Il fants, tant qu'ils n'étaient "LÉ son créancier". Ajoutons que les enfants, tant qu'ils n'étaient pas mariés et vivaient avec leurs parents, étaient solidairement responsables de leurs crimes ® et, comme tels, passibles d’être réduits à l'esclavage ). Enfin le père merimä avait le droit de manary zazü, de renier un enfant, de le chasser et de le déshériter.

Ce que nous venons de dire s’appliquait aux seuls enfants légitimes et adoptfs, car les enfants nés hors inariagel” n'appartenaient pas au 4 . , . 1 \ \ 4 . Le père, mais, sauf convention spéciale, à la mère et à sa famille. Or étaient enfants légitimes du mari, suivant le droit malgache, à moins qu'il ne (5

les désavouât, lous les enfants d’une femme mariée ) nés depuis la célé-

bration du mariage jusqu'à ce que, légalement répudiée ou divorcée, elle

(1) Les derniers souverains merinà ont interdit ces sortes d'engagements.

®) Chez les Sakalavä, lorsque l'un de nons se trouvait sur la côte ouest de 1866 à 1870, les enfants d’un homme qui avait volé un bœuf, ainsi que ceux des gens en ayant mangé même sans savoir qu'il avait élé volé, étaient passibles, si le vol ne se découvrait qu'après la mort de leurs parents, d'être vendus comme esclaves s'ils ne pou- vaient en payer la valeur.

(5) Aussi les fiançailles d'enfants en bas âge élaient-elles fréquentes en Imerinä afin de protéger la personne et les biens des mineurs contre une condamnation, tou- jours à craindre, frappant les biens et la personne du père ainsi que ceux de ses femmes et de ses descendants. Des enfants fiancés et dotés étaient, de ce fait, éman- cipés, quel que füt leur âge, et formaient une famille nouvelle que n’atteignaient plus les peines prononcées contre leurs parents.

(4) Zana-dranitrà, zakna aminambint, etc.

5) Excepté dans certains cas spéciaux : chez les Merinä, par exemple, quand des parents donnaient leur consentement au mariage de leur fille, ils avaient le droit et ils en usaient fréquemment de spécifier dans le contrat qu'ils faisaient avec leur gendre que le premier ou les deux premiers nés n’appartiendraient pas à leur père, mais à leurs grands-parents ma- ternels : on les appelait zaza ampimihirà [litt. : enfants qui se suffisent pour s’'amu- ser], même lorsqu'il n'y en avait qu'un; quelquefois le père se relusait à les livrer, et les grands-parents les réclamaient par la voie juridique, nanara-jazä comme ils di- saient. Chez les Merinä, les Sakalavä et d’autres, un mari qui répudiait sa femme, nisaobadÿÿ, nanito valÿ, pouvait poser la con- dilion que le premier ou les deux premiers enfants qu'elle aurait dans l'avenir lui ap- partiendraient.

ETHNOGRAPHIE. 307

eût l'autorisation de se remarier, non seulement lorsqu'il l'avait épousée enceinte des œuvres d'autrui, ce qui était fréquent), et naturellement pendant qu'elle faisait ménage commun avec lui, mais aussi lorsqu'elle fasait ménage à part, peu importait le temps écoulé depuis la sépara- ton effective : c'est ainsi que les douze enfants de Rasoaray, sœur des premiers ministres Rainivoninahitrinionÿ et Rainilaiarivonÿ, quoique aban- donnée par son mari Rainimaharavô peu de temps après son mariage, n'en furent pas moins les enfants lépitimes de Rainimaharavô °). Les en- fants d’une veuve à qui la famille du défunt n'avait pas donné l'autori- sation de se remarier étaient toujours considérés comme enfants du défunt, quel que fût le temps écoulé depuis la mort du mari, et apparte- naient à la famille paternelle ®; ces enfants, qui étaient en réalité adul- térins, étaient traités tout comme les enfants vraiment légitimes.

Au point de vue de la caste, la généalogie s’établissait presque toujours par les femmes : ainsi, en Imerinä, l'enfant d’une hovä, d’une libre, ma- riée à un andrianä, à un noble, ou d’une noble des castes inférieures avec un noble des castes supérieures, suivait la condition de sa mére. Les enfants des reines et des princesses faisaient toujours partie de la

‘D A moins toutefois que les parents d'une fille ou d'une veuve enceinte qui était demandée en mariage ne missent comme clause à leur consentement que cet enfant leur appartiendrait, mananton-jazä, comme ils disent; mais, quand le mariage avait eu lieu sans restriction, que l’on sût ou que l’on ne sût pas à ce moment que la femme était enceinte, l'enfant à venir appartenait sans conteste au mari.

® Mais il est juste de dire que, dans cette circonstance, cette paternité, quoique parfaitement légale, n'était pas tout à fait volontaire et était imposée par la reine Ra- soherinà.

) Du reste, les Malgaches croyaient que, dans certaines circonstances, un mari dé- funt venait faire une visite nocturne à sa veuve. Chez les Betsileo, si une femme

accouchait peu de temps après avoir été di- vorcée et n'était pas remariée, son ex-mari avait le droit de réclamer l'enfant comme sien en faisant une visite à la mère le jour méme de la naissance el en lui donnant une volaille ou quelque autre petit cadeau.

(1) «Karavatd, qui a été mon serviteur dévoué pendant mes voyages à Madagascar, avait épousé une antandonakä, c'est-à-dire une esclave du roi antanosÿ Razomanerÿ, dont il a eu un fils, esclave comme sa mère, et de laquelle, suivant le droit coutu- mier malgache, 11 suivait la condition. Il a le racheter moyennant sept bœufs donnés au roi, et il en a tué un huitième sur la place publique pour annoncer au peuple que son enfant était désormais libre» (Notes de voyage manuscrites de À. GranDipter,

1868). 39.

308 MADAGASCAR.

famille royale, quels que fussent leurs pères"), tandis que les enfants que les rois et les princes avaient avec des femmes d’une condition infé- rieure ne pouvaient prétendre à une situation supérieure à celle de leurs mères ©).

Étant donnée l'organisation de la famille à Madagascar telle que nous l'avons indiquée, il n'y a pas lieu de s'étonner que le droit coutumier malgache n'établisse pas de différences entre les enfants légitimes et les enfants naturels, entre les tena zanaka murimü anak’aminy valy henÿ, les enfants issus d'un mariage régulier, et les zazasarÿ ou zanadra- niträ comme disent les Merinä, les anak'amont anak'amain-tsy henÿ comme disent les Sakalavä, c'est-à-dire les enfants nés hors mariage : ceux-ci étaient toujours les bienvenus dans leur famille maternelle et ils héritaient de leurs auteurs tout comme leurs frères et sœurs légi- times, sauf dans une certaine mesure chez les Merinä depuis Andria- nampoinimerinä, lequel a ordonné, au commencement du xx° siècle, que les enfants 1llépitimes, non régulièrement adoptés, n'auraient pas droit à l'héritage de leurs parents. Du reste, chez toutes les peuplades malgaches Ÿ, un enfant hors mariage était d'ordinaire adopté par son grand-père maternel, de sorte qu'il était tout à la fois fils et frère ou fille et sœur de sa mère. Quant aux enfants nés d'esclaves concubines de leur maitre, aux zana-tsindrifé, suivant l'expression des Merinä, ou anal” amin- tsindranÿ comme on dit dans les provinces des côtes, ils n'avaient pas le droit de participer à l'héritage de leur père, et ne pouvaient pré-

(0) On sait que Radamä [* est mort le 27 juillet 1898, laissant le trône à sa femme Ranavalonä 1°, et que leur fils (!) Radamä [Il est un an après. à la fin de 1929. Chez les Merinä comme chez les Juifs (loi lévitique), lorsqu'un frère aîné mourait sans enfants, son cadet devait épou-

ser sa veuve, et les enfants nés de ce ma- riage étaient réputés enfants du mort.

®) Chez les Antanalà, cependant, dit-on , l'enfant qu'une princesse avait eu avec un libre suivait la condition de son père.

(5) Cependant il a été dit à l'un de nous, lorsqu'il voyageait dans le pays mahafalÿ, que les femmes de ce pays faisaient exceplion sous ce rapport, que, lorsqu'elles avaient un enfant sans être mariées, elles n'étaient pas autorisées à l’élever et que, si le père ne le reconnaissait pas, il était abandonné à qui voulait faire le soront, l’adopter.

(4) Andrianampoinimerinä a même dé- crété qu'ils seraient vendus comme esclaves, s'ils tentaient frauduleusement de s’en faire adjuger une part.

ETHNOGRAPHIE. 309

tendre qu'à ce qui leur était donné ou lépué nommément par leur père.

19° De L'anoprion. Au même rang que les enfants légitimes ve- naient, dans la fanulle maloache, les enfants adoptifs, car, à Madapas- car, l'adoption confère les mêmes droits et les mêmes prérogatives et, d'autre part, comporte les mêmes obligations morales et matérielles que la parenté naturelle); toutelois elle n’était pas valable quand elle était faite, suivant l'expression malgache, an-doharianä [litt. : en haut de la cascade (au moment l'on va tomber dans le gouffre) |, c’est-à-dire dans la quinzaine qui précédait la mort de l’adoptant, car «il ne faut pas que des manœuvres de la dernière heure entreprises par des gens sans seru- pules sur des malades n'ayant plus l'entière possession de leurs facultés puissent léser les faibles et les orphelins » P.

Que l'on eût ou que l'on n'eüt pas d'enfants, l'adoption a été de tout temps une coutume très répandue dans toute l'ile de Madagascar, mais surtout lorsqu'on n'avait pas d'enfants, pour continuer sa famille, avoir des héritiers qui pussent accomplir les rites sacrés des funérailles et assurer le culte des ancêtres, et aussi, chez les Merinä, pour ne pas laisser tomber ses biens en déshérence, l’hérédité collatérale n’existant pas chez ceux-ci pour un grand nombre de clans. Il n’est d’ailleurs pas

®) L'adopté hérite de l'adoptant dont il est regardé comme enfant légitime, mais l'adoptant n’a aucun droit sur la fortune de l'adopté. Quant aux effets au point de vue de l'empêchement au mariage, ils sont les mêmes que pour les enfants légitimes, au moins à l'égard des proches parents.

1 n’est pas sans intérêt de faire remar- quer que, dans le Hedjaz, avant la promul- gation de la Sourate 1v Ennisa du Koran, cette même parenté conventionnelle entre les enfants légitimes et adoptifs était admise : les frères adoptifs étaient assimilés aux asibs, ou agnats males, qui étaient seuls succes- sibles.

2) Ordonnance d’Andrianampoinimerinä de la fin du xvrn° siècle (Juzrex, /nst. poli. et sociales, 1. T, p. 312). Ranavalonä II,

dans son code des 101 articles, a fait, en 1868, art. 73, la même défense. En 1881, Ranavalonä IT à abaissé à une semaine le temps pendant lequel ladoption faite par un mourant était nulle (art. 235 du Code du 29 mars 1881).

(3) Les Merinä étaient en effet divisés en deux catégories d’après leur origine (ma- laise ou indo-mélanésienne), celle des en- vahisseurs et celle des indigènes. Celle-ci, qui comprenail, sauf quelques exceptions, les Hovä [les libres], les ZanadRalambô [la dernière classe ou classe bâtarde de la noblesse | et les Maintÿ [les esclaves], s’ap- pelait hani-maty mombà [litt. : ceux qui, mourant sans hériliers directs, perdent leurs biens | ; les six premières classes de la noblesse, les classes réellement aristocra-

310 MADAGASCAR.

étonnant que la liberté d'adopter fût absolue et s’exerçât sans limite et

sans restriction © chez un peuple chacun désirait ardemment avoir

de la postérité, utile dans l’ancienne organisation sociale malgache Ï Ù ô 6

aux membres vivants de la famille, dont la puissance et la richesse dé-

endaient de cette postérité plus ou moins nombreuse Ÿ, et plus encore Ï I

aux parents morts, aux ancêtres, qui, suivant les idées religieuses des

tiques, auxquelles se joignaient par un privilège spécial quelques rares familles de ZanadRalambô et de Hovä et les Tsia- rondahŸÿ ou serfs royaux, s'appelaient au contraire {sy hani-maty mombä [qui ne perdent pas leurs biens lors même qu'ils n'ont pas de descendants directs] et, pour elles, la dévolution successorale, l'attribu- tion des biens des défunts se faisait sui- vant l'ordre naturel de la parenté et, lors- qu'ils ne laissaient pas de parents, entre les membres du fokon’olonä, de leur clan : mais le souverain, le fanjakanä ou l'État, n'héritaient jamais. Pour les hani-maty mombä, au contraire, le souverain, le /an- jakanà, héritaient des biens de ceux qui mouraient sans laisser de descendants di- rects et sans avoir fait de testament (car la liberté de tester était absolue), dépouil- lant les proches parents du de cujus à leur profit. L'adoption toutefois permettait aux intéressés de parer à cette injustice en adop- tant des parents, comme nous le verrons plus loin, p. 312, en parlant de l'institution de Zazalavä : Vadoption, en effet, était une forme de donation des biens (voir L. Ausas, Esquisse d'une réforme de la législation coutumière malgache des successions dé- volues «ab intestat», Bull. Acad. malgache,

1907, p. 29-35).

() Chez les Merinä, dans les derniers temps du moins, les parents que lésait une adoption pouvaient faire opposition à son enregistrement devant les aulorités, mais c'était la cause de procès longs et ruineux.

2) Cependant, chez les Merinä, un an- drianä [un noble] ne pouvait pas adopter un noble d’une classe inférieure à la sienne et, à plus forte raison, un hovä [libre] ou un mainti [un esclave], parce que les titres et les privilèges n'étaient transmissibles qu'entre nobles de la même classe (*), mais la réciproque n'était pas vraie, puisqu'un andrianä, un hovä, un maintÿ avaient le droit d'adopter des individus de caste su- périeure, même des ministres, même des princes.

8) Quand la jeune fille malgache, ayant usé et abusé de son corps comme Fly auto- risent les coutumes du pays, se met en ménage, elle y amène souvent des enfants, zaza momba renÿ | litt. : des enfants qui sui- vent leur mère |, qui sont toujours très bien reçus dans la nouvelle famille entre la mère, et que le mari si les parents de la femme y consentent toutefois, ce qui n’est pas toujours le cas élève à la qualité d’en- fants légitimes par l'adoption. Les enfants sont en eflet, pour les Malgaches, harent , une richesse,

% Ranavalonä l'*, dans son Code de 1828, a édicté des peines sévères contre ceux qui tenteraient de cette manière de changer de classe; les articles 32 et 33 disent que : «Les nobles ZanadRalambô ne pourront pas être élevés par voie d'adoption à la classe des Zanakandriamasinavalonä, et que, s'ils changent de pays pour fusionner avec les Zanakambonÿ et les Zafinandriandranand6, ils seront vendus comme esclaves et leurs biens

seront confisqués».

ETHNOGRAPHTE. 311

Malgaches sur l’au delà, avaient besoin, pour leur bonheur dans l’autre monde, que leurs descendants accomplissent ici-bas certaines céré- monies rituelles. Aussi les Malgaches adoptaient-ils des gens de tout âve (), de tout sexe et de toute condition ©), sans que l'affection et les sentiments y eussent le plus souvent une grande part: dans les derniers temps, chez les Merinä du moins, cette institution, qui, au début, avait des effets sociaux et religieux intéressants, était devenue une honteuse exploitation, des individus de famille obscure adoptant de hauts person- nages dans le seul but d’avoir un protecteur puissant”, et les hauts per- sonnages acceptant ces étranges adoplions par pur esprit de lucre F), parce qu'ils devenaient cohéritiers des biens de leurs pères adoptifs; nous en avons connu qui avaient plus de cinquante de ces pères adoptifs et qui trouvaient un moyen facile d'accroître leur fortune, d'autant que. sachant devoir en tirer profit un jour, ils procuraient à leurs +fils» des

9) Pour qu'un enfant en bas âge püt être adopté, il fallait le consentement de ses parents.

2) Dans la classe des hani-maty mombü (voir la note 3, p. 309), un enfant pouvait adopter son père ou un frère, et un neveu son oncle; car, si cet enfant n'avait pas d'hé- ritiers directs, le père. le frère ou l'oncle adoptés avaient droit à sa succession qui, de cette manière, n'allait pas à l'État et res- tait dans la famille. Deux époux pouvaient aussi s’adopter réciproquement, se consti- tuant ainsi héritiers l’un de l’autre : s'ils avaient des enfants, le survivant prenait dans la succession de son conjoint une part égale à celle de ses propres enfants, mais le mari qui avait adopté sa femme n'avait plus le droit de la répudier.

(5) Des esclaves adoptaient leurs maîtres pour avoir la haute main sur leurs compa- gnons de servitude et pouvoir les pressurer : ils n'obtenaient guère d’ailleurs l'autorisa- tion de se racheter ou n'étaient affranchis qu'à la condition d'adopter leur maitre, c'est-à-dire de linstituer héritier de leurs biens présents et à venir.

(1) Les pères adoptifs étaient dès lors, grâce à leur puissant fils(!), non seulement à l'abri de la persécution des autres grands personnages, mais ils pouvaient se per- mettre impunément toutes les exactions (*).

(6) À la mort de leurs pères adoptifs, les grands se montraient si äâpres au gain que les enfants légitimes, qui étaient leurs cohéritiers, étaient le plus souvent frustrés de leur part de succession.

Voici un des mile exemples que l’on peut en donner : #Avant-hier, le 20 août 1886, écrit de Majunga

le correspondant d'un journal parisien, a eu lieu l’inhumation de RazafindandY, le commandant en chef des troupes du Nord-Ouest, qui vient de mourir subitement. Cet officier, qui a eu récemment de graves diflé- rends avec Ramanambizalô, le gouverneur de la province, se proposait d’aller présenter ses réclamations et explications à la Reine et au Conseil des ministres à Tananarive. Ramanambizatô a pris les devants, en suppri- mant purement et simplement son adversaire, et, comme il avait eu la bonne précaution d'adopter le fils favori du tout-puissant Premier Ministre Rainilaiarivonÿ, Panuel, on ne lui a pas demandé compte de son assassinat et il n’a été nullement inquiété.»

312 MADAGASCAR.

situations lucratives; car l'adoption d’un individu n'’entrainait pas son rejet de sa famille naturelle dont il restait toujours héritier, ét, adopté par plusieurs personnes, il devenait héritier légitime de toutes et, sans aucun conteste, rassemblait sur sa tête tous leurs biens !).

Les enfants nés hors mariage, qui étaient toujours les bienvenus dans la famille de la mère, étaient souvent adoptés par le père de celle-ci, de sorte qu'étant tout à la fois fils et frères ou filles et sœurs de leur mère, ils avaient droit à son héritage ainsi qu'à celui de leur père adoptif et prand-pére.

Des esclaves pouvaient aussi s'adopter entre eux, mais, à leur mort, leurs biens n'en restaient pas moins la propriété de leurs maitres, car, disaient les maitres, ny akondroko no mamoa [les fruits que produisent mes bananiers (mes esclaves) sont à moi |.

Il nous reste à parler maintenant d'une institution dite zazalavä qui remonte aux premiers temps de la monarchie merinä. Le zazalav [htt. : postérité prolongée, sans fin | est l'adoption mutuelle, réciproque, obligatoire, imposée par un père à tous ses descendants directs; c'est, comme dit M. L. Aujas®, une disposition testamentaire par laquelle un père de famille établit entre ses enfants et leurs descendants légitimes et naturels une adoption réciproque et illimitée, fixant les harena zazalavt, les biens qu'il leur laisse à charge de les transmettre par substitution aux ayants droit : les parts revenant à des descendants mourant «intestat» et sans postérité directe se trouvent de la sorte soustraits à la main- mise ou saisie féodale; les enfants institués zazalavü n’ont n1 à accepter, ni à refuser la disposition testamentaire de leur père dont la volonté est souveraine. Ën somme, le partage de la succession paternelle se fait comme d'ordinaire entre tous les enfants, et les successions se suc- cèdent normalement dans la ligne directe tant qu'il y a des descendants, mais les biens d’une branche sans enfants vont aux autres branches. Cette

(0 Juviex, Inst. polit. et soc. de Madagas- effets; sa durée) et Esquisse d’une réforme car, t. IT, p. 245. de la législation coutumière malgache des

®) De l'institution de+Zazalava» en droit successions dévolues «ab intestat» (Bull. malgache (son utilité; ses conditions et ses Acad. malgache, 1907, p. 23-35).

ETHNOGRAPHIE. 313

institution avait pour but de fortifier la famille, en empêchant que les biens des ancêtres n'en sortissent, tandis qu'au contraire l'adoption faisait souvent passer ces biens entre des mains étrangères; toutefois elle n’en- levait pas la libre disposition des biens zazalavä à leurs propriétaires qui n'en avaient pas seulement l’usufruit, mais bien la jouissance pleine et entière, car ils pouvaient vendre ou hypothéquer leur part pour leurs besoins personnels, mais ils n'avaient pas le droit de les léguer à autrui ni de les transférer par donation entre vifs ou par testament en dehors de la famille, soit légitime, soit naturelle".

L'adoption ® ne pouvait avoir lieu que du consentement mutuel de l'adoptant et de l'adopté ou, si celui-ci était mineur, de ses parents. Les formalités ou cérémonies requises pour la valider consistaient en une invocation à Dieu et aux ancêtres faite par l’adoptant ou le chef de sa famille, en présence des parents et des autorités locales, pour leur an- noncer l'entrée dans sa famille d’un membre nouveau, d’un enfant, invo- cation qui était souvent accompagnée du sacrifice d'un bœuf, d’un mouton ou d'une volaille ® : c’est une cérémonie à peu près analogue à celle qu'on faisait à la naissance du premier enfant légitime; dans de longs palabres ou discours, on priait Dieu et les ancêtres de bénir le père et l'enfant adopüfs et d'empêcher qu'ils n'eussent des destins contraires, de faire qu'ils se portassent réciproquement bonheur; un repas solennel ter- minait la fête.

Chez les Sakalavä, l'adoption avait lieu devant l’hazomanitsä ou poteau sacré, sorte d'autel domestique"; chez d’autres peuplades, on dressait un

(1)

Il était également fréquent, comme nous le verrons au paragraphe des Succes- sions, p. 333 , que les chefs de famille fissent à leurs enfants les recommandations sui- vantes : «Après ma mort, mes biens ne seront pas partagés entre mes héritiers; ce sera toujours le plus âgé d’entre eux qui en aura l'administration». Cette transmis- sion successive sur une seule tête de tous les biens du père assurait aux aînés les pré- rogatives de chef de famille.

ETHNOGRAPHIE.

@) Fananganan-jazt (qui met debout).

(8) Les Antimoronä, comme l’a vu l’un de nous, après avoir immolé le bœuf, recueil- laient un peu du sang de la victime dans un bol contenant soit du toakä ou rhum, soit de l'eau, l’on plongeait une pièce d'or, et c'est devant ce bol, tournés vers l'Est, qu'ils faisaient la prière pour l’adop- tion.

() Voir le volume suivant, au livre de la Religion.

lo

DNPNRIMERIE NATIONALE.

314 MADAGASCAR.

orim-batÿ, une pierre commémorative de l'événement, et, dans le centre de l'île, on se contentait d'oindre l'enfant de graisse en prononçant quelques paroles sacramentelles"®; mais, depuis qu'à la fin du xvmi' siècle Andrianampoinimerinä a créé dans lmerinä une administration quasi- régulière que les Merinä ont peu à peu imposée aux habitants des pro- vinces qu'ils ont soumises à leur autorité, +l'adoption n'a plus été régu- lière et valable qu'après le payement du hasina vola tsy vakÿ [d'une piastre | en présence du /okon’ olonü [du Conseil des notables du lieu], d’un voamenä | o fr. 21] comme saoh Andrianü [comme hommage au souverain |, et, pour remplacer lorum-balü [l'ancienne pierre commémo- rative|, d’un ventÿ | o fr. 83 | ou d’un ktrobô [1 fr. 25 | aux témoins qui assuraient la notoriété de l'acte. Toutefois, si elle avait lieu au moment de la circoncision, il suffisait que l'adoptant payät le sikajy isan-drainjazü [o fr. 625 | comme hasinä | comme hommage au souverain ]®? et tuât un bœuf dont une moitié était donnée aux membres du /okon olonä | du Con- seil des anciens du lieu |, moitié qui, mangée par eux en commun, assu- rait la notoriété de l'acte d'adoption, tandis que l'autre moitié, appelée sao-jazü | hit. : la bénédiction de l'enfant |, était mangée par la famille » : les enfants adoptés au moment de la circoncision portaient le nom de zaza ampinasoraträ. Depuis 1881, l'inscription de l'adoption est exigée sur les registres.

IL y avait encore, chez les Merinä, ny zaza nalalsakia ho miaramulà, les Jeunes gens qu'on faisait enregistrer au recrutement au lieu de ses propres enfants, car, ainsi que le dit M. Julien”, on tenait les soldats pour enfants

des personnes inscrites comme leurs père et mère au moment du recrute-

(0 Juuren, Anst. polit. et soc. de Madagas- consentement bien entendu, pour verser car, t. 1, p. 311, ett. IT, p.246 (+Ny zaza cette somme devient de ce fait même le nanaterana hoso-menaka» [Des enfants père adoptif de l’enfant.

qu'on adopte en les oignant de graisse |). 3) Ordonnance d'Andrianampoinimerinà ® Ce sikajy isan-drainjazà est le droit de la fin du xvmr siècle (cf. Juzren, Ansti-

que chaque père d’un enfant qu'on va cir- tutions politiques et sociales de Madagascar, t. 1,

concire doit payer au mpamorä, à lopé- p. 311).

rateur, pour les frais de la cérémonie: or (1) Inst. polit. et soc. de Madagascar, t. I,

quiconque se substitue au père, avec son p. 246-947.

ETHNOGRAPHIE. 315

ment; or, quand des parents voulaient éviter à leurs fils le service mili- taire, ils faisaient appel à des orphelins, à des enfants naturels, qui trouvaient ainsi le moyen de se faire adopter par des parents, des amis ou même des étrangers heureux de les substituer à leurs propres enfants.

Une fois les formalités légales accomplies, le pére adoptif frappait légèrement de sa main droite, en signe de prise de possession, sur l'é- paule de celui qu'il venait d'adopter et, lui soufflant au visage une por- gée d'eau pour le bénir, 1l prononçait les souhaits suivants : Foa ! foa ! Mahaleova ! Mahalasana ! Hahazaka anie anarandray ! | Je te bénis! Sois mon digne successeur et porte dignement mon nom, le nom de ton père ! |. <

20° DES DROITS DES PARENTS SUR LEURS ENFANTS, DE LEURS DEVOIRS RESPEC- TIFS ET DE LEUR AFFECTION MUTUELLE. Comme nous l'avons dit, le père avait tous les droits sur ses enfants jusqu'à leur mariage, qui seul les émancipait®/; ceux-ci, en effet, quel que fût leur âge, restaient jusque-là sous sa tutelle, et c'était généralement lui qui, autrefois, désignait celui de ses fils qui devait être après lui le chef de famille, mais 1l a été admis dans ces derniers temps, pour éviter les dissensions qui s’ensui- vaient, que ce serait l'ainé qui lui succéderait, ara-Jokÿ, comme disent les Merinä

M) Nimbol Samy, ix Carol : Au Pays (5) «Les enfants qui seront irrespectueux rouge (le Temps, 24 sept. 1897). envers leurs ainés et les anciens, qui les

® Les Merinä qui étaient recrutés pour offenseront par leurs paroles, seront tenus de l'armée étaient aussi, de ce fait, émancipés tuer un gros bœuf pour réparer leur faute» de la tutelle de leurs parents (). (Ordonnance d’Andrianampoinimerinà ).

(®) Chez beaucoup de peuplades, le chef de famille était le dépositaire de tous les biens mobiliers des divers membres, enfants et esclaves affranchis; c'était à lui qu'ils remettaient tout ce qu'ils gagnaient, tous les cadeaux qu'ils recevaient, bœufs, marchandi-es diverses, etc., et quand ils avaient besoin de quelques-uns des objets leur appartenant, c'était à lui qu'ils les demandaient; ils ne faisaient pour ainsi dire jamais d'ac- quisitions sans en avoir référé à leur père ou patron et avoir son approbation. Les femmes mariées elles-mêmes, mariées légilimement, confiaient tout ce qu’elles possédaient en propre et tout ce qu’elles recevaient en dons et cadeaux de leur mari ou d'étrangers, bœufs, objets divers, etc., au chef de leur propre famille et non à leur mari. Ces chefs de famille déposaient leurs propres biens meubles et ceux des leurs en un lieu retiré, dans une cachette que seuls connaissaient et ils ne se rendaient le plus souvent que de nuit, quand aucun œil indiscret ne pouvait surprendre leur secret; malgré la multiplicité et la variété des objets confiés à leur garde, leur mémoire était impeccable.

ho.

316 MADAGASCAR.

La majorité et la minorité n'étaient pas nettement définies dans le droit malgache; à la mort du père étaient considérés comme mineurs les enfants encore incapables de gagner leur vie et d’administrer leurs biens(), et dans ce cas chez les Betsimisarakä, les Sakalavä, les Me- rinä, etc., ces biens étaient gérés par un tuteur pris dans la famille paternelle, par un frère ou, à son défaut, par une sœur du père; la tutelle ne passait à la branche maternelle que si le père n'avait pas de parents, et en tout cas elle prenait fin dès que l'enfant, arrivé à l’âge adulte, réclamait la libre disposition de ses biens. Dans le Sud-Est, chez les Antifasinä et les Zafisoronä, c'était au contraire aux membres de la branche maternelle qu'étaient confiés leurs intérêts, souvenir du ma- triarcat.

Si le père avait sur ses enfants une autorité que nul ne pouvait lui contester, 1l leur devait en échange aide et protection, et devait subvenir à leur nourriture et à leur entretien jusqu'à leur émancipation, qu'ils acquéraient par le mariage, ou tout au moins jusqu'à ce qu'ils fussent capables de se suflire à eux-mêmes. Du reste, les parents étaient maîtres de disposer de leurs biens à leur gré, car, quoique Andrianampoinimerinä leur eût conseillé, «lorsqu'ils procéderaient au partage de leurs biens, de donner au 20kÿ, à l'ainé, ainsi qu'au /ara ainü, au dernier de leurs enfants, un tombon-dahÿ, une part privilégiée, à lainé, parce qu'il a assisté avant ses cadets au développement de la fortune paternelle et y a souvent contribué, et au dernier né, au fara ainà [itt. : à celui qui a été leur dernier souffle |, parce qu'il est le dernier produit de leur force, qu'il marque le terme de leur vie utile et active», ils avaient le droit

U) Les Afani-njanaka, atao hoe zana-bo- rona ateran-kamahana ny zanaka [es enfants mineurs, qui sont comme de pelits oiseaux encore au nid et auxquels il faut apporter la becquée|, ou, comme les appelle An- drianampoinimerinä, les Atodiorokorokä et les Voatavo tsy mifandrakä | ceux qui ne sont que de simples embryons, des citrouilles encore attachées à leur tige |. «Ils cessent d'être mineurs lorsqu'ils atteignent une

taille de cinq empans [1 m. 10]» (Andria- nampoinimerinà, éa Jun, fnst. polit. et soc. de Madagascar, t. X, p. 310).

®) Quand l'orphelin était sans parents, c'étaient les anciens du clan qui désignaient un des leurs un ami de la famille pour veiller sur lui, ou bien c'était le chef des esclaves de ses parents qui en prenait soin. Du reste, les orphelins trouvaient de suite des personnes qui les adoptaient.

ETHNOGRAPHIE. 317

de prendre telle disposition testamentaire qui leur agréait, de déshériter ceux de leurs enfants qui ne leur donnaient pas satisfaction et d’aug- menter la part de ceux qu'ils jugeaient les plus dignes et dont ils n'avaient eu qu'à se louer); mais, à défaut de dispositions testamentaires ou quand il n'y avait pas de partage anticipé, tous les enfants légitimes ou adoptifs et, sauf chez les Merinä, les enfants naturels avaient droit à une part égale de la succession.

La polygamie étant jusque tout récemment universellement pratiquée à Madagascar, 1l y avait dans la plupart des ménages des enfants de mères différentes. Quoique en apparence ils vécussent en assez bons rapports et que leurs parents leur recommandassent, sous peine d’encourir leur malé- diction, de ne pas se quereller et de vivre en paix, en réalité ils ne s’ai- maient guère, aussi les appelait-on zana-dra/ÿ [les enfants des rivales, les enfants ennemis|, et, dans le centre de l'ile, dans le Betsileo surtout, les belles-mères © traitaient souvent assez mal leurs beaux-fils et belles- filles, si l’on en croit les deux dictons suivants :

Ley zaza tsy hana ka angatrangariwny | Pauvre petit que maltraite sa belle-mère |,

Et Aza atao vonondreny kely, aza dia angatrangarina ny zaza [Ne sois pas méchante comme la belle-mère qui tombe à bras raccourcis sur ses beaux-enfants |.

D'autre part, la répudiation ou le divorce, si fréquents à Madagascar, ne rendaient pas la vie facile aux enfants nés d’une femme répudiée ou divorcée, qui cependant ne souffraient pas trop de ces mœurs volages, étant, lors de la dissolution du ménage, recueillis par la mère ou par le père suivant leur âge et leurs préférences.

Toutefois l'amour de la famille est très développé à Madagascar, et les enfants, silak'aint | litt. : morceaux de ma vie |, sombin’ainü | hit. : miettes

0 Valy ny anana hena, valy ny hena anana marquer par leur bonne conduite (R. P. [litt. : les brèdes (les légumes) appellent Carrer, Bull. Acad. malg., 1903, p. 213).

la viande, la viande appelle les brèdes ®) Mianga-janakà, disent les Malgaches (les légumes) ], disent les pères qui récom- [elles montrent de la partialité, une pré-

pensent par une part d'héritage plus forte férence manifeste pour leurs propres en ceux de leurs enfants qui se sont fait re- fants].

318 MADAGASCAR.

de moi-même |, comme se plaisent à les appeler leurs mères!), sont aimés, gâtés même jusqu'à l'excès par leurs parents, les garçons étant peut-être un peu préférés aux filles? : + On leur passe tout, jamais on ne les frappe, jamais on ne les châtie», écrivait à Fort-Dauphin en 1650 l'abbé Nac- quart; «ils sont élevés à la grâce de Dieu, ou plutôt... à la diable», disait récemment un de nos administrateurs coloniaux. En effet, les

0) «Tant que l'enfant est en bas âge, sa mère veille sur lui, presque toujours avec une grande sollicitude; lorsqu'il tombe ma- lade, aucune démarche, aucun soin ne lui coûtent pour obtenir sa guérison, et elle obéit religieusement à toutes les prescrip- tions de lombiasÿ empirique, se privant des aliments qu'elle aime le mieux, de viande de bœuf, de poisson frais, de cer- tains fruits, de certains légumes, qui res- teront fadiÿ pour elle, c’est-à-dire interdits, jusqu'à ce que l'ombiasÿ, lui ayant fait une marque au front avec du tanifotsÿ [de l'ar- gile blanche] et ayant reçu son salaire, l'ait relevée de son interdiction : si elle mangeait quelqu'un de ces aliments fadÿ, si elle fai- sait quelqu'une des choses défendues, et que l'enfant vint à mourir, elle se considérerait comme l’auteur de sa mort» (Notes de voyage chez les Betsimisarakä et les Sakalavä , par A. GrannibieR, 1865-1870). Les mères mal- gaches se plaisent à caresser leurs enfants, à les embrasser, c’est-à-dire à frotter leur nez contre leur visage, à aspirer leur odeur : Manorohä ! [litt. : frotte ton nez contre le mien |, ou £o ataovy mamy kelÿ ! [litt. : fais- moi une petite douceur, une petite caresse |.

(2 La naissance d’un enfant est ou, du moins jusqu'à ces derniers temps, était toujours accueillie par les Malgaches avec la plus grande joie, excepté quand l’événe- ment se produisait, ainsi que nous l'avons

dit, un jour néfaste. Toutelois, les compli- ments qu'on adresse à l’heureux père varient d'ordinaire, chez les Merinä , suivant le sexe du nouveau-né : Arahaba nomen Andriama- nitra ny fara! [Honneur à toi à qui Dieu vient d'accorder un descendant !| dit-on, si c'est un garçon, et souvent, si c'est une fille, Arahaba nomen Andriamanitra lohara- nom-para ! | Honneur à toi à qui Dieu vient de donner une source de postérité ! |, mais les dictons suivants : Tsara raha maniry zaza ka tera-dahy [Heureuse comme celle qui désirait un enfant et qui met au monde un fils], Tera-dahy, ka hilevina ao an-dringirin- güm-bato; tera-bavy, ka hilevina any an-tsola- bato | Celle qui met au monde un fils a droit à un tombeau proéminent; celle qui n’a que des filles sera enterrée en un lieu bas], Mampitana fototra ny vehivavy, mahaosa zaza [Si ce sont des femmes qui tiennent à la main la torche de la circoncision, l'enfant sera poltron]|, aka vehivary no mibaby ny zaza, mahaosa ny zaza | L'enfant qu'on va circoncire ne doit pas être porté par une femme, sinon il sera poltron | Ÿ), montrent que la naissance des garçons était en réalité accueillie avec plus de joie que celle des filles; en effet, la fille se mariera un jour et ses enfants ne feront pas partie de sa famille, tandis qu'un fils est un défenseur naturel du clan paternel et perpétuera le culte des ancêtres.

© W.E, Cousins et J. Pannerr, Ny Ohabolan” ny Ntaolo [ Les Proverbes des anciens], 3289 et 3080. ® H. J. Sraxnixe, Les «fady» malgaches, Bull. Acad. malg., 1904, p. 138, 477 et 47o.

ETHNOGRAPHIE. 319

parents sont pleins d'indulgence, de laisser-aller pour leurs enfants contre lesquels ils ne sirritent ni ne sévissent, ne leur reprochant même pas de commettre des délits, notamment des vols, pourvu qu'ils ne se laissent pas prendre; ils se bornent à les instruire des coutumes et des usages de leur clan.

« Les jeunes Antanosÿ dit l'abbé Bourdaise en 1654 se laissent conduire par la raison et sont obéissants, mais ils n'aiment pas être rudoyés; dès l’âge de raison, leur intelligence s'ouvre et se développe avec une rapidité qu'on ne voit pas dans notre race... Ils sont doux et ont un bon caractère; je ne sache pas qu'ils se soient querellés une seule fois depuis notre arrivée; 1ls s'aiment beaucoup entre eux et, lorsqu'un d'eux est malade, les autres accourent auprès de lui et l'assistent avec un soin admirable. »

Les membres d'une famille sont en réalité très indépendants les uns des autres et, quoique les Malgaches ne jouissent de leurs droits qu’une fois mariés et qu'ils restent jusque-là sous la tutelle de leurs parents, ceux-ci n'interviennent pas d'ordinaire dans leurs actes journaliers ni dans leur conduite", que chacun, du reste, met scrupuleusement d'accord avec les traditions de sa famille; ce n'est que dans les occasions solen- nelles, dans les cérémonies familiales, que s’aflirment, d’une part, la suprématie du père ou du chef de famille ® et, d'autre part, la piété filiale. Il n'existe pas moins entre tous des liens très forts.

Si les parents aiment et soisnent avec dévouement leurs enfants, de leur côté, les enfants, dont c’est du reste le strict devoir), aiment ou

1) Toutefois, lorsque l'intérêt s'en mêle, les parents n'hésitent pas à intervenir dans les actes de la vie privée de leurs enfants. Voir à l'Appendice, 88.

® Chez beaucoup de peuplades, Betsi- misarakä, Mahafalÿ, Sakalavä, ete, les fonc- tions de chef de famille passent de frère à frère, puis au fils ainé du frère aîné, etc.; chez les Merinä, les Antifasinä, etc., c’est le fils ainé qui succède à son père.

(5) « Les enfants doivent obéissance el

respeet à leurs parents, ils doivent leur ve- nir en aide lorsqu'ils sont dans la misère, ils doivent les nourrir et les vêtir lorsqu'ils sont trop vieux pour {ravailler, S'ils ne rem- plissent pas ces obligations, le gouverne- ment saisira leurs biens et subviendra aux besoins de leurs père et mère», ordonne la loi merinä; et, suivant un dicton malgache, «mourront Jeunes ceux qui, dans les fêtes de famille, ne feront pas d’abord manger leurs père et mère».

320 MADAGASCAR.

plutôt respectent beaucoup leurs parents"), ainsi d’ailleurs que tous les vieillards®? et aussi leurs ainésW, car, dans leurs croyances, l'amour de ses parents est le gage du bonheur sur cette terre et dans l’autre monde, et ils ne craignent rien plus que la malédiction paternelle et l'exclusion du tombeau de famille : l’aïeul est l'arbitre de tous les membres de la famille; autour de lui se groupent, respectueux de ses avis et de ses conseils, enfants et petits-enfants, lesquels vivent dans une sorte de communauté qui ne prend fin qu'à sa mort.

Il y a toutefois lieu de remarquer que, chez les peuplades pastorales, les soins donnés aux vieillards, qui cependant détiennent et ont Jusqu'à un certain point le droit de disposer des biens de leurs enfants, ne sont pas aussi tendres ni aussi assidus que chez les peuplades agricoles qui sont moins brutales; mais, après leur mort, ils sont vénérés, presque

0) C’est le conseil que leur donnent les deux maximes suivantes : Toy ny ray aman- dreny : ny tray niteraka, ny iray niampofo, ka samy tiavo | Si ton père l’a engendré, ta mère l'a bercé sur son sein; souviens-t'en, et à tous deux montre un égal amour], et Veloma , ry ikaky sy ineny, fa sinibe manga roa hianareo, ka tsy misy tombo sy hala | Ayez tous deux une longue vie, à mon père, 6 ma mère, vous êles pour nous comme les deux grandes jarres où, dans les maisons, on con- serve les provisions nécessaires à la vie de chaque jour el qui toutes deux sont utiles : il n'y a pas un de vous qu'on puisse chérir plus que l’autre, qu'on puisse aimer moins que l’autre] (W. E. Cousins et J. Parrerr, Ohabolan ny Ntaolo | Les Proverbes des An- ciens |, 3223 et 3658).

®) Dès la fin du xix° siècle, ces liens entre les membres d’une même famille se sont relâchés et le respect à l'égard des vieil- lards a beaucoup diminué, au moins dans les ports les Européens viennent depuis longtemps faire le commerce, l'esprit de lucre ayant envahi leurs habitants : autre-

fois les navires ne venaient guère à Mada- gascar que pour la traite des esclaves, et c'élaient le roi et quelques grands chefs qui seuls les approvisionnaient; mais, depuis que le trafic s’est, si nous osons dire, démo- cratisé, qu'on est venu y chercher du riz, de l'orseille, des peaux de bœuf, des bois, ele. , le peuple tout entier y a pris part et sa passion du gain a modifié ses idées et ses traditions.

8) Lorsque deux frères voyagent ensem- ble, s’il y a un paquet à porter, c’est tou- jours le cadet qui en a la charge, et il doit marcher à la suite de son aîné, car man- deha aloha ny 20ky, mahafaty tanora, pré-: céder son aîné fail mourir jeune, ou tout au moins on trouve des serpents sur son chemin (mialoha zoky, sakananny bibi- lava).

(1) «Les enfants qui n’écouteront pas les avis et les conseils de leurs parents el ré- pondront par de mauvais procédés aux bienfaits qu'ils en ont reçus | hanehi-babenü], seront Vendus comme esclaves» (voir la note 3, p. 305).

ETHNOGRAPHIE. 321

adorés, et leurs ordres sont scrupuleusement obéis"® : malheur à qui se permettrait d'insulter un de ces razanü, un de ces ancêtres”)!

Le respect vis-à-vis des parents et des aïnés se manifeste dans tous les actes de la vie : les enfants ne s’asseoiraient pas sur une natte ou, dans l'Imermä, sur une chaise, si leur père était assis sur le sol même, ne prendraient pas leur euiller pour manger avant que leur père eût com- mencé, ne boiraient pas avant lui, ne marcheraient pas en avant de lui, ne mangeraient pas le vodiakoho, le croupion de volaille qui est le mor- ceau de choix réservé aux supérieurs". «Injurier son père ou sa mère, dit une maxime merinä, est un crime que Dieu et les ancêtres punissent de la mort du fils impie et de tous les siens » [manompa ray aman-dreny, mahalany fara sy dimby |.

L'amour que les Malgaches ont pour leurs mères est touchant et mérité, car elles les élévent et en prennent soin pendant leurs premières années avec une tendresse, un dévouement et une abnégation réellement admi-

2) Les uns proscrivent cerlains actes, dé- fendent à leurs descendants certains ali- ments, elc. Le souverain d'Imerinä et les objets qu'on lui apportait ne pouvaient pas- ser par un certain quartier de Tananarive, le quartier d'Ambohimanorë (au nord de celui d’Andohalë), parce que, le roi Razaka- tsitakatrandrianä s’élant sauvé par lors- qu'il fut déposé et chassé par son frère Andriamasinavalonä, c’est un lieu réputé maudit pour le souverain : pour cette raison Ranavalonä [IT n'a pu assister le 10 août 1889 à l'inauguration de la cathédrale an- glicane qui s'élève en ce lieu. Rechab n'avait-il pas défendu à ses descendants de boire du vin, de semer, de planter, de vivre dans une maison? (Jérémie, xxxv, 6, 7).

2) Cependant les membres des familles liées entre elles par le lohatenÿ (voir p. 131- 133) ont le droit d'insulter les razanä de leurs familles réciproques sans encourir aucun bläme ni aucun reproche, et ils ne s'en font pas faute.

ETHNOGRAPHIE.

5) Ils manquent d'autant moins à ces usages que, d’après les croyances popu- laires, des sanctions terribles sont attachées à leur non-observation; les Merinä, par exemple, croyaient que mourraient jeunes (mahafaty tanora) : ceux qui se coucheraïent dans le lit de leurs parents (raha mandry am-pandriany ny ray aman-dreny), qui s’as- seoiraient sur la chaise de leur père (raha mipetraka ambony akalana raha misy ray), qui mangeraient le croupion de volaille, ayant encore leur père et leur mère (raha homana vody akoho raha velon-dray aman-dreny), qui marcheraient en avant de leur père ou qui parleraient, qui mangeraient, qui se lave- raient les mains avant lui (raha mandeha, na mileny, na milinana, na manasa tanana alohan ny ray), qui mangeraient dans l'assiette de leurs supérieurs (raha miom- bom-bary ami ny lehibe), qui construiraient leur maison au nord de celle de leur ainé et plus haute qu'elle (raha manao trano ava- ratry ny zoky), ele.

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322 MADAGASCAR.

rables, tandis que les pères s’en occupent peu : il n’est donc pas étonnant que ce soit sur elles que se concentre leur principale affection, ainsi que sur leurs frères et leurs sœurs. Dans l’Imerinä, ils ont en certaines occa- sions la coutume de leur présenter, en reconnaissance des bons soins qu'ils ont reçus d'elles lorsqu'ils étaient enfants et qu’elles les portaient sur leur dos!”, une pièce d'argent à laquelle on donne le nom de /ofo- damosinä | litt. : l'odeur du dos}, de valim-babenä ? [litt. : la réponse de celui (ou de celle) qui a été porté sur le dos] ou de tambi-tarimÿ [htt. : le payement des soins]; chez les Betsimisarakä, au moment de son mariage, une jeune fille donne à sa mère un veau qu'on appelle dafotakà | remer- ciements pour avoir été portée sur le dos pendant son enfance |.

On a cependant vu des cas un enfant ne vit pas en bon accord avec ses parents et se dispute avec eux; les Merinà allaient se plaindre à l'Andriambaventÿ, au juge du district, qui condamnait l'enfant à une amende ou plutôt à une indemnité variant de 5o à 100 piastres, que celui-ci payait en disant : Alaïko ny fofodamosikio vidim-babena ! [ltt. : J'enlève l'odeur du dos, en payant le prix des soins que m'a donnés ma mére lorsqu'elle me nourrissait |; mais, s'il ne pouvait la payer, on aver- üssait le souverain qui le faisait vendre si ses parents le rejetaient, et le prix élait partagé entre le souverain, maître de tous les Malgaches et de tous leurs enfants, et son père et sa mère.

Les parents bénissent leurs enfants dans les occasions solennelles, par exemple lorsqu'ils partent au loin, lorsqu'une fille quitte la maison pater- nelle pour se marier, au moment de la circoncision, à l’article de la mort. Quand Ramboasalamà, qui plus lard prit le nom d'Andrianampoinimerimä et réunit sous son autorité tout le centre de Pile, vint un jour faire visite à sa grand tante Ramorabé, la femme du roi d'Ambohidratrims, celle-e1 lui prédit ses hautes destinées et le bénit trois fois, puis une quatrième et dernière fois après l'avoir fait asseoir au nord du foyer, qui est la place

M Ce n’est pas dans les bras, c'est sur foanà [litt. : prix pour avoir été porté sur le dos que les femmes malgaches portent le dos, sur les genoux], vidim-damosinà [litt.: leurs nourrissons. prix du dos}, solom-babenä [litt. : remercie-

®) On dit encore vidim-babent , vidim-po- ments pour avoir été porté sur le dos], etc.

ETHNOGRAPHIE. 323

d'honneur dans les maisons malgaches. C'est le {si0-dranû ou tso-dranÿ des Merinä et le fafirand des Malgaches des provinces, cérémonie qui consiste à prendre de l’eau dans sa bouche et à la souffler au visage de celui qu'on bénit, ou simplement à projeter sur lui quelques souttes de salive"), en appelant sur lui la bénédiction de Dieu et des ancêtres, en lui faisant toutes les recommandations nécessaires et en lui souhaitant tous les bonheurs qu'il peut désirer. Les Merinä, en bénissant leurs enfants, leur disent : Foha anako ! [htt. : Debout, mon enfant (sois vaillant, heu- reux )! |.

Si les parents bénissent fréquemment leurs enfants, quelquefois 1ls les maudissent, mütoky-anakà [litt. : ils jettent sur eux un mauvais sort]; leur malédiction est extrêmement redoutée, car l'enfant maudit devient un objet d'universelle réprobation, un paria, et non seulement lui-même, mais sa descendance jusqu'à la dernière génération supportent les effets de la malédiction lancée contre lui. Il y a dans l’Imerinä une famille bien connue sur laquelle pèse encore la malédiction d’un de ses aïeux : un nommé Ramazavä avait jadis deux fils, dont l’un se fit mendiant et vécut pauvre et honnête, et dont l’autre s'enrichit en volant et commettant maints crimes. Ce dernier, pris en flagrant délit, fut condamné à mort et exécuté. Ramazavä, ayant réuni toute sa famille autour de lui, maudit et renia so- lennellement ce fils criminel et prononça la sentence suivante : « Quant à vous, ses fils et ses petit-fils, si vous ne voulez pas que ma malédiction retombe sur vous et votre postérité, il faut que, de père en fils, de mère en fille, vous mendiez comme l’a fait honnétement son frère». C'est pourquoi, aujourd'hui encore, les descendants de ce maudit, tout riches qu'ils sont à présent, quittent leur village deux fois par an et, pour évi- ter la malédiction de leur ancêtre, vont de ville en ville, jusque dans les rues de Tananarive, tendant la main de porte en porte, mais, afin de ne pas être confondus avec les mendiants vulgaires, ils demandent

4) On sait que la salive joue un rôleim- le volume suivant, au Livre de la Religion. portant dans la magie malgache comme dans @] Voir comme exemple, à lAppendice, celle de beaucoup d’autres pays. Voir dans 89, le texte d'une de ces bénédictions.

la,

32/4 MADAGASCAR.

l'aumône d’une manière particulière , chantant sur un ton spécial certaines paroles que les garçons et les filles de leur clan apprennent dès qu'ils commencent à parler!

Nous raconterons encore la scène suivante à laquelle a assisté en 1887, chez les Barä de Raïhandrÿ, le Rév. Nielsen-Lund, missionnaire norvé- gien®, et qui montre bien l'effet terrible produit sur l'esprit des Mal- gaches par la malédiction des parents : une discussion s'était élevée entre une vieille femme et son fils au sujet de la matière dont était fait le verre, la mère prétendant opiniätrément qu'il était fabriqué avec du papier, et le fils le niant non moins énergiquement. Furieuse d'être con- tredite, la mère jeta à la tête de son fils son lamba, que celui-ci lui avait donné, s’écriant : «Fils dénaturé, tu me déshonores, va-t'en! Je ne te reconnais plus pour mon enfant!» À ces mots, le fils arma le fusil que, comme tout Barä, il avait à la main, et, dirigeant le canon contre sa poitrine, 1} mit un orteil sur la gachette dans l'intention de se tuer; sa femme, se jetant sur lui, l'en empécha.

En effet, l'enfant maudit, rejeté par ses parents naturels ou adopüfs, est non seulement proscrit, chassé de la famille, déshérité, obligé de vivre à l'écart des siens | atao afo tokana un foyer solitaire) ] et aban- donné par tous dans la peine comme dans la joie | {sy taraha-mifaly, tsy vonjena am-pahoriana |, mais le tombeau reposent ses ancêtres, et les Malgaches regardent comme le bien suprême d'être enterrés, lui est aussi à toujours fermé | {sy alevi-maty (mort, ses parents ne l’ensevelissent pas) |.

Le fanarian-jazà ou rejet d'enfant) donne lieu chez les Merinä à

() RP. Anna, Vingt ans à Madag., p.183. du mpiadidÿ gouverneur qui devait le

2) Norsk Missionstikende , et Travels among the wild tribes in the South of Madagascar, Antananarivo Annual, 1888, p. 443.

(3) Dans les derniers temps de la monar- chie merinà, le rejet d'enfant, arizazä, qui jadis dépendait uniquement de la volonté des parents, ne pouvait plus se faire non seulement qu'après avis du /okon'olonà, des notables ou anciens du clan, mais aussi

faire inscrire sur le registre de l'état civil, après le versement, comme pour lout acte ofliciel, d’une piastre comme hasin’ Andriand pour valider l'acte, d’un voamenà|[o fr. 21] comme saotr” Andriana hommage au sou- verain , et d'un ventÿ | o fr. 83 | ou d’un kirobô [1 fr. 25] aux témoins pour remplacer l'orum- balë ; 1 n'avait plus d'ordinaire les effets ter- ribles de la malédiction.

ETHNOGRAPHIE. 229 l'érection d'un orûm-balô ou pierre commémorative érigée en témoignage du changement advenu dans la famille; la coutume exigeait l'inter- vention du fokon'olont, des anciens du clan, car, a dit Andrianampoini- merimà, «la colère est une mauvaise conseillère et, avant de prendre une décision aussi grave, 1l est bon de réfléchir; le cœur des hommes est comme un vase l'on fait bouillir de l’eau, qui se calme dès que le feu tombe. Le temps et la réflexion portent conseil »!”. Les rejets faits «in extremis», an-doharianü |litt.: en haut de la cascade] comme disent les Malgaches, c’est-à-dire dans la quinzaine qui précédait la mort), étaient nuls et non avenus, «les manœuvres de la dernière heure faites par des sens sans serupules pouvant léser des enfants parfaitement innocents »).

Ce rejet, sur lequel le père pouvait revenir quand il voulait, avait souvent de bons effets et changeait les mauvaises dispositions de l'enfant qui, aux prises avec les difficultés de la vie telles qu'elles étaient à Mada- vascar pour un être chassé de sa famille, s'amendait et demandait à ren- trer en grâce. Lorsque le père et la mère n'étaient pas du même avis, c'était naturellement celui du père qui l’emportait, mais la mère avait le droit de donner ses biens, en totalité ou en partie, à son enfant avant qu'il quittät la maison paternelle, Quand le père était mort, la mere pouvait rejeter son enfant, mais ne pouvait lui enlever sa part de lhéri- tage paternel. Le droit de «rejet» n’appartenait qu'au père et à la mére, mais pas aux grands-parents, même lorsque l'enfant était orphelin ".

Chez les autres peuplades, jusqu’à notre prise de possession, le droit de rejeter un enfant était d'ordinaire dévolu aux parents, auxquels il suf- fisait, après avoir énuméré les méfaits de l'enfant, de déclarer devant

Toutefois, chez les Merinä, les jeunes gens que des parents adoptaient au moment du recrutement pour les substituer à leurs fils légitimes (voir p. 314-315) ne pou- vaient êlre rejetés, car, sans cette restric- tion, beaucoup de ces recrues eussent fait un marché de dupes.

2) Le Code de 1881 a abaissé ce temps à une semaine (art. 235).

(3) Voir Juuen, /nst. Madap:. ,t. IE, p. 226.

(1) De même, le chef de la communauté dite ko-drazanä (voir $ Succession, p. 333) ou zazalavà (voir $ Adoption, p. 312-313), qui tenait lieu de père el de mère à ses membres, ne pouvait en rejeter un du sein de la famille qu'après lui avoir donné la part d’héritage qui lui revenait légitime- ment dans la succession de ses parents.

326 MADAGASCAR.

témoins et en présence du chef du village qu'il ne faisait plus doréna- vant partie de leur famille; nul n'était admis à discuter la valeur des reproches adressés à l'enfant coupable et ne pouvait faire opposition à à la sentence!?. Chez les Sakalavä, si l'enfant que ses parents voulaient rejeter n’était pas en état de se suflire à lui-même, après avoir fait con- naître publiquement leur volonté et avoir avisé de leur décision le mpanjakà, le roi, ou son mpifehÿ , son lieutenant . ils ne le chassaient de leur maison que lorsqu'il était capable de travailler et lui remettaient alors une marmite, une pioche et une pelle pour lui permettre d’assu- rer son existence. Comme chez les Merinä, lorsqu'un enfant n'était rejeté que par un seul de ses parents, il n’était déchu que de la succession de celui-là.

Le rejet d'enfant avait, du reste, lieu très rarement : les causes étaient le refus d’obéissance, un caractère pervers, la violation des coutumes du clan, l'horoscope ou les prédictions des mpanandrë, astrologues, ou des ombrasÿ, devins!”, et il était tantôt conditionnel, et dans ce cas, si l’en- fant montrait du repenür et se réhabilitait par une conduite meilleure, il pouvait être admis à rentrer dans le giron de sa famille, tantôt définitif, et dès lors il était déconsidéré à jamais, n'avait plus rien à attendre de ses parents soit pendant leur vie, soit après leur mort, et il lui fallait quitter son village natal.

Quelquefois les parents, sans renier ou rejeter des enfants dont ils

(1) Dans le Sud-Est et ailleurs, du reste, il élait assez d’usage que les notables du clan émissent leur avis et donnassent un conseil, mais ils n'avaient pas le droit d'im- poser leur opinion.

@) Voir à l’Appendice, 90.

(8) En effet, le clan excommunmiait ceux de ses membres qui contrevenaient aux prescriptions et aux usages des ancêtres,

par exemple ceux qui commettaient un in- ceste(®), à moins que l'inceste ne füt dans les coutumes de leurs ancêtres, comme c'était le cas chez les Onjatsÿ du Nord, les Antambahoakà, les AntanosŸÿ (autrefois) et dans certaines familles du Ménabé.

(1° Quelquefois on rejetait l'enfant avant sa naissance, #anary an-lavonÿ | pendant la grossesse de la mère ].

() Les relations incestueuses, considérées comme telles même entre cousins et cousines (du côté maternel) d'un degré même éloigné, et qui jadis étaient punies de mort ou dont les coupables étaient au moins rejetés (arianä) du sein de la famille, devenaient plus fréquentes entre cousins et cousines, lorsque Vun de nous se trouvait à Madagascar de 1865 à 1870, ct n'élaient plus considérées comme aussi cri- minelles.

ETHNOGRAPHIE. 327

étaient mécontents"), se contentaient de les tenir à l'écart afin de pouvoir conserver dans la famille les enfants qui naîtraient d’eux.

Ce ne sont pas, du reste, seulement les malédictions des parents que redoutent les Malgaches, ils ont une terreur superstitieuse des impréca- tions que lancent contre eux leurs ennemis, surtout lorsqu'elles sont accompagnées d'un geste comminatoire, et dont ils cherchent par des praliques magiques à détourner les effets, qu'ils considèrent comme dan- sereux. La tradition rapporte que le roi merinä Razakatsitakatrandrianà, qui régna de 1699 à 1696, et que sa méchanceté et sa mauvaise conduite faisaient détester de tous, trembla et pâlit lorsqu'un de ses chefs lança contre lui des imprécations terribles, secouant en même temps son lamba pour en augmenter la force; 11 consulta les devins pour connaître les moyens d'échapper aux maux dont il venait d'être menacé. mais, peu après, 1l fut déposé et s'enfuit à travers le quartier d’Ambohi- manorô, devenu depuis lors taboué pour les souverains merinä comme nous l'avons dit plus haut”, et son frère Andriamasinavalonä prit le pou- voir à sa place.

21° De r’épucarion pes Marçaces. L'éducation donnée par les Malgaches à leurs enfants, à l'exception d’un petit nombre d'habitants du centre de Pile que les missionnaires cherchent depuis près d’un siècle à civiliser et à christianiser, n'avait d'autre but que la satisfaction des besoins de la vie matérielle; les parents se préoccupaient de subvenir à leurs besoins physiques et de les initier aux travaux et occupations indis- pensables à leur existence), mais ils népligeaient à peu près complète- ment le côté moral, excepté en ce qui touchait les Hlin-drazant , les coutumes des ancêtres”. Pourquoi, du reste, se seraient-ils préoccupés de l’amélio-

le présent et l'avenir, et l'art de muükabary, c’est-à-dire de prononcer des discours pu- blices, lui apprend à mentir au mieux de

1 Voir pour les noms qu'on donne à ces enfants l’Appendice, 91. 2) Voir la note 1, pl. 321.

8) La science divinatoire du sikilÿ et l'art oratoire dans les kabarÿ ou assemblées pu- bliques sont parmi les matières principales de l'éducation d’un bon Malgache ; en effet, le sikilij lui permet de connaitre le passé,

ses intérêts.

(1) Voici, par exemple, l'éducation mo- rale (!) que donnent à leurs enfants les Barà qui sont, il est vrai, l’une des peuplades de Madagascar les plus barbares et les plus

328 MADAGASCAR.

ration morale d'êtres dont tous les actes, bons ou mauvais, étaient, d’après leurs croyances, dus non à leur volonté, à leur libre arbitre, mais au sort aveugle et sourd, au vintanä comme disent les Malgaches, au «fatum» comme disaient les Anciens ?

À Madagascar, l'enfant apprend la vie sans maîtres, en regardant ce qui se passe autour de lui et imitant ses parents : ceux-ci sont-ils agri- culteurs, dès qu'il peut marcher, leurs fils reçoivent une petite pioche, angady kelÿ, avec quoi ils s'amusent à travailler la terre; sont-ils pas- teurs, ils vagabondent à la suite des troupeaux de bœufs, gardant les veaux et apprenant ce qu'il leur est nécessaire de savoir pour devenir un jour riches en bétail; sont-ils borizand, porteurs de paquets, ils sha- bituent, en jouant, à en porter; sont-ils vezë, habitent-ils au bord de la mer, ils s’essayent à conduire de petites pirogues, passant leurs Journées à barboter dans l'eau et à pêcher. De leur côté, les filles suivent partout leurs mères, les aidant aux besognes du ménage dans la mesure de leurs forces et s'essayant peu à peu aux occupations qui incombent aux femmes tant aux champs que dans la maison.

Les jeunes Malgaches sont en général fort intelligents; ils ont l'esprit vif, et leur faculté d'imitation et d’assimilation est remarquable. Au com- mencement du xvn* siècle, le R. P. Mariano, missionnaire portugais, écrivait, ainsi que nous l'avons relaté plus haut : +Le jeune prince anta- nosÿ, âgé de douze ans, que nous avons emmené à Goa, avait l'esprit si vif et si ouvert, qu'en moins de deux heures il a appris à connaître toutes les lettres de l'alphabet, et il avait un si bon caractère et de si bonnes dispo- sitions qu'il n°y avait Jamais besoin de lui répéter deux fois la même chose. » et, parlant plus loin des enfants sakalavä du Ménabé, il disait qu'ils

superstitieuses : «Ce sont les mères, dit ses cuillers, vases et assieltes, ni passer par-

le Rév. J. Richardson, qui sont chargées d'instruire leurs enfants de leurs devoirs sociaux, et elles leur apprennent ce qui est falÿ, ce qui est formellement interdit sous peine de châtiments sévères, notam- ment qu'il ne faut. sous aucun prétexte, s'étendre sur le lit d'autrui ni se servir de

dessus le corps d’une autre personne, ni toucher la figure de quelqu'un avec un coin de son lamba, etc., car, quiconque commet l'une de ces fautes, on peut dire l'un de ces crimes, lorsqu'il a l’âge de porter la sagaye, est passible d'une amende d'un bœuf, et, s'il ne peut payer, on le tue».

ETHNOGRAPHIE. 329

apprenaient facilement ce qu'on leur enseignait, faisant preuve de beau- coup de bonne volonté et y apportant beaucoup d'attention... Malheureu- sement, ajoutait-1l, les parents ne se préoccupent guère de l'éducation de leurs enfants qu'ils laissent vagabonder à leur gré, de sorte qu'ils sont, dès leur jeune âge, effrontés et libertins, > Encore aujourd'hui, les parents, dont les soins se réduisent le plus souvent à donner à leurs enfants la nourriture et, de temps en temps, un peu de toile pour se vêtir, ne les sur- veillent pas, leur laissant faire toutes leurs volontés ®), ne leur infligeant pour ainsi dire jamais de correction ®), ne les réprimandant ni lorsqu'ils mentent, ni même lorsqu'ils volent, de sorte qu'ils vivent et grandissent dans l'oisiveté, sans contrainte ni direction réelle. Cette vie libre se développent tout à leur aise leurs quelques qualités et leurs nombreux dé- fauts naturels, les débauches prématurées si universelles dans ce pays,

0) À. et G. Graxninter, Coll. Ouvr. anc. Madagascar, 1. , 1614, p. 73, et, 1616, p. 260 (note) et 231.— Un chef de traite hollandais, J. Blank, constatait de même que les habitants de la côte Sud-Ouest ne donnaient aucune instruction à leurs en- fants, quoiqu'ils semblassent intelligents (loc. cit, t. TT, p. 312); et Drury dit éga- lement. au commencement du xvi° siècle, que “jamais les Sakalavä ne contrarient les inclinations de leurs enfants».

® « Sachez, a dit Andrianampoinimerinä, vous qui tuez des bœufs sur la place du marché pour en débiter la viande, que les enfants en peuvent prendre de menus mor- ceaux; ne vous fâchez pas contre eux et ne les frappez pas avec votre couteau, car, je vous le dis, sil vous arrive de les blesser et que leur sang coule, vous encourrez la peine de mort. S'ils prennent de trop gros morceaux, contentez-vous de leur donner une paire de soufflets... Et, comme du reste vous vous faites souvent aider par eux, ne vous mettez pas en colère parce qu'ils vendront les morceaux qu'ils ont pris, mais qu'ils doivent détacher avec de petits

ETINOGRAPHIE.

couteaux, car, s'ils se servaient d'un cou- telas, ce serait un vol et je les punirais.» Enthousiasmée, l'assemblée s'écria tout d'une voix : + Notre roi n’est pas un homme, cest un Dieu descendu du Ciel qui voit jusqu'au fond de nos cœurs! Je ne suis pas un Dieu, répliqua Andrianampoinime- rinà, mais Dieu, à qui je dois ce royaume, m'a donné un esprit supérieur pour le gou- verner» (R. P. Carver, Tantaran’ny An- driana).

8) Excepté lorsqu'ils sont irrespectueux et désobéissants envers leurs parents, ce qui entraine d'ordinaire le rejet du cou- pable, et, d'une manière générale, lors- qu'ils violent les lilin-drazanä , les ordres, les coutumes des ancêtres.

() Pourvu qu'ils ne se laissent pas prendre en flagrant délit : ce n’est pas en effet le vol qui, à leurs yeux, est blâmable, lorsqu'il a lieu, bien entendu , au préjudice de gens étrangers à la famille, au clan, mais la maladresse.

6) Filles et garçons sont en réalité aban- donnés à eux-mêmes, couchant souvent dans une dangereuse promiscuité, libres

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l'absence de responsabilité morale sont cause que leur intelligence, si vive dans le jeune âge, s’obseureit vers les 12 ou 1/4 ans et que leurs qualités natives ne donnent pas ce qu'on serait en droit d'en espérer; et cependant, chez la plupart des Malgaches, surtout chez ceux qui habitent le centre de l’île la lutte pour la vie, plus âpre que sur les côtes, les a depuis longtemps habitués à un travail plus assidu, on trouve le désir de s’in- struire et les Jeunes gens sont réfléchis et attentifs aux leçons qu'on leur donne.

En tout cas, les sentiments d'obéissance ), de respect, de dévouement pour leurs parents sont des vertus naturelles aux jeunes Maloaches : un enfant qui se permettrait de proférer des injures à l'adresse de son père ou de sa mère ou de les maltraiter, ce qui a toujours été fort rare, serait chassé ignominieusement de la famille et même autrefois eût été puni de mort.

Les Merinä avaient toutefois certains principes d'éducation qui n’exis- taient pas chez les autres peuplades, et ils nommaient zaza fanatrü les enfants dont la conduite laissait à désirer et qu'il fallait admonester fré- quemment. Voici quelques-unes de leurs maximes à ce sujet : « Notre enfant ne sait pas encore ce qu'il peut et doit faire, disaient les parents, il est encore inconscient; 1l faut que nous éveillions son esprit et que nous lui apprenions à agir correctement ©»; «Il ne faut pas laisser sa femme et ses enfants dépenser à tort et à travers, de même qu'il ne faut pas hésiter à museler son chien (quand il mord), mais il faut inciter ses enfants au bien, les faire vivre conformément à la condition et aux

de se livrer à leurs instincts précoces et jouant aux jeux les moins innocents. Toute- fois, dans les familles Antimoronä, qui des- cendent des immigrants arabes, Anakarä, Tsimetô, Zafimolajÿ, et aussi, dit-on, chez les peuplades voisines, chez les Antisakä et les Anlifasinä, «l'enfance est jalousement protégée contre la dépravation, mais l'en- fance seulement» (G. Juuen, /nst. polit. et soc. de Madagascar, t. 1, p. 16).

(Car, disent-ils, atody tsy miady amam-

batô [des œufs ne se battent pas avec des pierres |.

®) Mbola tsy mahalala fomba , mbola adala ny zana’tsika, ka ahinina ho mahimahina hiahy tena, saokoa mba ho hendry (R. P. Caurer, Bull. Acad. Maly., 1902, p. 151).

(3) Raha manarana ny vadiamanjanaka han- drava hariana foana aminy tsy antony, dia manarana ratsy tsy mahafehy vava n'amboa (R. P. Caucer, Bull. Acad. Malg., 1904, p. 322).

ETHNOGRAPHIE. 391

moyens de leur famille, les encourager quand ils agissent bien, les répri- mander quand ils agissent mal, n'être ni trop sévère, ni trop faible à leur égard, telle est la régle de conduite que doit suivre un bon chef de famille ®»; «Ne gorgez pas vos enfants de friandises, car alors ils feront un Dieu de leur ventre®, » etc. Les Maols, les anciens, ne se contentaient pas, du reste, de donner de bons conseils sur le but que doiventse proposer d'atteindre les parents, ils y ajoutaient les moyens d'y arriver : il faut, disaient-ils, fouetter les enfants obstinés ®) et réprimander et corriger Ceux qui ont la main prompte (au vol). Il ne semble pas que ces «conseils » fussent souvent suivis.

29° DE La succrssiminimé cuez Les Marcacnes. À Madagascar, les pères et les mères sont maitres souverains de leurs biens : ny ray aman- dreny masi-mandidy amin'ny hareny, comme l'a proclamé Andrianampoi- nimerinä; ils en peuvent disposer à leur pré, et les léguer aussi bien à leurs enfants qu'a des collatéraux et même à des étrangers; mais, dans les régions agricoles du centre de l'ile, la coutume, qui n'était pour ainsi dire jamais violée, voulait «qu'on n’aliénât pas la part de terre recue des ancêtres, car, disent les Merinà, c’est qu'on finit en se continuant (dans ses enfants) »!, et il en était de même dans le Sud-Est, partout la culture était continue dans les mêmes champs, qui appar- tenaient plutôt à la collectivité, au clan ou à la famille, qu'à l'individu qui n'en était que le détenteur, une sorte d’usufruitier : c’est pourquoi les filles étaient souvent exclues de l'héritage de la terre, lorsqu'elles n'étaient pas obligées de se marier dans leur clan, le sol ne devant pas passer d’un maitre à un autre : c’est le maitre, comme on l’a dit, qui passait.

En l'absence de dispositions testamentaires (fara hafaträ didim-

0 Manarana azy amin ny soa, mamela azy 6) Manandaly [frapper de coups qui hiadana antonina arakizay toetry ny sy izay marquent, battre rudement de verges| y anana ny, tsy sakanana raha hanao soa sala- zanaka maditra (Ibid., 1903, p. 218). nana raha manao ratsy, ka entina aminy fife- (4) Anaro ny zanal areo, Ja faingian’tanana hezana antonina (Ibid., 1904, p. 392). (Ibid., 1903, p. 215).

2) Ankizy vonto mamy, manaram-pontenda 6) Ny tanindrazana {sy az0 alao varo-maly. (lbid., 1904, p. 324). Ja eo no iafarana ny olona.

la.

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panananä)® et de donations entre vifs (tolo-bolutrà), les enfants, légi- ümes aussi bien que naturels et adoptifs, héritent d'ordinaire, par parts égales, des biens de leurs parents® respectifs" : aussi, chez les Merinä qui partageaient les biens de la communauté acquis pendant le mariage en trois parts, une, le /ahatelon tananä, pour la femme et deux pour le mari, était-ce avec le plus grand soin qu'on procédait à ce partage afin que les héritiers de chacun des époux pussent avoir équitablement leur dû. Andrianampoinimerinä a toutefois conseillé aux pères de famille d’avantager l'ainé ainsi que le dernier de leurs fils, pourvu qu'ils n'eussent pas démérité, et aussi ceux des cadets qui en étaient dignes (®. Perdent tout droit à la succession de leurs parents les enfants que ceux-ci ont rejetés, arian-jazà ; le père et la mère, comme nous l'avons vu, peuvent déshériter un enfant indépendamment l'un de l'autre. Nous avons exposé plus haut, en parlant de l'institution des zazalavà", par quelle disposition testamentaire un père laissait ses biens à ses enfants à charge par eux de les transmettre par substitution à leurs descendants directs ou, à défaut de descendants directs, à leurs collatéraux, afin

1) Les Merinä devaient avertir de ces dispositions non seulement les membres de leur famille et Le tompon-bodivont , le seigneur féodal, ou le fokon'olonä, l'administration locale, mais aussi le mpiadidÿ, le gouver- neur. Dans les derniers temps de la monar- chie merinä, on devait même les inscrire sur les registres administralifs. Elles étaient du reste toujours révocables.

®) Arin-tongotr'aman-tanana ny kiaky sy neny [de ce qui a été produit par les pieds et par les mains des parents]. L’Antandroy répartit d'ordinaire ses bœufs en un certain nombre de troupeaux, dont chacun est confié à un de ses fils qui, à la mort de son père, en devient propriétaire, à l'exclusion des filles qui n'ont pas le droit de prendre part au partage des bœufs de la famille et qui du reste, quelle que soit la fortune de leur père, sont livrées à leur

mari avec une unique vache pour dot. Chez les Antanalä au contraire, le chef de fa- mille, lorsqu'il sent venir sa fin , a l'habitude de partager ses bœufs entre ses héritiers, en favorisant l'ainé, garçon ou fille, et se réservant seulement quelques vaches; les Antanosÿ font de même, excepté pour les rizières qu'ils conservent jusqu’à leur mort (Cap. Vacner, Revue Madag., févr. 1904, P'149)

6) Ainsi, par exemple, les zaza mom- ba renÿ [les enfants de la femme qui ne sont pas du mari et qu'il n’a pas adoptés] avaient droit à une part du /ahatelon'ta- nanä de leur mère, du tiers des acquêts de la communauté, mais ne pouvaient pré- tendre à rien dans la succession du mari.

(Voir p. 316-317.

6) Noir p. 324-396.

(6) Voir p. 312-313.

ETHNOGRAPHIE. 339

qu'ils ne tombassent pas en déshérence si la ligne directe venait à s'éteindre et qu'ils fussent soustraits à la mainmise du souverain. Il était évalement fréquent que les chefs de famille fissent défense de partager leurs biens entre leurs héritiers; en outre, ils prescrivaient que l’adminis- tration en füt toujours confiée au plus âgé d’entre eux !"; cette transmission successive sur une seule tête de tous les biens de la famille, ce ko-drazanü ou rohin-drazanà | cette antique coutume, cette chaîne qu'ont rivée (aux pieds de leurs descendants) les ancêtres] comme disaient les Merinä, donnait à l’ainé les prérogatives de chef de famille : il avait, vis-à-vis de ses frères et sœurs, toutes les charges qui incombent à un père et il les tenait en tutelle Jusqu à sa mort: il était remplacé par son cadet immédiat ©).

D Cest ce que les Merinä appellent ® G. Juzrex, Anst. polit. et soc. de Mada- akala-mifamatà [litt. : escabeaux qui sont gascar, t. Il, p. 247-248. Cette coutume l'un sur l'autre (pour se consolider) |. existe également dans les autres provinces.

APPENDICE AU TOME II DE L'ETHNOGRAPHIE DE MADAGASCAR.

(1) Opinions pes PRINCIPAUX VOYAGEURS ET AUTEURS SUR LE CARACTÈRE ET LES MOEURS DES Marcacnes. A. Les CONSIDÈRENT COMME AYANT UN BON NATUREL #

Le capitaine de vaisseau portugais Jean Gomes d’Abreu, en 1506 : «Les habitants de Matitananä ne sont nullement méchants, ils sont doux et hospitaliers» (Coll. Ouvr. anc. Madagascar, publiée par A. et G. Grax- minier, t. [, p. 39);

L'amiral portugais Diogo Lopez de Sequeira, en 1508 : «Les indigènes de Sainte-Claire [ baie de Sainte-Luce ] sont doux et hospitaliers, et ceux de Matitananä nous ont fait bon accueil» (loc. cit., t. I, p. 48 et 50);

Le voyageur portugais Duarte Barbosa, en 1516 : «Les Malgaches sont doux, agiles et adroits à la lutte, toujours en guerre les uns avec les autres» (t. I, p. 54);

Des corsaires français, en 1527 : «Les indigènes du Sud-Est de Madagascar sont doux et nous ont fort bien accueillis» (t. 1, p. 59);

L’historien portugais Osorius, en 1574 : «Les Malgaches sont doux et sociables» (LI, p. 41);

Le voyageur hollandais Jean Hugues de Linschot, en 1583 : «Les habitants de Ja baie de Saint-Augustin mènent une vie toute patriarcale, comme les patriarches dont parle l'Ancien Testament» (t. I, p. 145);

L'amiral hollandais Et. van der Hagen, en 1599 : Les indigènes de la côte orientale paraissent être d’un naturel doux et facile, curieux d'apprendre et intelligents : pendant les cinq jours que nous avons demeuré dans la baie d’Antongil, 11 arrivèrent à prononcer et à retenir certains mots hollandais» (t I, p. 258);

Des marins hollandais, vers 1600 : «Les indigènes de la baie de Sainte-Luce nous ont témoigné beaucoup d'amitié» (t. I, p. 266);

Le capitaine de vaisseau anglais James Lancaster, en 1601 : «Les habitants de l'ile de Sainte-Marie sont doux et familiers et paraissent braves» (t. I, p. 2

Le voyageur français Pyrard, de Laval, en 1609 : «A Saint-Augustin, les gens sont dispos, gens d'esprit et bien avisés» (t. I, p. 299);

L'amiral hollandais Verhuff, en 1612 : «Les habitants de la baie de Sainte-Luce sont des gens tout à fait doux et honnêtes avec lesquels les relations sont faciles; les femmes sont extrêmement lascives, et c’est, à leurs yeux, un honneur d’avoir commerce avec un blanc; non seulement les maris y consentent, mais ils amènent eux-mêmes leurs femmes aux étrangers» (t. I, p. 484-485);

Le général de Beaulieu, en 1620 : «Je n’ai remarqué chez les indigènes de la baie de Saint-Augustin aucune brutalité ni inhumanité; ils ont traité avec nous avec beaucoup de franchise et de fidélité, ne dérobant aucune chose, quelque égarée qu’elle fût; ils n’ont jamais fait tort à aucun des nôtres, encore qu'ils en eussent quel- quelois le moyen, les trouvant écartés et sans armes. Ils sont familiers et sont venus volontiers à bord, sans crainte. Leur ayant offert, dans le but de les tromper, des chaînes d’étain faites à l'instar de celles d'argent, à notre grand étonnement üls les ont refusées; ils avaient parfaitement vu qu'elles n'étaient pas de bon aloi» (t. 1, p. 349);

Le voyageur hollandais Bontekoe, en 1625 : «Les indigènes de la baie de Sainte-Luce paraissaient affec- tionnés à notre nation et ils nous ont laissé entendre que, si nous voulions les aider dans la guerre qu'ils avaient avec leurs voisins, ils feraient pour nous tout ce que nous voudrions. Ils nous ont vendu toutes sortes de denrées, et leur roi AndriandRamakä [celui que les Portugais avaient emmené à Goa] est venu à bord et nous a fait présent de quatre bœufs; je lui ai donné en récompense deux mousquets (oc. cit., t. IT, p.370);

Le colon et chirurgien anglais Walter Hamond, en 1630 : «On est étonné de trouver chez les habitants [du Sud-Ouest] de Madagascar une certaine civilisation mélangée à leur barbarie. JIs se sont montrés à notre égard affables, courtois et justes; nous avons demeuré au milieu d’eux pendant trois mois et ils nous ont traités avec une grande familiarité et nous ont témoigné beaucoup d'amitié, nous demandant de les défendre contre leurs voisins avec lesquels ils ont des guerres implacables. . . Ils sont généralement sociables et très affables ; pendant que nous avons séjourné à Madagascar, nous y avons joui d’une liberté et d’une sécurité aussi grandes que si nous avions été dans notre propre pays. Lorsque quelqu'un des nôtres s'égarait dans la campagne, les indigènes le ramenaient à bord sans lui faire le moindre mal. Ils sont honnêtes dans leurs transactions, comme nous avons pu nous en assurer : ainsi, ils nous amenaient chaque jour de grands troupeaux de bœufs que nous leur achetions à vil prix et en plus grand nombre que nous n’en pouvions consommer, si bien qu'il nous est arrivé d’en laisser jusqu’à cent entre leurs mains afin qu'ils nous les gardent, sans grand espoir de les revoir jamais; mais, quand nous fûmes pour partir et que nous eûmes réembarqué nos marchandises de troc, à notre grand étonnement, ils nous les ramenèrent tous et nous aidèrent à les conduire à bord. Dans toutes nos transactions avec eux, ils ne nous ont jamais fait tort même d’une perle de verre [!]: Le voleur, chez eux, est puni de mort et nous avons vu[!] un père tuer une de ses filles, qui pouvait avoir une douzaine

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d'années, parce qu’elle avait volé deux ou trois perles de verre[!]» (t. I, p. 5 et 52-53) [ Et c’est ainsi qu'on écrit l’histoire et qu’on trompe le monde! Voir plus loin ce que disent R. Boothby et P. Waldegrave |;

Le voyageur hollandais Mandelslo, en 1639 : «Les femmes de la baie de Saint-Augustin ont de l'esprit et du bon sens, de sorte que les hommes ne dédaignent pas de prendre leurs conseils. Ces indigènes sont fort libres dans leur conservation et en usent entre eux de la manière la plus familière du monde sans s’en forma- liser. Is sont braves et courageux» (t. Il, p. 89-490);

L'amiral anglais Sir William Monson, en 1640 : «Tous ceux qui ont été à l'ile de Saint-Laurent Mada- gascar] savent que ses habitants sont sociables et polis, aussi bien entre eux qu'avec les étrangers» (t.Il, p.513); Le R. P. Manoel Barreto, en 1667 : «Les Malgaches sont plus sociables que les Cafres» (t. II, p. 337); L'hydrographe hollandais Jacques de Bucquoy, en 1722 : «Les habitants de Madagascar sont tous d’un naturel pacifique, aimables, hospitaliers envers les étrangers, désireux de connaître les mœurs et les habitudes des autres peuples; ils sont paresseux et mènent une vie ‘indolente et facile, à laquelle leur pays se prête admirablement. Leur occupation et leur distraction principales sont la promenade et la chasse... Ils ne font pour ainsi dire pas de commerce... se contentant d'échanger des bœufs et des esclaves contre des mousquets et de la poudre, et du bétail et des fruits contre divers objets... .. ls exercent peu d’arts ou de métiers;... tous les indigènes sont à même de fabriquer tout ce qu'exigent leurs besoins... Leur vie est simple et patriarcale» (t. V, p. 132-133);

M. de Cossigny, en 1733 : «Les Sakalavä sont la peuplade de Madagascar la plus civilisée» [1];

L'abbé Rochon, en 1768 : «Les Malgaches sont bons et compatissants». . . + Comme tous les sauvages, ils sont maîtres absolus de faire ce qui leur plaît; aucune gêne, aucune contrainte n’enchaïnent leur liberté; ils vont, viennent, faisant tout ce qu'ils veulent, hormis ce qui peut nuire à leur semblable[!]. 1 n’est jamais venu dans la tête d’un Malgache de chercher à à en sur la pensée et sur les actions de qui que ce soit. Chaque individu a sa manière d’être qui lui est particulière, sans que son voisin s’avise de linquiéter, ni même de s’en occuper. Ces peuples sont en cela plus sages que les Européens qui ont la cruelle manie de vouloir que tous les peuples de la terre se conforment à leurs usages, à leurs opinions et même à leurs préjugés» (Voyage à Madagascar, p. 41 et p. 17-18);

Mayeur, le chef de ae L Benyowski, en 1777 : «Les Européens qui ont fréquenté les côtes de l'ile de Madagascar auront de la peine à se persuader qu'il existe dans l'intérieur, à trente lieues de ces côtes, dans un pays ignoré, environné de toutes parts de peuplades brutes et sauvages, plus de lumières, plus d’indus- trie, une police plus active, des arts plus avancés que sur les côtes dont les habitants sont en relations con- dre avec les étrangers et, par ce commerce, auraient agrandir le cercle de leurs connaissances. Cela est cependant» (Voyage dans l'Ancove, Manuscrits du Musée britannique et Copie de la Bibliothèque Grandidier, p.57)... «Les Hovä n "épargnent pas leurs peines dans leurs entreprises agricoles ou commerciales, y montrant une constance inébranlable, une activité incroyable, déployant un travail continu dans une besogne ingrate et pénible» . .… «ls sont de mœurs douces, dociles, intelligents»... «Toutefois ils sont voleurs au delà de tout ce qu'on peut imaginer : ils volent leurs propres concitoyens et les vendent au premier étranger qui se présente» . .. «Le roi d’Ancove [ de Tananarive] Andr ‘anamboatsimarofÿ a fait devant moi le kabarÿ ou palabre suivant : «Honte sur vous, Ambaniandrÿ, parce que vous volez et pillez les étrangers ! Aussi ne viennent- ils pas commercer avec vous! Je veux que vous soyez aimés et respectés des dus et je vous ordonne de bien traiter à l'avenir les voyageurs, de trafiquer avec loyauté et de ne pas voler»

Les missionnaires anglais, en 1838 : «Il y a dans l'aspect et la physionomie des Sakalava quelque chose qui

prévient en leur faveur. Leur air fier et martial, leur port digne, leur regard franc et ouvert semblent les destiner à un rôle plus haut et plus noble que Pie qu'ils ont rempli jusqu'à présent. Dans les relations, ils font montre de beaucoup de finesse avec moins de ruse ou d’ hypocrisie que leurs voisins» (W. Ecus, History of Madagascar, 1. 1, p. 129).. . «Les Sakalavä sont braves et généreux, mais indolents et peu actifs; dans la guerre, ils sont prompts, énergiques, résolus, hardis, puis, le danger passé, ils reprennent leur vie indolente. . Is ont d'ordinaire témoigné de l'amitié aux Européens dont ils reconnaissent la supériorité. Malgré leurs frire superslitions, 1ls ont des qualités mentales et une intelligence qui les prédisposent à la civilisation» (loc. cit. p. 128-129)... «Quant aux Betsileo, qui, n'ayant pas eu de relations avec les Européens, ne sont naturel- lement pas aussi civilisés que les Hovä, ils ont un caractère remarquablement doux et des mœurs simples ; leur maintien est modeste et ils n’ont pas l'aspect martial ni hardi; ils manquent de l'esprit d’entreprise et de ruse qui ont fait des Hovä les maitres du pays: ils sont indolents et mènent une vie patriarcale, adonnés aux paisibles travaux des champs» (loc. cit., p. 129);

M. Eugène de Froberville, en 1841 : «Tous les voyageurs s'accordent à louer le caractère des Sakalavä : indolents pendant Ja paix, ils sont prompts à prendre les armes pour défendre leur pays contre les attaques de leurs ennemis: ils sont braves, énergiques et résolus. Leurs qualités morales les font aimer des étrangers. Quoique pleins de sagacité, ils sont moins rusés et moins menteurs que les autres Malgaches et surtout que les Hovä» (Notice préliminaire au Voyage à Madagascar de Lecuevez DE Lacomse, t. I, p. 16);

Le capitaine anglais J.-C. Wilson, R. N.. en 1865 : «Les Sakalavä sont la plus belle race de sauvages que j'aie vue, supérieurs aux Hovä au point de vue physique, mais moins intelligents : grands, forts , indépendants, d'un meiïlleur aspect que les nègres africains: ils ont des mœurs pastorales, tirent bien et ont des maisons propres et confortables» [!] (Notes on the West Coast of Madagascar, Journ. Geogr. Soc. of London, 1866, p. 246);

ETHNOGRAPHIE. 337

Le Rév. J. Sibree, en 1870 : «Les Sakalavä sont, à tout prendre, la race de Madagascar la plus belle au point de vue physique, et leur esprit vif, intelligent, toujours en éveil, a des facultés remarquables» ( Mada- gascar and its people, p. 275);

Le commandant autrichien Von Jedina, en 1895 : «ll est certain que les Sakalavä sont supérieurs aux Cafres, tant au point de vue physique qu'au point de vue intellectuel; cependant, pour l'intelligence, ils ne s'élèvent pas au-dessus des Soahilis» (Voyage de l’Helgoland, p. 152).

B. Les DÉPEIGNENT SOUS LES COULEURS LES PLUS NOIRES :

L'amiral portugais Tristan da Cunha, en 1506 : «Les Malgaches du Nord-Ouest sont traitres et perfides» (Coll. Ouvr. anc. Madagascar, publiée par A. et G. Grannrvter, t. 1, p. 26-97 et 36);

Le voyageur florentin A. Corsali, en 1514 : «Les habitants de Madagascar sont grossiers» (t. I, p. 52);

Le capitaine de vaisseau portugais Luis Figueira, en 1514 : «Les indigènes du Matitananä attaquèrent notre fortin pour s'emparer de nos marchandises» (t. [, p. 53);

Les marins portugais échappés au naufrage des navires de Pero Vaz o Roxo et de Pere Annes Frances ainsi que de ceux de La Gerda et d’Alexis d’Abreu, en 1527 : «Les indigènes de Ranofotsÿ ont massacré traitreu- sement, pendant les réjouissances du Misanasanä de l'inauguration de la maison du chef, soixante-dix Portugais naufragés qui vivaient dans l’ilot du Fanjahirä, dans l'Anosÿ» (t. I, p. 61);

Les Dieppois Jean et Raoul Parmentier, en 1529 : «Les indigènes de Manambolÿ, sur la côte occidentale de Madagascar, attirèrent traitreusement et massacrèrent trois des matelots des navires le Sacre et la Pensée» (t. I, p. 78-81); è

Le capitaine français Jean Fonteneau, dit Alphonse le Saintomgeois, vers 1539 et en 1547 : «Madagascar est habité par une population guerrière et cruelle... Les gens y sont vaillants, mais méchants» (t. 1, p. 89 el p. 95);

a de portugais Diogo do Couto, en 1557 : «Les étrangers, pour quelque motif qu’ils pénètrent dans Madagascar, sont promptement mis à mort... Les Malgaches sont les plus grands voleurs et les gens les plus cruels de toute la Cafrerie» (t. L, p. 99 et p. 101);

Le géographe italien Porcacchi, en 1572 : «Les Malgaches sont bruts et guerroient toujours les uns contre les autres» (t. I, p. 118);

L’historien portugais Joäo dos Santos, en 1587 : «Les Mores du Nord-Ouest sont traîtres et perfides» (t.I, p- 197-158);

L'amiral hollandais Cornelis de Houtman, en 1595 : «Dans le Sud-Ouest, à la baie des Masikord, trois de nos Hollandais ont été attaqués traîtreusement et ont été pillés.. . Dans la baie de Saint-Augustin, après avoir trafiqué amicalement avec les matelots, les indigènes ont assailli à coups de pierre et pillé nos malades qui avaient été mis à terre, et, de trois des nôtres qui s’avancèrent dans le pays, l’un fut tué et les deux autres furent blessés. Le lendemain, ces brigands eurent l'audace de revenir à notre camp parés des dépouilles hollandaises, comme si de rien n’était!... Bien accueillis au début à la baie d’Antongil, dans le Nord-Est, nous fümes ensuite attaqués» (t. I, p. 173, 177, 184, 186, 190, 199, 219-217 et 224);

Le géographe italien Magini, en 1597 : «Les mœurs des indigènes de Madagascar sont cruelles et barbares» (t. I, p. 240);

Le capitaine anglais David Middleton, en 1607 : «Le bruit de onze coups de fusil, dont on vit en même temps la fumée, et quelques flèches, qui vinrent tomber à la source même se trouvaient encore plusieurs matelots, leur firent connaître que leurs compagnons qui venaient de les quitter avaient été attaqués par les indigènes | de la baie de Saint-Augustin | au nombre de deux cents; ils volèrent à leur secours et dispersèrent les assaillants» (E. 1, p. 406);

Le capitaine anglais Richard Rowles, en 1608 : «Les indigènes de la baie de Sadä [de la baie de Radamä| parurent d’abord fort honnêtes et ne marquèrent point d’éloignement pour entrer en relations avec les Anglais, que le roi reçut avec bonté et cordialité; mais, pris dans un guet-apens, sept d’entre eux furent tués ou faits prisonniers, et les indigènes manquèrent même de s'emparer de vive lutte du navire» (t. I, p. 423-495 et Lh73-h7h);

Le no anglais John Davis, en 1616 : «Les habitants de Madagascar sont d’un assez bon naturel, mais il ne faut pas se fier à eux et il est bon de se tenir toujours sur ses gardes» (t. Il, p. 102-103);

Le colon et traitant anglais Richard Boothby, en 1630 : «Tous les Malgaches [ du Sud-Ouest] volent. Quand ils rencontraient nos gens dans la brousse, tout en ne leur faisant pas de mal, ils les fouillaient et leur prenaient les verroteries qu'ils avaient sur eux. Toutefois ils ramenaïent obligeamment au navire ceux qui se perdaient dans les bois... C’est grand dommage qu'un pays aussi plaisant et aussi fertile ne soit pas habité par des gens civilisés» (t. IIT, p. 99 et 100);

Powle Waldegrave, l'un des douze colons anglais qui revinrent en Angleterre sur les cent quarante envoyés en 1644 par William Courteen à la baie de Saint-Augustin sous la direction du capitaine John Smart : «Nous avons d’abord été encouragés par l'accueil en apparence bienveillant des indigènes et par leurs promesses, qui furent ensuite reconnues trompeuses... Ces indigènes sont rusés et usent d’une foule d'artifices; ils ont toujours la bouche pleine de belles paroles et prononcent des discours éloquents, ils n'hésitent pas à faire les promesses les plus magnifiques, si bien qu'on leur accorde créance, tandis qu’en secret ils cherchent à faire

ETINOGRAPHIE. h3

IMVIRIMENRIE NATIONALE,

338 MADAGASCAR.

aux nouveaux venus tout le mal possible. Je consens à ce qu’on me coupe le cou s'ils se comportent loyalement avec des Européens pendant seulement six mois... Cinq des nôtres ont été tués traitreusement et le bétail que nous achetions nous était volé au fur et à mesure. C’est le peuple le plus faux, le plus traître et le plus inconstant du monde» (t. III, p. 222 et 254);

Le traitant hollandais Michel Jordis, en 1661 : Les indigènes [du Sud-Est et d’ Antongil] sont fourbes, lâches et dissolus. Lorsqu'ils méditent quelque trahison, ils viennent offrir leurs services, rampant à terre et disant : «Vous étes dés Dieux! nous ne sommes pas dignes de lever les yeux sur vous, ete.», et ils protestent

‘ils sont prêts à mourir pour vous. Mais il n°y a pas un mot de vrai dans toutes frs protestations d’ amitié» (& I, p. 293);

Le commissaire hollandais Jacob Granaet, en 1666 : «Les habitants de la baie de Saint-Augustin sont cupides, menteurs et voleurs. JIs ont cherché à à nous tromper par de fausses promesses» (1. Il, p. 334);

Drury, en 1710 : «Le prince Ravovä m'a dit que les Sakalavä étaient devenus vicieux depuis que leur pays s'était enrichi, et Le maintenant ils buvaient beaucoup d’arrack et se volaient leurs femmes les uns aux autres» (t. IV, p. 372);

Les marins du Barneveld, en 1719 : «Tous les Sakalavä sont d’un naturel essentiellement méchant; ils sont menteurs, fourbes, voleurs; ils n’ont pas le moindre sentiment d'honneur, ni la moindre loyauté dès qu'ils voient l’occasion de faire un bénéfice, si petit qu ‘il soit. Comme nous en avons fait l'expérience, ce peuple se compose, sans excepter le roi et les princes, des plus habiles voleurs, des mendiants les plus éhontés, des menteurs les plus roués et des plus fieffés coquins qui se puissent rencontrer dans n'importe quel pays. Ils sont läches; vils et humbles devant leurs supérieurs et même devant leurs égaux, ils se comportent, en revanche, avec cruauté et tyrannie vis-à-vis de leurs inférieurs et des gens imcapables de leur résister. Bruyants dans leurs relations ordinaires, ils s'injurient cependant rarement et, plus rarement encore, se donnent des coups» (t. V, p. 23-24);

Le commandant du Philippeaux, Caron, en 1756 : «Les gens de Tuléar sont voleurs, menteurs et paresseux» (Journal de bord, Archives de la Marine) ;

Mayeur, le chef de traite de Benyowski, en 1774 : Les esclaves d’origine sakakavä sont les pires de tous : inquiets, remuants, portés à la révolte, ils mettent la dissension parmi les autres passagers du bateau; les femmes sont aussi à craindre que les hommes. Rendus aux îles, ils répugnent aux travaux de la terre; la douceur et la sévérité sont sans effet sur eux, et l’on n’en peut tirer parti qu'en leur confiant la garde d’un troupeau» (Manuscrit du British Museum) ;

Lo Bron de Vexela, en 1845 : Ayant invité le roi de Balÿ, Raboky, à visiter mon navire, ce roi s’embarqua dans mon canot avec sa suite, mais à peine y furent-ils assis qu’ une foule de Sakalavä l'envahirent. J'eus beau prier le prince de le faire évacuer, il ne me répondit pas: je saisis alors cinq ou six de ces intrus et les jetai à l'eau; mes marins en firent autant, et nous pûmes quitter le rivage; mais cinq pirogues qui se trouvaient sur le sable furent mises à l'eau, se remplirent de monde et se dirigèrent vers le navire elles arrivèrent avant nous. Le capitaine qui était resté à bord voulut empêcher les Sakalavä de monter sur le navire, mais ils grimpèrent de tous côtés et, en un instant, le pont fut envahi. Lorsque Rabokÿ fut à bord, je fis tirer six coups de canon, ce qui parut l'amuser sans l’étonner, et je le fis descendre au salon, ayant soin de placer deux marins en haut de lescalier pour empêcher les Sakalavä de suivre leur prince; une yinglaine forçèrent la consigne et la chambre fut bientôt si remplie qu'on n’y pouvait respirer. J'avais eu soin de mettre des marins sur l'arrière du navire avec leurs armes chargées, car il était prudent de prendre des mesures de sûreté, vu la foule de sauvages en armes qui envahissaient le pont. Je fis servir au roi de la viande et lui fis boire du madère, du frontignan, du curacao et de l'anisette ; il en but, mais il me demanda du genièvre et distribua à sa suite toutes les bouteilles qui se trouvaient à sa portée, ainsi que le beurre, les olives, les macarons, ele, qui étaient sur la table, de sorte qu'ils devinrent tous je ne dirai pas gais, mais insupportables ; je m'empressai de faire servir le café, afin de terminer le déjeuner. L'un des suivants du prince prit alors la parole : «Raboky est content de votre réception. Maintenant qu’il a bien mangé, il veut voir les jolies choses que vous apportez». Je leur dis de monter sur le pont, et tous se levèrent, mais, avant de quitter la chambre, ils mirent ce qui restait sur la table au pillage, mangeant le beurre à pleine main, se distribuant les cigares, etc., sans Loucher toutefois aux couverts d'argent. Sur le pont, je fis voir au roi des armes de luxe, des parapluies en soie rouge, des perles d’or; je lui montrai ensuite un collier de grains de corail gros comme des balles de fusil; 1 me l’arracha des mains, tant il avait hâte de l’examiner, et, le mettant à son cou, ül se tourna de tous les côtés pour se faire admirer de ses sujets qui tous avaient l'air ébahis de la splendeur de leur souverain. Je dis à Rabok) de me le rendre, il ne voulut pas et ne cessa de l’ôter, de le regarder, puis de le remettre. Je finis par m'en saisir, mais je dus lâcher prise de peur de le casser et que les grains ne s'éparpillassent sur le pont. Je ne savais comment le ravoir sans me facher, lorsque l'idée me vint de lui dire que, dans la boîte que je tenais, il y en avait de plus grands et de plus beaux; à l'instant il l'ôta et me le rendit. Mais, ne jugeant pas prudent de faire un nouvel essai, je fis battre du tambour et sonner de la trompette, et, pendant la musique, je fis disparaître les perles et les coraux. Puis, comme la grande quantité de liqueurs qu'ils avaient tous absorbée faisait son effet je me hâtai de me débarrasser d'eux en disant que j'étais trop fatigué pour leur montrer d’autres objets, que le lendemain nous continuerions et que je porterais au roi quelques gouttes d'extrait de cantharide, qui lui donneraient de la force et le rajeuniraient, comme j'en avais déjà donné à quelques Anta-

ETHNOGRAPHIE. 339

laotsä [Malgaches arabisés]. Nous nous serrèmes la main et je le fis reconduire dans mon canot, pendant que sa suite quitta le navire comme elle y était venue, en s’accrochant aux cordages du navire comme des singes; malgré l’état complet d'ivresse de la plupart de ces gens, ils parvinrent tous à leurs pirogues sans accident. J'ai été bien content de m’en débarrasser aussi facilement» (Revue de l'Orient, 1846, p. 299-300);

Capmartin en 1804: «Les Sakalavä cachent leur dépravation sous l'apparence de la bienveillance; ils abordent toujours les étrangers avec le sourire de la bonté sur les lèvres, mais il ne faut pas s’y fier. Un des officiers de notre bord qui chassait fut entouré par quatre indigènes dont l’un s’empara brusquement de son fusil pendant que les trois autres causaient avec lui et détournaient son attention, et, sautant un petit cours d'eau, le mit en joue; force lui fut de revenir les mains vides. Ils ont une fierté ridicule et, connaissant quelques mots d'anglais, tous s’annoncent comme «great men», comme des hommes importants (Notes sur la baie de Saint-Augustin, Ann. des Voyages, t. XI, 1810, p. 55 et 58);

Le capitaine anglais Vidal, en 1824 : «Ayant reçu à bord de mon navire le «Barracouta» le roi de la baie de Saint-Augustin, le roi Baba, et quelques-uns de ses chefs et, les ayant introduits dans ma cabine, j’eus à m'en repentir, car ils s'enivrèrent, vociférèrent et touchérent à tout, demandant insolemment des cadeaux» (Cap. Owex, Narrat. of a voyage to Africa, 1833, t. Il, p. 92);

Le peintre Coppalle, en 182 : «Jean René, dons la conversation est aussi plaisante que son extérieur est original, dépeint les Hovä comme les plus rusés et les plus flatteurs des hommes, et il ne tarit pas de plaisan- teries au sujet de leur avarice et de leur malpropreté» (Manuscrit Bibl. Froberville et Bull. Acad. malg., 1909, p- 28);

Vincent Noël, en 18/0 : «Les Antiboinä, rebut des Sakalavä du Ménabé et de l'Ambongô, sont moins belli- queux; ils ont un caractère féroce, une haine profonde des étrangers, la passion du meurtre et du pillage» (Note sur les Sakkalaves, Bull. Soc. Géogr. Paris, serie, t. XIX, 1843, p. 281);

Le commandant Guillain, en 18h49 : «Les chefs subalternes sakalavä (du sud du Boinä) sont fourbes, vaniteux, cupides, adonnés à l’ivrognerie, et se préoccupent peu de l'avenir de leur pays» (Documents sur la

côte Ouest de Madagascar, p. 267) ... «D’après ce qu'on m'avait dit à Nosy au sujet des Sakalavä de Tafikandrô [du Boimä], je pensais ones en eux des hommes énergiques et intelligents, imbus avant tout de l'amour de leur mdépendance et de la haine des Hovä, j'avais foi en leur caractère belliqueux, et je me représentais leur chef comme un homme d'un caractère hardi et entreprenant, respecté et écouté par ses sujets. C’étaient autant d'illusions que j'ai perdues lorsque je les eus vus à l'œuvre»... «Les Sakalavä sont tur- bulents, vaniteux, menteurs, insouciants de l'avenir, défiants par ignorance et souvent cruels par superstition. Mais ils ont beaucoup d'amour-propre une imagination vive, une intelligence assez facile; ils sont sobres, vigoureux, durs à la fatigue, capables d'enthousiasme et peu vindicatifs. Instruits et bien commandés, ils feraient de très bons soldats» [!] (loc. cit.) ;

Le R. P. Dalmond à Tuléar, en 1845 : «Les Sakalavä de la côte ont un air calme et doux (auquel il ne faut pas se fier), et le prince Duke nous a accueillis avec tant de bienveillance que nous ne pouvions que nous y laisser prendre; en réalité, ils se présentent sous une double face : bons et aimables sous la première, sous la seconde ils sont dépravés, faux, mendiants et voleurs, vices provenant de leur commerce avec toutes sortes d'étrangers. Dans les premiers jours de notre arrivée, ils nous aimaient, nous respeclaient; on venait nous chercher de divers côtés, nous suppliant de venir le plus tôt possible, de sorte que nous ne savions à qui entendre et que nous espérions arriver peu à peu à les corriger de leurs vices; mais, depuis, ils se sont montrés si hypocrites, si perfides, si mendiants, qu'il y ee tout lieu de nous tes Les kabary ou palabres se succédaient sans cesse, les envoyés ou prétendus envoyés du roi contredisant le soir ce que d’autres avaient dit le matin. A tout instant, on nous demandait des cadeaux, de la toile, etc., et lorsque nous leur répondions que nous en avions déjà donné beaucoup et que bientôt nous n’aurions plus rien pour acheter des vivres et serions alors condamnés à mourir de faim : «Mourir de faim! s’écriait le chef d’un ton france «(imais il eüt été fort imprudent de se fier à ses promesses). Ah! non; si j'ai du riz, tu auras du riz; si j'ai du -miel, tu auras du miel; si j'ai du bœuf, tu auras du bœuf, etc.». Lorsque j je me promenais sur la plage de Tuléar en disant mon bréviaire, hommes et femmes m’entouraient, marchant quand je marchais, s’asseyant à côté de moi lorsque je m'asseyais, et, sans rire, sans parler, les uns fixaient mes yeux, les autres mon livre, d’autres suivaient avec attention le mouvement de mes lèvres, etc. Quand j'avais fermé mon bréviaire, alors ils me parlaient, prenaient mon chapeau, mes lunettes, etc., qu'ils essayaient, et ils en arrivaient toujours à la fin à emenses un petit cadeau, un hamecon, un bouton, une aiguille, ete., et j'avais beau leur dire : Tsy soa manpatakä! ce n’est pas bien de mendier! ils n’en ent pas moins; une petite fille me répondit un jour : «Ext-il donc si mal de demander quelque chose à son père? Non, certes! ai-je répondu tout an “admirant cette charmante répartie, mais nous avons tant d'enfants, comment pourrions nous donner à tous? (Ann. Marit. et Colon. Bajot Rev. Colon., 1846):

Le Rév. Walen, en 1879 : «Les Sakalavä du Sud-Ouest sont intelligents, mais ils ont des passions violentes, facilement surexcitées, qui les rendent emporlés, grossiers sauvages; c'est en somme un peuple fourbe, per- fide, brutal, arrogant, adonné au vol, à l’ivrognerie, aux disputes, pillant partout il peut. On trouverait difficilement un peuple plus voleur, car tous les Sakalavä sans exception volent et en conviennent sans honte : Mangalatsa ny Sakalava 1aby, andraka izaho koa [tous les Sakalavä volent, moi-même je vole], me disait l'un des meilleurs que j'aie connus.» ... «Au premier abord, on est surpris de l’obligeance, de la complai-

u3.

340 MADAGASCAR.

sance, de la bonté des Sakalavä, car ils sont habiles à dissimuler leurs desseins, mais après quelque temps, quand ils croient tenir l'étranger en leur pouvoir, ils montrent leur vrai caractère, demandant tout ce qu'ils voient et cherchant à voler tout ce qui est à la portée de leur main; s'ils n'y arrivent pas par un moyen, ils en cherchent un autre. Un Européen est toujours en danger au milieu d’eux. Ce qu'ils n'osent le jour, ils le font la nuit. Autrefois, les navires en rade étaient souvent pillés par les Sakalavä qui s’introduisaient à bord la nuit, tuant les matelots, volant tout ce qui leur convenait, puis échouant la coque sur les bancs de corail; aujourd’hui que des navires de guerre sont venus bombarder leurs villages pour les châtier de leurs dépré- dations, ils ne le font plus, car ils ont un grand respect pour les canons et les boulets. Quand ils ne viennent pas en bande hurlante voler les traitants européens, ils ont recours à toutes sortes de fourberies, se présentant comme mendiants ou entrant dans leurs maisons, comme amis bien entendu, avec un chef ou quelque grand du pays, demandant ce qui leur plait et importunant le traitant de toutes les manières, car, suivant eux, les étrangers doivent satisfaire à toutes leurs demandes et supporter toutes leurs tracasseries en échange de la per- mission qu'ils leur donnent de résider dans leur pays et d’y faire le commerce; il est vrai qu’ils accompagnent leurs demandes des phrases les plus flatteuses. Ils ne voient pas un seul objet en la possession d’un Européen sans le mendier, et, si l'Européen ne se laisse pas séduire par leurs paroles mielleuses, ils ne se font pas faute de lui dire qu'Us y ont droit puisqu'ils tolèrent sa présence parmi eux; mainlent-l son refus, ils lui répètent sur tous les tons qu'il est un homme vil, sans honneur, sans bons sentiments et qu'ils se donneront le grand plaisir de le chasser bientôt de chez eux; ils vont même souvent jusqu'à le menacer de le tuer, «puisque, disent-ils, il est leur ennemi, n'ayant nul souci de vivre en bonne amitié avec le roi et les chefs». Il n’est pas rare que les princes Sakalavä ivres tirent des coups de fusil dans la cour des traitants pour les effrayer, et quelquefois les balles percent les murs et pénètrent dans les maisons; il ÿ a même eu une ou deux occasions ils ont tiré sur le traitant lui-même : on voit, du reste, de nombreuses traces de balles sur les murs en tôle des magasins de toute la côte occidentale» (Antananarivo Annual, 1879. p. 8-9);

Le commodore anglais Molyneux, en 1880 : «Les Sakalavä ne travaillent jamais pour eux que momenta- nément et pendant un temps très court, et il n’est pas vraisemblable qu'on les déciderait, même à prix d'argent, à travailler pour d’autres. Leur goût et leur idée sont de ne rien faire et d'éviter toute peine» (Report in Blue Book, 1881);

Le vice-consul anglais Pickersgill, en 1885 : «Les Sakalavä sont indubitablement les moins utiles et les moins aptes à la civilisation de toutes les peuplades de Madagascar. Leur pays, à l'exception des parties qui sont sous la domination des Merinä, est laissé inculte et est peu ouvert au commerce. Même ceux qui sont sous le protectorat de Nosy n'ont pas fait, depuis une quarantaine d’années que les Francais les ont conquis; la centième partie du progrès qu'a réalisé dans le centre de l'ile le gouvernement merinä dans les dix dernières années» (Consul’s Report, 1885);

Le Rév. Père Cazeaux, en 1888 : «ll faut se méfier de ces écrivains et de ces conférenciers qui se plaisent à doter les Sakalavä de toutes les vertus aux dépens des Hovä. Qu'on ne s'y trompe pas : le nord, l'ouest et l'extrême sud de Madagascar sont les parties qui se prêtent le moins à une colonisation européenne [surtout à cause de leurs habitants]. Les officiers supérieurs et autres agents du gouvernement, les voyageurs et les trai- tants qui ont été interrogés par la Commission que la Chambre des Députés avait chargée d’une enquête sur celle île, ont été unanimes à proclamer les qualités négatives de leurs habitants. M. Grandidier, qui a vécu longtemps au milieu d'eux, me parait résumer l'opinion de tous, à une exception près, dans les lignes sui- vantes : «Les Sakalavä, dit-il, sont d’un commerce dur et difficile, et, en réalité, peu sympathiques. Leurs «facultés intellectuelles et morales sont émoussées non seulement par les superstitions brutales auxquelles tant «de siècles les attachent, mais surtout par l’état d’anarchie avilissant dans lequel ils vivent de temps immé- æmorial. Leur ignorance absolue et leur amour effréné d'indépendance, surtout dans le Sud et dans l'Ouest, «laissent peu d'espoir d'arriver à les civiliser promptement», et il ajoute que les missionnaires n'ont eu aucune action sur eux. De fait, l’un des derniers qui ait tenté de se mettre en rapport avec eux m'écrivait : «Les «Sakalavä! ils ne valent pas la peine qu’on s'occupe d'eux». Je doute qu’on trouve une autre peuplade aussi tenace dans ses habitudes de sauvagerie. Peut-on en attendre quelque aide pour les travaux d'exploitation? Non. Habitués à la vie nomade, ils ne s’asteindront pas à une vie dure et pénible qui génerait leur indépendance. Voici ce que dit le principal et le plus ancien des traitants de la baie de Saint-Augustin, et les autres ne le contredisent pas : «Les habitants de cette contrée sont peu sociables. Rapaces et voleurs, ils sont toujours aux aguets pour dérober les objets qu’ils convoitent. Aussi les commerçants, dans leurs transactions à terre, doivent- «ils débarquer peu de marchandises à la fois et être bien armés pour tenir leurs vendeurs en respect. On ne «peut prudemment s'établir sur la terre ferme qu’en se réunissant plusieurs familles de manière à former une «force respectable en cas d'attaque» (Bull. Soc. Géogr. de Bordeaux, 1888, p. 300-301);

Campan, résident de France à Tuléar, qui a été à même de les bien connaître, en 1889 : «Les Sakalavä sont d’affreux sauvages, intelligents, mais fourbes, hypocrites, paresseux, cruels, pillards » ;

Le Rév. Mac Mahon, en 1899 : «Les Sakalavä ont été plus longtemps et plus constamment en relations avec les Européens que les habitants de la côte orientale, car les navires qui allaient aux Indes s’arrêtaient fréquem- ment sur la côte occidentale pour s'y approvisionner de vivres et d’eau, mais ces relations n’ont pas réussi à atténuer leur barbarie et ils sont moins civilisés que les indigènes de l'Est» (Antan. Ann., 1892, p. 389)... «lis ont un orgueil et un égoïsme extrêmes, et ils se croient les égaux des Européens qu'ils traitent en

ETHNOGRAPHIE. 341

conséquence, et cet orgueil, cet égoisme sont aussi déplaisants que les bonnes manières et la politesse des Hovä sont agréables. Jamais ils ne montrent de reconnaissance et ils ne se donnent jamais la peine de remercier lors- qu'on leur fait un don ou qu'on leur rend un service quelconque.»

(ES ÎL y EN A ENFIN QUI SE LOUENT DES UNS ET SE PLAIGNENT DES AUTRES :

D’après le vice-roi des Indes portugaises Nuno da Cunha. en 1529, «les habitants [ de Morombé] dans le Sud-Ouest sont d’un naturel pacifique et sans méchanceté,... les indigènes de l’intérieur sont barbares» (Coll. Ouvr. anc. Madag., t. 1, p. 69, 72 et 74).

Le voyageur et auteur anglais Purchas dit, en 1613, que : «lors de la découverte de Madagascar, en 1506, les Malgaches se sont montrés inhospitaliers et traitres, répondant aux bontés (!) des Portugais (1 par des attaqués faites à bord de leurs pirogues creusées dans des troncs d'arbre» (Coll. Ouvr. anc. Madag., t. 1, p- 496). et, plus loin, qu'eun voyageur qui a été à Madagascar avec plusieurs compagnons a trouvé les Mal- gaches forts et actifs, polis, honnêtes et intelligents» (loc. cit., t. I, p. 497).

Les missionnaires portugais, les RR. PP. Luis Mariano, d’Azevedo , d’Almeida, Custodio da Costa, Jean Gomes, qui ont visité, en 1613 et 1614 et de 1616 à 1620, les côtes Ouest, Sud et Sud-Est dans le but d’évangéliser les indigènes, en font d’abord l'éloge dans la relation de leur premier voyage (1613-1614) : «Tout grossiers et ignorants, qu'ils sont, dit le P. Luis Mariano ( Coll. Ouvr. anc. Madagascar, t. 11, p. 7 et 21), ils ont néanmoins un caractère doux et facile et sont d’un bon naturel et hospitaliers, comme nous pouvons l’aflirmer d’après l'expérience que nous avons faite avec les prisonniers et les esclaves que nous avons emmenés (p. 21); ils sont habiles dans les divers métiers manuels de charpentier, de tisserand et de laboureur (p. 13). À la côte Ouest, ce sont des barbares très adonnés aux sortilèges, qui cependant, après avoir sur l'avis de leurs devins fait prendre du poison à un individu qui devait mourir si nos intentions étaient mauvaises et qui survécut, nous firent un bon accueil; le roi Kapitapä, un vieillard respectable, nous témoigna même une confiance extraor- dinaire en remettant entre nos mains son fils Rakisä que nous lui ramenämes quelques mois après (p. 67). I faut toutefois excepter les « Bouques» [indigènes] de la côte entre le Mania [le Tsiribihinä] et le cap Saint- Vincent [| Morombé] qui sont de si méchantes gens qu’il n’y a rien à faire avec eux; les habitants de l’intérieur sont plus riches, plus courageux et plus industrieux (p. 22). À Manombô, le roi Andriamazotô nous a accablés de témoignages d'amitié et de confiance et n’a cessé de nous traiter avec infiniment de bonté, nous donnant des vivres en abondance (p. 24, 25 et 28). À Saint-Augustin, les indigènes, entendant quelques-uns des nôtres qui remontaient le fleuve tirer un coup de mousquet sur un crocodile, accoururent sans crainte et sans armes, en pleine confiance (p. 30). Un peu plus au Sud, à la baie des Masikord, le roi Andriamasinalinä et son fils nous ont aussi témoigné des sentiments amicaux et se sont montrés très bienveillants à notre égard, quoiqu'ils n'aient jamais voulu signer le traité de paix et d'amitié que les autres rois de l’Ouest avaient tous accepté sans difficulté (p. 34). Quant au roi du Sud-Est, Tsiambany, quoiqu'il se soit montré animé de bons sentiments, nous n’en eùmes pas moins des doutes sur sa sincérité, car il ne cessa de quémander de l'or et de l'argent avec effronterie et äpreté (p. 38). Deux des nôtres, le Père Freire et le maitre de la caravelle Antonio Gonzales, se rendirent sur son invitation à sa capitale Fanjahirä et recurent, tout le long de la route, un accueil franc et sympathique, chacun s'empressant de leur offrir l'hospitalité et leur faisant cadeau de fruits et de vivres (p. 51): le roi ne consentit pas toutefois à entamer des négociations avant qu'ils lui eussent donné un bon nombre de piastres et de perles de verre, mais, dès qu'il eut eu satisfaction, 1 les traita avec une grande familiarité et leur témoigna beaucoup d’amitié, venant continuellement les visiter dans leur case (p. 8). Inférieurs aux Cafres sous le rapport de la force, les Malgaches leur sont très supérieurs au point de vue de l'intelligence, de la capacité et du caractère et ils sont moins grossiers et moins bruts (p. 13 et 185, notule); ils vivent néanmoins dans l'état le plus misérable, ne connaissant pour ainsi dire pas Dieu, n'ayant ni lois ni roi pour les diriger; ils sont toutefois capables de comprendre les enseignements de la religion et de la raison (p. 13), les grands étant des gens de sens et tous les enfants ayant un excellent caractère et une intelligence très vive (p. 185, notule). [ n’est que juste de les louer de leur hospitalité. Certes, il leur manque les notions de justice, d’honnéteté et de dévouement, et la somme des vices est en général chez eux très supérieure à celle des vertus; cependant ils ne sont pas lout à fait incapables d'honneur et de probité, et, lorsqu'ils n’obéissent pas à des idées superstitieuses ou à l'intérêt, ils sont doux et indifférents plutôt que violents et sauvages. Toutefois ïis aiment à se venger, mais sans se hâter. Les malheurs d'autrui ne leur inspirent pas de pitié et ils assistent avec joie aux supplices des condamnés. On enseigne aux enfants, comme l'un des principaux devoirs sociaux, à chérir leurs parents et à respecter les vieillards, et, lorsqu'ils sont ma- lades, ils les soignent avec dévouement et affection. En résumé, bons et simples dans la vie privée, ïls sont cruels par superstition et dans leurs lois pénales.» Toutefois, le Père Luis Mariano accuse de mauvaise foi le roi TsiambanY, parce qu’il ne voulait pas laisser emmener son fils aîné à Goa pour y recevoir une éducation chré- tienne, comme il s'y élait engagé dans le traité d'alliance qu’il avait conclu avec le capitaine de leur navire qui se vengea de ce manque de parole en enlevant à main armée l’un des jeunes princes (p. 55-64)].

Mais, dans la Relation de la seconde mission portugaise dans le Sud, l'Ouest et le Nord-Ouest, le même

) Bontés qui ont consisté en massacres barbares el anc. Madag., publiée par A. et G. Grandidier, t. I, 1903, inutiles, en pillages et incendies (voir la Coll. des Ouvr. p. 19,20-22, 26-30, 38).

312 MADAGASCAR.

Père Luis Mariano et ses confrères les RR. PP. d’Azevedo, d’Almeida, Custodio da Costa et Jean Gomes na parlent plus des habitants de Madagascar en termes aussi élogieux; ils s’en plaignent au contraire amè- rement ), Les Blancs» d’Anosÿ [ou les Nobles, qui sont des descendants d’Arabes et quelques-uns de Por- tugais ou de Hollandais et qui ont le teint plus clair que les autres habitants du pays] ont une plus grande intelligence que les «Noirs» [ou le reste du peuple], assez grande pour apprendre ce qu'ils veulent; les «Noirs» sont cependant plus intelligents que les Cafres (p. 139). Ils sont très adonnés à la sorcellerie et ont une grande cupidité, un amour insatiable des richesses, ne se Jassant pas de demander des perles de verre qui, chez eux, jouent le rôle de monnaie et, quelle que soit la quantité qu’on leur en donne, ils ne se liennent jamais pour satisfaits; ce sont les plus hauts personnages qui mendient le plus (p. 139-140) : quand on leur donne un objet, ils en demandent de suite un autre, et, si l’on accepte d’eux un cadeau, il faut leur en faire un d’une valeur triple ou quadruple, sans quoi ils maugréent et se plaignent. Aussi sommes-nous obligés de faire sans cesse des présents aux grands du pays afin de les flatter et de les empêcher de se mettre en travers de nos desseins (p. 140), et cependant, malgré toutes nos libéralités, le roi antanosÿ Tsiambanyÿ n’a cessé de nous causer une foule de vexations, empêchant non seulement son peuple de venir à nos prédications, mais lui interdisant de nous vendre des vivres et ne tenant aucune des promesses qu'il nous avait faites (p. 160- 161); ce sont en réalité des brutes extraordinairement attachées à leurs coutumes et aux pratiques musul- manes (p. 161), et ils sont très méchants et fourbes et voulaient nous tuer pour nous voler nos effets (p- 170-171); ils ont l'habitude de mentir effrontément, et l’on ne peut compter savoir d’eux la vérité que lors- qu'ils ne se méfient pas et qu'ils ignorent les desseins de leurs interlocuteurs, car, dès qu'ils se doutent de leurs intentions, ils mentent effrontément et il n'y a plus la moindre foi à ajouter à ce qu'ils disent (p. 177).

«Quant aux habitants de la côte Ouest, ils ont un bon caractère et ne sont pas trop quémandeurs ni trop vaniteux, et leurs mœurs sont moins licencieuses que celles des Antanosÿ (p. 212), ce n’en sont pas moins de fieffés menteurs, pleins d'astuce, ayant tous les vices de leur race et se complaisant dans la sauvagerie dans laquelle ils vivent; malhonnêtes, ingrals et âpres au gain, ils ne nous ont jamais témoigné la moindre amitié et n’ont cessé de convoiter ce que nous possédions (p. 244). Le fils du roi, Rakisä, que son père avait confié au P. Luis Mariano à son premier voyage en 1613 et qui lui avait paru être un brave homme et avoir bon cœur, quoique peu intelligent, et qui lui avait encore paru tel au commencement de son séjour au Ménabé en 1616, n'a pas lardé, dès que le navire fut parti, à se montrer insolent, comme tous les grands du pays, et même pire, plus äpre au gain et plus cupide que les autres; il ne venait jamais voir les Pères que pour qué- mander des cadeaux (p. 211-219, 217 et 29). On ne peut ajouter aucune foi à leurs promesses, ni se fier aux traités qu'on fait avec eux, car ils ne les observent pas, quoiqu’ils ne fassent jamais de mal à ceux qui viennent chercher un refuge auprès d'eux, fussent-ils des ennemis (p. 256, note). En réalité, ce sont des païens endurcis, animés des plus mauvais sentiments, se conduisant comme des brutes et non comme des êtres raisonnables (p. 226-227); la corruption de leurs mœurs est déplorable et ils ont dans le sang une idolâtrie compliquée de mahométisme (p. 232). Ils ont beau avoir plus d'intelligence que les Cafres, cela ne les em- pêche pas d’être méchants, voleurs, menteurs, débauchés, etc. (p. 240). Dans le Nord-Ouest, à Boinä, les indigènes sont aussi quémandeurs que partout ailleurs; grands et petits, tous veulent avoir des cadeaux, men- diant sans vergogne et critiquant tout ce qu'on leur donne (p. 309); ils sont également d’effrontés menteurs et, dans les transactions commerciales, ils s’ingénient à tromper tout le monde et n'ont aucune bonne foi ; ils sont très adonnés à la débauche» (p. 327).

Cauche, en 1638, trouve les indigènes de Madagascar «fort traitables» (Relat. Voy., p. 173) et «prodigues de démonstrations d'amitié»; il en loue l'hospitalité (p. 12-15), mais, quelques pages plus loin (p. 21), il les accuse de perfidie et raconte que, étant allé à la vallée d'Ambolÿ avec quelques compagnons pour acheter du bétail, ils furent en butte à l'hostilité des habitants «qui ne songeaient qu’à les tuer pour les voler».

John Smart, le gouverneur de la colonie anglaise envoyée par W. Courteen à Saint-Augustin, écrit en 1644 : «Les indigènes sont d’un caractère vil et perfide; ils n’ont pas sous ce rapport leurs pareils dans le monde entier. Ils ne tiennent jamais leur parole ni leurs promesses, et M. Hamond m'exeusera si je lui dis qu'il ment lorsqu'il raconte qu'ils sont justes et loyaux. Sur toute la terre, il n’y a pas de gens plus voleurs et plus perfides : ils nous ont volé beaucoup de bœufs» (Coll. Ouvr. anc. Madagascar, t. V, p. 458)... «C'est une population scélérate et perfide» (t. V, p. 459). .. .«Pour ce qui est du commerce, les gens d'iei sont les êtres les plus inconstants et les plus capricieux qui soient jamais venus au monde : autrefois, ils ne voulaient que des vakanà [des perles de verre], et maintenant ils les refusent tout comme les harangä [fuseaux de cornaline ] (excepté dans le Sud), les samsams [perles de verre rouges], ete., et ils ne veulent plus que du fil de laiton» (t. V, p. 461-462);

Flacourt, qui a été gouverneur de Fort-Dauphin de 1649 à 1656, est certes un des hommes dont le nom mérite de figurer au premier rang de ceux qui ont appelé l'attention de la France sur Madagascar; le livre

Q) J1 y a lieu de remarquer, d’une part, que l’enlè- étaient heureux de voir chez eux et qu'ils choyaient et vement, en réalité eriminel, du jeune prince Antanosÿ a flattaient avec l'espoir d'être largement récompensés de suscité, non sans raison, une haine violente et de la leur accueil hospitalier par les dons et les cadeaux que méfiance contre les Portugais, et, d'autre part, qu'ils les marins Européens avaient la coutume de distribuer

n'étaient plus des «hôtes de passage» que les indigènes avec une grande libéralité.

ETHNOGRAPHIE. 343

qu'il nous a laissé est utile pour l’histoire de cette île ainsi que pour l'étude de ses habitants et de ses pro- ductions naturelles. Mais tous les éloges qu'on a coutume de faire de lui sont-ils bien mérités?

Ilomme courageux et hardi par tempérament, prudent par raison, politique avisé, administrateur intègre et vigilant, bon observateur, naturaliste distingué, dit-on d'ordinaire! Toutes ces qualités étaient-elles bien siennes? Nous nous plaisons à reconnaitre qu'il est un des premiers et des plus intéressants pionniers fran- çais à Madagascar, mais la vérité nous oblige à apporter des restrictions aux éloges dont on le comble d’ordi- naire. Un autre pionnier, de la seconde heure, à peu près ignoré aujourd'hui quoiqu'il ait vécu à Madagascar de 1743 à 1768 et qu'il y ait rempli des fonctions officielles tant dans l'ile de Sainte-Marie, à Fénerive et à Foulpointe qu'à Fort-Dauphin, M. de Valgny, a dressé contre lui un vrai réquisitoire il a mis quelque

eu de fiel, mais se font jour beaucoup de vérités. k

Voici l'Erirre pe M. pe Vazcewx À pe Fracounr, aux Guawrs-ÉLysées, datée de Fort-Dauphin, en 1751 :

+INustre délunt, vous avez fait imprimer, par la grâce et avec le privilège du Roï, à l'Enseigne de la Jus- tice, quelques faussetés sur Madagascar. Souflrez que, sans privilège de qui que ce soit, mais sous la bannière de la simple vérité, je rétablisse les faits. Les erreurs que vous avez propagées et que l'ancienneté a ren- dues respectables ont peut-être égaré à Madagascar quelques-uns de vos lecteurs qui y ont élé attirés par le tableau que vous en avez tracé.

J'applaudis à vos intentions si vous avez cru les choses telles que vous les dites, mais je ne puis que blimer votre mémoire qui n'a pas arrêté votre main lorsqu'elle a écrit dans un chapitre Îe contraire de ce qu’elle avait mis dans un précédent. Dans votre épitre à Messire Nicolas Fonquet, vous dites que les Malgaches sont sans fard et sans artifice, qu'ils ont conservé sans interruption ce qu'ils ont appris de la loi de nature dans laquelle ils vivent encore. Or, s'ils sont sans fard et sans artifice, pourquoi avez-vous fait graver sur une colonne, dont l'image est à la page 36°, chapitre zxiv, de votre livre, cet avis aux voyageurs : Cave ab incolis! Défiez-vous des gens de ce pays!

+Et est-ce bien la loi naturelle qui rend cette nation telle que vous la présentez dans le portrait que vous en faites au chapitre xxvn, page 83, vous la dépeignez perfide, voleuse, cruelle, sans bonne foi, sachant se contrefaire et cachant ses desseins. Si cela est, et cela est en effet, la nature dont vous dites qu’elle suit la loi lui donne une bonne instruction!

+ Vous avez encore, lilustre défunt, imprimé, dans le chapitre vous exposez les avantages que l'on peut relirer de l'établissement d’une Colonie à Madagascar, la phrase suivante : Cette colonie serait d’un entretien facile, car les Malgaches sont humbles et-soumis. .... (p. 446). Alors pourquoi avez-vous dit ailleurs (p. 83, chapitre xxvn) : S'il y a nation au monde adonnée à la trahison, dissimulation, flatterie, cruauté, mensonge, c’est la nation malgache! ... Ce sont les plus prands adulateurs, menteurs et dissimulés qu'il y ait au monde, gens sans cœur el qui ne font vertu que de trahir et tromper, promettant beaucoup et n’accomplhssant rien, si ce n’est que par la force et par la crainte; il les faut gouverner et mener par la rigueur et châtier sans pardon, grands et petits, lorsqu'on les trouve en faute. .... Cest la nation la plus vindicative du monde; de la vengeance et de la trahison, ds font leurs deux principales vertus, estimant mais et sans esprit ceux-là qui pardonnent®),

«Au chapitre xxur, page 76, vous dites : les femmes font des nattes de plusieurs couleurs, dont il y en a qui serviraient bien en France à parer les maisons les plus superbes à cause de la gentillesse et rareté de la matière. Or connaissez-vous en France quelques maisons superbes qui le seraient encore plus si elles étaient parées avec des nattes de Madagascar? et pensez-vous qu’un tissu de jonc, même fin, soit aussi précieux et aussi éclatant qu'une tapisserie de haute lisse ou des tentures d’étofles de soie dont on a coutume en France d’orner les maisons. La matière dont on fait ces nattes n’est pas aussi rare que vous le dites, car on la trouve dans tous les marais. 1

+ Mais je vous laisse aux Champs-Élysées avec les Roandrians [les Seigneurs] de Fort-Dauphin, qui, dites- vous, acceptaient volontiers d’être les sujets et vassaux des Français et qui cependant leur ont coupé la gorge» (Manuscrit de la Bibl. du Muséum d'Histoire naturelle de Paris, et Copie dans la Bibl. Grandidier).

Voici encore ce que disent :

Le commissaire hollandais Joachim Blank, en 1663 : «Les indigènes de la baie de Saint-Augustin semblent bien disposés à notre égard; ils sont familiers et généreux» et, plus loin : «ils sont quelque peu barbares et semblent animés de sentiments amicaux avec les étrangers, mais toutefois ils n’ont aucune loyauté», et en 1664 : «Les indigènes de la baie d’Antongil sont fourbes; les relations avec eux sont cependant faciles et agréables» (Coll. Ouvr. ane. Madag., &. IT, p. 309, 319, 329 et 330);

Le sieur Du Bois, en 1674 : «Tous ces gens [ces Malgaches] sont assez civils et courtois, n'ayant pas la brutalité des autres nations noires; ils sont spirituels et fins. Mais il est dangereux de se trop fier à eux; quand ils veulent trahir quelqu'un, c’est alors qu’ils font le plus de caresses» (Les Voyages du sieur D. B., p- 110-111);

D Il y a lieu de remarquer que Flacourt exceple les de trahison envers les étrangers, car ils tiennent une habitants de la baie d’Antongil, qui, dit-il, «sont gens autre loi, se disant de la lignée d'Abraham», mais qui, de peu de discours, mais de plus de foi que ceux du en réalité, ne valent pas mieux; d’ailleurs, il est resté fort

resle de la côte, qui ne sont pas cruels et n'usent pas peu de temps sur cette partie de la côle.

344 MADAGASCAR.

Le D' Edward Yves, qui a relàché dans la baie de Saint-Augustin en 1754 avec une escadre anglaise : «Les Malgaches sont gens polis et humains, mais ils se mettent facilement en colère et sont disposés à se ven- ger quand ils se croient offensés ou méprisés. Is ont une haute idée d'eux-mêmes et rien ne leur est plus sensible que d'être traités sans façon» (Coll. Ouvr. anc. Madag., t. V. p. 256-259)... «On nous a fréquem- ment volé notre linge et divers objets, mais avec tant d'adresse et de ruse que nous n’avons jamais pu prendre les coupables» (t. V, p. 263). Le Yves ajoute que la mauvaise foi et les fraudes dont se sont rendus cou- pables envers les indigènes les Anglais [qui leur ont vendu des fusils de mauvaise qualité dont les canons ont éclaté et en ont blessé ou tué] ne pouvaient manquer de nuire à leur nation (t. V, p. 256);

Benyowski, en 1776 : «Le caractère des Madagascaroiïs est le même par loute l'ile: curieux, faible, super- ficiel, superstitieux, ambitieux, voluplueux, menteur, hospitalier, compatissant, ivrogne, crédule, prodigue» (Manuscrit des Archives du Minist. des Colonies, Corr. Madagascar, sept. 1776);

Le voyageur anglais Makintosh, qui a reläché dans la baie de Saint-Augustin en 1780 : «Les indigènes font le commerce avec un jugement müri par l'expérience. Ils sont hardis et braves et ne pardonnent jamais une injure même à leurs supérieurs, se vengeant avec le mousquet ou la lance» (Coll. Ouvr. anc. Madag., t. V, p- 333)... «Ils sont sensés, intelligents et jaloux de leur liberté, mais peu fidèles à leurs engagements. Ils aiment les liqueurs fortes et s’enivrent. Ils sont adonnés à la licence et prostituent leurs femmes aux étran- gers» (p. 334)... «Ils sont hospitaliers, preuve d’un caractère humain» (p. 336):

Dumaine, l'un des chefs de traite de nos comptoirs sur la côte orientale, en 1790 : «Les Hovä ne sont retenus par aucune probité; ils ne mettent aucun frein à leur cupidité et se livrent à des friponneries inouies pour la satisfaire. Pour se procurer des esclaves, ils emploient les moyens les plus odieux»... «Les Hovä sont extrêmement fins dans le commerce, aussi laborieux quand ils sont libres qu'ils sont nonchalants et pares- seux lorsqu'ils ont perdu la liberté» (Voy. au pays d’Ancaye, Ann. Voy. Malte-Brun, t. XI, 1810, p. 180);

Buchan of Kelloe, lun des naufragés du Winterton sur la côte Sud-Ouest, en 1792 : «Les Malgaches ont un caraclère facile et enjoué qui s'allie à une grande intelligence et s’accommode mal des horreurs de l’escla- vage dans nos colonies européennes» (Coll. Ouvr. anc. Madag., t. V, p. 366)... «Leur esprit est vif et fin et 1ls sont curieux d'apprendre. Ils sont très irascibles et prompls à se venger. Peu sont exempts du vice d'ivrognerie. Ils sont très voleurs et pillent leurs voisins, mais sont honnêtes entre eux. Quoique nous ayons été comblés de prévenances et bien reçus d'ordinaire par eux, nous avons été peu à peu et continuellement volés, si bien qu’en arrivant à Tuléar, après avoir fait les cent milles qui séparent cette ville du lien de notre naufrage, il ne nous restait plus rien de tout l'argent que nous avions emporté, et que nous dûmes acheter des patates avec des boutons de nos habits, mais nons n’avons jamais été insultés et la bienveillance dont nous avons été l'objet de la part du roi Baba [roi du Fiherenanä] a été telle, que nous ne pourrons jamais lui en étre assez reconnaissants; aucune des dames naufragées n’a eu à se plaindre de ce roi, même ivre, qui venait souvent dans nos huttes» (p.386 et 3g1)... «Leurs vices et défauts se sont beaucoup accrus depuis que les Européens entretiennent des relations avec Madagascar : tout pénible qu’en soit l’aveu, il faut confesser que ceux-ci ont amené à leur suite dans tous les pays qu'ils ont découverts beaucoup de maux, et aucune des nations qui ont par- ticipé à ces découvertes n’est exempte de reproches, toutes ont commis de nombreuses injustices envers les peuples sauvages et leur ont infligé une foule de calamités» (p. 363-364);

Les PP. Neyraguet et Webber, en 1848 : «Le Sakalavä n’est pas méchant par nature, il n’est cruel que par circonstance; c'est le seul défaut, au reste, dont il soit exempt, car il possède énergiquement Lous les autres. Fainéant, il dort la nuit et se repose le jour; cupide, il désire posséder tout ce qui flatte sa vue, et il le demande sans honte : depuis le roi jusqu’au dernier de ses sujets, tout ce peuple est mendiant et men- diant jusqu’à limportunité. Cédez-vous à ses instances et lui accordez-vous l’objet de ses convoitises, n’attendez de lui aucun sentiment de reconnaissance, il semble que tout ce qu’on lui donne lui est dû. Mais le vice qui les domine tous, qui règne dans tous les rangs et à tous les âges, c'est limmoralité; aussi n’y a-t-il pas d’au- torité paternelle, pas de pitié filiale, en un mot pas d'esprit de famille» (R. P. ne La Vaissiène, Hist. de Madagascar, de ses habitants et de ses missionnaires, &. 1, p. 129-130 );

M°° Ida Pfeiffer. en 1857 : «Autrefois les Hovä étaient de tous les peuples de Madagascar le plus méprisé et le plus abhorré; on les traitait à peu près comme les parias dans l'Inde. Ce n’est que sous le roi Radamä et surtout sous la reine actuelle [ Ranavalonä 1°] qu'ils se sont distingués et ont su conquérir la première place par leur bravoure, leur intelligence et leur ambition. Malheureusement leur caractère n’en est pas devenu plus noble, et leurs vices l'emportent de beaucoup sur leurs vertus; comme le disait M. Laborde, le Hovä réunit les vices de tous les divers peuples de l'ile : le mensonge, la fourberie et la dissimulation ne sont pas seulement chez lui des vices dominants, mais ils sont tellement estimés qu'il cherche à les inculquer le plus tôt possible à ses enfants. Les Hovä vivent entre eux dans une méfiance perpétuelle et ils regardent l'amitié comme une chose impossible. Pour la finesse et la ruse, ils pourraient en remontrer aux plus habiles diplo- mates de l'Europe» (Voyage à Madagascar, trad. française, p. 211-212);

M. Cachin, agent de la Compagnie de Richemont, en 1862 : «Le peuple hovä est essentiellement courti- san: il est excessivement difficile de lire au fond de la pensée des individus, qui ne sont généralement que le miroir reflétant le visage du chef. Que ce chef accueille bien quelqu'un, ce quelqu'un sera accablé de poli- tesses par tous, officiers et soldats, de sorte qu’au lieu d’avoir l'opinion générale, on a simplement celle du

chef» (Documents sur la Compagnie de Madagascar, p. 383);

ETHNOGRAPHIE 345

Le R. P. Abinal, en 1885 : «Toujours prêts pour la guerre d'embuscades, les Sakalavä y affrontent la mort sans peur et sy montrent habiles... On aurait donc tort de nier leurs qualités guerrières, mais ils ont des vices profondément enracinés, qui les empêchent d'accepter facilement les bienfaits de la civilisation. Is sont paresseux pour travailler la terre et, quoique en général ils ne soient pas cruels, ils sont inexorables lorsque la superstition, l'intérêt ou la vengeance l’exigent : dans ces cas, les Européens eux-mêmes ne sont pas à l'abri de leurs coups» (Vingt ans à Madagascar, p. 44);

Douliot, en 18g1 : «Les Sakalavä masikorë du Ménabé sont doux, complaisants, braves, confiants, nulle- ment méchants même ivres; ils traitent bien leurs femmes», et plus loin : «Les Sakalavä de Maintirand ne valent pas ceux du Ménabé, ils se sont dégradés au contact des commerçants : leur politesse est devenue de la bassesse ou de la mendicité, et leur fierté, un prétexte à la paresse. Ils imitent leur chef qui, au lieu de prélever un impôt régulier, fraternise avec les voleurs, mendie royalement du vin et du rhum chez les Blancs, de la toile et des roupies chez les Hindous, fait des dettes avec l'intention de ne jamais les payer, emprunte les souricières et les ceintures pour voir comment elles sont faites et ne les rend pas. Les Sakalavä entrent chez nous sans qu'on les y invite, s'installent, se couchent sur nos meubles, boivent dans notre verre, nous enlèvent la cigarette de la bouche» (Journal du voyage fait sur la côte Ouest, p. 129-130);

M. Jean Carol, en 1896 : « Un de mes lecteurs m'écrit : «Certes, le niveau moral des Hovä est inférieur à celui des Européens, cependant ils suivent logiquement les indications de leur morale simpliste, tandis que les Européens agissent bien souvent contrairement aux prescriptions d’une morale supérieure dont ils se cplaisent à proclamer l'excellence». Placer son idéal moral à une très grande hauteur, puis lui tourner le dos et s’en éloigner chaque jour davantage en se donnant pour excuse les nécessités de la vie pratique, voilà, parait-il, le signe auquel se reconnait l’homme véritablement civilisé; les sauvages, les barbares assignent à leur maximum de vertus une limite plus voisine de la nature, un port plus hospitalier pour les pauvres forces humaines, ce qui leur permet d'y arriver et de s’y maintenir. Tout compte fait, les Hovä ne sont ni absolument mauvais, ni absolument bons, le bon et le mauvais se mélent chez eux, comme dans toutes les espèces de la famille humaine, ils sont différents de nous sous une foule de rapports, soit au total, comme on dit en mathématiques, «équipollents». Quel moraliste de bonne foi oserait s’indigner de leur hypocrisie, lorsque nos mœurs publiques et privées sont si profondément empoisonnées de ce venin, de leur cupidité, lorsque nous avons fait à l'argent la place qu'il tient chez nous, de leur cruauté, lorsque nous leur appli- quons avec tant d'énergie les dures lois de la conquête? Il est un vice que, nous autres races supérieures , nous possédons au plus haut degré, c'est l'ingratitude; nous nous en excusons volontiers, et comme nous avons beaucoup d'esprit, nous lappelons d’une jolie périphrase : l'indépendance du cœur; mais, chez les Malgaches, elle nous paraît odieuse parce qu'elle ne se donne pas la peine de se déguiser. Quant à leurs qua- lités qui sont curieuses et nombreuses, nous n’en reconnaissons que celles qui peuvent servir nos ambitions, et nous qualifions ingénument de brigandages les révoltes de leur patriotisme humilié. En réalité, nous ne sommes pas meilleurs que les Hovä; nous sommes plus forts, voilà tout» (Au pays rouge, 1896).

(2) Les Betsimisarakä, quoique trompés et opprimés par les Merinä depuis Radamä [‘, n’ont jamais eu une velléité de révolte contre leurs oppresseurs.

(3) A voir leurs vêtements qui sont souvent assez sales, on pourrait se faire une idée désavantageuse de leur propreté, mais cette malpropreté est tout extérieure, et tient à ce qu'étant pauvres, ils ne peuvent acheter de savon pour laver leur linge, qu'ils craindraient en outre d’user. Cependant les Antimoronä, les Antifasinä, les Antisakä et même les Antanosÿ sont sales, et leurs femmes, enveloppées dans des nattes grais- seuses, sont peu avenantes; leurs villages sont encombrés de bouses de vache lon enfonce jusqu'aux genoux.

(4) Quand le Malgache de Est a deux ou trois mètres de toile pour se vêtir, un pot de terre ou de fonte pour cuire son manger, son champ de riz et quelques bœufs, il est satisfait et ne désire rien de plus; aussi n'est-il pas facile de le faire travailler (). La paresse et l’indolence des Betsimisarakä est telle, que, dans la baie d’Antongil par exemple, on leur offrait, en 1865, 1 franc de la livre de caoutchouc, ils promet- taient d'aller en forêt le lendemain, et le lendemain ils ne bougcaient pas. L'apathie et l'insouciance qui leur font fuir tout travail exigeant de l'attention et de l’assiduité ne les empêchent pas cependant de se livrer avec entrain à des besognes dures et pénibles; c’est ainsi qu'un Betsimisarakä pagayera tout le jour en plein soleil ou par une pluie à verse, sans fatigue apparente; le violent exercice du port du filanjant ou palanquin plait à tous les habitants de l'Est, qui porteront gaiement leur maitre de l'aurore à la nuit par des chemins abrupts et glissants et qui, le soir, oublieux des fatigues de la journée, chanteront et riront entre eux; mais un travail régulier, sur place, les ennuie, et comme ils ont peu de besoins et qu'ils vivent avec plaisir de la vie la plus misérable, ils n’utilisent pas volontiers leurs qualités et forces physiques qui sont grandes.

(5) L'argent a peu de prix aux yeux des Betsimisarakä: dès qu'ils ont quelques sous, on ne peut les faire

® Flacourt, parlant des Zafy Borahä ou descendants des juifs qui habitent l'ile de Sainte-Marie et la côte voi- sine, dit “qu'ils sont tous grands ménagers [ économes], tant hommes que femmes et filles, et que, des le soleil levant, ils s'en vont à leur plantage d’où ils ne reviennent qu'a jour failli la chute du jour]. Ce sont les meil-

ETINOGRAPIIE.

leurs gens qui soient en cette ile. Ils ne sont nullement traitres ni adonnés à tuer» (Hist. de Madagascar, 1661, p. 308); et, en 1668, François Martin disait aussi qu'il n'y avait rien à craindre des gens de Fénerive, si on ne leur faisait pas de mal. Les indigènes de cetle partie de Madagascar n'ont plus aujourd'hui ces qualités.

hu

IMPNIMERIE NATIONALE,

346 MADAGASCAR.

travailler avant qu'ils aient dépensé tout leur petit pécule. Mayeur raconte, au xvm° siècle, «qu'il n’était pas rare de voir des maromità [des domestiques, des ouvriers ] engagés à quatre piastres vingt et quelques francs] pour quarante-cinq jours, gages payables à la fin du contrat, venir le trentième et même le quaran- tième jour annoncer qu'ils s’en allaient, sous le prétexte d’une fête, d’un procès, etc., préférant perdre le prix de ces trente ou quarante jours de travail que de rester quelques jours de plus M». «Les Antanosÿ sont pour la plupart paresseux, demeurant longtemps sans rien faire; quand ïls travaillent, c’est à loisir. Ils ne plantent que ce qui leur est nécessaire pour se nourrir, puis, la récolte faite, 11 se dépéchent de tout manger ou en vendent une partie, si bien qu'après ïls sont dans le besoin et qu'il leur faut jeüner ou racheter ce qu'ils ont vendu, en le payant au quadruple; mais les chefs, Roandrianä, Anakandrianä et Lohavohitsä, n'en usent pas de même, car ils gardent par devers eux des provisions et, au temps voulu, ils en vendent à leurs sujets imprévoyants contre des bœufs, de sorte qu’ils s’enrichissent» ®. De même, pendant que les Betsimisarakä flânent et se livrent à leurs orgies, les Merinä, qui habitent l'Est, miaranulä, soldats, comme borizanÿ, civils, plantent des patates et du maïs, et si la récolte du riz est mauvaise, les Betsimisarakä doivent leur acheter à crédit des vivres payables avec usure en riz à la prochaine récolte : en effet, jouis- sant de ce que leur donne le présent et oublieux de la veille, ils ne prennent pas souci du lendemain; légers et capricieux, ils agissent sous l'impression du moment, cédant à des influences purement physiques, exté- rieures.

(6) Toutefois, s'ils n’ont pas l'humeur guerrière des peuplades pastorales, les Betsimisarakä ne craignent pas d'affronter la haute mer et ont, à certaines époques, fait des expéditions lointaines, allant piller les iles Comores et même certaines villes de la côte orientale d'Afrique. On ne peut donc pas dire avec vérité qu'ils sont tout à fait dénués de courage; üls n’ont aucun goût pour le métier militaire, mais l’état de marin leur plait. Du reste, lorsqu'on accuse la plupart des Malgaches d’être läches, «poltrons», comme Carpeau du Saussay qui s'étonne «que des villages entiers s’enfuissent dès qu'ils voyaient venir une troupe de Français», on ne réfléchit pas assez que des gens éminemment superstilieux, persuadés que les «blancs» possédaient de puissants talismans et ayant, d'autre part, des armes incapables de lutter contre les nôtres, pouvaient avoir peur et s'enfuir, sans être réellement poltrons n1 läches.

(7) Cancaniers et chicaniers, ils se plaisent à faire «gazette», comme ïls disent aujourd'hui, à colporter les mauvais propos et les faux bruits.

(8) Les Antanosÿ sont, avec les Merinä et les Betsileo, les Malgaches qui ont le plus l'habitude du travail et le plus de résistance à la fatigue : hommes, femmes, enfants bêchent, plantent, récoltent, ete. Les femmes sont non seulement laborieuses dans leur ménage, mais elles üssent des vêtements, elles fabriquent des nattes et des poteries, etc.

(9) Les Antimoronä et les Antifasinä n'hésitent pas à quitter leur pays et à aller au loin, traversant même quelquefois toute l'ile, pour gagner quelques bœufs ou quelque argent. Ces mpilokalefonä, comme on les appelle parce qu'ils sont habiles à manier le javelot et la sagaye, sont l’une des sources les plus précieuses de la main d'œuvre indigène; non seulement ils se louent tout le long de la côte orientale jusqu'à Diego-Suarez, mais ils s’en vont cultiver les plantations des Sakalavä du Ménabé, et, après une année d'absence, ils rentrent chez eux avec trois ou quatre bœufs, quelquefois même avec huit ou dix. Toutefois, à cause de leur caractère très versatile, on ne peut pas compter sur l'exécution stricte des engagements qu'ils prennent W).

(10) Les Antisakä et les Antivatô, qui plantent peu et font métier de pillards, sont parmi les peuplades les plus guerrières de Madagascar et les plus redoutées; ils aiment à se battre et, quand un de leurs clans a le dessous, il s’unit à d’autres pour se venger. Îls ne manquent pas de courage et ont opposé, en 1827, une vigoureuse résistance aux Merinä : Rabedokä, le chef de Vangaindranô, et les principaux nobles, ayant été vaincus par les troupes de Radamä 1°, ont préféré, avec un admirable patriotisme, la mort à la soumis- sion‘). Les AntanosŸÿ sont souvent en guerre entre eux et ils se tiennent toujours sur leurs gardes; du reste, comme les Antifasinä, ils se battent bien et sont habiles à manier la lance; les autres peuplades les redou- tent fort.

(11) Les Merinä, surtout, ont le sentiment profond de la hiérarchie, un grand respect pour toutes les auto- rités, un vrai culte pour leur souverain, pour leurs lehibé ou les grands du royaume, comme pour leurs ancêtres et les chefs de leur famille; chez eux, il y a unité de commandement, il y a une discipline réelle au lieu de la désunion et de l'activité désordonnée qui règnent sur les côtes; il est vrai que leurs chefs étaient supérieurs par l'intelligence et par l'instruction à leurs sujets qu'ils tenaient à l'écart grâce à une étiquette sévère et en exigeant d’eux les honneurs dus à leur rang, ce qui n'existait guère dans la plupart des autres peuplades il y avait d'ordinaire une vraie promiscuité.

(12) Les Betsileo comptent parmi les plus processifs des Malgaches : il y a toujours foule au tribunal et ils se ruinent sans molif sérieux dans des procès qu'ils poursuivent avec un entêtement incroyable, car, comme les Merinä, ils sont très tenaces en ce qu'ils regardent être leur droit; 1 y a surtout le clan des Isahavakoaninä

(9 Mayeur ajoute que, quoiqu'on füt d’après les con- ®) Fracocrr, Hist. de Madagascar, 1661, p. 87, et édi- ventions en droit de ne leur rien donner du lout, on tion A. et G. Grandidier et Froïdevaux, 1913. p. 129-130. les payait cependant, car, remarque-t-il, «on n'eut pu les 6) Journal offic. Madagascar, 1897, p. 823.

ravoir lorsqu'on en aurait eu besoin». () Euus, History of Madagascar, L. IT, 1838, p. 367.

ETHNOGRAPHIE. 347

qui a sous ce rapport une réputation telle qu'on dit chez les Betsileo, lorsqu'on veut parler d’un mauvais kabarÿ, d'un mauvais procès, c’est un kabaryÿ d’Isahavakoaninü.

(13) Quand on va le vendredi, de grand matin, se promener aux environs du zom& ou marché de Tanana- rive, on voit accourir, la plupart au pas gymnastique, des files de piétons, tous chargés, tous pressés, les enfants eux-mêmes portant une charge proportionnée à leur force, et ne musant pas, se dépêchant. Mais, à côté de cette activité, il y a en eux une forte dose de patience qu'ils utilisent lorsqu'ils traitent une aflaire, ne se hâtant jamais et tenant longtemps leur interlocuteur dans lindécision.

(14) François Martin, qui ne connaissait de Madagascar que la côte Est, lorsqu'il a visité en 1667 l'Antsi- hanakä, dit que ses habitants «sont plus industrieux que ceux des autres endroits de l'ile [de la côte orien- tale] à cause des voyages qu'ils font à l'Ouest pour y vendre les esclaves qu'ils prennent sur leurs voisins; le commerce qu'ils entretiennent pour cette raison avec les Anglais, quelquefois avec les Portugais, mais par- ticulièrement avec les Arabes, les ont rendus plus habiles, plus entreprenants et plus civilisés; mais les con- naissances qu'ils ont acquises en fréquentant les étrangers ne les ont pas rendus meilleurs, puisqu'ils ne s’en servent que pour inquiéter leurs voisins» (Mémoire sur l'établissement des Colonies françaises, 1667, Manuscr. Arch. nation. Paris, T* 1169, et Copie Bibl. Grandidier, p. 250). Ce sont certainement les Merinä qui sont les plus industrieux, comme le constatent les voyageurs qui montent des côtes sur le plateau central et qui, en arrivant en Imerinä, constatent non sans surprise que tout change d’aspect : aux misérables paillotes dont sont composés les villages des régions côtières succèdent des maisons en briques qui ont quelquefois deux et même trois étages, formant des hameaux et des bourgs d’un aspect riant, avec leur église, leur école, leurs petites boutiques et leurs cultures bien entendues. Ils sont non seulement industrieux, mais adroïts et ingénieux. +L'Européen a plaisir à voir dans l’Ancove [en Imerinä] les foires ou marchés publies si semblables à ceux qui sont établis dans différentes provinces de France : l'affluence du monde, la variété des objets qu'on y trouve, le mouvement et la vie qui sont partout, l’époque fixe des rendez-vous, la permanence des lieux chacun vient, sachant qu'il y pourra salisfaire à son goût et à ses besoins, tout cet ensemble rappelle de chers souvenirs, et l’on s'étonne de retrouver sous un autre hémisphère, dans un petit canton d’une ile perdue au sein du vaste Océan, canton qui est environné de toutes parts de nations brutes et sauvages, on s'étonne, dis-je, d'y retrouver des institutions et d’être rappelé à des idées que le temps et l'éloignement des lieux avaient presque effacées, ... de revoir des objets qui rappellent à l'étranger sa patrie, et un sentiment d’ad- miration entre dans son cœur et adoucit les regrets qu'il éprouve» (Maxeur, Voyage dans l'Ancove en 1785, Man. British Museum, fonds Farquhar, et Copie Bibl. Grandidier, p. 52).

Les Betsileo, quoique ayant l'esprit moins vif que les Merinä, font bien ce qu'on leur enseigne: ils réus- sissent cependant moins bien dans les travaux fins et délicats : ce sont de bons cultivateurs, ils soignent bien leurs troupeaux; en revanche, ils sont de mauvais commerçants, ne sachant pas comme les Merinä miady varoträ, c'est-à-dire débattre, discuter les prix.

(15) Toutefois les Tsimihetÿ, les Sihanakä et les Bezanozand sont paresseux : si on les laissait faire, ils pas- seraient volontiers leur vie entière dans l'oisiveté, se contentant d’avoir le riz nécessaire à leur subsistance, du rhum en abondance, quelques bœufs et une hutte de roseaux pour dormir. François Martin, au xvrr siècle, a cependant constaté que les Sihanakä ne laissent pas que d'être quelquefois laborieux, car «leurs maisons sont bâties en grosses poutres et en planches, et, comme les forêts sont distantes de 4 à 5 lieues de leurs villages et qu'il n’y a pas de charrettes, le transport de ces poutres et planches est difficile et pénible» (Man. Arch. nation. et Copie Bibl. Grandidier, p. 247). En réalité, ils sont indolents, à moins d’être excités par la superstition , l’avarice, ambition ou la vengeance.

Les Betsileo aiment la tranquillité et le travail, et ceux qui ont émigré à AmbikY, au Menabé, sont bien plus travailleurs que les Sakalavä au milieu desquels ils se sont installés et auxquels ils fournissent du riz et des vivres, jusqu’à 25 lieues à la ronde.

En réalité, ce n’est pas tant la race que le milieu, l'éducation, les nécessités de Ja vie qu'il faut incri- miner, car, si les Merinä sont plus laborieux que les autres peuplades, il n’est pas moins vrai que les très nombreux esclaves qu'ils ont, et qui sont originaires des autres parties de l'ile, ne leur cèdent pas sous ce rapport: tous les voyageurs qui ont visité Madagascar ont pu constater, comme nous-mêmes, que les maromità , les porteurs de flanjant [de palanquin] et de paquets, qui appartiennent à toutes les peuplades de l'ile, sont de braves et honnêtes gens, infatigables, toujours gais et soumis : on a beau être dur ou plutôt exigeant à leur égard, leur demander d'aller plus vite, de prolonger l'étape lors même qu'ils sont fatigués, d’accourir plus vite à l'appel et de rendre une foule de petits services en dehors de leur métier, jamais ils ne se plaignent, et, s'il y a un travail dur et pénible entre tous, c’est bien celui de porter un filanjanä, un palanquin lourdement chargé, à travers des montagnes boisées par des sentiers abrupts et glissants. É

(16) Mayeur dit, en 1777 : «Sous le masque de la douceur et de la politesse, les Hovä sont trompeurs, avares, voleurs, égoïstes et capables de vous laisser mourir de faim plutôt que de vous secourir, s'ils vous savent hors d'état de rémunérer leurs services. Ils ne sont pas cruels ni sanguinaires, mais, s'ils rencontrent quelqu'un en un lieu écarté, ils ne se font pas faute de le piller, car ils sont voleurs et intéressés. . . . Bien que respectant les morts, ils sont assez souvent poussés par l'intérêt à dépouiller les morts étrangers à leur famille , jouant la comédie comme si ce mort leur devait quelque chose dont ils avaient à se payer» (Premier voyage à Ancove, Man. British Museum et Copie Bibliothèque Grandidier). En eflet, si les Malgaches sont en général

hh.

MADAGASCAR.

intéressés, il n’en est pas d'aussi rapaces que les Merinä, chez lesquels l'amour de l'argent () est uni- versel : une avarice qui semble au premier abord : incompr éhensible dirige tous leurs actes; grands et petits amassent des piastres et des piastres sans intention d’en tirer un jour parti (au moins ici-bas); une piastre

s’enterre à côté des précédentes et ne doit plus jamais revoir le jour, car ils se priveront du strict nécessaire ou bien Se plutôt que de toucher au cher trésor enfoui dans des trous creusés çà et et connus du propriétaire seul, qui ne met au courant ni sa femme ni ses enfants. La légende suivante, qui est populaire en Imerinä, peint bien ce côté du caractère si particulier des Hovä : deux hommes traversaient une rivière peuplée de crocodiles; l’un d’eux venait d’atteindre la rive, lorsque son compagnon, qui en était tout près, fut saisi par un de ces redoutables reptiles; il se débattit avec vigueur, mais, ses forces diminuant et se sentant entrainé par la bête, il cria à son ami : «Dis à ma femme que la cachette est à...»; au moment de révéler son secret, le courage lui manqua et il fit de nouveaux efforts pour se dégager de l’'étreinte mor- telle; voyant que c'était en vain, et la tête étant déjà à moitié dans l’eau, il voulut continuer la phrase qu'il avait interrompue et répéta : : «...est à», mais l’eau, entrant dans sa bouche, lempécha de faire connaître son secret. Ce qui est certain, c’est que beaucoup de ces cachettes sont restées inconnues aux familles par suite de morts subites ou imprévues. Mandoa volà [itt. : vomir de l'argent |, mandoa tros [tt : vomir l'argent | sont les locutions pittoresques et expressives qu'ils emploient pour dire «payer», «s'acquitter d’une dette», car ils tiennent tant à l'argent qu'ils possèdent, ils se l’incorporent si bien, que, lorsqu'il leur faut s’en des- saisir, il leur semble qu'ils l'arrachent avec effort, avec douleur du fond de leurs entrailles. Il y a lieu toute- fois de remarquer que, s'ils y attachent un tel DES c’est que, d’une part, dans certains grands malheurs de famille, cet argent peut leur être utile ici-bas ®, et surtout qu'ils croient que le trésor qu’ils amassent et enfouissent avec tant de sollicitude leur sera très a dans l’autre monde.

Ils ne s’eflorçaient pas tant jadis d’avoir un métier pour gagner de l'argent que d'en amasser per fas et nefas : quémander, exploiter les uns et les autres ), prendre, voler quand ils croyaient ne pas être vus, telle était dans l’ancien temps leur conduite habituelle. Tout homme riche et par conséquent envié risquait d’être accusé d’un crime imaginaire , de sorcellerie, de lèse-majesté, ete., et, après une ordalie frelatée, condamné à perdre ses biens qui étaient répartis entre les chefs, toujours prêts pour cette raison à accueillir les dénon- ciateurs, et les accusateurs.

Ce sont de rusés commerçants, se livrant à toutes sortes de spéculations véreuses, habiles à brocanter, à miady varoträ comme ils disent, à discuter les prix, ce qui, même pour quelques cnrs. est toujours l'objet de très longs pourparlers : non seulement les borizand ou civils, mais les soldats et les officiers même de grades élevés se font courtiers et s’en vont à travers le pays colportant de côté et d'autre des marchan- dises; il est vrai que, sous l’ancien régime, ni les soldats, ni les ofliciers, ni les gouverneurs, ni les juges ne recevaient aucune paye du gouvernement malgache, et il fallait vivre. Leurs chefs immédiats, auxquels ils devaient demander l'autorisation de s’absenter pour faire leur petit commerce, ne manquaient pas de pré- lever une commission sur leurs gains; un oflicier du palais, qui voulait accompagner l'un de nous en 1869 dans une excursion au lac d’Alaoträ, n’obtint pas la permission du premier ministre lorsque celui-ci sut qu’il ne gagnerait rien ou presque rien dans cette randonnée : «Il y a trop à faire au Palais en ce moment», lui répondit Raïinilaïarivony.

Du reste, si les Merinä ne coupent pas run fil en quatre», il y en a, comme le dit le Rév. J. Wills (Antan. Annual, 1885, p. 98), qui divisent la petite calotte inflammable des allumettes en deux ou trois fragments et s'en servent pour mettre le feu à la poudre de leur fusil de chasse, au lieu de capsules qui coûtent plus cher, preuve d’ingéniosité, d'adresse et de saine économie!

Il est intéressant de remarquer que cette avarice sordide, cet amour de l'argent se trouvaient non seule- ment chez les indigènes d’origine merinä, tant andrianä que hovä, mais avaient gagné tous les esclaves dont beaucoup étaient origine diférentes : les mpilanjä ou maromità, qui portaient les paquets des côtes au centre de l'ile, à travers monts et vallées, et dont beaucoup étaient des Betsimisarakä, des Bezanozand , etc., avaient beau avoir les épaules en sang, les pieds et les jambes couverts de plaies au sl trembler de fièvre ou être affaiblis par la dyssenterie, ils allaient quand MR continuant à porter leurs lourds fardeaux plutôt que de payer à un remplaçant quelque vola kely, une petite pièce d'argent, qui n’eût été qu’une minime partie du karamä ou salaire que leur donnait le Vazahà.

Quoique les Betsileô, sans toutefois se livrer aux spéculations véreuses des mercantis merinä, pratiquent

(Les Merinä ont connu et apprécié l'usage de l’ar- d'Alamanitsä, à l'Est de l’Antsihanakä, emprunta une gent d’ancienne date, tandis que chez les aulres peu- hache à un bücheron et, en la lui rendant, lui donna plades, surtout chez celles de l'Ouest et du Sud, ce métal un voamenü [o fr. 20] comme gratification. Dès qu'il m'avait pas cours et que, jusqu'à la fin du xix° siècle, fut sorti de la hutte de ce bücheron, les deux miara- toutes les transactions commerciales se sont faites par mil ou soldats hovä que le gouverneur d’Ambatondra- simple troc d'objets divers. zakä lui avait donnés comme gardes du corps y ren-

®) II était en effet très rare qu'une famille ne rachetät trèrent et s'emparèrent du vola kelÿ, de la petite pas un de ses membres fait prisonnier à la guerre pièce d’ argent donnée à ce brave homme, parce que, lui condamné pour un crime à l'esclavage; c'était un devoir dirent-ils, «si nous n’avions pas conduit ici le Vazahàü , auquel nul ne songeait à se soustraire. tu ne l'aurais pas eu; c'est done à nous qu'il appar-

®) L'un de nous, chassant les makis dans la forêt tient

ETHNOGRAPHITE. 319

aussi l'usure, ils n’ont pas l'amour de l'argent au même degré qu'eux et ils sont moins roués, plus confiants qu'eux en aflaires; à leurs yeux, la principale richesse est le Pétal. Ils sont, du reste, d’une économie extraordinaire; aussi leurs voisins disent-ils d'eux : Antanandro, lahy mitomany lovia vaky! [Les Antanandrô (Les Betsileo) sont des gens qui se lamentent pour un plat cassé]

(17) Les Merinä sont opiniatres, espérant toujours par des lenteurs arriver à leurs fins.

(18) Francois Martin raconte que, dans l'expédition qu'il fit contre les Sihanakä, «onze de ses Français et trois à quatre cents des noirs | des Betsimisarakä] qui les accompagnaient furent tués par les Sihanakä parce qu'ils avaient tous déchargé leurs fusils à la fois, et que ceux-ci, l'ayant remarqué, se ruèrent sur eux avant qu'ils eussent pu les recharger et les massacrèrent tous, perdant de leur côté trois cents hommes. Dans cette guerre que leur faisaient les gens de Fénerive, dont l'armée comptait quatre mille indigènes de la côte et trente Français, les Sihanakä ont fait preuve audace, de courage, d'intelligence et de patriotisme, incendiant leurs villages afin que les ennemis ne pussent pas s’en emparer et surtout afin de les affamer, et ils ont fini par les repousser malgré l'appui des Français. Les gens de la côte étaient lâches; cent, qui s'étaient écartés du groupe de ces Français, ont été mis en fuite par trois Sihanakä seulement» (Mémoire sur l’établis- sement des | Colonies francaises aux Indes orientales, Man. Arch. nation., T* 1169, et Copie Bibl. Grandidier, p- 255).

Les Betsileo de l'Est, d'Ilalanginä, étaient plus guerriers que ceux de l'Ouest et se plaisaient à razzier leurs voisins et à se battre les uns contre les autres.

Ce sont les Merinä qui ont montré plus de courage que les autres peuplades, non qu'ils soient individuel- lement plus braves que les Sakalavä par exemple, mais ils ont le sentiment de la hiérarchie qui manque aux autres, et leurs chefs ont une politique qu'ils suivent avec persévérance. La superstition leur donne le courage de lutter pour le sol natal reposent leurs ancêtres et auquel ils sont attachés par des liens religieux. S'ils se sont souvent montrés làches devant les Vazahä, par peur des talismans puissants, dont ils nous croyaient détenteurs et contre lesquels ils jugeaïent que les leurs ne pouvaient rien, et aussi des engins que nous a donnés la science et dont les ellets leur paraissaient surnaturels, certaines fois ils se sont montrés fort braves : ainsi, le 4 novembre 1829, üls se sont fort bien battus à la Pointe à Larrée contre le comman- dant Gourbeyre et son escadre; la plupart des canonniers périrent sur leurs pièces et les miaramilü ou soldats lançaient avec sang- Real des sagayes à bout portant contre nos marins; ils ont perdu 119 morts (Caraxon, Mémoire sur Madagascar, livre IV, Hist. de l'établissement de Tintingue, Manuscrit de 1831, Copie Bibl. Grandidier, p. 43). Il y a lieu de remarquer que les soldats merinä Bent passibles de peines très sévères, notamment d’être brûlés vifs s'ils fuyaient devant l'ennemi, et que la crainte de ce châtiment ter- rible était la cause dominante de leur conduite dans les combats; on doit toutefois reconnaitre que, une fois pris et condamnés, ils se redressaient devant la mort et savaient bien mourir. Ce sont les habitants du Vonizongô qui font surtout de braves soldats. Beaucoup plus récemment, au lendemain de notre conquête, les Fahavalë ou insurgés qui ont lutté pour leur indépendance ont fait preuve d’une bravoure extraordi- naire, surexcilés, 1l et vrai, par leurs ombiasÿ ou devins-sorciers.

(19) ) Les Betsileo sont aujourd'hui pacifiques, mais, en réalité, s'ils ne font plus la guerre, c’est que, vaincus et conquis, ils n’ont plus d'armes, que les Merinä leur ont enlevées par prudence; par le fait, ils sont même plus querelleurs que leurs voisins, et jadis toutes leurs villes étaient fortifiées et gardées avec vigilance, car, avec ou sans provocation, les habitants d’un village faisaient à l'improviste une sortie contre un village voisin, räflant ou razziant tout ce qu'ils trouvaient à leur portée, bétail, riz, volailles, enfants; à la première occasion, on leur rendait la pareille.

(20) Les Merinä sont fanfarons, pleins de jactance. Les Européens qui se trouvaient à Tananarive en 1882 se rappellent que, au moment le commandant Le Timbre enlevait sur la côte Nord-Ouest les drapeaux hovä insolemment plantés sur des territoires placés sous notre protection, les Merinä proféraient publique- ment des menaces de mort contre le chancelier du consulat de France, traitaient les Francais de «mauvais blancs», de #voleurs», et lorsque ceux-ci marchandaient, criaient bien haut qu'ils ne tarderaient pas à les chasser, car, disaient- F6 «nous voulons être les maîtres chez nous et nous sommes les plus forts».

(21) Les Merinä étaient jadis en perpétuelle méfiance vis-à-vis les uns des autres, et non sans raison, car, à la fin du xvr* siècle, il y en avait quin ’hésitaient pas à creuser dans leurs maisons des fosses qu'ils recou- vraient de planches disposées de manière à basculer lorsque quelqu’ un marchait dessus, de sorte que, quand un passant, un visiteur entrait chez eux, le plus souvent sur leur invitation, il tombait dans le piège et était ligotté, puis vendu comme esclave.

“lis se méfiaient fort des Européens : en 1785, le roi de Tananarive, Andrianamboatsimarofy, à qui Mayeur proposa un traité d'amitié, après en avoir écouté attentivement les divers articles, parut les approuver les uns après les autres, fit des promesses vagues, mais finalement refusa, parce qu il y en avait un qui stipulait le droit pour les Français de construire sur les limites de son royaume un poste fortifié; et le grand roi Andrianampoinimerinä , le fondateur de la puissance merinä, quoiqu'il n’ait cessé de conies de témoignages d'amitié et de prévenances les Européens venus dans le centre de Madagascar sous son règne et dont il tirait les fusils et la poudre nécessaires au développement de sa puissance, n’a jamais consenti à ce qu'ils s’établis- sent et résidassent dans ses États; mais, si les Merinä sont méfiants envers autrui, on a raison de leur rendre la pareïlle et de ne se fier ni à leur parole, ni à leurs promess

350 MADAGASCAR.

On s’est souvent étonné que les Merinä fussent encore, à la fin du xix° siècle, aussi mal renseignés sur la puissance de la France, lorsque tant d’Andrianä et de Hovä intelligents et instruits étaient déjà venus en Europe; c’est que ces ambassadeurs et jeunes nobles qui ont visité la France et l'Angleterre n'osaient pas, à leur retour, dire ce qu’ils avaient vu, car ils craignaient qu’on ne les soupconnât de s'être laissé corrompre par l'argent des Français et des Anglais et qu’on ne les punit sévèrement.

(22) Les Merinä sont sans serupules, n’ont aucune probité; ils sont cauteleux et acceptent sans mot dire les injures et les affronts pourvu qu'ils aient besoin de l'individu qui les malmène, mais ils se vengent dès qu'ils le peuvent; ils sont tantôt serviles, tantôt impertinents et hautains, suivant les circonstances : en 1887, un Hovä protestant d’Ambositrä, après s'être vanté publiquement en termes grossiers d’avoir refusé de vendre aux Pères Jésuites un terrain lui appartenant, est venu le lendemain, après avoir vu le gouverneur de la ville, leur dire «qu'il était très heureux de pouvoir leur être agréable en leur cédant ce terrain (qu'il leur avait refusé la veille) et de coopérer ainsi à la gloire de Dieu et de Madagascar»!

On ne peut se figurer quelle était, sous l’ancien régime, la corruption des ofliciers merinä, des plus hauts aux plus pelits; quoiqu'ils s’espionnassent les uns les autres, ils s’entendaient cependant pour voler l'argent du souverain, dont chacun prenait sa part, et, au Palais, à Tananarive, rien ne se faisait que par intrigue; les délations, les exactions étaient constamment à l’ordre du jour, jamais il n’était question du bien public et les juges acceptaient les cadeaux des parties en cause et rendaient une justice vénale.

(23) La saleté est le caractère distinctif des habitants du centre de l'ile, dont l'aspect est souvent rien moins qu'agréable; lune des causes, en outre du climat qui est plus dur que sur les côtes, est leur pauvreté qui les empéchait autrefois de laver leurs lambas dans la crainte de les user et de les abimer et aussi d’ache- ter du savon dont le prix était assez élevé; en général, tout bon Malgache du centre achetait deux aunes de toile écrue, qu'il mettait sur lui, se gardant de les laver et ne les quittant que lorsqu'elles étaient en loques; mais, depuis une quarantaine d'années, depuis que les Merinä ont fabriqué du savon qu'ils ont vendu bon marché, ils ne craignent plus autant de laver leur linge et ils sont généralement plus propres. Néanmoins, dans de nombreux villages, on voit encore les enfants courir presque nus à travers les rues et se vautrer avec les animaux familiers de la maison : chiens, cochons, poules, moutons. Les maisons des Sihanakä sont mal tenues et pleines de puces; celles des Bezanozanë sont plus propres intérieurement, et les femmes ont grand soin de ne pas laisser d’immondices aux alentours, mais «sur elles-mêmes, quelle que soit la richesse de leurs vétements, elles sont très malpropres» (Domaine, 1792).

Les Betsileo sont sales, ainsi que les Zafy Manirÿ qui habitent entre Ambositrä, Ivohitrambô et Ambohi- mangä du Sud. En 1777, Mayeur dit que les maisons des Betsileo d’Andrantsay et des Hovä étaient fort sales à cause des animaux, moutons, volailles, ete., qu'ils y hébergeaient et dont le fumier était précieuse- ment entassé dans un coin pour être utilisé aux champs, et aussi à cause de la bouse de vache et de la tourbe qu'ils y brülaient pour se chauffer et faire la cuisine et dont la fumée épaisse et noire ajoutait à l’incommo- dité et à la malpropreté du lieu». Cet état de choses existe du reste encore en beaucoup de villages du centre, et l’un de nous a bien souvent couché dans l'unique chambre de ces maisons, péle-mêle avec les propriétaires, parents et enfants, avec les cochons, les oïes, les poules qui y trouvaient asile, sans préjudice des rats et des puces qui y pullulaient : on comprend que, dans de semblables conditions hygiéniques, les villageois aient un aspect misérable et malingre et soient laids et sales, car ils ne sont pas seulement sales autour d’eux, mais sur eux. Du reste, un des deux jeunes frères de Radamä [‘°, qui avait cependant été à l'ile Maurice, a répondu à Hastie qui lui reprochait la saleté de sa maison : «Que voulez-vous? la saleté tient chaud et le temps est froid» (Ezus, Hist. of Madagascar, 1838). Les Zanakantiträ, clan d’Ambodirand, sont parmi les plus sales ; quoique le sol de leurs maisons soit couvert de nattes, on ne s’en douterait pas à cause de la poussière qu'ils laissent s’y accumuler. Les Sihanakä sont aussi très sales; grands et petits portent leurs vêtements jusqu’à ce qu'ils tombent en loques, sans jamais les laver; leurs maisons sont infectes : ils y préparent et font sécher les

Jonÿ (Chromidés [ Paratilapia Bleekeri]), poissons dont ils se nourrissent, jetant les intestins à même le sol et les y laissant pourrir; ils ne lavent jamais les plats dans lesquels ils mangent : il est vrai que, le repas fini, il n’y reste jamais grand’ chose (Sraxnixé, Malagasy Children, p. 87-88).

Cette malpropreté des Merinä est la cause de la généralité de la gale parmi eux : car ïls revétent un lamba noir de erasse dans lequel il se mouchent et l’on voit se mouvoir une armée de parasites; à la campagne, les plus civilisés seuls font, par amour-propre, violence à leur incurie native et ont un aspect de propreté tout extérieur, du reste. Les borizanÿ de Tananarive sont propres, différant des campagnards qui ne se lavent jamais, mais, dès qu'on sort de la grand'ville, on ne voit que des villages pauvres, sales, et, au lieu de lambas en général blanes et de maisons coquettes et propres, que des lambas crasseux, des maisons infectes , vrais pares à cochons, il n’y a ni la propreté, ni les ustensiles qu’on trouve dans les cases des peuplades voisines. Il est vrai que, l’eau ne pouvant être apportée dans la plupart des villes et villages qu'au prix d’un travail assez pénible et, d'autre part, le climat étant froid, le peuple ne fait pas de cet élément essentiel de Ja propreté un usage aussi grand et aussi fréquent pour les personnes et pour les habitations qu'il serait désirable. Ajoutons toutefois qu'il y a depuis quelques années une amélioration notable.

(24) «Les petits chefs Sakalavä ne sont pas mieux obéis par leurs gens qu’ils n’obéissent eux-mêmes à leur mpanjakä, à leur roi. Pour les uns et les autres, l'autorité est un mot vide de sens, la hiérarchie est subor- donnée à leur caprice» (Guzain, Documents sur la côte occidentale de Madagascar, 1845, p. 259). Le Ré.

ETHNOGRAPHIE. 301

Cowan raconte que le roi Barä Ivohiträ, à qui il venait de faire visite, accompagna pendant quelque temps, suivi de plusieurs milliers d'hommes, de femmes et d'enfants; le roi était perdu au milieu de ses sujets et, comme il leur avait plusieurs fois intimé, mais en vain, l’ordre de s'arrêter et de revenir avec lui à Ranohirä, ne trouvant pas de caïlloux à sa portée, il arracha des mottes de terre à un de ces grands nids de termites si communs dans cette région et les leur jeta : c’est ainsi qu'il arriva à se faire écouter et obéir.

(25) Mayeur dit, en 1774, que rles Antambongé [Sakalavä du Milanjä] se battaient en gens de cœur et que leur bravoure, leur adresse et leurs ruses les faisaient redouter de leurs voisins dont ils étaient l’effroi, les pillant, les volant, les massacrant» (Man. du British Museum et Copie Bibl. Grandidier, p. 23).

(26) «Les Sakalavä entrent chez les traitants sans y être invités, s'y installent, se cndiert sur les meubles, buvant dans les verres, enlevant la cigarette de la bouche de ceux-ci pour la fumer, sans demander la per- mission, et on ne peut s’en débarrasser qu’en les chassant par les épaules»; il n’en était pas de même chez ceux qui étaient soumis aux Merinä : aussi, avant notre conquête, les Européens qui vivaient sur la côte occi- dentale appelaient-ils de tous leurs vœux la prise de possession par les Merinä du Ménabé, du Mailakä, etc. (A. Graxniter, Doczior, ete.).

(27) Mayeur raconte que, venant à Bombétok de la baie d’Antongil par terre, ce qu'aucun Européen n'avait encore fait, les Sakalavä conçurent à son égard toutes sortes de: soupcons et que le roi ne voulut pas le recevoir et le forca à s’en retourner de suite. De nos jours, quand le missionnaire anglais, le Rév. Richardson , is à Saint-Augustin, venant de l'intérieur, Belamby, le chef de cette ville, lui reprocha d’avoir violé les lois du pays en él par terre, et non comme de coutume par mer, et l’accusa d’être à la solde des Merinä, de s’être entendu avec eux et avec Radodô, roi des Antanosÿ émigrés, pour s'emparer de son pays, de venir jeter des sorts sur lui et ses sujets, comme le montraient les coquilles qu’il avait ramassées sur la plage, etil demanda qu ‘il lui remit son guide antanosÿ pour le mettre à mort et tous ses porteurs pour les réduire à l’escla-

vage et qu'il lui abandonnät tous ses bagages, disant qu'il le laisserait ensuite libre de rester dans le pays ou de s’en retourner par mer. Ce kabarÿ fut long, mais, grâce à un cadeau, se termina amiablement. En réalité, un Sakalavä et un Barä voyaient un ennemi dans tout individu avec qui ils se trouvaient en contact; leurs voisins eux-mêmes n’élaient pas autorisés à pénétrer dans leur village après le coucher du soleil, et, entre eux, ils se méfiaient toujours les uns des autres et tenaient en suspicion même leurs parents, craignant qu'ils ne nourrissent quelques mauvais dessem à leur égard : aussi, en tout lieu et à tout instant, avaient-ils leurs armes à la main afin de pouvoir se défendre s'ils étaient attaqués à l'improviste (WarEn, Two years among the Sakalava, Antananarivo Annual, 1881, p. 11). Quand deux Antambongé qui ne se connaissent pas se rencon- trent en pleine campagne, dit Vincent Noël, ils ne s’abordent pas, ils s'adressent de loin les questions d'usage sur leurs santés respectives, sur le lieu d’où ils viennent et sur celui ils se rendent et sur le but de leur course; tout en se donnant ces témoignages d'intérêt, ils se surveillent réciproquement , ayant la main sur leur fusil, prêts à tirer an moindre geste suspect; ils ne cessent de s’observer avec défiance que lorsqu'ils sont à une assez grande distance l’un de l’autre» (Recherches sur les Sakalavä, Bull. Soc. géogr. de Paris, série, t. XIX, 1843, p. 278).

(28) Quand les Malgaches de l'Ouest et du Sud ont des sagayes et un fusil à pierre avec de la poudre et des balles. quand üls ont du toakà [ du rhum], des femmes et des bœufs, quand ils peuvent piller quel- qu'un ou détruire quelque chose, ils sont satisfaits et ne demandent rien de plus. Aussi, quoique forts et bien musclés, travaillent-ils tout juste pour assurer leur vie matérielle, et comme ils ont peu de besoins, leur travail consiste à visiter leurs troupeaux de bœufs et, pour les vezë, à pêcher en pirogue. Hommes et femmes ont la plus grande répugnance pour les travaux manuels, et ils restent des heures, des jours, sans bouger, pensant Dieu seul sait à quoi; on voit rarement les filles, petites ou grandes, occupées à une besogne utile, elles restent assises ou couchées sur le sable du matin au soir sans rien faire, excepté quelquefois des nattes, car c'est le devoir des femmes d’en garnir la maison.

Lorsqu'ils ont quelques corvées à faire, à entendre leurs chants, à voir leur allure gaie, leurs cris joyeux, les danses auxquelles ils se livrent, on croirait que le travail leur plaît, leur agrée, mais cette belle ardeur n'est qu'un feu de paille, ils se mettent cent pour faire la besogne de dix, s’arrêtant à tout bout de champ et ne reprenant la bêche ou la cognée que pour quelques instants, après de longs intervalles de repos.

(29) +Le caractère des Antankaranä et des Sakalavä, dit Lasalle en 1786, est insouciant; tout ce qui n’a pas rapport à leur passion pour les femmes, à leurs troupeaux et à la pêche avec leurs pirogues à balancier leur est indifférent.»

(30) S'ils sont inconstants dans le travail, ils répugnent au contraire à tout changement dans leur mode de vie sauvage, à toute idée de progrès. Leur seule ambition est de suivre les coutumes de leurs ancêtres, de penser el d’agir comme ont pensé et agi leur ancêtres, et ils ont un grand mépris pour ceux qui adoptent les usages des étrangers.

(31) Sans armes, un Sakalavä est lâche, mais avec son fusil, sa sagaye et ses gris-gris, il est hardi et cou- Ta Feux. Des combats sauvages ne sont pas rares entre eux, Surtout à la suite des orgies de boisson dont ils sont coutumiers, et souvent pour les causes les plus RAS combats qui se terminent quelquefois par la mort de l’un des combattants et même des deux, ou tout au moins par des blessures graves. Le Rév. Walen raconte avoir assisté à une dispute entre deux jeunes Sakalavä dont l'un reprochait à l’autre d’avoir épousé une esclave et d'être l'opprobre de sa famille : «Et vous, dit celui-ci, n’avez-vous pas honte d’avoir épousé la femme la plus

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laide qu'il y ait sur la terre et tous les deux s’écrièrent : Andaotsika hialy ! Battons-nous! et le duel com- mença; ils tirèrent lun sur l’autre, puis se lancèrent leurs sagayes, comme de vrais sauvages qu'ils étaient, et se blessèrent grièvement l’un et l’autre. Le Rév. Cowan a vu à Ranotsarä deux des chefs de Raïbahä se battre à coups de fusil, n'étant qu'à quelques mètres l’un de l’autre, et il ajoute : «Ils étaient ivres, il est vrai, mais ce combat n’excita aucune émotion, car de semblables scènes sont fréquentes».

(32) «Lorsque je débarquai à Morondavä, mon fidèle serviteur Karavato chercha, comme font tous les Malgaches, une femme qui lui fik,passer agréablement le temps pendant mon séjour au Ménabé. La fille du chef vezô Manoby, avec laquelle il était convenu de se faire frère de sang, mise au courant de son désir, lui envoya sa nièce, qu'avec l'autorisation du père et du grand-père il épousa. Après la noce se fit le fati-dra, la céré- monie du serment du sang, qui, s’il avait eu lieu auparavant, eût rendu toute relation sexuelle incestueuse et tout mariage impossible : cette jeune fille, étant devenue sa nièce, lui eût été fadibé, inviolable» (A. Gnax- nier, Notes de voyage manuscrites). Le même fait s’est produit lorsque l’un de nous dut, pour des raisons de haute stratégie, épouser la princesse Paratä, la fille unique de Lahimerijä, le roi du Fiherananä (union toute platonique du reste), ce qu'il fit avant de faire le serment du sang avec ce roi; autrement elle eût été sa nièce et il n'eût pu en faire sa femme.

(33) Le «rari-pra» cHez Les AnranosŸ. «Ce fut un jeudi que nous convinmes, Zomaner), le grand roi des Anlanosÿ, et moi de contracter l'alliance du sang. Le devin consulté sur le jour propice à cette cérémonie, après avoir étudié la conjonction des astres et tiré le sikily, fixa le mardi suivant.

«Le grand jour venu, les chefs et le peuple s’assemblèrent devant la demeure du roi. Un bœuf fut amené, jeté à terre, et on lui lia les quatre pattes; un prince ZafindRaminia l'égorgea, en prononçant quelques prières, et recut le premier jet de sang dans une calebasse avaient été mises une grosse manille d’or et de l’eau et l’on ajouta du sel, du noir de fumée et une balle. ZomanerŸ, saisissant de la main droite une sagaye et moi la baguette de mon fusil, nous en plongeämes les bouts dans la calebasse, pendant que le chef de mes porteurs, Karavatô, les arrosait sans cesse avec le liquide sacré et que le principal chef de la ville, après avoir célébré les louanges des hautes parties contractantes, énumérait les obligations que nous imposait notre nouvelle parenté, appelant, en terminant, sur celui qui y manquerait les plus grandes calamités : «Je vous préviens, mon Dieu, je vous préviens, mon pays el vous aussi, ancêtres du roi et ancêtres de Beso- +motsä 0), que mon roi, Razomanery, et Besomotsä contractent aujourd’hui le famaky, se font frères de sang; «ils doivent done dorénavant avoir lun pour l'autre une affection forte et inébranlable, ils doivent s’entr'aider +dans la bonne comme dans la mauvaise fortune; tout dorénavant doit leur être commun, leurs biens, leurs femmes, leurs familles. Mais, 6 mon Dieu. punis le parjure qui trahira son frère, qu'il soit comme le sel, +comme le noir de fumée, comme les trombes, qui, dans l’eau, dans le feu ou dans l'air, disparaissent sans rlaisser de traces; qu'il soit accablé de malheurs, que la malédiction divine pèse sur lui, qu'il ne trouve à reposer sa tête que dans un poulailler et que les effrayes et les hiboux dévorent son cadavre

«ZomanerŸ, prenant alors une cuillerée de l'reau d’or», du breuvage sacré, s’écria : « sa, roa, telo, efatra, climy, enina, fito! Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept! C’est avec bonheur que je me fais frère de sang «avec mon ami Besomotsä. Que je sois toute ma vie misérable, que nous soyons tous maudits, moi et mes enfants, si jamais je manque à mon serment ! I a été bon pour moi, 1l m'a fait de nombreux et beaux «cadeaux, et moi aussi je serai bon pour luir, et il me fit boire cette cuillerée, me frappant ensuite les deux épaules, le dos et la poitrine avec la cuiller vide.

«J’accomplis les mêmes rites, en lui disant : «sa, roa, telo,... fito! Un, deux, trois, quatre, cinq, six, rsept! nous voici frères. tu seras content de moi si tu tiens bien ta parole. Reçois avec bienveillance mes com- æpatriotes qui viendront te voir et tu ne Le repentiras pas d’être devenu mon frère».

«La cérémonie était terminée et on versa le restant de l’eau d’or» en un endroit sacré que personne ne foule aux pieds» (A. Graxninrer, Voyage chez les Antanosy émigrés en 1867, Bull. Soc. Géogr. Paris, févr. 1872, p. 144).

(34) Le vram-pna» cuez LES SakaLavi.— «Je me fis frère de sang avec le roi du Fiherenanä, Lahimerijä, le 31 janvier 1869; c'était la première fois qu'un blane faisait le vrai fati-dra avee un roi antifiherenanä. M’ayant fait asseoir à ses côtés sur la même natte, le roi prit dans ses cheveux, qui élaient tout blancs de graisse de bœuf, une pièce d’or et la mit dans un bol avec un peu d’eau et de rhum, nous plongeämes le bout, lui, de sa sagaye, et moi, de la baguette de mon fusil. Achille Lemerle, un des Français qui habitait la côte Sud- Ouest de Madagascar depuis de nombreuses années, prononca les paroles sacramentelles qui consacraient notre union fraternelle, tout en arrosant avec l’'eeau d’or» contenue dans le bol les armes que nous tenions de la main droite. Je me fis une petite incision au creux de l'estomac et, ayant mis le sang qui en coula dans la cuiller contenant du liquide sacré, je fis boire cette mixture au roi, qui ensuite agit de même avec moi. Comme, suivant son habitude, Lahimerijä avait bu beaucoup de toakä, de rhum, il n’était pas très maitre de ses mouvements, et en voulant prendre dans le bol une cuillerée du liquide sacré, il en renversa sur la natte; un des chefs, Rainiavô, se mettant à plat ventre par terre, s’empressa de le lécher, car l'eau d’or» est sainte et l’on ne doit pas la laisser perdre. On tua ensuite un bœuf, dont le quartier d’arrière avec la queue me fut donné en témoignage d'honneur.» Cette cérémonie, qui n'avait encore jamais élé faite avec un

() Besomotsä [(L'homme à la) grande barbe], nom qui m'était donné dans le sud et dans l'ouest de Madagascar.

ETHNOGRAPHITE. 303

Européen chez les Antifiherenanä a été mal vue des vieux chefs qui atiribuèrent à cette innovation, à cette violation des coutumes des ancêtres royaux, le désastre que causa peu après dans le pays le débordement du Fiherenanä, non loin duquel se lrouve la résidence du roi : une crue subite de cette rivière enleva en effet un village et des bœufs, ce qui était la «preuve évidente que ses razant, ses ancêtres, désapprouvaient sa con- duite», et qu’en tout cas il «aurait leur donner avis, au moyen d’une invocation accompagnée du sacrifice d'un bœuf, qu’un nouveau parent entrail dans leur famille» (A. Granninrer, Notes de voyage manuscrites).

Le crari-pra» Guez LES MeniNi. « Les personnes qui veulent se faire frères de sang s’asseoient autour d’un grand vase l'on a mis sept ingrédients : sept racines d'herbe qu'on vient d’arracher; une sauterelle dont on a tordu le cou; la bouse d’un veau dont la mère est morte; de l’eau d’une source qui est tarie; un fusil; un vieil os, et un peu de terre prise au coin du foyer. On jette de l’eau sur ces objets et l'on y fait tomber quelques gouttes de sang tirées de la poitrine de chacun des contractants au moyen d’une petite incision, puis on y plante soit le fer d’une lance, soit un grand couteau que les futurs frères de sang Gennent de la main gauche. x

+ Un vieillard ou la plus âgée des personnes présentes frappe sur le fer, en disant : «0 mon Dieu! à mon pays! +écoutez-moi. Un tel et un tel que voici veulent se faire frères de sang, se lier d’une amitié intime, afin de +mettre, s'il est besoin, leurs biens en commun, de se venir en aide, de se racheter si, ne pouvant payer ses dettes. l'un d'eux devenait esclave, de contribuer aux dépenses de leurs funérailles, de se donner des soins quand ils seront malades, enfin d’être à jamais unis dans le bonheur comme dans le malheur. Voiei sept racines +d'herbe! si lun d’eux viole le pacte juré, que la mort s’abatte sept fois sur lui et les siens! Voici une saute- «relle dont la tête a été tordue et est sens devant derrière! que celui qui se parjurera soit comme elle et ne puisse plus voir ce qui est devant lui! Voici la bouse d'un veau qui n’a plus de mère! que celui qui se parju- «rera ne laisse point de postérité et que son corps devienne semblable à cette ordure! Voici de l’eau d’une source qui est tarie ! que la ie et les biens de celui qui se parjurera se tarissent comme elle ! Voici un fusil ! qu’il «tue celui qui se parjurera et que son cadavre soit la proie des bêtes fauves et des oiseaux de nuit! Voici un ævieil os ! que le crâne et les os de celui qui se parjurera ne soient ensevelis par personne et soient dispersés +de côté et d’autre! Voici un peu de terre! que la terre, notre mère à tous, refuse ses produits à celui qui se +parjurera! Et qu'il soit percé de part en part par cette sagaye que je tiens en main! De quelque côté qu'il «tourne ses pas, qu'il aille au Nord ou au Sud, à l'Est ou à l'Ouest, qu'il ne rencontre que le malheur et la mort! Mais, à philtre sacré, composé des sept éléments cabalistiques, qui va lier à jamais ces deux frères, «que celui qui sera fidèle à son serment soit protégé par Dieu et ses ancêtres et ait tous les bonheurs, soit «tenu à l'écart des dangers et de la mort!»

«Après ces imprécations et ces souhaits, les contractants boivent chacun un peu de la liqueur sacrée et comptent à haute voix : Îsa, roa, telo, efatra, dimy, enina! [un, deux, trois, quatre, cinq, six !] et s’écrient ensemble : Enina, ho enina ary soa, ho enin’kavelomana ! [itt. : six, que nous soyons pleins de biens, pleins de vie! (enina veut dire tout à la fois «six» et «plein de»; les Malgaches aiment beaucoup faire de ces jeux de mots)], puis ils renversent brusquement le vase. C’est la fin de la cérémonie» (Nimsor Samy, le Temps, 28 oct. 1897).

(35) «A l'ile Sainte-Marie, les indigènes sont extrémement jaloux de leurs femmes, jusque-là que, quelques Hollandais étant venus à un de leurs villages et ayant rencontré des femmes qui les accueillirent bien, üls les chassèrent toutes du village et ne leur permirent pas d’y revenir tant qu’il y eut des étrangers à terre» (Reläche de l'amiral Cornélis de Houtman à Madagascar en 1595, Coll. Ouvr. Anc. Madagascar, publiée par A. et G. Graxnipier, t. [, p. 206).

(36) «A Antongil, les hommes sont jaloux de leurs femmes jusqu’à la fureur» (Derron, Relat. d'un voyage aux Indes orientales en 1668, p. h1).

(37) «Les Antambahoakä et les Zafindriambelonä sont jaloux au delà de toute idée. Néanmoins, par une bizarrerie singulière, lorsqu'ils sont liés par le serment du sang avec quelque étranger, leurs femmes deviennent celles de l'étranger si elles lui plaisent, n’en eussent-ils qu'une» (Maveor, Voyage à Ancove en 1777. Man. British Museum et Copie Bibl. Grandidier, p. 21).

(38) +Le Mahafaly est jaloux; il lui déplait qu'on tourne autour de sa femme, et lui, qui aime si peu se remuer si ce n’est pour voler un bœuf, lorsque sa femme est jeune et jolie, il l'accompagne quand elle va à ses plantations, qui sont toujours éloignées du village. Il est rare de rencontrer seules dans la brousse des femmes quelque peu avenantes» (Lieut. Buuner, Manuscrit, 1910).

(39) Les femmes des chefs antimoronä sont recluses, ne sortant que le vendredi avec leurs maris, voilées. «Les Matitanais (les nobles antimoronä) enferment leurs femmes dans un enclos les habitants non blancs [non nobles] n'osent entrer sous peine de la vie» (Fzacourr, Hist. Madag., 1661, p. 19).

(4o) Les femmes des ZafindRaminia étaient recluses autrefois, mais cette coutume est tombée en désuétude.

(41) Les femmes des rois mahafalÿ ne doivent pas être vues par le peuple; elles ne sortent que rarement, et les hommes qui les aperçoivent s’enfuient pour leur laisser le chemin libre. Û

(42) Les femmes des chefs barä participent du caractère sacré, quasi divin, dont ceux-ci sont investis aux yeux de leur peuple; aussi, l'entrée de leurs maisons est-elle interdite au commun des mortels; elles ont au bord de la rivière une place réservée pour se baigner ou pour puiser de l’eau, et un bois spécial seules elles ont le droit d’aller chercher les fagots nécessaires à leur cuisine; personne n’a le droit de leur adresser

ETHNOGPAPHIE. h5

IMPRIMERIE NATIONALE,

30! : MADAGASCAR.

la parole, et le Rév. D. W. Cowan raconte qu ‘étant chez Andriamanalonä, roi du Manongä septentrional,

il faillit être sagayé parce qu'il avait parlé à une de ses femmes» (Antanan. Annual, 1888, p- 61-62). Lorsqu' elles sortent, toujours accompagnées du reste, toute personne qui les voit venir s s’esquive prestement :

quiconque transgressait ces diverses prohibitions était passible de mort ou au moins d’une forte amende. H y avait même de ces chefs d’une jalousie encore plus féroce, qui tenaient leurs femmes enfermées , et, en 1898,

Ramiebä et Inapakä ont fait tuer impitoyablement plusieurs de Jeurs sujets surpris à regarder dans leurs harems par les fentes existant entre les palanques ou pieux qui en formaient entourage (Journal office. Madag., 9 août 1898, p. 2270).

(43) Contrairement aux autres Hovä ou chefs betsileo, les Zafy Manarivd ne laissent sortir leurs femmes que voilées, et ceux qui les rencontrent doivent se détourner.

(4h) «Le prince sakalavä JariarŸ, écrit en août 1849 le R. P. Neyraguet, nous fit entrer dans lenclos de ses femmes (au Ménabé, à Ambiky, sur le bord du Tsitsobohinä), nous donnant ainsi une marque de sa confiance; elles étaient assises à terre, voilées de la tête aux pieds par un immense tulle» (Madagascar et son premier vicaire apostolique, 1862, p. 116, et M5 Mavronr, Madagascar et ses deux premiers évèques, t. 1, 1864 : M Dalmond, p. 231). «Les femmes du roi du Ménabé indépendant, les Tsimatahobohitsä comme on les appelle, ont pris certaines habitudes arabes; lorsqu'elles sortent, elles se voilent la figure avec leur lamba. Du reste, quiconque les regarderait serait puni de mort; aussi, du plus loin qu’on les aperçoit, tout le monde se détourne ou rentre chez soi : le beau-frère lui-même ne doit pas voir le visage de sa belle-sœur; les sœurs et Le servantes ont seules ce droit. Les femmes des princes ont au contraire toujours le visage découvert» (A. Gnranpinier, Notes manuscrites, 1866 et 1868).

(45) Le R. P. Finaz écrit, en 1846, qu'à Nosy «les femmes du chef Tsimandrohô, qui habitaient le village de Tafondrô, avaient un chemin particulier que personne autre qu'elles ne pouvait prendre».

(46) «Les femmes antalaotsä sortent rarement de leur enclos et on les voit peu, mais elles ne sont pas tout à fait recluses comme les femmes arabes.

(47) Voici la description détaillée de l'accouchement d’une Betsimisarakä, d’une Merinä et d'une Sakalavä :

A. Lorsque la femme persimisanakX est au terme de sa grossesse, ses parents appellent une sage-femme et, aux premiers symptômes de l'accouchement, font prévenir les principaux membres de sa famille qui accourent de suite, abandonnant toute occupation pour être présents à la naissance du pelit être impatiemment attendu. On la conduit alors dans une case sont seules admises des femmes, parentes et amies, qui viennent d'ordinaire en grand nombre; les hommes se tiennent dans une autre case, attendant les événements, ou vont chercher le bois nécessaire pour entretenir le feu obligatoire, et le diseur de bonne aventure, qu’on ne manque jamais de consulter, interroge le sikilÿ et, d’après sa réponse, informe la famille des dangers que courent la mère et l'enfant et des moyens de les conjurer.

Dès que les douleurs deviennent vives, on fait mettre la patiente sur le dos et deux femmes saisissent les jambes qu’elles maintiennent ployées et écartées; la sage-femme, placée de côté, opère de fortes pressions sur le haut du ventre, entre l’épigastre et le nombril, pour aider la sortie de l'enfant, qui, dès qu'il est venu au jour. est laissé entre les jambes de sa mère jusqu’à l'expulsion du placenta. Les hommes, avertis, sortent alors de la maison ils se tiennent en poussant des cris de joie et, si c’est un garcon, frappent à grands coups de poings les paroïs de la maison gisent la mère et le nouveau-né (A. Gnaxninier, Notes manuscrites, 1866).

B. Chez les Memni(), dès que la femme ressent les premières douleurs, on lui fait manger une grande quantité de riz, cuit d'ordinaire avec des feuilles de sokla, de menthe, afin de lui donner de la force pour faire les eflorts nécessaires, tandis qu'au contraire la sage- “femme, du moment elle entre dans la maison jusqu’à celui elle en sort, ne mange rien, quelque temps que dure l'accouchement, mais elle peut boire. On laisse la malade se promener ou s'asseoir jusqu'à ce que la tête du fœtus soit suffisamment descendue mao de la vulve), et alors seulement on la fait mettre à genoux (jadis à l’ouest du foyer ), les cuisses écartées ©), et on lui fait faire des efforts. Quand l'accouchement est normal, les manœuvres de la sage-femme se bornent à peu de chose; elle procède à de légers massages et fait boire à la femme T'ody fankamorä [le remède qui facilite l'accouchement |, décoction de plantes diverses, ou lui fait prendre quelque remède symbolique, homæopathique si nous osons dire (). Les assistantes, par leurs exclamations, par leurs chants, ne cessent d'encourager la malade , Ento, ento! [Mets dehors, mets dehors!], crient-elles; Tahio, ry Razana! tahio, ry Andriamanitra ! tahio: Andriananahary! [OÔ vous. nos ancêtres, aidez-la! O vous qui êtes auprès de Dieu, aidez-a! () vous, mon

0) D' Ranavô, Pratiques et croyances des Malgaches natte reposait la jeune femme prèle à accoucher el

relatives aux accouchements, Paris, Thèse de médecine, juil. 1902, et Revue de Madagascar, janv. 1903, p. 42.

? H parait qu'en Imerinä les sages-femmes ne font prendre celle position qu'aux multipares, mais qu’une primipare se couche sur le côté droit ou sur le côté gauche, à volonté, afin de pouvoir protéger chez celle-ci le périnée, qui, ayant fail ses preuves chez les multi- pares, ne nécessile plus d'aussi grandes précautions.

5 M. Mondain dit que «presque toujours des parents, choisis dans la famille, se réunissaient autour de ia

se livraient à de mystérieuses incantations. Puis on trans- portait cetle natte dans la chambre supérieure de la maison et on la tournait dans un sens déterminé. Le plus ägé de la bande ou celui que désignaient ses com- pagnons y montait seul avec la patiente; puis il lançait aux quatre coins de la pièce, aux quatre points cardi- naux l'adresse des Esprits épars de tous côtés), des paroles presque toujours incompréhensibles sa fan- taisie se donnait libre carrière» (Des idées religieuses des Hovas, 1904, p. 20).

ETHNOGRAPHIE. 309

Dieu, aidez-da!], et à mesure que le travail avance, Ento mafy! manena mafy! aza mamono key! [Pousse, pousse fort! ne laisse pas mourir le petit!](). La sage-femme ne rompt jamais les enveloppes du fætus, elle attend qu'elles se rompent d’elles-mêmes sous l'influence des contractions utérines ©).

Une fois l'enfant né, on fait un grand silence, car +l’arrière-faix ne serait pas expulsé si l’accouchée parlait», et on prépare le fandatsahanà, drogue qui doit hâter la délivrance et qui se compose d’une infusion de cendres de z0zorû [de souchets, de jones] arrachés à la porte de la case [qui est généralement en 20z0rû ou en heran |, de fiente de rat et de cendres de l'enveloppe d’un régime de bananes (). Si toutefois l'expulsion du placenta tarde encore, on prend le pilon à riz qu’on promène plusieurs fois de l'estomac au pubis en le faisant tourner, c’est l'ala neninä, la dernière ressource de la sage-femme : si le placenta résiste à cette opération, la femme est considérée comme perdue @).

Pour le premier fils, le fils aîné, le père casse un gros morceau de bois, un trongä [un tronc d'arbre] ou une grosse racine de l'arbre volomboronä (Albizzia Jastigiata) : plus cette racine, plus ce morceau de bois sont gros et forts, plus l'enfant sera grand et vigoureux, plus il sera riche et heureux; le mamaky trongä ne se fait pas pour les cadets, ni pour les filles. Quand le souverain avait un fils, il lui donnait en apanage une ville qui était son vakitrongä; le vakitrongä des fils de gens riches est un esclave, un bœuf, de l'argent; celui des pauvres consiste en une simple poignée de brèdes ().

Lorsque la femme merinä qui vient d'accoucher a été lavée, on l'installe dans le kombÿ, alcôve formée de nattes dans laquelle est posé par terre, contre le mur, le lit qui se compose d’un matelas recouvert d’une natte neuve et fine; un feu brüle nuit et jour devant cette alcôve pour en chauffer l'air et «favoriser l'écoulement du sang qui, sans cette précaution, produirait des pra ou tranchées utérines», et aussi et surtout pour écarter les méchants Esprits qui tournent toujours auprès des jeunes mères et de leurs enfants. La pièce se trouve la malade est tenue dans une obscurité complète; les fenêtres sont fermées hermétiquement et toutes les fentes, les interstices susceptibles de laisser passer un filet de lumière sont soigneusement bouchés avec de la house de vache. Dès que la femme y est transportée, la sage-femme procède à des frictions abdominales et la fait coucher sur le côté, «pour empêcher les seins de s’étaler à la base», avec la prescription de ne pas parler et +de se replier le plus possible sur elle-même afin de rapprocher les os que l'enfant a disjoints en passant et de remettre l'utérus en place». Une poignée de fon-Jozorû [de moëlle de jonc] est étalée sous elle pour recevoir les matières qui s’écoulent de son abdomen, et on la charge de couvertures de sorte qu’elle est accablée par la chaleur et que son corps se couvre d’éruptions cutanées (voa-penü), car il faut «qu’elle sue à grosses gouttes pour éviter le sovokü [la fièvre puerpérale |».

C. Chez les SaxaravX pu Norp-Ovesr et chez les TsiminerŸ, dans l’alcôve toute tendue de nattes ou de lambas qui est préparée au milieu de la chambre pour la circonstance, on met un matelas de rafia par terre (et non le Libany ou lit ordinaire du Sakalavä) et on entretient auprès un grand feu nuit et jour, pendant la semaine qui suit la délivrance.

La sage-femme palpe, masse et, si la venue de l'enfant tarde trop, elle asperge le corps de la future mère avec de Peau froïde ont macéré des feuilles de morament et de bois de fanivant, arbrisseaux qui croissent sur le bord de l’eau : c’est lody fanlamor&, le remède qui hâtera l'accouchement. Toutes les parentes et amies, jeunes filles et même fillettes, assistent à l'accouchement et ne cessent de chanter pour encourager la malade à qui il est loisible, contrairement à l'usage des femmes merinä, de se plaindre et de crier. Aucun homme n’est admis.

L'enfant né, on coupe le cordon ombilical avec l'antsy dombô [litt. : le couteau émoussé |, morceau de bambou taillé en forme de couteau et affilé, et on le lie avec un brin de rafia, puis la sage-femme lave l'enfant avec lody fankabé, eau ont macéré, mélées à du miel, des plantes diverses dont la connaissance se transmet de mère à fille dans les familles des matrones sakalavä; ce lavage, qui doit rendre l'enfant grand et fort», se continue chaque matin et chaque soir pendant huit jours. Puis, prenant un peu de sel au bout de l'index, elle le passe sur les gencives du nouveau-né avant qu'il ait pris aucune nourriture; si elle s'aperçoit alors que l'enfant est avec des dents, ce qui est lozä, anormal, monstrueux, et ce qui, par conséquent, présage les plus grands malheurs pour ses parents, on le porte dans la brousse on l’abandonne (Daxvouau, Bull. Acad. malgache, 1908, p. 164-165).

(48) «Avant qu'une femme accouche, elle doit déclarer tout le mal qu’elle a fait et toutes les personnes avec qui elle a péché, et on ouvre tous les paniers et paquets qui sont dans la maison. ls croient que, si elle

9 D°Th. Vicuerre, Bull. Acad. malgache, 1903, p.194. Chez les Antanalä, on faisait avaler à la femme qui tardait à accoucher des feuilles que le vent avait fait

«C’est moi, le père de Koto [du garcon]!» Quelques heures après, il plante une lance, lorsque le nouveau-né est un garcon, et un simple piquet auquel est attachée

tomber d’un arbre, ete.

? Th. Vivcerre, Bull. Acad. malgache, 1907, p. 96 et p. 97-98.

% Manuscrits hovä de la Bibl. Grandidier : cahier 10. p. 177. M. Mondain dit que maintenant le père se con- lente de frapper sur un arbre ou sur un morceau de bois quelconque de manière à être entendu des gens de la maison, qui lui crient : «Qui est là?», et il répond :

une touffe d'herbe, lorsque c’est une fille, le garçon étant le défenseur de la famille tandis que la fille en est le soulien intérieur (Bull. Acad. malgache, 1905-1906, p. 63). Jadis, lorsqu'un Merinä avait son premier enfant, il prenait la racine d’un varihitia (Clerodendron emirnense Bojer) et, se tenant en dehors de la maison, il la posait sur sa tête, puis la jetait violemment par terre vers l'Ouest, pensant ainsi être utile à l'enfant.

h5.

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n'a pas fait une confession complète, elle ne pourrait accoucher» (Abbé Bounpaise, à Fort-Dauphin, 1656, Mém. Congrég. de la Mission, t. IX, p. 226). «Lorsque les femmes sont en travail d'enfant, sur la côte orientale, les matrones les pressent de déclarer ce qu’elles ont fait, quels amants elles ont eus, etc.; ces malheureuses sont persuadées qu'elles n'accoucheraient pas heureusement, si elles ne faisaient pas une confession publique, sans rien omettre; il y en a qui défilent une belle liste à leurs maris» (François Mann, à Fénerive, 1668, Man. des Arch. nation. et Copie Bibl. Grandidier, p. 328).

«Quand les femmes accouchent, elles disent à leur mari si elles ont eu affaire à d’autres hommes qu'eux, les nomment et comment cela s’est fait. Elles disent tout, croyant que si elles ne le disaient, elles mourraient en travail d'enfant, et quand il y en meurt quelqu'une, les autres femmes disent que celle-là avait menti à son mari et ne lui avait pas voulu dire la vérité, que c’est pourquoi elle est morte. Les maris, sachant ceux

ui ont eu affaire à leurs femmes, les envoient aussitôt sommer de leur payer le droit qui se paye ordinai- rement dans toute l'ile pour cela : ce droit est la moitié de ce que la femme a couté à son mari et, quand ils font refus de payer, ceux de qui les femmes ont été débauchées, ayant la force en main, vont en petite guerre chez leurs débiteurs et emmènent tout ce qu'ils peuvent attraper, soit esclaves, soit bestiaux. Ceux qui ont eu affaire à ces femmes et qui n’ont pas les moyens de payer les droits sont obligés de servir leurs maris en qualité d'esclaves» (Les Voyages faits par le sieur D. B. [Du Bois], 1674, p. 115-116).

«Lorsqu'un accouchement est laborieux, les femmes confessent tous les hommes qui ont joui de leurs faveurs. Chaque individu qui en a usé amène au moins un petit bœuf qui est égorgé devant la porte de la maison avec une prière demandant à Dieu de faciliter les couches. Si un homme tardait à amener son bœuf et que la femme mourüt en couches, 1l serait condamné à une forte amende de bœufs ou d'esclaves. Elles invoquent aussi Ramarianä [la Vierge Marie | qu’elles savent avoir mis au monde Rahissä [le Christ] sans douleur» (B. Hucon, 1818, Manuscrits Arch. Minist. des Colonies). L'usage de confesser ses fautes existe également lorsqu'on est gravement malade ou qu'on est proche de la mort, avant de donner sa bénédiction à ses enfants.

(49) Les Antandroy portent le cordon ombilical de leurs enfants sur les bords de FIkondä, les premiers immigrants de leur clan se sont installés et üls l’attachent à un arbre. Les Antanala Manambia Antimahab, qui le portaient encore récemment dans l’Ivondrë l'Est de l'Onaivé), vont dorénavant, comme les Antanala Manambia Zafimpanolahy, se contenter de le mettre aux environs de Tamotamô ils sont établis depuis longtemps déjà et ils commencent à construire leurs tombeaux. Quant aux Antanalä d’Ivohitrosä, d’Ikongô et d'Ivohibé, ils le jettent dans le Matitananä, à l'exception de leurs chefs ou Hovä qui les portent dans leur domaine. Les Vorimô le jettent dans un cours d’eau après avoir fait une libation de toakà | de rhum malgache | et une prière à Dieu et aux ancêtres. Le R. P. Navarrete dit que «les gens de Fort-Dauphin mettent le cordon ombilical, après qu'il a été coupé, autour du cou de leur enfant, pensant ainsi attirer sur lui le bon- heur ; c’est ce que j'ai vu» (Coll. Ouvr. anc. Madag. par A. et G. Granoinier, t. IT, p. 350-351). Chez les Betsimisarakä du Nord, la mère garde attaché à sa ceinture le cordon ombilical de son enfant ainsi qu'une mèche de ses cheveux coupée lors de la première sortie après l'accouchement, et elle ne les jette pas, mais un jour le paquet se détache et se perd, et tout est fini, tout est bien.

(50) Parmi les Merinä, il en est qui croient, en faisant manger à un bœuf le cordon ombilical de leur enfant, lui assurer une bonne santé, tandis que d'autres sont persuadés que, dans ce cas, il aura le tetyÿ, la syphilis.

(51) Épidariste Colin (Ann. des Voyages de Malte-Brun, 1811, p. 304-313) ne croit pas que l'infanticide rituel dont parle Flacourt, et qui avait lieu dans le sud-est de Madagascar au xvn° siècle, ait jamais été général dans cette ile et même qu'il se pratiquât encore à Fort-Dauphin au commencement du xx°. De son côté, le chevalier de Froberville, dans son Dictionnaire manuscrit (1816), dit que «Legentil, Durocher, Fressange, Rondeaux, Mayeur, Chapelier, Dumaine font à peine mention du fangavela zaza | fambelan-jazü |, de l'abandon des enfants nés les mauvais jours, et qu'ils le font en des termes qui montrent cet usage comme un reste de barbarie n’existant plus que chez quelques rares tribus isolées, perdues dans les bois», el il prétend que «Rochon a calomnié (!!) les Malgaches en reproduisant, 150 ans après, les accusations de Flacourt, justes au milieu du xvu° siècle, mais absolument tombées en désuétude (!!) depuis la chute et la disparition des Roandriana». Erreur! Non seulement nous pouvons aflirmer, en ayant été les témoins, que les infanticides rituels se pratiquaient couramment à la fin du xx° siècle, mais M. Jully a dit, en 1905, que «la coutume d’étouffer l'enfant le jour d’Alakaosÿ dans le mois d’Alakaosÿ existe encore en Imerinä» (Bull. Acad. malg., 1905-1906, note p. 30).

(59) «A Fort-Dauphin, l'enfant dont la mère meurt ou endure de grandes souffrances en lui donnant nais- sance est mis à mort» (ne VarGnr, Manuscrit des Arch. Minist. Colomes, 1767). «Dans le nord-ouest de Madagascar, si une femme qui nourrit son enfant est prise de maladie ou si le lait vient à lui manquer, le chef du lieu vient avec l'exécuteur habituel des hautes œuvres constater le fait et, s'il le juge vrai, ordonne au bourreau de tuer sure-champ cet enfant ingrat qui veut du mal à sa mère. Le Rév. Père Piras a vu mettre à mort dans ces circonstances un enfant de 3 à 4 mois pendant une visite qu'il faisait en 1853 au roi de Balÿ, Rabokyÿ» (R. P. x La Vaissière, Hist. de Madagascar, t. X, p. 220). !

(53) «Les Sakalavä de Balÿ déposent dans une petite fosse, sans la fermer, tous les enfants qui naissent avec une difformité quelconque, qu'ils affirment être un présage de malheur pour leur famille» (R. P. pe LA

ETHNOGRAPHIE. 397

Vussière, Hist. de Madagascar, L. 1, p. 220). Cette élimination des enfants difformes produisait de bons effets pour la constitution physique de la race.

(54) «Üne femme antanosÿ, qui, après un séjour de quelques années à l'ile de la Réunion, revenait dans son pays, ramenant avec elle son enfant de 5 à 6 mois qui était hydrocéphale, étant venue saluer le roi Zoma- nerŸ auprès duquel je me trouvais, celui-ci fit tuer cet enfant séance tenante» (Notes de À. Gnanninier, 1867).

(55) «Chez les Israélites d'Orient, un enfant qui a des dents en naissant est de mauvais augure pour ses parents, qui tomberont dans la misère» (Abraham Daxow, Congr. intern. des Orientalistes, 9 sept. 1897, Mélusine, p. 265). Et, dans le centre de l'Afrique , «l'enfant qui nait avec des dents, ou dont les dents de la mâchoire supérieure poussent les premières, est considéré comme néfaste; on le jette dans le lac ou bien il est abandonné dans la brousse : sans cela, chaque dent qu'il perdrait occasionnerait la mort d’un homme» (ME® Lecnaprois, Aux rives du Tanganika, 1913, p: 138).

(56) en 1873 aux environs de Tananarive et atteint peu après sa naissance d’une conjonctivite, Pierre l’'Aveugle fut considéré comme sous un mauvais destin et condamné par le mpisikidÿ, ou diseur de bonne aventure, à être noyé. Un conseil de famille détourna la mère de cette cruauté et on laissa vivre tel quel le petit aveugle : un missionnaire catholique le prit dans son école, et il est aujourd'hui un bon organiste et il parle bien français».

(57) «Un enfant qui éternue en naissant ou peu après ou qui éternue en faisant un besoin est abandonné par ses parents, parce qu'il est mahery andrd, un jour dangereux; un ami des parents le porte dans le bois 1l l’abandonne après avoir exprimé sur sa poitrine le lait d’une certaine plante. Souvent une femme va le reprendre, mais il n’est pas rendu à ses parents et on doit cacher son origine» (Hizpgsranpr, Nord-Ouest de Madagascar, Zeitschr. d. Gesellsch. f. Erdkunde, 1880, p. 266). Flacourt dit que, «si la fille d’un Roan- drianä ou Noble se joue avec un nègre et si l'enfant est noir [foncé] avec les cheveux frisés [crépés], il est condamné à mourir» (Hhst. de Madagascar, 1661, p. 93).

(58) «Beaucoup d’Antankaranä mettent à mort les enfants nés le jeudi, jour anniversaire de la mort d’un de leurs rois» (Rév. Barox, Antanan. Annual, 1899, p. 452).

(59) «Les habitants de la baie d’Antongil mettent à mort les enfants nés le mercredi, le samedi ou le dimanche» (Vax ner Mrersu, gouverneur hollandais de Maurice, 1645, Coll. Ouvr. anc. Madag. de A. et G. Graxninien, t. IL, p. 199). «Quand les femmes accouchent le mardi, le jeudi ou le samedi, les Zafi- brahim [les habitants de l’île Sainte-Marie] jettent leur enfant dans le bois, ils l'abandonnent, à moins que quelque femme n’en ait pitié et ne les allaiter (Fracourr, Hist. Madag., 1661, p. 307). «Les enfants nés un mauvais jour, variable souvent suivant les familles, sont exposés sur un tréteau, on les laisse mourir» (Notes manuscrites de À. Granninier, Tamatave, 1870).

(60) «Le mercredi et le vendredi de chaque semaine sont de mauvais jours» (Fracourr, Hist. Madag., 1661, p. 90). +Le 28 juillet 1866, je trouve à Ambovomenä un campement d’Antanosÿ émigrés : une femme venait d’accoucher, et comme c'était un samedi, jour réputé néfaste dans sa famille, le père l'avait, suivant les rites ordinaires, déposé dans une fosse d’où je l'ai retiré; une femme à qui j'ai donné une pièce de toile et quelques colliers de verroterie a bien voulu se charger de lui» (Notes manuscrites de A. Graxnipter).

(61) «Dans lAndroy, les enfants nés un jour falÿ, un jour néfaste, qui est d'ordinaire le mercredi ou le samedi, sont enterrés vifs, ou abandonnés en un lieu désert pour y mourir de faim, ou exposés sur un sentier par lequel passent des bœufs qui les écrasent, car ces enfants, croit-on, causeraient la mort de leurs parents» (Lewae, 1897). M. Lemaire, agent résidentiel de France à Madagascar, ordonna aux Ombiasÿ ou devins de ne plus prêter la main à de semblables méfaits sous peine de mort. Certains clans, comme les Anti- hodô qui ont émigré en pays Mahafalÿ, ete., se contentent de conjurer le sort au moyen de /ahträ ou d’exorcisme (Manuscrit du lieut. Buunen).

(62) Les clans mahafalÿ qui habitent sur les bords du Menarandrä enterrent vivants les enfants nés certains jours, le mardi chez les Zanakangä, le mardi et le jeudi chez les Antimangotokä, le jeudi chez les Antisivalotsä et le samedi chez les Tsiandrä. Les Antisambÿ et les Antibevolä ont aussi leur jour falÿ, néfaste, qui est pour ces derniers le mardi; mais, plus humains, ils ne tuent pas les enfants nés ce jour-là : les uns les donnent aux femmes qui veulent les adopter et qui, se tenant auprès de la mère avec deux bracelets de perles de verre blanches et noires au bras droit, les emportent aussitôt qu'ils sont nés; les autres les abandonnent à qui les veut, prenant en échange quatre aiguilles (Notes manuscrites de A. Granpinier, 1867).

(63) +Si un enfant vient au monde à Tuléar un dimanche, on l’enterre vivant» (Abbé Damon, 1845). «Dans le Fiherenanä, les enfants nés le dimanche et le mardi sont abandonnés dans la brousse ou jetés dans un marécage, mais ils sont souvent recueillis par des parents ou des amis; les Vezÿ ont pour la plupart renoncé à cet usage et en font tout au plus le simulacre aujourd’hui» (A. Granninter, 1867, et Esrèse, 1891). «Au Ménabé, les Sakalavä considèrent comme jours néfastes les mardi, vendredi et samedi, jours pendant lesquels le diable et ses sorciers gouvernent le monde, et, à leurs veux, les enfants nés l'un de ces trois jours sont enfants du diable, ensorcelés, et on les fait périr le plus souvent d’une facon lamentable» (Les Marins hollan- dais du Barneveld, 1719, Coll. Ouv. anc. Madag. par A. et G. Grandidier, €. V, p. 26). «Les Sakalavä im- molent les enfants qui naissent le mardi. Cette exécution, qui est générale dans les quatorze royaumes qui composent l'ile, a lieu le mardi ou le jeudi : on croit que les enfants nés ce jour-là feraient périr leurs parents» (Louis Forr, 1751, Coll. Ouv. anc. Madag., t. V, p. 249). «Dans l’ouest de Madagascar, beaucoup d’en-

308 -MADAGASCAR.

fants sont mis à mort lorsqu'ils naissent un dimanche ou un vendredi» (Les Aventures de Rosenr Duurx, Call. Ouvr. anc. Madag., t. V, p. 377). «Les Sakoambé, clan qui habitait le Fiherenanä et le Ménabé avant l'invasion des chefs sakalavä, des Maroserananä, mettaient à mort tous les enfants qui naissaient le dimanche; à la fin du xix° siècle, ceux qui vivaient sur les bords du Mangokä, qui est le berceau de ce clan, seuls le faisaient encore. De même, les Voroncokä, les Ambolavä et les Vazimbä, qui sont comme les Sakoambé des tompontanÿ | des maîtres du pays], des aborigènes, c’est-à-dire qui étaient dans la région occidentale de Madagascar avant la conquête de Lahifotsÿ, le premier chef sakalavä, enterrent les enfants qui naissent le jeudi, cousus dans un fisia [sorte de panier, de cabas| ou enroulés dans un Jamba, puis, après avoir rempli la petite fosse de terre, afin de les achever, ils y enfoncent à diverses reprises un asia, sorte de bâton pointu dont les femmes ont coutume de se servir pour mettre leur fil en écheveau; c’est le père, le grand'père paternel ou, en tout cas, quelqu'un de la ligne paternelle qui sacrifie l'enfant» (A. Granpinien, 1869, et Gnrevé, 1890). M. Grevé écrivait à l’un de nous en mars 1891 : «La coutume barbare de tuer les enfants nés un jour falÿ, néfaste, est toujours en pleine vigueur : le mois dernier, dans la nuit du 23 au 4 février, le mardi matin, à Nosy miandrokä, à l'embouchure du Morondavä, un père de famille est allé, aussitôt qu’elle fut née, enterrer vivante sa petite file auprès d’un palmier satranä dans le nord du village; un colon, avisé à temps, l'a déterrée : elle avait 50 centimètres de sable sur elle; elle se porte bien aujourd'hui. Les gou- verneurs hovä de Mahabô et d’Andakabé, qui étaient en ce moment-là à Nosy miandrokä, ne firent aucune observation à ce sujet». En 1851, le R. P. Finaz a recueilli une petite fille que ses parents avaient exposée au bord de la mer, sur la plage de Nosy bé, pour être emportée par la marée montante, et, en 1869, le R. P. Lacomme écrivait d'Hell-ville que les Malgaches lui apportaient les enfants nés le mardi, jour néfaste. Les Sakalavä de la baie de Balÿ, dans le nord-ouest de Madagascar, ont, chaque semaine, deux jours né- fastes, le mercredi pour tous et le vendredi ou un autre jour suivant les familles ; les enfants nés ces jours maudits sont abandonnés vivants dans la brousse ils deviennent la proie des chiens et des bêtes fauves ou bien sont dévorés par les insectes; il en est de même pour les enfants de la famille royale qui naissent le dimanche : aucune femme, même à prix d'argent, ne consentirait à allaiter un de ces enfants abandonnés. Lorsqu'un enfant nait vers minuit entre un jour faste et un jour néfaste, pour bien fixer sa destinée, on le dépose par terre au milieu du passage étroit par lequel les bœufs sortent de leur parc; s’il n’est ni écrasé, ni touché par leurs pieds, il est repris et élevé par ses parents» (R. P. Pinas, 1851, àn La Vaissière, Hist. Madag., 1. 1, p. 219-291).

(64) «Les gens de Ghalemboulou [d’Analambolé ou province de Fénerive], outre la cruelle habitude qu'ils ont d'exposer les enfants nés le mardi, le jeudi et le samedi | suivant les familles], mettent aussi à mort les enfants que leur +ampagajar» | mpanazarÿ] ou devin, après avoir tiré une sorte d’horoscope, leur désigne comme d’un naturel méchant et devant causer de la peine à leurs père et mère. Quelquefois, des personnes charitables retirent ces enfants des bois on les abandonne et les élèvent» (Francois Marnix, Mém. pour l'établ. des Col. fr. aux Indes Or., Man. Arch. Nat., T* 1169, et Copie Bibl. Grandidier, p. 330). Benyowski écrit de Foulpointe le 17 avril 1775 au Ministre de la Marine : «C'est un usage de la religion des Madagas- carois de tuer leurs enfants nés difformes ou un jour malheureux, mais, quoique je n’aie rien négligé pour l'abolir, mon zèle eût échoué si ma femme ne m'avait secondé, car elle a su gagner à mon projet les femmes des chefs et des principaux indigènes à qui elle a remontré toute l'horreur de cette abominable coutume : le 3 janvier 1775, celles-ci sont venues en foule me demander de leur prêter aide pour convaincre leurs maris de laisser dorénavant vivre tous leurs enfants, tels qu'ils naitront. Le habarÿ ou assemblée qui s’ensuivit a duré neuf jours de dispute et a fini en arrétant que tous ceux qui, à l'avenir, seraient convaincus d’avoir tué leurs enfants seraient déclarés esclaves du Gouvernement français» (Arch. Colon., Corresp. Madagascar). Ce récit est faux d’un bout à l’autre; au reste Benyowski, qui n’était en somme qu'un aventurier, a entassé mensonges sur mensonges dans ses lettres comme dans ses mémoires; cette assemblée de Malgaches qu'il met en janvier 1775 est mise en décembre dans une autre lettre, en d’autres termes et avec d’autres détails! «Sur la côte Est, il y a des jours néfastes les parents détruisent leurs enfants; si le père ou la mère tombent malades, si l’on craint quelque calamité pour la famille ou pour le village et si le devin déclare que c’est tel nouveau-né ou tel enfant, eût-il quatre ou cinq ans, qui porte malheur, on le sacrifie. Souvent on dépose l'enfant sur le rivage, au moment le flot commence à monter, ou bien sur le bord d’un fleuve pour qu'il soit dévoré par les crocodiles» (Les Missions catholiques, 15, oct. 1868).

(65) «Les pères et mères abandonnent leurs enfants lorsqu'ils naissent en un mauvais jour, mauvais mois et même mauvaise heure, et le plus souvent lorsque le misérable ombiasÿ | devin] a squillé [a tiré la bonne aventure]; s’il voit que la figure du squille [ stkily | n’est pas à son gré, il dit que l'enfant sera meurtrier de son père et de sa mère, qu'il sera malheureux toute sa vie et enclin à toute sorte de mal, et que par ainsi il le faut abandonner. Les mauvais mois sont principalement les mois de Safarÿ et de Ramavahä [Ramadan] et, dans tous les mois, le huitième jour de la lune [du mois] qu'ils nomment Assarouta [ Asaratanÿ] et le dernier quartier de la lune [du mois] qu'ils nomment Alacossy | Alakaosÿ]; et sont mauvais les mercredis , les vendredis et les heures qui sont gouvernées par un mauvais vintany | vintanä|, c'est-à-dire par une mau- vaise planète. Ainsi ces nations comptent plus de la moitié de l'année de mauvais jours. Il y a quelques indi- vidus plus humains qui chargent leurs esclaves ou un de leurs parents d'aller prendre leur enfant, aussitôt qu'abandonné, pour le faire allaiter, mais üls ne le tiennent plus pour leur enfant et il appartient à qui

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l'élève; d’autres se contentent de faire des Jalÿ sur lesdits enfants, sacrifiant des bêtes et des coqs ou les en fermant quelque demi-journée dans une cage à poules afin d’ôter, disent-ils, la malignité de la constellation qui domine sur l'enfant : si on ne le tuait ou si l’on ne faisait ces cérémonies, il serait quelque jour parricide et voleur, adonné à toutes sortes de méchancetés, aussi croient-ils qu'en agissant ainsi ils gagnent autant que S'ils tuaient un serpent, un scorpion ou la bête la plus dangereuse» (Fracourr, Hist. Madag., 1661, p. 92). «Pour les enfants des chefs antimoronä, c’est le mois de Safarÿ [le mois de l’année lunaire malgache ou le mois de l’année musulmane qui est néfaste; pour les enfants du peuple, les jours mauvais sont, chaque mois, les trois jours d’Asaratanÿ [les 8°, et 10° du mois lunaire ] et les deux jours d’Alakaosÿ [les 20° et 21°]: les enfants nés un de ces jours étaient ou jetés à l’eau, ou enterrés la face contre terre» (A. GranniniEr, 1870). Les ZafindRaminia de lAnosÿ qui, pour la plupart, ne savent pas lire les grimoires arabico-malgaches demandent à ceux qui le savent de leur dire quels sont les jours fastes et néfastes; les jours très mauvais, non seulement on enterre le nouveau-né, mais on coupe.le cou d’un rat sur le ventre de la mère qu'on enduit de son sang» (A. Graxninier, 1867).

(66) «Ghez les Antanalä, il y a huit jours mauvais par mois : les trois jours d’Asorotany, les deux jours d’Ala- kaosÿ et les trois jours d’Adijadyÿ | soit les 8°, 10°, 20°, 21°, 29°, 93° et des mois lunaires]» (Sisnee, The Great African Island, 1859, p. 280). +L'enfant antanalä le mois de Faosà [ou Alakaosÿ], qui est très néfaste , est enterré dans la forêt. ou. si les parents veulent le garder, ils appellent l’ombiasÿ, le devin, qui prend diverses plantes, de lariandrÿ, du voafivé, du fantsikalt, ete., ainsi qu'un fer de béche usé et une hache, et il attache le tout à la sagaye que le père tient à la main, puis il met une poignée de chacune des susdites herbes dans un van ou grand plat creux en bois plein d’eau, et il y plonge l'enfant en disant : «Que cet enfant ne cause aucun tourment, aucun dommage à son père, ni à sa mère, ni à sa famille! » On enterre ensuite l’eau, les plantes et les divers objets employés pour cet exorcisme, et le mauvais sort est conjuré» (RicHarpsox, Antan. Annual, 1876, p- 100). «Les Antanalä enterrent souvent les enfants nés un mauvais jour dans un nid de termites» (Cap. Vacuen, Revue Madag., sem. 1904, p- 147-148).

(67) Les TsimihetŸ mettaient à mort les enfants nés le vav” Alakaosÿ, soit le premier jour du destin d’Ala- kansÿ, et le mardi de chaque semaine (Cap. Trazvoux, Revue de Madag., 1903, p. 231).

(68) «Lorsqu'un enfant du souverain nait sous une mauvaise étoile et est considéré par conséquent comme devant nuire à ses parents, il est exclu de sa famille et perd son titre de zanakandrian&, de prince; il en est de même si son vintanä, son destin, est semblable à celui de son père. Quand son vintanä est Asombola, on le dépose à l'entrée d’un pare à bœufs et, s’il est atteint par un de ces animaux, il doit mourir, sinon on l'élève.

«Si l'enfant d’un tandonakä de tout autre esclave du souverain naît un jour néfaste ou a le même vintant que le souverain et doit par conséquent lui nuire, on l’étoulle en lui mettant la face dans l'eau, manohokiü.

«Pour les simples Merinä, quand les destins de l’enfant et des parents mafandraträ, se blessent, sont opposés lun à l'autre, ils le donnent à quelqu'un de leurs parents qui l'adopte. L'enfant sous le destin d'A lakaosy est généralement mis à mort, surtout lorsque le père ou la mère sont nés sous le destin opposé d’Adizaozà : quelques-uns se contentent de le donner à qui veut le prendre, mais ils n’ont plus dès lors aucun rapport avec lui. Quand le vintant, le destin, des parents est Adijadÿ et celui de l'enfant Asorotanÿ, on le noie dans leau chaude, dia ahohonÿ ami ny sahafä. Depuis quelque temps, il y a des parents qui ne rejettent jamais leurs enfants, mais il y en a d’autres qui font passer sur le nouveau-né dont le vintanà est très mauvais , comme celui d’Alakaosÿ par exemple, un troupeau de bœufs; s’il sort indemne de cette épreuve, les parents le gardent et l'élèvent.

s Voici les usages et les faditrä et soront, ou exorcismes et prières, au moyen desquels on conjure le mauvais sort que le jour ou l'heure de la naissance, lorsqu'ils sont néfastes, jettent sur un nouveau-né :

«Il est recommandé aux femmes enceintes de ne pas manger de riz et de garder la chasteté pendant les deux jours du destin d’Alakaosÿ, afin d'éviter d’accoucher un de ces jours qui sont particulièrement néfastes.

#51 un enfant est le va” Alahamadyÿ, le premier jour du premier grand destin, on peut conjurer le mauvais sort qui y est attaché par un faditrä, un exorcisme particulier, mais aucune prière ni aucun exor- cisme ne peuvent le conjurer s'il est le vontÿ (au milieu) ou le vodÿ la fin), c’est-à-dire les second et troisième jours, car, disent les astrologues, «si un taureau peut combattre à coups de corne, il ne peut rien «faire avec son train de derrière». Si l'enfant naît sous le destin d’un des trois jours d’Asorotanÿ ou d’un des deux jours d’Alakaosÿ, on enlève le vintanä, le mauvais sort en résultant, au moyen de prières et d’exorcismes.

= Voici comment procède l’astrologue, le mpanala vintant : 1 prend les Jaditri du vintanä sous lequel l'enfant est et les sauront du jour et de l'heure il est né, c’est-à-dire les objets servant à exorciser et qui varient suivant les vintanä et suivant-les jours. En ce qui concerne les vintan, ces objets sont : pour les trois jours d’Asorotanÿ, du tandrantanÿ (de la terre travaillée par des vers), diverses plantes (hazomandovakelÿ, landemÿ, Jotsivolomanokant), du zopozü (de la terre sur laquelle un crabe a marché); pour les deux jours d’Alakaosÿ, du ranihinosinaombiÿ (de la terre que les bœufs ont foulée aux pieds, de la terre de rizière), du taninandria- mambü (de la terre sur laquelle a dormi un crocodile), du taninifaohanombelahyÿ (de la terre qu'un taureau a labourée avec ses cornes), du tanikiapainamanahin& (de la terre qui a été creusée pour voler du manioc, etc.), des volomboronkahakä (des plumes de Rollier), etc. Quand il a réuni les objets voulus, il fait alors l'invocation suivante : «Ce n’est pas à vous, bons vintant, vintant qui préservez des malheurs, qui donnez richesse et

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«longue vie, que je m'adresse! ce sont les mauvais vintant, les vintanä qui causent des malheurs, les mauvais «tonon andrè, les tonon’ andrû qui causent des malheurs, qui amènent la ruine et la mort des parents, qui «portent au mal, que je veux conjurer au moyen des faditrä que j'ai avec moi. Grâce à ces faditrà (et il en fait rl'énumération), j'écarte le mauvais sort que ce jour (et il en dit le nom) et que cette heure (et äl cite l'heure «de la naissance) jettent sur ce nouveau-né. Il ne faut pas qu'il reste sous cette mauvaise influence, c’est pour rcela que je la combats, et maintenant il n’a plus rien à craindre, c’est fini, bien fini, car, que le mal vienne «d'en haut ou d’en bas, il ne touchera plus cet enfant. Ce n’est pas moi qui change sa destinée, c’est Dieu, car «Dieu seul en est capable D!» I emporte alors les fadhträ relatifs au vintand avec lesquels il a fait son exorcisme et va les jeter, puis il revient et, prenant les soronä ou offrandes avec lesquelles il doit achever l’exorcisme, soit, par exemple, pour les trois jours d’Asorotanÿ, du velonarivotaonà | de la «plante qui vit mille ans» (Ste- nocline inuloïdes)|, pour les deux jours d’Alakaosÿ, du tsileomparimbont (espèce de plante), du fomaherÿ (cuivre blane ou alliage de cuivre, de zinc et d’arsenic), du ramilanon&, de l'ombelahivolomboromahery, ete., 1 termine la cérémonie par l'invocation suivante : «O0 mon Dieu, à vous Divinités tutélaires, 6 vous Terre et «Ciel, Soleil et Lune, qui nous dispensez tant de faveurs et de bienfaits, permettez que cet enfant, grâce à «ces soronä, à ces offrandes, se débarrasse, s’affranchisse du mauvais vintanä et du mauvais tonon andr sous «lesquels il est né, donnez-lui chance et bonheur, accordez-ui une longue vie, exempte de chagrins et de «malheurs ®)!» L’astrologue va jeter ensuite les soron& qui sont censés, de même que les Jaditrä jetés précédem- ment, avoir absorbé toutes les malédictions, toutes les mauvaises destinées qui pesaient sur l'enfant, dès lors purifié et à l'abri de leurs funestes effets» (A. GranpinieR, 1869). À l'instigation d'Hastie et des mission- naires anglais, en 1893, Radamä 1‘ conseilla à ses sujets, mais cependant sans le défendre et surtout sans menacer les contrevenants de la peine capitale comme le prétend Ellis (Hist. Madag., t. 1, p. 155), de ne plus mettre à mort les enfants nés un jour néfaste, mais Ranavalonä l"° fit revivre la pratique de l'infanticide, surtout dans son entourage.

(69) +«Raha vao teraka, dia aperany ny zaza eo ambavahady, dia androahany omby maro maro hodikiainy ny omby eo ny zaza kely, ka, raha voahitsaky ny omby, dia vonoiny ; na tsy maty aminy voa hitsaky ny omby aza; ary raha tsy voahitsaky ny omby, alainy velominy, dia tsy omeny olona, fa tezainy, fa tsara vintana hianyr (Récit de l'épreuve des bœufs fait à A. Gnanninier en 1869 par l'un des rares astrologues de Ranavalonä [* encore vivants à cette époque).

(70) Chez les Merinä, on verse de l’eau froide sur le bas-ventre de l'accouchée et on lui fait plonger les mains dans de l’eau très froide «pour éviter le sovokä [la fièvre puerpérale |», puis on la laisse saigner abon- damment. S'il y a quelque déchirure, la sage-femme fait des points de suture avec un mince éclat de bambou servant d’aiguille et du rafia pour fil (D' Rawaïvo (9).

(71) Chez les Antandroy, la femme est tenue, pendant un et même souvent deux mois après ses

U) Voici le texte intégral de cet exorcisme avec ses redondances et ses répétitions un peu fatigantes, tel qu'il a été donné à l’un de nous en 1869 par un des anciens et des principaux mpanandrd ou astrologues de Rana- valonä l"°, avec lequel il a eu la bonne fortune de con- verser longuement au sujet des croyances astrologiques des Malgaches : « Ary haladikio ny vintan-tsoa sy ny vin- tan-tsara, haladikio ny vintana manambina sy mahatra- trantitra, ny mahela velona, haladikio ny vintana tsy mahafarofy, haladikio ny vintana mpanankarena, tsy mba alako izany, tsy mba reseko tola-paditra, ary haladikio ny tonon'andro soa, ny tonon’andro tsara, haladikio ny tonon’ andro manambina, ny mahatratrantitra, ny mahela velona, haladikio ny tonon'andro tsy mahafarofy, tsy mba alako izany, tsy mba reseko tola-paditra, fa ny vintan-dratsy no alako, ny vintana tsy soa, izay vintana mahery, ny vin- tana mpanoto ray aman-dreny, mpanoto havana, ny vin- tana mahafarofy, ny vintana mahafolaka andantony, izay untana tsy manambina, fa mampilongolongo, mampiren- drena, izany no alako sy reseko tola-paditra ; ny tonon’an- dro ratsy, ny tonon'andro tsy soa, ny tonon'andro tsy malhalekilahy, ny tonon’andro mahery, ny tonon'andro ma- “hafarofy, ny mampisahontsahona, ny mahasamosimosy, ny tonon'andro mahafolaka andantony, izany no alako sy reseko tola-paditra. Ka indreo ny fandresy ny vintan-dratsy, ny fandresy ny vinta-mahery, indreo ny tonon-andro ratsy, tonon’andro tsy soa, ka alako aminy treo ny vintana anio, (dia tononina ny vintana), reseko amainy ireo ny tonon’an- dro anio, alako vintana aminy ireo Ikotokely (na Iketaka), ka indreo ny faditra fanala ny vintana anio (dia isainy, tononiny ny faditry ny vintana), indreo koa ny fandresy ny

tonon’andro anio (dia isainy, tononiny ny faditr'andro), ka alako tsy hitolona, tsy hisavikia any Koto (na Ihetaka) ny vintan-dralsy, ny vinta-mahery, reseko aminy ireo ny to- non’andro mahery, tsy hitolona, tsy hisavikia any Koto (na Lretaka), fa ireo no fandresy ny vintan-dratsy, ny vin- tana tsy soa: ireo no fandresy ny tonon’andro ratsy, ny tonon’andro mahery, ny tonon'andro tsy mahalehilahy, ka alako andro afaka andro, alako alina afaka alina, alako aman-tsaina afaka amantsaina, reseko amim-bintana afaka amim-bintana. Ambony izany tefahikio tsy ho avy, ambany tsindriako ny vatobe tsy hihetsikia, fa ireo no fandresy ny vintan-dratsy, fandresy ny vinta-mahery, fanatany tonon’- andro ratsy, tonon’andro tsy soa, izay tonon’andro lsy mahalehilahy, ka alako amoron-tevana nentiny tany muüetry, ka tsy izaho irery no manala, fa omban’ Andriamaritra manala, omban Andriamanitra mandresy ny vintan-drat- sy, ny vintana tsy manambina, ny tonon'andro ratsy, ny tonon andro tsy soa, ny tonon’'andro tsy mahalehilahy, ka alako ririnina may aman’ahitra, alako fahavaratra lasa ny rano be mivalana, lasa ny ireo ny vintan-dratsy, vintana 1sy soa, sy ny tonon'andro ratsy, tonon'andro tsy soa!»

® «Ary misorona anunao, Andriamanitra, maisor'ona aminao, Zanahary, musorona aminy hasiny tany sy ny lanitra, sy ny hasiny masoandro sy ny volana, musorona ireo sorona îreo Ikioto (na lketaka) anuny vintana (dia tononina ny vintana), misorona ireo izy aminy tonon’andro anio (dia tononina ny andro), ka müsorona izy (dia tono- nina ny anarany sorony ny vintana sy ny andro), ary misorona izao izy, ka dia hahasoa, hahatsara azy anïe, ho tratrantitra, ho ela velona, tsy harofy anie izy!n

5) Pratiques relalives aux accouchements, 1902.

ETHNOGRAPHIE. 361

couches, dans l’alcôve, et l'entrée de la case est interdite à tout le monde excepté à sa mére et à ses autres enfants; le mari «peut venir y voir Je nouveau-né, mais il n’y doit pas séjourner. Chez les Betsimisarakä, ce n’est aussi qu'après plusieurs semaines que la mère quitte le komby. «Chez les AntanosY, les femmes des Grands, des Ru dit Flacourt (Hist. Madagascar, 1661, p. 256), après être accouchées, gardent la maison pendant trois mois sans sortir», et Souchu de Rennefort écrit, dans son Histoire des Indes orientales, 1688, p. 181: «Les femmes des Grands sont un mois sans sortir après leur enfantement, et pendant deux autres mois elles portent, comme marque de leurs couches, un petit balai de feuilles de latanier». Aujour- d’hui encore, chez les Antanosÿ émigrés, «la nouvelle accouchée reste confinée dans un coin de sa case pendant un temps variant de trois à six mois auprès d'un brasier entretenu jour et nuit, dont la fumée emplit l'espace, aveuglant la mère et l'enfant. Au bout de ce temps, elle se baigne et recoit Alors les félicita- Re de ses parents et amis» (Tou, Bull. Miss. luthériennes, févr. 1900, p. 17).

(72) Chez les Merinä, lorsque la montée du lait est douloureuse, on trace avec un morceau de charbon une He circulaire à la base des seins tafin d’en limiter la anses si au contraire le lait est peu nr la femme boit du bouillon de museau de bœuf, «en ayant soin de se pencher en avant en le buvant». Pour guérir les gercures, les manifainä comme elles disent, on balaye doucement le bout des seins, puis le balai qui a servi à cette opération d’exorcisme est jeté.

L’allaitement maternel est le seul usité à Madagascar, sauf dans le cas la mère meurt des suites de couches et l'on choisit soit une esclave, qui devient une mère adoptive pour l'orphelin et est très souvent afranchie ainsi que son enfant, soit, à défaut, une parente ; l’âge de l'enfant de la nourrice n'importe pas, on choisit même de préférence une femme qui allaite depuis huit ou neuf mois, car son enfant peut mieux se passer d'elle. L'enfant malgache est nourri exclusivement au sein jusqu’à l’âge de trois mois, et, chaque fois qu'il crie, on lui donne à téter; mais à partir du quatrième mois, 1l assiste et prend part aux repas de la famille et on lui fait manger du riz !) et même un peu de viande, surtout du gras (), «afin de rendre sa peau souple et d'empêcher sa poitrine de se dessécher, car, si elle est sèche, il sera asthmatique». L'époque du sevrage n'a pas de limite fixe, l'enfant peut têter tant qu'une nouvelle grossesse ne survient pas et que sa mère a du lait : on a vu des enfants têter jusqu’à l’âge de dix ans et au delà, travaillant ou gardant les bœufs le jour et n’oubliant pas, en rentrant au logis, de réclamer leur pitance (D' Ranarvô, Thèse de médecine, juillet 1902).

(73) La première sortie d’une femme merinä nouvellement accouchée et du nouveau-né, voaka itanÿ [la sortie en dehors de la porte] ou Jamoahan-j -jazä, qui a lieu à peu près un mois après l'accouchement, est une occasion de réjouissances. Au jour propice fixé par le mpisikidi devin, la femme sort de la maison, vêtue de ses plus beaux atours et ayant dans ses cheveux le fofy ou poinçcon d’os ou de corne qui a servi à la ao, tandis que sur la tête de l'enfant est déposé un morceau de bosse de bœuf, et, accompagnée des parents et amis convoqués pour la fête, elle se rend sur la place publique l’on danse et l’on boit (), et, si dans le voi- sinage il y a un marché, elle va s’y faire louer et admirer, elle et son enfant; puis on rentre à la maison les mains pleines de dons et de cadeaux, car 1l est bienséant de combler de présents un enfant lors de sa pre- mière sortie, comme gage d’un avenir heureux (D' Ranaivô, Thèse de médecine, Paris, juillet 1902).

Lorsque ce sont des personnes riches, la cérémonie du famoahan-qazt, de la première sortie, diffère suivant que c’est un garcon ou une fille; en voici la description : g

De la maison paternelle sort une longue procession de parents et d'amis; d’abord, si c’est un garcon, un groupe d'hommes portant divers objets : le premier, un morceau de lambananä ou linceul de forte soie brune, tout à la fois symbole destiné à rappeler au milieu de la joie générale combien la vie est précaire et prière à la mort d’épargner le nouveau-né; le second, un sabre, insigne du commandement, et d’autres une hache, symbole de force, une lance, emblème de courage, une grosse corde [mahazakä], comme souhait de hautes destinées ), un fusil, un couteau une bêche, un ciseau, un hamecon, ex-voto pour qu'il devienne habile aux travaux manuels; pour une fille, on ne se met pas autant en frais : en général, un seul homme, outre le porteur du linceul, précède l'enfant qu'une de ses jeunes parentes tient dans ses bras, et porte un panier fermé d’un cree, dans lequel est renfermé un riche lamba, symbole de fortune et souhait d’un riche ma- riagre ; quelquefois une seconde personne tient une boîte contenant de la soie, du coton, des aiguilles, une

navette et divers instruments dont se servent les femmes. La procession s'avance au son du rapone et des battements de main : pour les filles, on ne chante pas ou, si l'on chante, ce sont des mélopées sans significa- tion précise ; pour les garcons, au contraire, les parents lancent à tue-tête un refrain consacré, exprimant leur joie et leurs vœux pour le bonheur et le succès du nouveau-né :

1) Dans certaines familles merinä, et d'ordinaire chez les Betsileo, il est d'usage de mettre dans la bouche du nouveau-né, dés le lendemain de la naissance et quel- quefois le jour même, quelques grains de riz à demi cuits, maherÿÿ [encore durs], comme un avant-goùt des félicités qui l'attendent sur la terre et aussi, dit-on, pour qu'il -croisse en force et en courage».

7 On leur donne surtout du trafon-kenü, de la bosse du zébu, du bœuf malgache, qui est tout graisse.

ETENOGRAPHIE.

5) On a vu plusieurs fois des mères laisser tomber leur enfant, tant leur enthousiasme (et leur ivresse sur- tout) étaient grands, et ne ramasser qu’un être informe écrasé par les danseurs et les danseuses, tous ivres.

(0 Mahazakü signifiant tout à la fois une «eorde» et aussi «qui peut gouverner», on souhaite ainsi à l’enfant de pouvoir mériter le nom de l'objet porté procession- nellement et de savoir à la fois obéir aux grands et com- mander aux petits.

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IMPRIMERIE NATIONALE.

302 MADAGASCAR.

Lahy é, lahy é, hanam-bolan-karena ! Hahaleo, hahalasana, haharo vody tatatra! Ho tian’ Andriamanitra, ho tiam-bahoaka ! Ho feno ny fahitra, ary ny volan Ikoto hahafeno ny trano! [Gentil garcon, nous te souhaitons de devenir riche! Sois fort et puissant et conserve précieusement les biens de tes ancêtres! Sois aimé de Dieu, sois aimé du peuple ! Que tes parcs à bœufs soient toujours combles et que ta maison, Ikotÿ, soit pleine d’ar- gent !] (Moxpan, Bull. Acad. malgache, 1905-1906, p. 63-64).

Chez les Merinä, dans les familles riches ou même simplement aisées, des fêtes somptueuses et bruyantes accompagnent la naissance d’un enfant. M. Mondain raconte que le concert instrumental, vocal (et tumultueux), qui fut donné le 8 janvier 1898 en l'honneur de la naissance de la petite-fille de Rasanj}, gouverneur principal de l'Imerinä, a duré trente-six heures : dès 7 heures du matin, ce jour-là qui était le huitième après la nais- sance, la fanfare malgache lança ses premiers accords ; à 8 heures, on amena, sous un are de triomphe élevé au milieu de la cour, un bœuf énorme qu’on tua sur place en même temps qu’un nombre respectable de pores, de poules, de canards, de dindes, ete., et d’interminables séries de chants étranges, frénétiques, éclatants, que des gosiers malgaches seuls peuvent soutenir pendant des heures sans fatigue apparente, se succédèrent sans interruption. La fête dura, entremélée de repas pantagruéliques, jusqu’au lendemain matin à l'aube (Moxpaix, Des idées religieuses des Hovas, Cahors, 1904, p. 27-28).

Autrefois, chez les peuplades qui étaient armées de fusils et de sagayes, les hommes venaient à cette céré- monie avec leurs armes et tiraient de nombreux coups de fusil.

(74) Les Sakalavä enterrent ces résidus, les Antandroy les brülent, les Betsimisarakä les brülent aussi, mais ces derniers, avec les cendres, frottent le front et les joues de l'enfant et de la mère qui font ensuite sept fois le tour du foyer : une ou deux semaines après, ils prennent tous deux un bain de ranom-boangy, eau dans laquelle on a fait bouillir des feuilles de citronnier sauvage.

(75) Chez les Sakalavä du Nord-Ouest, on met un peu de cendres dans un petit chiffon et on accroche ce nouet au-dessus du foyer, que toutes celles qui ont vu naître l'enfant doivent fixer pendant quelques instants pour purifier leurs yeux; puis, ainsi que la mère, elles complètent la purification en se lavant la figure avec du ranom-boangy, s'adressant mutuellement le souhait suivant : «Puissent nos yeux être assez percants pour aper- cevoir un fsingaotraoträ [un pou de poule ] sur les volailles qui sont de l’autre côté de la mer!» : cette cérémonie se répète deux fois, une fois le jour de l'accouchement, puis le jour de la première sortie de la jeune mère (Daxpouau, Bull. Acad. maly., 1908, p. 167).

(76) Il yen a, au contraire, qui commencent par le côté droit et ont bien soin de couper la mèche d’un seul coup de ciseau, parce que, disent ceux-là, manety zaza ka ny havia no hetezana aloha, na manerina hetin-jaza : maharofy azy |Venfant dont on aura coupé les cheveux en commencant par le côté gauche, ou en s’y prenant à plusieurs fois, sera maladif].

(77) D’autres prennent de la main gauche le côté gauche d’une feuille de bananier, y déposent avec un peu de miel les cheveux qui ont été coupés à gauche de la tête ainsi que les ciseaux avec lesquels on les a coupés, et le tout est enterré sous le seuil de la porte de la maison avec une invocation à Dieu et aux ancêtres.

Il y en a qui coupent d’abord quelques cheveux du côté droit de la tête du père et de la tête de la mère et les mélent à ceux coupés au-dessus de l'oreille droite de l’enfant qu'ils déposent sous le seuil de la porte de la maison ; alors seulement, ils coupent sur le sommet de la tête de l'enfant des cheveux qu'ils divisent en sept parts pour les méler au manger.

(78) Sambasamba, Andriamanitra, Andriananahary ! Ho gratrantitra anie Ikotokely (na Iketaka) ! Hahaleo anie ! hahalasana! tsy harofy anie !

(79) Il ya des familles l'on façonne autant de boules de riz qu'il y a d’assistants et où, seulement dans l'une d'elles, ont été mis quelques cheveux du jeune enfant avec un petit morceau de bosse de zébu ou bœuf malgache ; on les distribue aux personnes présentes, et celui ou celle qui a la boule contenant les cheveux est, croit-on , assuré d’avoir bientôt un enfant (D° Raxarvô, Pratiques et croyances relatives aux accouchements et à la médecine infantile, Thèse de médecine, Paris, juillet 1902).

(80) Voici le récit de la cérémonie telle que l’a vue l’un de nous en 1867 chez les SakaLavX De L'Ouxsr et qui a lieu d'ordinaire quand l'enfant a deux ou trois ans, âge que fixe le mpisikilÿ ou devin: au jour dit, l'enfant est porté en grande pompe, accompagné de tous ses parents et de leurs aolÿ ou talismans, au Rantsanü, à V'arbre sous lequel la famille a la coutume d'accomplir cet acte important, arbre qui lui est sacré et qui ne sert qu'à elle et dont on a eu soin de bien nettoyer le dessous ; toutes les ramilles et menus bois ont été ramassés dès le grand matin par l'Analiant ou le prêtre et, liés en fagots miuuscules, ont été déposés à l’intention des Kokô pour qu’ils puissent faire leur cuisine au pied de l'arbre, sous le farafarä ou tréteau formant autel ). Sur ce Jarafarä, on pose un fiamboa ou petit vase en terre contenant du charbon allumé pour brüler lembok ou

(Voici la description que donne d’un de ces auteis de Kohÿ le Rév. J. Richardson : «Auprès de Volotaray. chez les Barä Mananantananä, il y a un gros tamarin autour duquel est creusé, à 30 centimètres environ de l'arbre, un petit fossé large de 30 centimètres et profond de 15, bien balayé, très propre; sur le terre-plein, entre l'arbre

et le fossé, étaient déposés comme ex-voto de petits pa- niers, de petites nattes, des boucles de cheveux, ete. , el d'autres objets étaient suspendus aux branches basses du famarin» (Lights and shadows or chequered experiences among heathen Tribes of Madagascar, Tananarive, 1877, p- 28).

ETHNOGRAPHIE. 363

encens (, un frarakà neuf ou petit vase dans lequel sont mis les aolÿ, un rasoir et une calebasse de t04-dolë ou rhum pour les ancêtres.

L'Anakiant prêtre devin, ou à son défaut le chef de famille, brüle d’abord de l’encens dans le fiamboa, puis fait les prières d'usage, versant sur le farafarä, en terminant, une partie du toa-dolÿ, du rhum, comme libation en l'honneur des Kokô et de leurs chefs les Lambahoakä 0), auxquels on offre aussi deux tambotril:à [ hérissons malgaches] ou bien deux crabes, animaux qui sont considérés comme formant la nourriture pré- férée de ces farfadets : de ces animaux, l’un est tué à coups de bâton, grillé et mangé par l'enfant; l'autre, qui est la part du Kokë, est remis en liberté (9). L'Anakianà rase alors les cheveux de l'enfant, qui sont soigneu- sement recueïllis et déposés sous le farafarä avec ceux des enfants précédents. Tout le monde rentre ensuite au village l'on festoic suivant les moyens de la famille et l’on achève de boire ce qui reste dans la cale- basse de toa-dolè, de rhum.

(81) Chez les AxraxkaraxX, au lieu de laisser tous les cheveux des jeunes enfants s’'emméler et former plu- sieurs tresses, dans certaines familles, jusqu'assez récemment, on ne laissait pousser, sans y toucher, qu’une touffe de cheveux sur le sommet de la tête, coupant les autres quand on le jugeait bon; quant à la toufle, on la partageait en deux tresses, nommées hipily, et, lorsque le moment de les couper était venu, on convoquait les parents et les amis, on rendait grâce aux ancêtres pour la protection qu’ils avaient accordée à l'enfant et on les priait de la lui continuer, puis on trempait les mèches coupées dans un peu d’eau mélangée à du miel. que buvait le frère de la mère, et ensuite on les brülait ou on les jetait au loin (A. Graxomier et F. Guiner).

(82) Lors de la première coupe de cheveux de leurs enfants, qui a lieu quatre ou cinq mois après leur naissance, les SAkALAV* DE LA BAIE D'AmpasiNpav* ont la coutume de convoquer tous leurs parents et amis, qui se réunissent la veille au soir, apportant chacun un peu de riz ou quelque petit cadeau. La nuit se passe à banqueter, chanter, danser, au milieu de scènes de la plus extrême licence. Le lendemain, de grand matin, les femmes vont puiser à une source voisine la rano {sy vokinimboronà, l'eau au-dessus de laquelle aucun oiseau n’a encore volé», et, après y avoir mis un bracelet d'argent ou une pièce de cinq francs, l'officiant adresse aux ancêtres de la famille une prière afin qu'ils accordent à l'enfant une bonne santé, puis un des oncles maternels à qui incombe la fonction de couper les cheveux, la tête couverte d’un sabakä ou bonnet bariolé de rouge, de blanc et de bleu, qui retombe sur la nuque, prend lenfant sur son dos et, au son du tambour et des battements de mains et des chants des assistants, danse avec une des tantes paternelles qui üent à la main une espèce de drapeau également bariolé de couleurs éclatantes; puis il coupe les cheveux qu'il dépose dans un plat a été versée la rano tsy vokinimboronä mélangée à du miel; la tante boit quelques gorgées de cette eau, dont le reste est jeté à l'Est; les cheveux sont ou enterrés dans un terrain marécageux ou jetés dans une rivière. On recommence alors à manger, à boire, à danser sans désemparer, des couples se succédant les uns aux autres : celui qui, de l'avis des assistants, chante et danse le mieux, a le droit de prendre l'enfant sur ses genoux jusqu'à ce qu'un autre couple l'emporte à son tour, ce qui quelquefois est la cause de graves et même de sanglantes disputes dont le pauvre enfant est la première victime (Daxpouav, Bull. Acad. maly., 1908, p. 172).

Les autres Saxarav* ou Nonn-Ovrsr, qui coupent aussi les cheveux de leurs enfants [manala maromanan-jazà] comme les précédents et contrairement à la coutume de ceux de l'Ouest, quelques mois après leur naissance font à cette occasion, comme tous les Malgaches, une grande fête à laquelle est convie toute la famille et qui est célébrée avec plus d’éclat pour les filles que pour les garçons : les parents paternels se logent dans la maison ou autour, tandis que les parents maternels établissent leur campement à une certaine distance, car il est d'usage que ceux-ci cherchent à s'emparer, par ruse ou de force, de l'enfant qui est confié aux soins vigi- lants d’une de ses tantes paternelles; l'assaut a lieu à grands renforts de cris, de tambours et jadis de coups de fusils, et, s'ils réussissent, le père doit payer une certaine somme qui sert à acheter du toakà [rhum indi- gène] et des bœufs qui sont abattus de suite et consommés séance tenante. Après le repas, la plus âgée des femmes de la famille procède, soit avec un couteau, soit avec des ciseaux, à la coupe des cheveux qui sont enterrés dans un terrain marécageux | any manintsinintsi |, laissant d'ordinaire une petite mèche qui, croient- ils, protégera l'enfant contre les maladies et les dangers (Daxpouau, Bull. Acad. malg., 1908, p. 170-173).

(83) Les TsiuimerŸ, qui, comme leurs voisins les Sakalavä du Nord-Ouest, coupent les cheveux de leurs enfants quelques mois après leur naissance, coupent d’abord, à l'inverse de ce que font les Merinä, ceux du côté droït, qu’on dépose dans une assiette pleine d’eau mélangée avec du miel l’on a mis une piastre, puis ceux du côté gauche qu'on enveloppe dans un petit morceau d’étoffe et que le père va tout seul enfouir dans le pare à bœufs, car personne autre que lui ne doit connaître l'endroit il les a enterrés, de peur que quel- que sorcier malintentionné ne s'en empare dans le but de nuire à l'enfant; les bœufs ont tôt fait de niveler le sol. La tante boit quelques rorgées de l'eau l’on a mis tremper les cheveux de droite et dont le reste est ensuite répandu dans le coin Est de la maison; quant aux cheveux, ils sont mélangés avec une poignée d’herbe fraiche et donnés à un bœuf qui devient la propriété de l'enfant et qu'on ne tue jamais. La tante, prenant

) Mélange de racine de mita [Cyperus articulatus] , 5) Quelquelois c’est une poule noire qu'on offre aux plante aromatique, et de poudre d'opercules de diverses kokÿ, mais, dans ce cas. on ne la tue pas, on la ramène coquilles. au contraire au village. on la soigne bien et on la

? Voir volume suivant , chap. des Divinités secondaires. laisse mourir de vieillesse.

46.

264 MADAGASCAR.

alors l'enfant dans ses bras, se met à danser, puis l'oncle lui fait avec du tamifotsÿ, ou terre blanche humide, des marques sur le front, sur le haut du crâne ; Sur le dos et enfin sur le ventre, et il lasperge avec de l'eau est plongée une pièce de cinq francs bien brillante, au moyen d’un goupillon formé de trois feuilles d’am- brevate, en invoquant Dieu et les ancêtres de la famille et les priant d'accorder à l'enfant toutes les qualités désirables pour un Malgache et surtout la richesse. On lave l'enfant avec le reste de l'eau, et la cérémonie prend fin (Danvouau, Bull. Acad. malg., 1908, p. 173).

Chez les Axranpron*, qui sont voisins des Tsimihety, la cérémonie est à peu près identique; toutefois, pen- dant l'invocation, l'enfant est placé entre les cornes du bœuf auquel on a fait avaler ses cheveux de droite (Danpouau, Bull. Acad. malg., 3908, p. 174).

(84) Le soleil, dans sa course annuelle, semble traverser la ceinture des constellations zodiacales qui sont comme ses douze maisons, et qui ont une place importante dans l'astrologie judiciaire arabe : trois (la 1°, la et la 9°) sont de «nature ignée», trois (la 2°, la et la 10°) de «nature terrestre», trois (la 3°, la et la 11°) de «nature aérienne», et trois (la 4°, la et la 12°) de «nature aqueuse», les unes favorables et bénignes, les autres funestes et malignes ou indifférentes (Momamwen ez-Moont, Manazil-ul-Kamari [les Mansions lunaires des Arabes, trad. Morxznsxr, 1899 |).

(85) Prière prononcée par les Merinä lorsqu'ils donnent à un enfant un nom, d'ordinaire vers l’âge de 7 à 8 ans : « Ary i0 amainao, Andriamanitra, aminao, Zanahary, tsy harena tsy tiana 10, tsy harena hala, fa entikio manova ny anarany zanako, ataoko taha ny anarana teo aloha, ary entikio mandraikitra ny anarany vao nataoko, ka dia hahasoa azy anie, hahatsara azy, tsy haharofy azy fa hahatratrantitra azy ny anarany vao natao» (Manuscrit merint, Bibl. Grandidier, cahier 10, p. 182) [O mon Dieu! et à vous, divinités! ne repoussez pas mon offrande, acceptez-la; je vous l'offre parce que je change le nom de mon enfant, afin que ce nouveau nom le rende bon, lui donne du bonheur, écarte de lui les malheurs et le fasse vivre longtemps!]

(86) Beaucoup de parents s'adressent au mpanandrô ou à l'ombiasyÿ, à V'astrologue ou au devin, pour savoir quel nom il convient de donner à leur enfant, et celui-ci le leur indique d’après son vintanä, son destin, c'est-à-dire d’après la planète sous l'influence de laquelle il est né. Voici les noms que, dans ce cas, les Merinä donnaient encore lorsque l’un de nous était à Tananarive :

VINTANX NOMS DES GARÇONS NOMS DES FILLES Alnhamaly Eee CE RER ..... Radamä( ou Ramady. Ranadyÿ ou Rahovä "). AGROTO NRA TEA NE M te ste Andriantsimasay. Ranorô. ALARM ee de se Ramohä. Ravelo. Asorotany.…. .... Ramalemisë. RamasY. S(HENoonoecansccoocoomcacestooe Ramorasatä. Rasendranors. Asombolä. ....... Rambolamananä. Raialy. Adimizanä ,...... E " ... Ramanantenahananä (). Ramizä. ATARANAP DE ER een eee ie ecis/ee Ravokaträ. Ramomä (). HT os oopebasrossopeorenend Ratsimanosikia. Rasanä. Adijady Ramonjä. Rakajy. Adalÿ... Raharolahy. Rahoro. Alohotsy Ramakä. Ramary.

Quand un enfant est malade et que le père et la mère consultent le sikidiÿ pour connaître le moyen de le guérir, si celui-ci indique un nom, on change le sien contre celui-là; voiei les noms qu’indique le sikidy : Rasalamä, Raschenä, Ravelomianjevä, Ratahinä, RavelonanosŸ, Ratsirof, Ramiarinä, Ravelontseheno, Ravelo- nanaharÿ, Ranord, Ravelonombiasÿ, Rabezanahary et Ratsimarofy ).

(87) Elacourt parle, en 1656, d’un orfèvre dont les ancêtres venaient de Vohémar et qui s'appelait «Radama» (Hist. Madag., p. 293), d’un seigneur antanosÿ s’appelant « Andrian-dRadama Finaritsa» (p. 344) et aussi d’un Mahafalÿ qui avait ce même nom de «Radama» (p. 447). Dans le centre de l'ile, les rois merinä Radamä et Radamä IL sont bien connus. Nous devons faire remarquer que ce nom de Radamä est cel d'un vintanä, synonyme de Alahamadÿ, qui est le premier mois de l'année malgache, le nom du premier homme ayant été pris comme nom du premier vintanä (Ms. merint, Bibl. Grandidier, p. 118). !

(88) L'un de nous a assisté à une scène qui prouve que, lorsque l'intérêt s’en mêle, les parents n’hésitent pas à intervenir dans les actes de la vie privée de leurs enfants, même quand ceux-ci ne violent pas les tra- ditions de la famille : «Safÿ, une assez jolie fille dont le père était un petit chef de Tsimanandrafozanä au Ménahé, s'était, ditil, éprise d’un de mes piroguiers, un nommé Tsiananä, avec lequel elle s’en vint à Morendavä. Sa mère l'y rejoignit et tächa de la ramener avec elle; n’y réussissant pas, elle fit appel à tous les membres de la famille, et le père, les frères, les oncles, les tantes accoururent. Leurs remontrances n'ayant

(D C'est-à-dire Adam. Eve. (5) Ou Ralaimi- manuscriles) et Manuscrit merinü, Bibliothèque Grandi- zanä. “) Ou Rakarabô. ) A. Graxpinien (Notes cher, 10° cahier, p. 182.

ETHNOGRAPHIE. 365

pas davantage de succès, ils donnèrent l'ordre au plus jeune frère d'appréhender sa sœur et de l’attacher pour l'emmener, mais, dès qu'elle vit son frère approcher, dénouant son lamba qu'elle laissa tomber à ses pieds, nouvelle Phryné, elle apparut toute nue. Or, à Madagascar, il est falÿ, interdit au père, aux frères, aux oncles, aux cousins, de contempler la nudité d’une parente à un degré prohibé, d’une parente avec laquelle les relations sexuelles sont tenues pour incestueuses, si bien qne les parents de Safÿ reculèrent tous en se cachant les yeux. lis revinrent plusieurs fois à Ja charge, et chaque fois elle répéta le même geste; à la fin cependant, par des prières et de bonnes paroles, on finit par la ramener à de meilleurs sentiments.» Qu'on ne croie pas que les parents fussent révoltés de la conduite légère de leur fille, ni qu'ils trouvassent son amant d’une caste inférieure; ce qui les indignait, c’est qu’elle négligeât pour un pauvre sire quelques Arabes et même, dit-on, un Européen tout disposé à la combler de cadeaux, dont ils auraient eu leur part.

(89) Voici le texte d’une des prières que prononce un père en bénissant ses enfants : « Ary loa miraisa hina, fa aza mba misy mitsitokantokan-kevitra ; fa ny hazo tsy mba ala, ary ny tendro tokana tsy mahazo hao». Dia notsofiny rano am-bava ireo zanany rehetra treo, sady hoy izy: «E! Andriamanitra! E! Andriananahary! Ry razam-be efa lasa! Ryroa amby ny folo nanjaka ! Ry tendrombohitra voa amby ny folo! Ry hasin-tany aman-danitra ! TIndro hianareo zanako : hahaleo, hahalasa anie! hahazo vola, hahazo harena, hitombo laza, hitombo voninahitra, ho tian’Andriana, ho tiam-bahoaka! Ho tonga amiwizay fanaperana anarana, hatovy amy ny olona hoatra ny tena hirinolona, tsy haniry olona ! Hierem-basy aman-defona ! Ny vehivavy kosa : hahafa-tendrombohitra, ho maro Jara, ho maro dimby, hahazaka Jfanambaliana hahazo fahatelon-tanana Dia notsofiny indray rano am-bava 1re0 zanany rehetra ireo, sady hoy izy : cHangidy lavitry ny faty! Ho mamy tianny vola ! Ho lava fiainana [+ Vivez toujours en bonne intelligence et n’ayez pas de pensées différentes les uns des autres, car un arbre ne fait pas une forêt et un seul doigt ne saurait prendre un pou (union fait la force).» Et alors l’aieul asperge ses enfants et petits-enfants avec un peu d’eau qu'il a pris dans sa bouche et ajoute : «0 divinités! O Dieu qui avez créé le ciel et la terre! Chers ancêtres qui nous avez quittés! Et vous, les douze rois! vous, les douze collines sacrées! vous tous qui êtes saints et pleins de vertus! voici mes enfants : qu'ils réus- sissent, qu'ils aient ce qu'ils désirent! Qu'ils acquièrent de l'argent, des richesses, qu'ils deviennent célèbres et gagnent de hauts grades, qu'ils soient aimés du Souverain, qu'ils soient aimés du peuple! qu'ils puissent atteindre le plus haut rang auquel ils peuvent prétendre! qu’ils deviennent les égaux de ceux qu'ils envient! qu'ils n'aient pas sujets de désirer quoi que ce soit (sans l'avoir )! qu'ils soient à l'abri des fusils et des sagayes! et n'oublions pas les femmes : qu'elles soient fécondes et aient beaucoup d'enfants!» De nouveau, il bénit ses enfants et petits-enfants en leur soufilant au visage une gorgée d’eau, et il finit en disant : ePuissiez-vous avoir une longue vie et de grandes richesses! »].

(90) Car, disaient-ils : « Ratsy thany ny vody, fa an-tena ka tsy azo ariana : toy ny hoe, ratsy fianakaviana, ratsy zanaka, ratsy mpanompo, ratsy olom-pehezina, ka tsy ariana satria an-lena, ka anarina sy amboarina» [De même que l'anus est répugnant, mais indispensable , et qu'on ne peut s’en passer, on ne se passe pas non plus facilement d’un enfant. d’un esclave, d’un client, d’un membre quelconque d’une famille, quand même sa conduite est mauvaise; il ne faut donc pas le rejeter, mais lui donner des avis et des conseils].

(91) On appelle les enfants que les parents, sans les rejeter de la famille, tiennent à l'écart : akondro an- dafimbodiÿ [ritt. : rejetons de bananier (qui, comme l’on sait, sont des drageons partant du pied)] ou zanak° an-dafimbodÿ [litt. : enfants venus aux pieds de leurs parents (mal venus)], encore zanak’anaty fo mahararÿ [litt. : enfants qui causent du chagrin |.

LISTE DES PLANCHES

CONTENUES DANS CE TOME.

Prancne I.

1. Ravoninahitriniarivd (Hovä), neveu du premier ministre RaïnilaiarivonŸ. 2. Ramanirakä (Andrianä de la caste des Zanakandriamasinavalonä ).

Pravee Il.

Merinàä. |. Homme andrianä de la caste des Zanakandriamasinavalonä. 2. Femme andrianä. 3 et 4. Femme et homme hovä, de Tananarive.

Praxcme III.

1. Rainizakä (Hovä), fils du premier ministre Rainilaiarivonÿ, sa femme et ses enfants. 2. Rainandriamanpandrÿ (Hovä), ex-gouverneur de Tamatave, sa femme et ses enfants.

Prancne IV.

Groupes de Hovä de diverses régions de l’Imerinä.

Praxoue V.

1-2. Homme du Vakinankaraträ, Sud-Ouest de lImerinä (face et profil \. 3. Femme hovä de Tananarive. 4. Femme de Tananarive métissée d’Andrianä et de Hovä.

Prancne VI.

Femme avec son enfant et homme du Vakinankaraträ (province du Sud-Ouest de l’Imerinä ).

Pravone VII.

1. Femme andrianä de l’Imerinä.

2. Homme betsimisarakä de Vatomandr}ÿ. 3. Femme betsimisarakä de Tamatave.

!. Homme hovä.

Praxcue VII.

1-2. Homme betsileo (face et profil). 3. Femme hovä. !. Femme betsileo.

Praxcne IX.

Betsimisarakä, de Tamatave. Betsileo, de Fianarantsoa. Hovä (de race pure) des environs de Tananarive.

1. 2 3. 4. Sakalavä de la région de Majunga.

368 LISTE DES PLANCHES.

Prancue X.

1. Chef barä.

9, Homme bezanozand. 3. Femme sakalavä. 4. Homme sihanakä.

Pranone XI.

. Homme antambahoaka.

. Tsitony, petit-fils de Ramieba, chef des Bara-bé. . Homme de la côte Sud-Est.

. Homme antisaka de Vangaindrano.

D

EE ©

Pravone XII.

1. Homme antalacträ des environs de Majunga. 9. Femme antanalä.

3. Femme antalaoträ.

h. Binao, reine sakalavä.

Praxcue XII.

1. Femme sakalavä en deuil. 9. Tsialant, roi d’'Ankaranä. 3-4. Femme sakalavä du Boïnä (face et profil).

Praxcue XIV.

1. Femme sakalavä.

2-3. Homme sihanakä d’Imerimandrosô (face et profil). h-5. Femmes du Sud-Est.

6. Homme sihanakä.

Prancne XV.

1,2et 4. Hommes antandroy. 3. Femme antandroy de Mananteninä. 5. Femme antanosÿ des environs de Fort-Dauphin.

Prancne XVI.

1. Femme sakalavä de la région du Fiherenanä.

2. Chasseur mahafaly.

3-4. Hommes sakalavä de la région du Fiherenanä. 5. Tsirampy, roi du cap Sainte-Marie (Anlandroy). 6. Homme sakalavä.

7-8. Groupe de guerriers mabhafaly.

Pranone XVII.

1. Jeunes femmes antanalä. 2, Famille antandroy des rives du lac Anonÿ.

TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES.

LIVRE TROISIÈME.

CARACTÈRES PHYSIQUES, INTELLECTUELS ET MORAUX DES MALGACHES.

Cmapirre Premier. Aspect et caractères des Malgaches. Leur constitution HAE bbEcbooooudo iso spccadocoocéodopeuootes 1-19

$ 1. Aspect physique des Malgaches d'origine indo-mélanésienne, p. 4—11.

$ 2. Aspect physique des Malgaches métis d’Indo-mélanésiens et d’Arabes, de Persans, d’Indiens ou d'Européens, p. 11-14.

$ 3. Aspect physique des Malgaches d’origine javanaise et des métis d’Indo-mélané- siens et d’immigrants de race jaune, p. 14-19.

CrapirRe Il. Caractères intellectuels et moraux des Malgaches. ......... 19-110

fauts, p. 27-75.

I. Intelligence, mémoire, p. 31-38. II. Imagination, sensibilité morale, p. 38-40. III. Idée du devoir, p. 40-41. IV. Époisme, patriotisme, p. 41-45. V. Amour de la famille, p. 45-46. VI. Moralité, honnéteté, franchise, méfiance, p. 46-48. VIT. Bonté, douceur, charité, dévouement, p. 48-53. VIIT. Tolérance, p. 53-54. IX. Sociabilité, politesse, p. 54. X. Indolence, paresse, p. 54-56. XI. Hospitalité, p. 56-59. XIT. Vanilé, respect humain, dignité personnelle, amour-propre, p. 60-63. XIIT. Patience, entêtement, p. 63. XIV. Hypocrisie, mensonge, four- berie, traitrise, p. 63-66. XV. Cupidité, intérêt, avarice, p. 66-69. XVL. Vol, meurtre, p. 69-71. XVIL. Liberté des mœurs, débauche, p. 71- 73. XVIIL. Ivrognerie, p. 73-75.

PA ES

. Différence des caractères intellectuels et moraux des peuplades agricoles, pasto- rales et maritimes de Madagascar, p. 75-81.

I. Peuplades agricoles de la côle orientale, p. 75-76. IT. Peuplades agricoles du centre, p. 76-78. III. Peuplades pastorales et maritimes de l'Ouest et du Sud, p. 78-81.

ot

. Européens et Malgaches : relations des Européens avec les Malgaches aux siècles passés el leur influence sur leur caractère, p. 81-108.

I. Portugais, p. 83-90. II. Hollandais, p. 90--95. Anglais, p. 95- 100. IV. Français, p. 100-106.

$ 6. Influence des immigrants arabes et persans sur le caractère et les mœurs des Mal- gaches, p. 109-110.

ETINOGRAPIIE. h7

IMPRIMERIE NATIONALE.

370 TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES.

LIVRE QUATRIÈME.

LA VIE SOCIALE À MADAGASCAR.

Craprrre Premier. La famille malgache........................... 111-333

$ 1. Sa constitution, p. 111-133 : sa solidarité, p. 111-116; pouvoir du chef de famille, p. 116-320; noms de parenté et autres, p. 120-125; respect des anciens us et coutumes et caractère des Malgaches, p. 126-197; serment du sang fati-dra, p. 128-131; lohatenÿ (amis à la vie, à la mort), p. 131— 133.

$ 2. Rapports des sexes, p. 133-213.

Puberté, p. 133; menstruation, p. 133-134 et 135; concubinage, union libre, p. 133-160 (concubinage, p. 134-147; relations incestueuses, p. 147— 151; fadÿ ou interdictions sexuelles soit temporaires, soit occasionnelles, p+ 191-159; familles l'inceste est de tradition, p. 152-154; les rois et princes n’ont pas de fadÿ ou d’interdictions sexuelles, p. 154; relations sexuelles permises avec certains parents et alliés, p. 194-157; saturnales per- mises en certaines occasions, p. 197-198; sodomie, p. 158-159; bestialité, p- 199-160).

Mariage, p. 166-243 : Généralités, p. 160-161.— °° Fiançailles, p. 161-— 164.— Age, p. 164. Essai préliminaire, p. 165.— Consentement des parents et des futurs, p. 165-167. Empéchements au mariage , p-167-179 —\72 Demande en mariage, p. 172-179 (chez les Merinä, p. 172-173; chez les autres peuplades, p. 173-175). ° Vody ondry, cadeaux, p. 175-178. Célébration du mariage, p. 179-188 (chez les Merinä, p. 179-184; chez les autres peuplades, p. 184-188). 10° Ma- riages manambady lovä mitondra lolohä (des veuves avec leurs beaux-frères), p- 188 et 240-249.— 11° Mariages lemporaires, p. 188-189 et 238 (note 4). 12° Polygamie, p. 189-196 (et Polyandrie, notule, p. 189). 13° Mariage des esclaves, p. 196-197. 14° L'amour à Madagascar, p. 197-199. 1 La fidélité à Madagascar, p. 199-201.— 16° La jalousie à Madagascar, p. 201— 203.— 17° Rapports conjugaux, p. 204-207. 18° Condition de la femme mariée, p. 207-216 (son traitement dans les diverses peuplades, p. 207-211; répartition des biens des époux, p. 212-213; relations entre mari et femme, repas, etc., p. 213-214; leurs occupations respectives, p. 215-216). 19° Adultère, p.216-228 (toléré et même obligatoire, p. 154-158, 218, 220, 224-225; véniel et sans grande importance, p. 217-293; criminel, p. 214-— 915,918, 293-204, 225-298). 20° [nstabilité du mariage malgache; sa dissolution; répudiation, p. 228-238. 21° Biens des époux, p. 238-2309. 22° Des veuves, p. 239-243.

$ 3. Les enfants, p. 243-333.

Fécondité, stérilité, p. 243-248. Grossesse, p. 249-255. Avortement, p. 255-257. Accouchement, p. 257-267 (et 354-355 [47-49], 360 [70-71 ]). Reconnaissance de l'enfant, p. 267-269. Infanticides rituels, p. 269-279. Soins à la mère, p. 279-281 (et 285, 361 [73], 362 [74-75 |). Réjouissances à la naissance d’un enfant, p. 281-282. Allaitement, p. 282-284 (et 361 [72]). 10° Soins

TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES.

Cuarirre PRreuter (Suite).

donnés aux nouveau-nés, p- 284-286. 11° Maladies congénitales des jeunes enfants, p. 286-289. 19° Superstitions relatives à la santé et à l'avenir des enfants, p. 289-291. 13° Déformations ethniques, p. 291-299. 14° Premier rire de l'enfant, p. 299. 15° Première dentition, p: 292. 16° De la coupe des cheveux, et Culte des Kokÿ, p. 292-298 (et 362-364 [76- 837). 17° Des noms donnés aux enfants, p. 298-305 (et 364 [85-87]). 18° De la puissance palernelle; situation respective des enfants légitimes et

naturels, p. 305-309. 19° De l'adoption, p. 309-315. 90° Des droits

des parents sur leurs enfants, de leurs devoirs respectifs el de leur affection mu- tuelle, p. 315-3927 (et 365 [89-91]). 21° De l'éducation des Malgaches, p+ 327-331. 22° De la successibilité chez les Malgaches, p. 331-333.

APPENDICE (n°* 1-91)

DOS NO DSC ONE O MONO OOo TO IDIONO A OCTO a 010 0tc"0 06. 1616. 410

Lusre pes PLancaes

371

TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES.

A

Accouchée (État d'impureté de l'), p. 258-259, 279-280.

Accouchement, etc., p. 257-267, 354 (47), 355 (48-h9), 360 (70-71).

: soins à la mère, p. 279-281, 285, 361 (73), 369 (74-75).

Acunha (Amiral Tristan d’), p. 84-85.

Adoptifs (Enfants), p. 11h, 124.

Adoption, p. 238 (note 3), 309 -315.

Adultère, p. 201, 202, 210, 216-298, 266 (voir Inceste).

autorisé et obligatoire, p. 56, 155 (et note 3), 154-158, 217, 218, 220, 224-095, 943.

Âge auquel les Malgaches contractent mariage , p- 161, 164-165.

Aînés, p. 315, 320, 891 (et note 3).

Alin-dratsÿ, p. 233.

Allaitement, p. 282-284, 361 (72).

Amour de la famille, p. 29, 4, 45-46, 111-113, 115-117, 197, 178 (et note 1), 317-321.

de leur mère, p. 321-399.

du pays natal, p. 42-45.

(L') à Madagascar, p. 197-199.

libre, p. 157-158, 243 (voir Concubinage).

Ampitahanä, exhibition d'une nouvelle mariée, p- 186.

Ancêtres (Culte des), p. 29, 119, 196, 127, 320— 391.

Andrianä d’Imerinä, p. 15-19, 147, 170, 307, 310 (note 2).

Anglais : leur influence sur les Malgaches, p. 95— 100.

Antalaoträ et Silamÿ, p. 109-110.

Antandroy : leur caractère, p. 37, 39, 59.

AntanosŸ : leur caractère, p. 32, 76, 80-81, 316 (8), 352 (33).

Arian-jazü | Enfants rejetés], voir Rejet.

Aspersion, voir Bénédiction.

Astrologie : Destins fatals pour la naissance des en- fants, p. 271-279, 358-360 (65-69).

: Destins propices pour le mariage, p. 172.

: Destins propices à la première coupe de

cheveux, p. 298 (note 3), 362 (76-83).

: Destins propices à la collation du nom des enfants, p. 364 (86).

Avarice des Malgaches, p. 66-69, 70, 348.

Avortement, p. 255-257.

B

Baisers, p. 204-205.

Barä : leur caractère, p. 37, 69, 353 (42).

Bavards (Les Malgaches sont), p. 54 (et note 2).

Belles-mères malgaches, p. 317.

Bénédiction avec de l'eau, du sang ou de la salive, p- 163 (notules a et c), 184-185, 234 (note 1), 2h92, 289, 322-393.

Benyowski : son opinion sur les Malgaches, p. 344.

Beslialité, p. 159-160, 205-206.

Betsileo : leur caractère, p. 30-37, 76-77, 346 (12), 347 (15), 348 (16), 349 (18-19), 350 (23), 354 (43).

Betsimisarakä : leur caractère, p. 50-51, 53, 54 (note 1), 67, 72, 73, 75, 345-346 (2, 4-6), 353 (35-36).

Biens des Malgaches, p. 212, 309 (note 8), 316— 317 (dispositions testamentaires), 320.

des époux, p. 212-2138, 229, 238-239.

Bonté des Malgaches, p. 48-52.

C

Cadeaux de mariage, p. 175, 177-178, 182-153, 184,185 (solom-babenä, diafotakà), 187.

à la naissance d'enfants, etc., p. 281, 295.

Calomnie, p. 66.

Caractères intellectuels et moraux des Malgaches, p. 19-75 et 335-354.

des peuplades agricoles, pastorales et

maritimes de Madagascar, p. 79-81.

(Influence des Européens sur les),

p- 81-108.

(Influence des immigrants arabes et persans sur les), p. 109-110.

Carreau Tambavÿ, maladie des jeunes enfants, p- 288.

Charité des Malgaches, p. 48-52, 117 (notule c).

Chasteté des femmes malgaches, p. 71-73, 134, 136, 137-138, 169, 199, 214, 216, 218.

temporaire, p. 191-192.

Cheveux (Cérémonie de la première coupe de), p. 292-298, 362-364 (76-83).

Clans malgaches, p. 111-112, 1 16-120.

Collation des noms : sacrifice et prière, p. 299 364 (85-85).

Commerce des Merinä, p. 348.

TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES. 373

Concubinage à Madagascar, p. 133-158, 177 (no- tule a), 189 (notule a), 297-228, 213, 399 (et note 5).

Concussion à Imerinä, p. 68.

Condition de la femme mariée à Madagascar, p. 207— 216.

Confession des péchés, p. 262-263.

Cordon ombilical, p. 263-264.

Costume des femmes malgaches, p- 214.

Courage des Merinä, p. 349 (18).

Courteen ( William) : sa colonie à Madagascar, p. 97— 95.

Cruauté des Malgaches, p. 52.

Cupidité des Malgaches, p. 66-69, 70.

D

Dalmond (R. P.), p. 339.

Débauches des Malgaches, p. 71-73.

Défauts et qualités des Malgaches, p. 27-75.

Déformations ethniques des nouveau-nés (Magago- lohä), p. 291-292.

Démonstratifs (Les Malgaches sont peu), p. 126.

Deuil des veuves, p. 239-240, 242-2h3.

Devoir (Idée du), p. 40-41.

respectifs des parents et des enfants, p. 319-— 324.

Dévouement des Malgaches, p. 48-52.

Dignité personnelle des Malgaches, p. 606.

Dissolution du mariage, p. 228-938.

Divorce, p. 174 (notule), 209, 230-236.

Dot, p. 175 (note 1).

Douceur des Malgaches, p. 48-59.

Douliot : son opinion sur les Sakalavä, p. 345.

Droits des parents sur leurs enfants, p. 309-310.

Dumaine : son opinion sur les Malgaches, p- 944.

Duplicité, voir Fourberie.

E

Économie (Esprit d') des Merinä, p. 348.

Egoisme des Malgaches, p. 41.

Embrassements, p. 204-205.

Empéchements au mariage pour cause de parenté, p- 121, 129, 147-151.

d'ordre politique ou religieux, p. 116, 142 (notule b), 147, 167-172.

Endogamie, p. 136 (note 4, Antimoronä), 167— 172.

Enfants, p. 114-115, 138, 143, 146, 171, 176— 177, 180 (ampy mihirä), 232, 235-236, 238, 243-333, 365 (89-91).

: avortements, p. 255-257.

: naissance, p. 198, 257-267, 318 (note »).

: mort-nés, p. 265-266.

——— : reconnaissance, p. 267-269.

Enfants loz& ou mahery vintanä (mal venus ou nés un mauvais jour), infanticides rituels, p. 266-267, 269-279, 356-360 (51-69).

: réjouissances à la naissance, p. 281-282.

——— : allaitement, p. 285-984, 361 (72).

: soins donnés aux nouveau-nés et aux jeunes

enfants, p. 284-286. |

: première sortie, p. (78).

—— : maladies congénitales, p. 286-289.

: superstitions relatives à leur santé et à leur

avenir, p. 289-291.

: premier rire, p. 292.

——— : première dentition, p. 292.

: première coupe des cheveux et culte des

Kokô, p. 292-298, 369-364 (76-83) [chez les

Merinä, p. 293-205; chez les autres peuplades,

p- 295-298 |.

: noms qui leur sont donnés, p. 298-305

(souvent les pères et mères prennent le nom d'un

de leurs enfants, p. 303-304), 364 (85-87).

: situation respective des enfants légitimes et

des enfants naturels, p. 176-177, 267 (note 4).

: adoption, p. 309-315 (zazalavt, p. 319—

313).

: rejet, p. 323-3927, 365 (90-91).

: droits des parents sur leurs enfants, de

leurs devoirs respectifs et de leur affection mu-

tuelle, p. 176-177, 236, 315-327.

: éducation, p. 318-319, 327-331.

: successibilité, p. 331-333.

: bénédiction, p. 322-323, 365 (89).

Enterrement des nouveau-nés, p. 265, 266.

Entêtement des Malgaches, p. 63.

Envies des femmes enceintes, p. 240.

Esclavage, p. 127, 305-306.

Esclaves (Mariage des), p. 196-197.

(Concubinage avec des femmes), p. 171, 227— 228.

Essai préliminaire au mariage, p- 162 (et notes 1 et 2).

Européens (Pillage et meurtre des), p. 57 (note)— 59.

285-286, 361-362

: leurs relations avec les Malgaches et leur in- fluence sur leur caractère, p. 81-108.

Exorcismes, p. 148-149, 150,167, 169, 276-277, 277-279, 282, 285, 286, 289, 294, 299, 301.

F

Fahatelon-tananü, p. 174 (notule), 180, 212, 239, 243, 332 (voir Biens des époux).

Famille (La) malgache, sa constitution, p. 111— 333.

Fandeo, p. 177 (voir Vody akohi).

271 TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES.

Fandroant ou fête du nouvel an, p. 119-113, 233,

249.

Indolence des Malgaches, p. 54-56. Infanticides, p. 265, 356-357 (51-57).

Fatalisme des Malgaches, p. 28, 39-lo, ho-l1, Lo—43, 196.

Fati-dra (serment du sang), p. 56, 114, 125, 198— 131, 149, 155, 229, 359 (32-34).

Fécondité, p. 243-245.

Femmes malgaches : leur caractère et leurs qualités, p. 50-b1 (voir aussi Qualités et défauts des Mal- gaches).

tabouées, p. 214-215, 225-297.

leur condition, p. 207-216.

mariées, considérées comme l'un des

biens meubles du mari, p. 178, 209.

: leur costume, p. 214.

Fiançailles, p. 161-164.

Fidélité des Malgaches, p. 65-66.

conjugale à Madagascar, p. 174, 199-201.

Fifofoam-bady, voir Fiançailles.

Flacourt à Madagascar, p. 103-105; son opinion sur les Malgaches, p. 342-343.

Fofo-damosint (cadeau des enfants à leur mère), p. 284.

Fourberie des Malgaches, p. 63-66.

Français : leur influence sur les Malgaches, p. 100- 106.

Fraude, voir Fourberie.

Frère de sang, voir Fati-dra.

mariées :

G Gourme des jeunes enfants, p. 289. Grossesse, p. 249-255. (Régime pendant la), p. 259-255, 256— 257.

H

Hasint, offrande aux parents de la future, p. 176 (voir Vody akondrè, ete.), 181, 197, 269.

Hollandais : leur influence sur les Malgaches , p- 90— 95.

Honnèteté des Malgaches, p. 46-47.

Horoscope des nouveau-nés, p. 272-270.

Hospitalité des Malgaches, p. 41 (note), 56-59, 143-144.

Hypocrisie des Malgaches, p. 63-66.

I

Imagination des Malgaches, p. 38. Imprécations, p. 327. Impureté légale (État d') de l'accouchée, p. 258— 260, 279-281. Inceste, p. 121, 147-151, 152-154, 167, 269— (note 3).

rituels, p. 45, 269-279, 357-360 (58-69).

Instabilité du mariage malgache, p. 228-238.

Intelligence des Malgaches, p. 9, 31-38, 319, 328-330.

Intéressés (Les Malgaches sont très), p. 66-69.

Ivrognerie des Malgaches, p. 73-75.

J

Jakü, p. 113 (note 1).

Jalousie (La) à Madagascar, p. 201-203, 353 (35- 46).

Jamonü, p. 177 (voir Vody akohà).

Jumeaux, p. 266-267.

K

Kokÿ (Culte des), p. 296-298 (voir Enfants : Coupe

des cheveux).

L

Le Bron de Vexela, p. 338-339.

Liberté des mœurs, p. 71-73.

Lohatenÿ (amis à la vie, à la mort), p. 131-132, 195:

M

Magagoloht, voir Déformations ethniques.

Mahafaly : leur caractère, p. 37, 39, 59, 69-70, 3953 (37 et La).

Malédiction paternelle, p. 323-324, 327.

Malgache (Population) : ses éléments divers, p. 1-8.

(Caractères physiques de la) : généralités,

p. 3-4.

: Caractères physiques des Malgaches d’ori-

gine indo-mélanésienne, p. 4-11.

des Malgaches métis d'Indo-Mélané-

siens et d'Arabes, de Persans, d'Indiens ou d'Eu-

ropéens, p. 11-14.

des Malgaches d'origine javanaise et des métis d'Indo-Mélanésiens et d'immigrants de race jaune, p. 14—19.

Malgaches du Sud-Est : leur caractère, p. 42 (note 2 )E 52 (notule a), 55, 72, 75, 345 (3), 346 (8- 10), 353 (37, 39-40), 354 (46).

Manambady lovä, voir Mariage.

Mariage des Malgaches, p. 160-243.

: généralités, p. 160-161.

: fiançailles, p. 161-164.

: âge, p. 163, 164—165.

: précoce, p. 165.

TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES. 375

Mariage : essai préliminaire, p. 165.

: consentement des parents et des futurs, p. 165-167.

empéchements pour cause de parenté, P- 121, 129, 147-151, 218.

d'ordre politique ou religieux, p. 147,

167-172.

: interdictions temporaires des sexuelles, p. 151-152.

: demande, p. 172-175.

: vody akohü, vody ondry, vody hent, jamont,

relations

tombopoitsä fandeo (pour la consécration du mariage) et cadeaux, p. 175-178.

: célébration chez les Merinä, p. 179-184, et

dans les autres peuplades, p. 184-188.

: manambady lovä mitondra lolohä (d’une

veuve avec son beau-frère), p. 188, 24o-2ho.

: temporaire, p. 188-189, 238 (note 4).

: polygamie, p. 189-196 (célébration, p. 191— 193), 209, 238 (note 2).

—— : polyandrie, p. 189 (notule).

—— : des esclaves, p. 196-197.

——— : l'amour à Madagascar, p. 197-199.

—— : la fidélité à Madagascar, p. 199-201 (et p- 154—158).

—— : la jalousie à Madagascar, p. 201-203.

: rapports conjugaux, p. 204-207, 213-— 214.

—— : condition de la femme mariée, p. 207-216.

: adultère, p. 216-228.

Mariano (R. P. Luis) à Madagascar (en 1613 et en 1616), p. 86-90.

Martin (Francois) : p. 35, 347 (14-15), 349 (18).

Mayeur, p. 34, 158, 336, 338, 346 (5), 347 (14, 16), 350 (23), 351 (25, 27).

Méfiance des Malgaches, p- 47-48, 219-913.

Mémoire des Malgaches, p. 31.

Ménages (Stabilité des), p. 229.

Mensonges des Malgaches, p- 46-47, 63-66.

Menstruation, p. 133-134, 135, 205.

Merinä : leur caractère, p. 33-35, 4o-h1, Lo (note 1), 43 (notule a), 44-45, 48-59, 53, 54, 55, 56, 61-63, 64-65, 66-69, 70-71, 72, 74-75, 76, 77-78, 346 (11), 347 (13— 14), 348 (16), 349 (17, 20-23), 353 (340).

Meurtre, p. 79.

Mitondra lolohä, voir Mariage.

Mœurs (Liberté des), p. 71-73.

Morale des Malgaches, p. 24-27, 4o—41, 46-47, 64.

Mortalité infantile, p. 286-287 (et notes 1 et 2).

Missionnaires catholiques français : leur opinion sur les Malgaches, p. 57-58, 339, 340, 314, 345.

portugais : ; p. 86-90, 341-340.

anglais et norvégiens : ——-, p. 58-59, 339—

340, 340-341.

N

Noms de parenté à Madagascar, p. 120-124, 213.

(Collation des), p. 299, 364 (85-87).

——— divers donnés aux individus suivant leur âge, p- 125.

donnés aux enfants nés sous un mauvais

destin, p. 276, 278.

pour détourner d'eux les revenants;

p- 290-291.

taboués après la mort de ceux qui les por-

taient, p. 304-305.

0

Occupations respectives des époux dans les diverses peuplades, p. 215-216.

Opinions des principaux voyageurs et auteurs sur le caractère et les mœurs des Malgaches, p. 335-- 345.

Ordalie pour s'assurer de la fidélité de sa femme (chez les Antimoronä), p. 200-201.

Orgueil des Merinä, p. 61-62.

Orim-bat, p. 188. Voir Vody akoh.

P

Parenté (voir Noms de) à Madagascar.

naturelle, p. 120-194.

conventionnelle, p. 128-131.

Paresse des Malgaches, p. 63.

Parrains et marraines pour la circoncision, p. 124. Patience des Malgaches, p. 63.

Patriotisme des Malgaches, p. 41-45, 61. Peuplades agricoles de l'Est et du Centre, p. 75-

78.

pastorales de l'Ouest et du Sud, p. 78-81.

Pfeiffer (Ida) : son opinion sur les Malgaches, p- 344.

Pillage et meurtre d'Européens, p. 57 (et note)- 99.

Politesse des Malgaches, p. 54.

Polyandrie, p. 189 (notule).

Polygamie, p. 189-196, 209, 238 (note 2).

Portugais : leur influence sur les Malgaches, p. 83— 90.

Pronis à Madagascar, p. 102-103.

Puberté, p. 153.

Puissance paternelle à Madagascar, p. 305-306, 319-

Q

Qualités et défauts des Malgaches, p. 21-27, 27- 79, 75-81, 82-83, 330.

376 TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES.

R

Rangitä, princesse vazimbä, femme d’un immigrant javanais et mère d’Andriamaneld, premier sou- verain merinä, p. 5 (note 1).

Rapports conjugaux des Malgaches, p. 204-207, 213-914.

Reconnaissance des Malgaches, p. 59-53.

d'enfant, p. 267-269.

Rejet (Désaveu) d'enfant, p. 324-327, 332.

Réjouissances à la naissance d'un enfant, p. 281-289.

Relations entre mari et femme, p. 122, 213-214.

Repas, p. 213-214.

de fiançailles et de noces, p. 181-183, 183— 184, 186, 188.

Répudiation, p. 174 (notule), 230-238.

Respect humain des Malgaches, p. 60-61.

des parents, p. 319-321.

S

Sages-femmes malgaches, p. 251-252, 256, 257— 258, 285.

Sakalavä : leur caractère, p. 33, 37-38, 57-59, 66-67, 69, 71, 72. 93-74, 78-80, 350 (24), 351 (25-31), 359 (39 et 34), 354 (4h45).

Salive, voir Bénédiction.

Saturnales permises en certaines occasions, p. 197— 158, 282.

Sensibilité morale des Malgaches, p. 38-40, 126— 197.

Séparation des époux, p. 230, 231.

Sépulture des époux, p. 178.

Serment du sang, voir Fati-dra.

Sihanakä : leur caractère, p. 35, 347 (14-15), 349 (18).

Sikidy, p. 262, 272.

Silamd, voir Antalaotra.

Sociabilité des Malgaches, p. 54.

Sodomie, p. 158—159.

Stérilité, p. 245-148.

Successibilité chez les Malgaches, p. 211, 311-319, 319-313, 331-398.

Superstitions relatives à la santé et à l'avenir des enfants : pendant la grossesse, p. 253-254; après l'accouchement, p. 289-291, 318 (note 1).

à la première coupe de cheveux, p. 294—

295.

aux noms des enfants, p. 300-302.

aux relalions sexuelles, p. 205. au bonheur des époux, à la stabilité du mariage, p. 206-207, 229.

Superstitions relatives à l’adultère, p. 217.

à la stérilité, p. 245-248.

à la grossesse, p. 250-251, 253-255. à l'accouchement, p. 261-263, 64.

T

Tambavÿ, voir Carreau.

Tolérance des Malgaches, p. 53-54.

Tombopoitsä, p. 177 (voir Vody akohë).

Traitement de la femme mariée dans les diverses peuplades, p. 207-211.

Traîtrise des Malgaches, p. 63-66.

U

Union libre, voir Concubinage.

V

Vady bé, vady masay, vady kelÿ, voir Polygamie. Vady lovä ou vady entin-dolohä, veuve dont héritent les frères du mari, p. 180, 188, 24o—olo. Valgny (De): son opinion sur Flacourt, p. 343. Vanité, outrecuidance des Malgaches, p. 60-63. Vazimbä, p. 2 (note 1 [ Magagolohä]), 4 (note 2), 5 (note 1 et notule a), 8 (note 1), 291 (note 1). Veuves, p. 180, 189 (notule), 239-243. Vexations que faisaient subir les Malgaches aux étrangers, p. 56-59. Vie sociale (La) à Madagascar, p. 111-333. Vintanä (Destin) des futurs époux, p. 179- (Destin) des nouveau-nés, p. 272-279. Virginité, p. 134-135, 136 (Antimoronä), 165, 218.

Vody akohÿ, vody ondrÿ vody henà, tombopoitst,

jamont, fandeo ou orim-batÿ, consécration du ma- riage, p. 161, 176-177, 181, 188, 208, 269, 301.

Vols, p. 56, 69-71, 329 (et note 4).

Voyageurs (Opinions des principaux) sur le caractère et les mœurs des Malgaches, p.19-23, 335-345.

W

Walen (Rév.):son opinion sur les Sakalavä, p. 339-— 340.

Z

ZafindRaminia, p. 186 (note 3). Zazalavä ou enfants adoptés. p. 339-993.

194, 312-315,

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Madagascar £Ethnographie. PU

Wertna_1_ Homme andriana de la caste des Zanakandriamasinavalone.

2_V'emme andriana. et k_ lemme et Homme hova, de lananarive.

Héhogravure L,Schutzenberger. Paris

Madagascar Ethnographie.?l I

2 2 Dainixaka Move) fus du Trmunstre Rainilaïarivony, sa femme etses enfants. 2- Painandriamanpandy (Hova), ex-gouverneur de Tamatave, sa femme etses erfans.

Héhogravure L Schutzenberger Paris

L'bToqueq !y aamAeabo

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7, ' ce. LV Madagascar LEthinographte./t

222 Homme du Vahinanharatra, sud-ouest de lImerina (face et profil.

3_ lemme hova de Tananarive. #_ Femme de Tananarivemétissée d'andriana et de hova

Helogravare L.Schutzenberger .Pans

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Madagascar Ethnographie. PU VIT

3 # 7. Femme andriana del Imerina. 2 - Homme betsimisaraka de Vatomandry. é

J_ lemme betsimisaraka de Tamatave. 4 _ Homme hova.

Jéliogravare L.Schutzenberger. Paris

Ethnographie. PL VIII

Madagascar

.Ionvme betsieo face etprofil). 3- Femme hova. 4- Femme betsileo

1-2

Schutzenberger .Panis

Héhoqravure L

7 : ON DINIXS Madagascar LEthnograplie. PLIX

Z_Betsiruisaraha, de Tamatave.2_Betsieo, de lianarantsoa

À_Tovalderace pure) des environs de Tananarive. 4_Sahñalava de la région de Majunqe .

Héliogravure L. Schutzenberger. Paris

Madagascar £Etrnographie. PL X

4 4 1 Chef bara. 2_ Homme bekanorano, 3_ Femme sahalava. #_ Homme sihanaka.

Hékogravure L.Schutzenberger Paris

Madagascar £thnographie. PL XI

1_- Homme antambahoaka. 2_T. SUory, petit-fils de Ramieba, chef des Bara-bé

3 Homme de la côte sud-est, }_Homme antisaka de Vangaindrano. <

Hélogravure L. Schutzenberger .Paris

Madagascar Elhinograplue. PLAI

/_ JJomme antalaotra des environs de Majunga. 2 _ Femme antanala.

3_lemme arntalaotra.l- Binao, reine sakalava

Hhogravure L.Schutzenberger Paris

Madagascar Ethnographte.?l. XI

Z, l'emme sakalava er deuil. 2_ Tsialana, rot d'Ankarana«.

3-4 lemme sakalava du Boent /face et profil).

Téhogravure L. Schutzenberger . Paris

Etrnographie. 1 XIV

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Madagascar

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Vadegascar Ethnographie. PL XV

Z, 2 et 4- Hommes antandroy.3_ Femme antandroy de Mananternina

à l'emme artanosy des environs de Lort-Dauphin

hogravure L.Schutzenberger .Panis

LP ANNE (ie M TUE Va

: PI Madagascar Ethnographre. Pl XVI

7

Z_ l'emme sakhalava de la régrior du Fiherenana.2 (Chasseur malafaly . A J-}-lomimes sakalava de la région du Fiherenana . 5 Tstrampy, rot du Cap S E Marie Artandroy). c ce 6_Homme sahalava.T-8_ Groupes de querriers mahafaly.

Héhogravure L.Schutzenberger .Pans

VMadagascar Llhinograp Aie PL. XVI

JL Jeunes femmes antanala.2-Tanulle antandroy des rives du Lac Anony

Héliogravure L.Schutzenberger Paris

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